Je vois des guimauves partout. Elles courent, elles volent, c'est magnifique ! J'ai enfin atterri au paradis ! Je baisse les yeux vers mon verre d'hydromel à moitié quasi plein et reporte mon attention sur la salle. Je ne sais pas à combien de verres je suis... Sihuit, peut-être. Ou quacinq. Dans ces eaux-là. Ça fait quand même une demi-heure que je suis là, alors bon. Je pensais pas voir des guimauves aussi rapidement mais l'altercation avec Olga m'a donné grand soif ! Y'a plein de gens, ici. Je me décide à aller prendre l'air un peu et abandonne mon hydromel sur la table. Le chemin est semé d'embûches jusqu'à la sortie, il y a des gens, des tables, des chaises... C'est très dangereux pour moi. Mes yeux sont concentrés sur la porte et après quelques insultes de pieds sur lesquels j'ai marché, l'air frais me frappe au visage. Ah, de l'air ! Les guimauves sont toujours là, scintillant dans le ciel tels des chevaux sauvages. Mais il fait froid quand même. Je saute quelques fois sur place pour essayer de me réchauffer mais ça ne marche pas très bien et même les guimauves disparaissent. Je cours un peu en rond mais me rend vite compte que j'ai envie de vomir, alors je m'arrête et m'assois.

J'ai soif. Cinq minutes dehors, et j'ai soif. Je crois que je suis condamné à me déshydrater. Je ne pourrais jamais vivre quarante ans de plus en ayant soif. J'ai déjà faim tout le temps... Comment je vais faire ? Je suis condamné à mourir ! Non, Ulrich, tu peux le faire. Tu vas te lever, rentrer dans ce bar et récupérer ton verre d'hydromel !
Alors je me lève en prenant mon temps, cinq minutes tout au plus et fais le chemin inverse. J'observe la salle un peu et essaye de retrouver ma table. C'est simple, elle était ronde et en bois, pas trop grande mais quand même. Et j'étais seul. Là ! La table seule avec le verre ! Mettant toute mon attention sur la destination, j'y vais d'un pas rapide. J'ai soif, très soif. Et faim, tiens. Ils vendent de la bouffe, ici ?

J'arrive enfin à ma table chérie qui m'avait tant manqué quand j'étais dehors et m'assoit sur la chaise. Le sol ? Hein ? Je regarde le bois éclaté autour de moi... Ma chaise, non ! J'ai tué ma chaise ! Pourquoi tant de haine ? Même les chevaux ne sont pas aussi méchants ! J'ai tué ma chaise... Je vais aller en prison pour ça, sûrement... Je regarde autour de moi mais personne ne semble avoir remarqué le meurtre. M'appuyant sur la table, je tente de me relever. Un truc en bois fonce sur moi ! Qu'est-ce qu'il se passe ? J'ai du liquide sur ma tête ! IL PLEUT ! IL PLEUT DANS LE BAR ! Il faut que je prévienne les gens ! Mais une table fonce droit sur moi et je l'évite de justesse en me roulant sur le côté. NOUS SOMMES ATTAQUÉS PAR DES TABLES ! C'est sûrement parce que j'ai tué la chaise... Oh mon dieu.

« Tout le monde se calme » je marmonne, même pas sûr que quelqu'un m'entend. « J'ai tué personne ! »

Ulrich et Hansel

ce qu'il y a d'étonnant avec les plantes rétro-annuelles, c'est que vous les plantez cette année et elles poussent l'année dernière

Cela faisait à peine une nuit que l’Ecorchée avait retrouvé les quais de Fort fort lointain, et la plupart de l’équipage se trouvait déjà attablé à la taverne. Comme d’habitude. Hansel avait finit par s’y faire avec le temps, et une bonne dose de réflexion pour essayer de les comprendre, et c’était peut-être vrai qu’il désirait plus voir le capitaine que de rester avec les autres membres du navire, mais ce soir-là il était bien assis sur l’une des vieilles chaises en bois de La Sirène Amputée, en leur charmante compagnie. C’était un fait indéniable. Et après quelques verres, c’était même devenu une obligation pour le matelot qui trouvait l’endroit très accueillant – et la bière aussi, mais bon. Ainsi il en oublia presque Sinbad qui devait être il ne savait où et se concentra sur son énième choppe, alors qu’une ambiance plus que sympathique s’était installée à sa table – les autres tables l’importaient peu, de toute manière il ne pouvait pas voir plus loin que Lorcan à l’autre bout de la planche en bois qui tanguait étrangement – vraiment il avait bien fait de les accompagner. Non ? Même s’il ne tenait pas réellement l’alcool – pas du tout, même, d’accord – et qu’il commençait à avoir le mal de mer ce qui était étrange puisque l’Ecorchée était à quai. Oh et puis à quoi bon réfléchir, de toute manière ? Il était précisément à l’endroit où son cerveau lui disait d’être, et y resterait pour la soirée, c’était tout. Il n’avait pas le choix, en réalité, il doutait pouvoir se relever sans faire un roulé-boulé magistral et jamais, ô grand jamais il ne se risquerait à ce genre d’action périlleuse avant que tout le reste de l’équipage ne se retrouve sous la table et ne pourrait pas ainsi se moquer de lui, donc dans quelques heures s’il avait de la chance, parce que ces gars-là pouvaient boire des litres d’hydromel sans ressentir ne serait-ce que des picotements douloureux aux bouts des doigts. Des surhommes. On n’avait pas appris Hansel à être ainsi, il s’était donc résigné il y a peu de temps à demeurer
Hansel.
"Eh petit, ça va ?" Un murmure se fit entendre dans son oreille, et il sursauta théâtralement sous les rires de ses compatriotes qui reprenaient, pour la plupart, tous en chœur le refrain d’une chansonnette bien à eux. L’ancien confiseur essaya de reprendre un rythme cardiaque normal – dans son cœur ça faisait comme quand Sinbad était là, il devait donc faire extrêmement attention – tandis que son interlocuteur ricanait ouvertement. "Tu as failli t’endormir !" Le plus jeune regarda sa choppe en fronçant les sourcils. Elle était énorme, par Merlin ! Il aurait pu se noyer dedans. Heureusement qu’on l’avait repêché. Passant une main dans ses cheveux bouclés, complètement en bataille, il eut un soupir de soulagement. C’était moins une.    
"Merci ! " souffla-t-il avec un sourire, avant de boire une gorgée. Quoi ? Il réduisait les risques de noyade. C’était purement… Professionnel. Hansel s’en convint en deux minutes et trente trois secondes exactement. Il reposa donc sa choppe, et releva les yeux qu’il avait eu a demi fermés quelques temps auparavant, décidé à présent de les laisser bien ouvert, ce qui fut assez comique puisqu’on put assister à une bataille contre la lourdeur qui l’envahissait, et on vit pendant ce qui sembla être une éternité un petit matelot aux cheveux bruns ouvrir grand les yeux à l’aide de ses mains – il fallait aussi faire remarquer que sa tête ne tenait plus très bien toute seule, ce fut pourquoi il dut utiliser ses mains. C’est la vérité vraie. Si je mens je vais en enf-. Oui bon d’accord.  
Alors qu’il se concentrait sur son propre combat, il remarqua que Lorcan s’était levé pour commander une autre tournée, et Hansel ne sut dire s’il était sur la table, en dessous, ou à côté. Peut-être les trois en même temps ? Grimaçant, l’observa, les mains autour de ses petits yeux en reposant son dos bien contre le dossier, même si la chaise n’était en soi pas très confortable. Et pas très solide. Et lui un peu trop idiot. Gretel lui avait déjà dit de ne pas se balancer sur les chaises au risque de tomber. Elle se serait arrachée les cheveux si elle avait été là. Ou aurait rit en voyant son petit frère se casser majestueusement la gueule, trop déboussolé pour pouvoir crier, ou demander de l’aide, ou quoi que ce soit d’autre d’à peu près censé. Au choix. Mais quand même, ce n’était pas très marrant. En plus il avait essayé de se rattraper aux rebords de la table, il n’était pas si bête. Si ? Soupirant, à moitié blasé, à moitié terrassé, il resta au sol sans aucune envie de se relever. En fait, il aurait très bien pu se mettre à dormir sur le plancher même. Ca aurait été parfait, si une énergumène n’était pas venue postillonner juste au dessus de lui dans un brouhaha qu’il n’avait même pas entendu. Hansel ouvrit un œil. Il essaya d’ouvrir le deuxième mais n’y parvint pas, ainsi il resta dos contre terre, alors que l’autre semblait vouloir pleurer. C’était triste.
"J’ai tué personne !" Le brun mit du temps à comprendre, et pensant qu’il s’adressait à lui, s’exclama après coup en retrouvant son sourire et une étrange énergie qui menaçait de lui faire exploser la tête. "Si moi regarde regarde regarde !" Il se retint de pouffer de rire, tel l’enfant qu’on le disait être, et qu’il était réellement lorsqu’il avait un peu bu. Se dandinant un instant, il retrouva une concentration qu’il n’avait pas eut pour garder les yeux ouverts, et put donc parfaitement montrer ses talents d’imitation, avec un premier essai : Le phoque mort. Regard perdu sur le plafond, grimace théâtrale et grognement de… phoque ? d’animal ? de chose ? après un dernier tressautement, il se tint immobile, très fier de son coup avec la certitude que les humains n’y verraient que du feu.

Oh non... J'ai entraîné quelqu'un dans ma chute... On va tous les deux finir en enfer ! J'ai pas fait exprès, promis... Et puis, c'était pas ma table, d'abord ? Bon. J'admets la possibilité de m'être trompé mais ça m'étonnerait beaucoup. Après tout, je suis le roi de l'orientation, quand les panneaux m'indiquent le chemin ! Tiens, ils devraient en mettre, dans ce bar. Ce doit être difficile de se rappeler où on s'est assis quand plein de guimauves courent partout ! Bon, c'est pas tout, mais un homme est à terre... En plus de moi. Mais moi je suis un ogre, ça compte pas. Je suis plus fort que la roche, plus solide que les pavés mais moins intelligent qu'Olga. Oui, j'utilise ma soeur comme point de repère. En même temps, ça vole pas haut chez les Fiersbras alors bon, c'est plus simple ! Je m'approche du petit homme au sol, priant pour qu'il ne soit pas mort. Et là, horreur ! Il regarde le plafond, convulse et... Rote, ou quelque chose dans le genre. Et puis plus rien. Rapidement, je m'agenouille à ses côtés - comprendre, je tombe sur lui - et le regarde, attendant un quelconque signe de vie. « Ne meurs pas ! Si tu vois la lumière au bout du tunnel, n'y va surtout pas ! » Et puis j'attends. En espérant que ça marche.

Je ne peux pas l'avoir tué, après tout. Une table, c'est pas mortel comme animal. Alors certes, ça peut faire mal mais la plupart du temps c'est inoffensif. Enfin, on peut quand même manger dessus, s'y accouder, s'asseoir dessus souvent... C'est gentil, une table. Je le prends par les épaules et le secoue mais soudain, je ne vois plus le sol. On me crie dans les oreilles et puis on me prend par les épaules - ça fait mal, d'ailleurs - et on me jette plus loin. J'ai l'impression d'avoir une attirance au sol, bizarrement je n'en reste pas loin longtemps... En même temps si on considère que je marche dessus, je ne le quitte jamais. Je vais peut-être lui demander de l'épouser.
J'entends mes ravisseurs rigoler pendant que je me tasse dans un coin et ils s'approchent du petit homme et le relève. Il est pas mort, alors ? Je suis soulagé ! Je me relève, encore une fois et tente une nouvelle approche. Je passe discrètement entre les hommes et aperçoit Petit Homme. Oui, je l'appelle comme ça. J'ai décrété. Et quand je décrète, je pète. Voilà. Donc je pète. « Ça va ? Tu t'es éloigné de la lumière ? »
Les hommes autour de lui me regardent un peu méchamment. Je l'ai pas tué votre ami hein ! Il est aussi vivant qu'un arbre centenaire ! Y'en a même un qui s'approche de moi un peu rapidement, je ne sais pas ce que j'ai fais mais je ne me pose même plus la question - les situations bizarres et moi, on s'aime beaucoup. Alors je mets mon mécanisme de défense en marche.

Et je m'en vais en courant à l'autre bout du bar.

Ulrich et Hansel

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Il avait l'air bien idiot, Hansel là, sur le sol, à faire semblant d'être mort alors que son cœur cognait fort contre sa poitrine, comme à l'habitude – pour sûr qu'il fonctionnait, ce palpitant de malheur. Un idiot qui voulait faire rire, mais qui ne réussit qu'à terrifier l'énergumène de la soirée, qui devait s'être noyé dans la boisson, lui aussi. Tant pis. Finalement, c'est lui qui se mit à pouffer de rire, parce qu'il ne pouvait pas s'en empêcher en voyant la tête dépitée de ce sauveur qui croyait l'avoir tué. "Ne meurs pas ! Si tu vois la lumière au bout du tunnel, n'y va surtout pas !" Il ignorait si c'était ce tunnel qu'on apercevait quand on mourrait, en réalité il penchait plutôt pour l'idée qu'on ne voyait strictement rien. Rien que du noir. Un peu comme quand on avait bu. Sauf qu'à la différence, c'était beaucoup plus dur de se relever le lendemain, et personne ne venait nous repêcher – parce que les humains n'avaient pas encore trouvé comment faire, comme quoi ils n'étaient pas les maîtres du monde, comme ils aimaient le dire. Ce soir, dans tout les cas, Hansel ne mourrait pas. Il aurait sûrement de jolis bleus suite à sa chute digne d'un enfant de cinq ans, mais rien de plus, et puis l'alcool anesthésiait la douleur – et lui donnait encore plus envie de rire, ce qui pouvait quand même réussir à l'étouffer. Ce serait triste. Ce fut certainement pour cela qu'un des matelots le releva après coup, tandis que les autres poussaient celui qui lui postillonnait dans la figure  - pour faire la même chose en lui demandant si ça allait. Hansel cligna des yeux, regarda le jeune homme au sol. C'était à son tour de tomber, mais il avait été aidé par les marins de l’écorchée, et c'était encore plus triste pour l'ancien confiseur qui lui avait choisi, contrairement à son faux sauveur un peu trop timide. Il essaya de faire cesser les autres, mais les mots refusèrent de sortir de sa bouche et de toute manière il s'arrêtèrent tout seuls, comme des grands – ou non -, jusqu'à ce que l'autre se relève tandis qu'Hansel hochait la tête, parce que oui oui, ça allait, vous inquiétez pas. Il lui reposa lui aussi la question, mais n'eut aucune réponse puisque Lorcan s'approcha, avec ses airs de lion qui fit rire Hansel et fuir le maelstrom maladroit. Passant une main dans ses cheveux tout emmêlés par la soirée, il le vit s'enfuir à travers la pièce, comme une petite créature gauche étonnamment visible. Une sorte de miroir à la fois agaçant et touchant. Lorcan se retourna vers lui en haussant les sourcils, avec l'air de celui qui se demande ce qu'il s'est passé, sans avoir de réponse approprié. Hansel leva les yeux au plafond, ce qui lui fit mal à la tête, et poussa à son tour son ami pour pouvoir se déplacer au milieu des tables qui dansaient toutes seules ou avec les chaises, autre petite créature gauche qui s'approcha avec des pas minuscules – pour ne pas l'effrayer, ou pour ne pas tomber, il n'en savait rien. Un peu des deux, peut-être. Sûrement – et le héla de manière à ce qu'il le remarque. "Hé ! Attends !" Il se posta devant lui, minuscule prestance, énorme sourire visible à des kilomètres à la ronde. Il inclina un peu la tête sur le côté, et la pièce ainsi que l'énergumène sans nom tanguèrent dans l'autre sens. Par merlin, c'était normal qu'il voit tout à l'envers ? Tant pis, il ferait avec. C'était un peu comme quand il était sur le pont de l’Écorchée, l'horizon en moins, les vagues bien loin. "J'suis pas mort !" qu'il continua avec toute la sincérité du monde, en se regardant pour être bien sûr de ce fait. Non. Il n'était pas mort. Un début. "Et puis faut pas avoir peur de Lorcan !" Il se crut intelligent de rajouter, trouvant cette information pertinente tandis que ses yeux se relevaient vers son interlocuteur. "Il est aussi inoffensif qu'un caniche." Le rire d'Hansel ne resta pas bien longtemps coincé dans son petit être insignifiant et gorgé de bière. "Y'a pas de danger." Hochant la tête un peu trop longtemps pour être aussi solennel qu'il l'aurait voulu. Enfin, il ne se faisait plus d'illusion. Il n'arrivait même pas à l'être lorsqu'il était sobre, alors.

Buh. I am tout seul. Personne ne m'aime. Même le coin de mur auquel je me suis adossé n'arrête pas de bouger. J'ai compris, d'accord, je vais partir ! Mais je n'arrive même pas à me relever, de toute façon. Et puis y'a des gens qui sont méchants avec moi. Oui c'est vrai, j'ai failli tuer leur ami mais quand même... Je voulais juste l'aider, après ! Du coup maintenant I am tout seul. All alone. Adossé against a wall. Et puis il tourne, ce mur ! Je pose ma tête dans mes mains, mains qui sont accrochées à mon bras, bras qui sont posés sur mes jambes, jambes qui sont repliées contre moi. Mais ça tourne encore. Soudain, dans la nuit noire, dans la nuit noire et obscure, obscure et sombre, je distingue L'homme-qui-a-failli-mourir-tel-un-phoque qui s'avance vers moi. Je crois qu'il est temps de se lever.
Prenant une grande inspiration, je pose mes mains sur le sol et pousse, pousse, pousse, mais rien, sinon un pet qui sort. Ah, peut-être devrais-je songer à utiliser mes jambes. Voilà, doucement... Oh, ça tourne encore plus, maintenant. Je vais sûrement vomir, à un moment. J'espère que ça sentira la guimauve.

L'homme-qui-a-failli-mourir-tel-un-phoque est devant moi, bien vivant. Ce qu'il affirme encore une fois en disant qu'il est pas mort. C'est ça ouais ! J'écrirais ça sur sa tombe, tiens. "Ci-gît, monsieur le mort, qui ne l'est pas".
"Et puis faut pas avoir peur de Lorcan !" C'est qui, Lorcan ? C'est celui qui m'a regardé méchamment, celui qui m'a emmené plus loin ou encore un autre ? C'EST QUI LORCAN ? "Il est aussi inoffensif qu'un caniche." Caniche.

Caniche. Caniche. Caniche. Caniche. Caniche. Caniche. Caniche. Caniche. Caniche. Caniche.
Sa bouche s'ouvre mais tout ce que j'entends, c'est "caniche". Un caniche, ici ? Pourquoi tant de haine ? Dans ma virilité extrême, ce n'est pas impossible que je pousse un cri apeuré. En tout cas, me revoilà plus proche du sol encore une fois, roulé en boule sur moi-même. Je pense pendant cinq secondes qu'au moins, le mur ne tourne plus mais caniche. Caniche. Reste calme, Ulrich. Le caniche est un animal mignon, non ? NON UN CANICHE C'EST DÉMONIAQUE.
Je lève la tête vers le monsieur en regardant si aucun caniche ne s'approche. « Si y'a un caniche... Tu peux l'envoyer voir ailleurs, s'il te plaît ? Ne laisse aucun caniche m'approcher. Aucun. Les caniches, c'est méchant. Très méchant. S'il y a un caniche, on meurt tous. Je veux pas mourir. »

Je crois que je suis presque sur le point de pleurer, je sais pas. J'arrive pas trop à différencier la sueur des larmes. Mais une chose est sûre : je suis en danger. Grand danger.

Ulrich et Hansel

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Il n'aurait peut-être pas du dire ça, de Lorcan qui ressemblait à un caniche, ou qu'il n'y avait pas de danger, et qu'il était là - parce qu'il ne l'était pas. Mais Hansel avait la faculté impressionnante de ne jamais dire ce qu'il fallait, et de toujours prononcer le mot imprononçable. Il ne s'en étonnait même plus, par ailleurs. Ivre, l'idée même qu'il s'était fait avoir une fois de plus ne lui effleura pas l'esprit. C'était tant pis. Tant pis s'il clignait toujours des yeux pour essayer de voir son interlocuteur en un seul morceau plutôt qu'en trois. Tant pis si ce dernier commençait à danser ou hurler ou tomber ou il ne savait plus très bien quoi. Quelque chose de peu normal était à l’œuvre ici, un mal qui n'avait rien avoir avec l'alcool, et Hansel le disait haut et fort : c'était tant pis. Quoique c'était triste aussi, que le jeune homme soit roulé en boule ainsi, avec la gueule d'un animal apeuré qui caractérisait d'habitude plus le matelot que les autres. Comme quoi, on pouvait toujours trouver plus fort que soi. Il eut une petite grimace peinée quand il le vit relever les yeux sur lui, au bord du gouffre. Qu'est-ce que c'était triste. Un jour il raisonnerait Lorcan. Un jour il arrêterait l'alcool. Un jour il se tairait. Pour le moment, Hansel avait juste envie de prendre ce petit être dans ses bras et de lui faire un câlin pour faire partir le caniche. Quel caniche d'ailleurs ? Ses yeux décidèrent d'eux-même de passer toute la pièce au peigne fin pour déceler la moindre trace du passage d'un caniche. Il n'était pas en bas. Haussant les sourcils, l'ancien confiseur regarda donc au plafond. Il y avait des empreintes, pas vrai ? Non ?  "Si y'a un caniche... Tu peux l'envoyer voir ailleurs, s'il te plaît ? Ne laisse aucun caniche m'approcher. Aucun. Les caniches, c'est méchant. Très méchant. S'il y a un caniche, on meurt tous. Je veux pas mourir."  qu'il entendit après quelques secondes d'inattention, où la peur eut le temps de monter en flèche, jusqu'à lui glacer son sang imbibé de bière. Alors c'était dangereux, les caniches ? Vraiment ?

"Mourir ? Mais personne va mourir ici ! Pas vrai ? Hein ?" murmura-t-il en se baissant finalement lui aussi. Le brun commençait à lui faire peur aussi, et ce n'était plus pour le rassurer qu'il voulait lui faire un câlin, mais pour l'utiliser afin de faire écran de son corps si quelque chose de potentiellement dangereux arrivait. C'était toujours utile, un humain, de toute façon. Après un instant à retenir son souffle dans l'attente de voir arriver du plafond en lambeaux un caniche énervé, Hansel se prit à regarder le peureux – pas lui, l'autre. Un humain ? Il approcha un peu son visage de sa personne en plissant les yeux et les narines. C'en était peut-être pas un. Si ça se trouve, c'était même un caniche ! Un rire non contrôlé, pouffement idiot dans une scène idiote, vint sortir d'entre ses lèvres, et le spectacle devait être bien étrange à regarder : un matelot en train de se bidonner au sol, et un caniche humain qui attendait la mort en position fœtale.  "Tu sens bizarre." qu'il dit en hochant la tête, comme s'il se comprenait alors que pour le reste du monde ses mots restaient mystère. "J'suis pas sur qu'un caniche, ça veuille t'approcher, même." continua le matelot en battant des cils, toujours en riant pour se donner du courage et ne pas penser au caniche au plafond. Il se mordit la lèvre en un sourire. "Tu vois, ça prouve que j'en suis pas un ! C'est déjà ça ! Je te protège, t'inquiètes pas." Hansel souffla, et resta à terre, parce que c'était confortable finalement. Si un méchant canidé devait arriver, il allait être bien reçu. Mais qu'il fasse vite, avant que le mal de tête ne prenne le pas sur lui.

Les caniches sont méchants. Je l'ai déjà dit, je sais, mais je me répète. Ça coûte rien, de répéter. Sauf quand c'est pour embêter Olga, ça coûte des bleus. Mais sinon, c'est gratuit. Alors je le fais encore une fois : les caniches sont méchants. Ce sont de viles créatures, qui, comme les chevaux, veulent dominer le monde. Qui se cachent, dans chaque coin obscur, dans chaque petite niche en bois, et qui attendent seulement de voir un mollet s'approcher pour foncer sur leur proie. Et je sais que leur proie, c'est moi. J'ai surpris une réunion de l'OMACAD. L'Organisation Mondiale et Admirée des Caniches Appréciés par les Démons. Ils m'ont ciblé. Moi, pauvre petit ogre que je suis.
Alors non, je ne rigole pas avec les caniches. Je pleure. Mais il est gentil, le petit homme à côté de moi. Il essaye de me rassurer, en me disant que personne va mourir. ON VA TOUS MOURIR. Tous. Un par un. Décimés par les caniches et les chevaux.

« Tu sens bizarre. » qu'il me dit, le monsieur, en rigolant. Je sais pas pourquoi il rigole mais il est gentil ! Généralement, on dit que je pue. Et je pue pas, hein ! Je sens très bon. Comme un ogre. « J'suis pas sur qu'un caniche, ça veuille t'approcher, même. » Je le regarde, d'un regard incrédule. Enfin je pense. C'est ce que j'essaye de faire, en tout cas. « C'est vrai ? Parce qu'un jour, un caniche voulait me tuer, quand même ! » Je n'invente rien. Rien du tout.

« Tu vois, ça prouve que j'en suis pas un ! C'est déjà ça ! Je te protège, t'inquiètes pas. » Je hoche la tête et me rapproche un peu de lui - je vais pas me protéger tout seul et puis, c'est lui qui a proposé. « D'accord. Je compte sur toi ! » Je retourne à mon exploration de la salle et aperçoit les amis de Monsieur Protection. Ils ont l'air de bien s'amuser. Ils se ressemblent presque tous, c'est marrant !
Et puis je me rends compte que je l'ai peut-être arraché à ses amis. Il me connaît pas et pourtant, il reste assis à côté de moi. « Heu, tu veux peut-être retourner avec tes amis ? Je bouge pas, si y'a un caniche je crie. Mais j'ai pas envie de te retenir ici ! » Pas comme si j'avais la force de bouger, de toute façon.

Je veux pas lui tenir la jambe, non plus. Je suis pas un caniche, moi.

Spoiler:

Ulrich et Hansel

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Ce petit homme était vraiment étrange, et plutôt singulier si on l'observait attentivement. Hansel n'en avait jamais vu de pareil, parce que généralement, les personnes qui se noyaient dans l'alcool à la sirène amputée pour sombrer dans la folie n'était qu'invités au bras de cette dernière pour la soirée. Ils se lâchaient, ils perdaient un peu de dignité, ou détruisaient quelques objets ou visages aussi éreintés qu'eux, et puis le lendemain ils finissaient avec une mine épouvantable et aucun souvenir pour leur prouver quelle stupidité ils avaient bien pu commettre la nuit précédente. Pour ce qui était de cette étrange créature sans nom qui le suivait comme son ombre - une ombre ridicule, autant presque qu'Hansel lui-même, et chancelante à la manière d'une flamme qui vacillerait à la lueur du jour - il n'en était rien. Tout était différent avec lui, à commencer par la manière dont il s'exprimait. Le matelot songea très fort qu'il devait parler ainsi tout le temps. Ce n'était pas une affaire d'un soir, d'un peu de bières bon marché ou de quelques autres substances illicites. Non, c'était juste lui. Il ne jouait même pas à un jeu. Il était ce qu'il était, et rien que pour cela l'ancien confiseur se décida à l'aimer. Il y avait tellement peu de gens se comportant ici en ces bas-fonds que quand on apercevait l'une de ces énergumènes, on ne pouvait tout simplement pas faire autrement - du moins en ce qui concernait Hansel. Parce qu'il l'amusait, il le touchait dans sa manière de faire, d'être là, et de s’emmêler les pinceaux comme si c'était parfaitement normal. Comme si c'était son quotidien. C'était attendrissant. Quiconque passait ici pouvait facilement remarquer que Denougatine était semblable sur beaucoup de points, si ce n'était presque tous - il n'avait jamais apprécié la compagnie des caniches. Et puis si ce gars dégageait vraiment une odeur peu recommandable, il fallait se rendre à l'évidence, les caniches étaient pires.  "C'est vrai ? Parce qu'un jour, un caniche voulait me tuer, quand même !" Qu'est ce qu'Hansel disait déjà ? Ah oui. Ces affreuses bestioles causaient beaucoup de tord, dans le genre perte de mémoire, perte de l'odorat. Perte de la vie. Il ouvrit grand les yeux en s'exclamant. "J'étais sûr !" s'écria-t-il, sans savoir exactement de quoi il était sûr. Mais c'était sûr qu'il l'était. Sûr.
Ça devenait compliqué pour son cerveau qui menaçait petit à petit de s'auto-détruire afin d'éviter tout problème identique.

Mais bon, le petit homme comptait sur lui tout de même, il le lui dit noir sur blanc, avec ses grands yeux d'enfant et ses pas maladroits des gens-qui-ont-bu-mais-qui-se-comportent-quand-même-toujours-comme-ça. Et puisqu'il se trouvait être attachant, il fallait se relever, se retrousser les manches et faire son travail de protecteur. Hansel n'était pas très bon dans ce rôle-là. Après tout, il avait failli avec sa sœur, et puis avec Sinbad, plusieurs fois. Ils s'en étaient tous sortis tout de même, mais il s'en était fallu de peu. Il doutait pouvoir l'aider contre une attaque de caniches volants, mais il essayerait. Il l'avait promis. Un peu. Silencieusement. Hansel tenait ses promesses. Ainsi il ferait de son mieux, comme toujours. Dans tous les cas, il avait toujours du mal à le suivre du regard, puisque ce dernier se perdait à l'instar de son protégé dans la foule ambiante, formée de Lorcan, d'autres marins, de bougres en tout genre, de serveuses pressées et de faux artistes aussi déjantés que tout le reste. Il papillonna des yeux, se redressa, et fit la grimace. Le mal de tête finissait sa transformation d'épave. "Heu, tu veux peut-être retourner avec tes amis ? Je bouge pas, si y'a un caniche je crie. Mais j'ai pas envie de te retenir ici !" Ses amis ? Le retenir ? C'était lui qui se retenait - de beaucoup de choses, comme de vomir, de lui faire un câlin, de repartir vers l’Écorchée pour voir Sinbad ou encore de recommander une choppe emplie de ce délicieux liquide ambrée. Mais aussi et surtout, il se retenait au sol, parce que c'était l'endroit le plus sûr ici, à n'en pas douter. Il hocha la tête comme un enfant sûr de lui. Au moins était-il d'accord avec ses propres pensées. "J'ai dis que je te protégerais, j'vais le faire. Ce serait bête que tu meurs, quand même, ça gâcherait un peu ma soirée." Haussant les sourcils, le matelot se remit à sourire, amusé. "Et puis tu es mon ami aussi, sire.... sire... Heu, mon ami." rajouta-t-il d'une voix lointaine, en regardant devant lui. Il ne connaissait même pas son prénom. Mais de toute manière, ça n'avait pas d'importance. Du moins pas maintenant. Peut-être l'apprendrait-il plus tard. Sûrement. Il l'espérait un peu, même s'il doutait s'en rappeler suite à tout ça. Il reconnaîtrait son visage, dans tous les cas. C'était le plus important, le visage. Ce n'était pas un vulgaire prénom qui définissait une personne, mais des traits, une bouche, un nez, un corps, et un regard qui donnait la mesure. Hansel se rappelait des regards. Toujours. Celui-ci était le miroir de ce petit homme, mais aussi de lui-même. Un regard de gosse. De pauvre gamin idiot qui désirait s'amuser, et surtout vivre longtemps, donc ne pas être assassiner par des caniches ailés. "Alors, mon ami, ce que je te propose, c'est qu'on reste ici. On est bien ici. Moi je trouve que ça tangue un peu en haut, alors il faut prendre un autre point de vue. Et puis je surve-" commença-t-il le plus sérieux du monde, avant d’apercevoir une serveuse, et de lui demander deux choppes de bières qu'elle lui tendit bien vite, avec le sourire qui plus est. Moh, elle était gentille. C'était la journée des gentils. Sauf pour ce qui était de Lorcan et des caniches. Mais on ne pouvait plus rien faire pour eux de toute manière. Il tendit l'une des boissons au garçon, et but une gorgée de la sienne, avant de fermer les yeux et soupirer. C'était raté pour l'observation. Mais au moins avait-il de la bière, et puis un nouvel ami. Ça valait tout le reste. Ça valait même de se mettre en danger.

Spoiler:

C'est libérateur, tout de même, de boire jusqu'à outrance. Ça ne m'arrive pas souvent - très rarement même - mais la sensation n'est pas si mauvaise que ça. Je regretterais demain. En attendant, je suis toujours assis par terre mais je ne sais pas si j'arrive encore à me lever ! Je ne sais même pas comment je vais rentrer chez moi ! Oh, je suis dans la crotte. Heureusement que mon copain est là pour me protéger des caniches, sinon ce serait la fin du monde ! Ou du mien, au moins. Je préfère éviter. Olga et Nina m'attendent, en plus. Enfin non, je ne pense pas qu'elles m'attendent. Ça doit ronfler, dans la chaumière !

J'ai peur de m'imposer quand même, alors je lui propose d'être délivré de ma présence, mais il ne compte pas bouger. Ça me rassure. Les caniches lui passeront d'abord sur le corps, ce qui me laissera le temps de partir en courant. Ou en roulant. Enfin, d'essayer, en tout cas. « J'ai dis que je te protégerais, j'vais le faire. Ce serait bête que tu meurs, quand même, ça gâcherait un peu ma soirée. Et puis tu es mon ami aussi, sire.... sire... Heu, mon ami. » Comme si je comprenais parfaitement ce qu'il voulait dire, je me contente d'hocher la tête vigoureusement. C'est gentil, de vouloir me protéger, tout de même. Et de bien vouloir être mon ami. Ça m'arrive pas tous les jours, ça !

Un petit silence confortable s'installe, brisé par la voix de Sire mon ami. « Alors, mon ami, ce que je te propose, c'est qu'on reste ici. On est bien ici. Moi je trouve que ça tangue un peu en haut, alors il faut prendre un autre point de vue. Et puis je surve- » Je relève les yeux pour voir ce qui a coupé sa proposition : une serveuse, deux choppes de bière en main. Paradis.

Il me tend une des boissons que j'accepte de plein gré, avant de le remercier. Il est vraiment gentil. Et il n'a pas l'air méchant. Ce qui est globalement la même chose.
J'en bois une gorgée, soupire et savoure. Ça tangue en bas, aussi. Alors, un instant, je ferme les yeux. Ou peut-être plus longtemps, je ne sais pas.

Une chose est sûre : je ne saurais jamais comment je me suis réveillé chez moi, le lendemain matin.