Lorsque Gretel le libéra enfin de sa cage, Hansel ne trouva rien d'autre à faire que de se mettre à pleurer. Il prit dans ses bras sa sœur et ils s’étreignirent un moment, sous les hurlements de la sorcière qui passait de vie à trépas.
Il tremblait. Ou était-ce son aînée ? Ils étaient si étroitement liés -comme toujours- qu'il l'ignorait.
Sûrement tremblaient-ils tous les deux. Ce qui était compréhensible après tout. Ce four dans lequel leur hôte brûlait devait faire cuir le garçon, alors bon. Quelques larmes de plus ne feraient pas la différence. Pas après tout ce qu'ils avaient vécus, tous les deux. Pas après l'abandon, pas après la trahison.
Ils étaient livrés à eux-mêmes, alors ils pleuraient.
Mais ils étaient toujours ensembles, alors ils se ressaisissaient. Rapidement. Toujours. Comme une envie de survivre malgré toutes les ignominies arrivées. Vouloir continuer même si tout leur en empêchait. C'était une compétence difficile à acquérir. Mais quand on la trouvait, quand on se trouvait, elle faisait alors partie de nous. La petite flamme qui se consumait dans les yeux des naufragés. L'espoir. L'envie. Celle qui jamais ne faiblirait.
En ce jour de mort, quand les deux enfants se redressèrent, Hansel put distingué cette braise ardente encrée dans les prunelles de sa sœur.
Un miroir. Son reflet.
"Il faut qu'on sorte d'ici, Hansel, et vite ! Je n'en peux plus, je... je n'en veux plus, oh Hansel, vite !" Il hocha presque solennellement la tête, et observa un instant le lieu dans lequel ils avaient été retenus prisonniers de longues semaines. Une maisonnette faite de sucreries. Il grimaça. La nausée manquait de le submerger, comme les pleurs quelques minutes plus tôt. Heureusement, il réussit à la ravaler cette fois-ci, et inspirant un grand coup, se mit à fureter dans les recoins de la bâtisse en pain d'épices. Ses jambes étaient lourdes, douloureuses de n'avoir rien fait pendant des jours qui lui avait semblé éternité. Quel idiot. Il était le garçon. Et il s'était fait avoir comme une vulgaire bleu sans cervelle. Au fond de lui, il savait que ce n'était pas entièrement de sa faute, que c'était avant tout celle de son père et de sa belle-mère -l'idiote, celle qu'il détestait, et qui avait ensorcelé papa après la mort de maman-, trop lâches pour continuer à les élever dans la misère. Mais il y avait Gretel. Et il s'en voulait de l'avoir entraîné dans ce piège tendu par la sorcière qui lui avait fait payé cette erreur en voulant le dévorer.  Mais ils s'en était sortis. Et pas grâce à lui.  En effet, c'était Gretel qui avait tout mis en place. Elle qui avait caressé dans le sens du poil la sorcière, elle qui avait fait les corvées, dont celle d'engraisser son frère. C'était elle qui les avait tiré en arrière, alors que le gouffre s'étendait juste sous leurs pieds. Il lui devait la vie, et la mort. L'ombre et la lumière. Les remords et la reconnaissance. Et à présent qu'ils leur fallait mettre les voiles, il ne savait plus très bien s'il avait le droit de reprendre les rênes. "Pour aller où ?" crut-il bon de lui demander, comme s'il ne lui était plus autorisé d'en décider. Il avait enchaîné les erreurs après tout. Lorsque leurs parents avaient enfin réussis à les perdre dans l'immense forêt qui bordait leur minuscule maison, après deux tentatives, c'était Hansel qui affamé les avait poussés jusqu'à l'antre de la sorcière dévoreuse de chaire.
C'est avec une certaine colère qu'il cherchait dans le lieu qui avait causé sa perte quelque chose d'intéressant. Il y avait des des sucreries, un peu d'or, et quelques papiers qui retint rapidement son attention, pendant que Gretel s'exclamait. "Je ne sais pas ! Il y a sûrement des villages dans les environs... Tu te sens capable de marcher ? Hansel ?" Oui il pouvait marcher, ce qui lui ferait le plus grand bien, et l'accord silencieux qui disait que les deux enfants ne retourneraient pas dans leur famille lui plaisait. Après tout, il avait ici sa famille au complet. Hansel et Gretel. Oui, c'était une bonne idée. Mieux que toutes les siennes réunies, de cela il pouvait en être certain.
Il tenait maintenant entre ses mains une pile de recettes toutes plus délicieuses les unes que les autres, et si complexes qu'elles en étaient sûrement très rares. Une mine d'or. Lorsqu'il revint vers sa sœur, un fantôme de sourire se dessinait sur ses lèvres. "Oui, ce sera très bien. Partons maintenant, avant que la nuit n'arrive." La seule qui pouvait encore les arrêter. Car la sorcière s'était tue. Et les gamins avaient survécus, avec leurs bagages de peur et de macabre à traîner, certes, mais avec en leur possession un trésor qui promettait beaucoup. Assez pour une vie, ou deux.
Cela tombait bien, ils l'étaient. Deux. Hansel et Gretel. Les enfants du bûcheron, qui quittaient main dans la main la maison des bonbons tueurs.
Le vent était en train de tourner.


Ça n'avait pas été "très bien". Cela avait été parfait. Pendant des années. Jusqu'au dix-huit ans d'Hansel, et même plus encore, si on en croyait ses dires en faisant fi de ce qu'il pensait réellement. Les deux gosses avaient réussis à rejoindre le village d'à côté, et un couple de fermiers les avaient recueillis et aimés comme leur propres enfants. Oui, Hansel peut le dire sans risqué de se fourvoyer, sa vie avait basculé du bon côté. Elle avait pris un tournant à cent quatre-vingt-dix degrés, et au lieu de lui donner le tournis, cela l'avait élevé. D'orphelins les Denougatine étaient passés au rang de héros, et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. La sorcière n'était plus, les secrets longtemps enfouis avaient été révélés au grand jour, à leur plus grand bonheur car le monde se décidait à les récompenser en leur offrant un moyen de voler de leurs propres ailes, et sans tempête à essuyer.  
Jusqu'à maintenant.
"C'est de LA FOLIE Hansel !" Sa sœur avait fait volte-face pour le regarder, et ils se défiaient maintenant du regard, dans l'arrière-boutique. Cela faisait déjà quelques saisons qu'ils s'étaient établis à Fort Fort Lointain, et leur confiserie "Miel & épices" fonctionnait tellement bien qu'ils avaient même un nom au delà des contrées dirigées par Marraine la Bonne Fée -c'est du moins ce que la légende prétendait. Une légende qui était réalité. "Tu ne peux pas partir ainsi..." Une légende qui se déchirait maintenant en deux. Car même si les Denougatine avaient encore collaborés pour de nombreux projets audacieux -la confiserie, ainsi que le grimoire H&G qui tenait tant au cadet- ils n'étaient plus un duo à proprement parlé. Hansel était devenu Hansel. Et Gretel, Gretel.
Et ce qu'était l'autre n'était pas à proprement parlé ce qu'aurait voulu son double. Cela avait pris du temps. Mais le frère s'était détaché de sa sœur, qui ne jurait que par ses confiseries qu'elle confectionnait à la pelle, avec autant d'entrain que quand elle avait poussé la sorcière dans son four de l'enfer.
Qu'il l'aimait sa sœur. Et en effet, il ne pouvait pas partir. Il ne pouvait pas la laisser. Mais c'est ce qu'il était en train de faire.
Parce que l'envie avait pris le pas sur la raison.
Parce qu'en lui brûlait toujours la flamme. Et qu'il ne voulait pas une fois de plus demeurer dans une cage.  
"C'est ce que je veux ! Et ce que je ferais ! D'ailleurs il faut que je parte, l’Écorchée ne m'attendra pas..."  Hansel faisait ses affaires. Sa sœur devait se rendre à l'évidence (et son cadet, au port). Il avait déjà caché bien précieusement dans son sac le livre H&G, et continuait à y empiler quelques-uns de ses effets personnels. Il fut stoppé net par la main de Gretel qui vint agripper sa manche, et l'obligea à croiser une nouvelle fois son regard.
La flamme de l'aventure n'y brillait pas.
Il fut déçu, mais étrangement, cela ne l'étonna pas. Après tout, elle faisait des gâteaux. Et c'était elle qu'on avait mis sur le devant de la scène, sous prétexte qu'elle avait tué la sorcière et sauvé son frère par la même occasion ?
Il se mordit la lèvre inférieure.
Certes, il n'y avait pas de feu dans ses yeux, mais la tristesse y régnait. Peut-être que la flamme avait été mouchée à cause des larmes qu'il voyait perler derrière ses cils ?
A cause de lui.
On ne change pas les bonnes habitudes.  
"Ne me laisse pas toute seule Hansel... S'il... S'il te plait." C'était des murmures, des blessures qu'on rouvraient après leur houleuse cicatrisation. C'était l'abandon, à nouveau.  Le cœur lourd, Hansel se détacha et déposa un léger baiser sur le front de sa sœur. "Tu n'es pas seule... Tu as la boutique, et les clients, la vieille dame qui vient tous les matins t'acheter sa petite douceur, -tu sais, celle qu'on pense être sorcière ? Tous tes amis, aussi. Moi je ne suis pas fait pour ça. Mais je ne pars pas pour toute la vie non plus, on se reverra. Après tout... tu es ma sœur. " Il lui caressa un instant les cheveux, puis se détacha et referma son sac à dos d'un coup sec. Il était temps. Son sang voulait chanter à nouveau. L'appel du large était aussi fort que les complaintes d'une sirène. Et il ne savait même pas pourquoi, lui qui n'avait jamais mis les pieds sur un bateau, ni pris la mer, ni - "Tu n'es pas fait pour cela Hansel ! Tu es si idiot que tu n'y survivras même pas deux semaines ! Ne me fais pas ça ! Tu n'es pas un marin ! Ouvre les yeux !" Elle criait. Ses mots durs avaient balayé ceux de son cadet, ainsi que toute l'assurance de ce dernier.
Il tourna des talons et s'en alla sans plus attendre.
Elle non plus n'avait pas tous les droits.


Il l’avait fait. Un pas en direction d’une liberté qu’il avait toujours désiré, sans jamais réellement pouvoir la goûter. Un pas en avant pour effacer la courte distance qui s’était trop longtemps éternisé entre lui et le navire. Dorénavant, il ne serait plus vu comme le frère de Gretel, le "chasseur de sorcières" (même s’il avait aimé porté ce titre au début). Il était devenu un matelot. Un membre à part entière de l’équipage de l’Écorchée. On lui donnait enfin une chance de faire ses preuves, sans un coup de pouce du hasard, ou de son aînée.
Il se mit à sourire en songeant à toutes les possibilités qui s’offraient à lui.
"Hé, l’avorton, viens par-là !" le héla une voix maintenant connue, après une semaine en mer à braver tempête et tout autre déchaînement de la nature qu’Hansel n’avait vu que dans les livres. En parlant de livre, il aurait bien aimé pouvoir aller vérifier si le sien était en sécurité au milieu des quelques affaires qu’il avait emmené sur le navire, mais Kale lui avait dit d’approcher, c’est ce qu’il fallait donc faire, et sans broncher par-dessus le marché. Le second de Sinbad était sûrement bien plus dur avec la jeune recrue que le capitaine lui-même, et souvent Hansel pensait qu’il avait une dent contre lui. Ce qui était complètement faux, par ailleurs. Il essayait simplement de tirer le meilleur de l’équipage, quitte à hausser un peu la voix. "Maître Lemiraculé ?" Le mousse se posta devant lui, tandis que tous les hommes vaquaient à leur occupation. Il se doutait que Kale allait encore lui demander de nettoyer le pont, ou quelque chose de cet acabit –c’était après tout ce qu’il avait fait depuis qu’il était ici. "C’est pas trop tôt ! Bien, nous pouvons commencer. Mais d’abord, fais-moi voir tes mains." Sa requête étonna le plus jeune, mais il tendit tout de même ses pauvres mains abîmées et couvertes d’ampoules mal cicatrisées, que le second observa un instant. L’océan ne pardonnait pas. La serpillière et l’éponge non plus. "Parfait ! Mon gars, tu es sur la bonne voie." Il le relâcha et lui offrit un sourire qui en disait long, tout autant qu’il était mystérieux. Lorsqu’il se baissa pour ramasser quelque chose, Hansel était à court de mots. Et quand on lui mit une épée dans les mains, ses yeux ne savaient plus quoi dire non plus, eux qui étaient d’habitude des plus expressifs.
Puis Kale attaqua et il ne lui resta plus qu’à faire ce qu’il pouvait pour sauver sa pauvre vie.
Bien entendu, il se fit désarmer la seconde suivante.
Un peu plus loin l'observait Sinbad Septmers, les yeux plissés, avec cet air qui intriguait si fortement sa jeune recrue. Il devait sûrement se dire qu'ils avaient du boulot avant que le chasseur de sorcières devienne une fine lame, et un marin digne de ce nom.
Et il avait bigrement raison. Mais il y avait aussi dans son regard, un sourire distant, qu'Hansel ne comprenait pas.
Et par Merlin, le gamin voulait tout comprendre.  
"Mort." entonna le marin, qui fit semblant de transpercer le ventre de son élève.  
Ce n’était que le début.