Au cours de ses neufs vies, on lui a donné de nombreux noms. Il y a eu diablo matou, felin loveur, chasanova, le chat garou, bandit de feu. Mais celui qui lui colle à la patte c’est le chat potté. Avant d’être un aventurier en cavale, il n'était qu'un chaton orphelin, sans lait, sans mama. Lové dans un petit panier d'osier qui errait sur un territoire terne et sans saveurs, un désert brûlant où rien ne pousse, rien n’a de valeur. Afshin. Il fut recueilli dans un petit village perdu, nommé San Ricardo, par la directrice d’un orphelinat tombée en amour pour le petit chat roux. C’est là qu’il rencontra l’oeuf, Humpty Dumpty et qu’il devint son meilleur ami et allié. Ensemble ils se promirent de chercher sans relâche les haricots magiques pour atteindre le ciel et trouver l’oie aux oeufs d’or. Mais à l’adolescence, Humpty volait de plus en plus et semait la pagaille. Un jour qu’il libéra un taureau qui s’en prenait aux villageois, Potté sauva tout le monde et surtout, la mère du lieutenant. Il fut traité comme un héros alors que son ami restait écarté. Sa mère adoptive lui offrit alors une paire de bottes, un chapeau pour agrémenter le tout et sa réputation fit le tour de Afshin durant un long moment. Mais Humpty, jaloux, s’engageait dans les arnaques pour mieux dépouiller la ville. Alors Potté fut entubé par son propre ami et dû fuir San Ricardo. De l'âge adulte de Potté il n'en résulte que de vieilles affiches où étaient écrites WANTED. Voleur professionnel, son rêve de grimper dans les nuages ne fut pas malgré tout qu'une simple lubie, il le voulait et pour ça il fallait voler Jack et Jill. Sur son chemin il eut le malheur de tomber sur Kitty Pattesdevelours, voleuse elle aussi travaillant à la botte d'Humpty qui souhaitait renouer avec le chat, ensemble qu'ils s'étaient juré petits. Vint alors un long périple pour arriver à prendre les haricots tant désirés, pour monter jusqu'au château dans les nuages et voler l'oie aux oeufs d'or, ou plutôt son petit. Joie non dissimulée, une petite fête entre les trois compères fut organisée, jusqu'à ce que Humpty dupe à nouveau son ami le félin roux, le poussant à aller à San Ricardo et se faire arrêter, car en réalité l'oeuf travaillait en collaboration avec Jack et Jill et avait voulu utiliser Potté à ses fins douteuses. La fin de cette petite histoire fut vite bouclée à cause de la mère oie voulant récupérer son petit, Humpty se sacrifiant pour sauver Potté et celui-ci récupérant de sa réputation tachée. L'année d'après ce fut les adieux à Potté envers San Ricardo, souhaitant littéralement changer de décor et faire fortune à la capitale. Un long chemin qui s'éternisa suite à la rencontre avec un fils de meunier qui n'avait rien entre ses mains contrairement à ses aînés. Dans un élan de bonté, il jura au môme qu'il ferait sa richesse, une promesse qu'il ne manqua pas de tenir celle-ci en le poussant vers la fille d'un riche entrepreneur, le faisant passer pour un marquis dit de Carabas par sa propre imagination. Usant de sa ruse pour lui offrir un terrain, il dût d'abord se débarrasser d'un régent d'un bout de terre capable de se changer en animal, le poussant à bout jusqu'à ce qu'il se transforme en souris, il n'en fit qu'une bouchée, libérant par extension les pauvres villageois à sa merci. Le gamin devint le nouveau dirigeant de cette parcelle de terre, se mariant avec la fille rencontrée peu de temps avant et remerciant Potté de tout son coeur, encore une fois, son blason fut redoré. Le chemin vers Fort Fort Lointain repris alors son cours, cherchant une manière de toujours faire plus, mieux, pourquoi pas être aimé autant que craint pour ses très bonnes bases en combat. Ce qu'il fit, clairement, en s'imposant en tant que mercenaire capable de zigouiller quelqu'un pour une bourse bien pleine. Son QG se situant à la Pomme Empoisonnée, il eut la chance d'avoir affaire au roi Harold pour un cas d'ogre trop gênant. Shrek qu'il s'appelait, et il devait le faire disparaître, lui et son âne trop bavard. Sauf qu'à cause d'une boule de poils, le chat roux fut arrêté dans son élan, une chose en entrainant une autre il devint un membre du petit groupe que formaient l'ogre et l’âne.
« Sur mon honneur, je me dois de vous faire escorte jusqu’à ce que j’épargne votre vie, comme vous avez épargné la mienne. » C’est alors que les problèmes avec la fameuse Marraine la bonne fée s'enchaînèrent bien vite, et malgré l'attaque du château, la création de Cake Kong et leur évasion de la tour d'argent, ce fut un échec total. Shrek et Fiona disparurent comme les effets de la potion heureux pour toujours, Harold comme Liliane n'étaient plus qu'un souvenir et Marraine la bonne fée avait eu ce qu'elle voulait..
La pluie tombait en trombe sur les pavés souillés du port. La crasse laissée par les sabots des chevaux se changeait en boue opaque et dégoulinante terminant sa course dans la mer. Les navires appareillaient, laissant là les tonneaux remplis de poissons bien frais et parfumant l'air d'une odeur nauséabonde et humide. Un brouhaha régnait sur le quai, semblable à une symphonie rauque et tremblante. Un commerce en plein essor. Les marchands, marins et poissonniers se rentraient dedans, hâtifs, pressés par le temps et l’argent. Parmi eux, caché sous une cape, le mercenaire marchait d’un pas sourd et léger. Ses bottes, reconnaissables entre toutes, heurtèrent un rat malchanceux qui survola alors la tête d’une femme non loin. De dos, sa cambrure parfaite et sa chevelure de blé attirèrent l’oeil de Potté qui se jeta sur elle pour s’excuser de ce fâcheux incident. Mais son sourire charmeur se dissipa lorsque la lady se retourna et montra son visage disgracieux.
« Mes excuses, Milady, j’avais cru voir un rat sur votre tête. » dit-il en grimaçant d’un dégoût non dissimulé, juste avant de se prendre une gifle monumentale. Celle-ci, il l’avait méritée. Le mercenaire continua sa route, se frottant un peu la joue douloureuse avant de s’arrêter devant une affiche placardée à une cabane de bois. C’était toujours la même, une mise à prix sur les créatures enchantées, et la récompense ne cessait d’augmenter. Machinalement, Potté attrapa un poisson qui s’agitait dans un cageot et croqua dans sa chair froide à pleines dents, y laissant quelques écailles d’argent. Prenant appui sur une rembarre de cordes, il sauta par dessus et retomba sur le pont, sa silhouette s’élançant en suivant le chemin de planches jusqu’au navire. L’Écorchée. C’était le nom de cette bicoque qu’on disait insubmersible. Mais ce qui l’intéressait d’autant plus, c’était son capitaine. La réputation de Sinbad Septmers n’était plus à prouver. Mais comme tout le monde, son coeur était aisément corruptible par la richesse. Ce qui faisait de lui l’homme idéal pour les magouilles de Potté.
« Je peux vous aider ? » Le marin qui terminait son noeud se frotta les mains avant de s’avancer vers Potté, les bras croisés et les sourcils levés. Le mercenaire, le visage ombré par sa capuche, ne laissait voir que ses canines luisantes derrière son sourire.
« Je l’espère. » Conscient de son impolitesse, sa main vint dégager sa tête pour montrer ses rétines malicieuses.
« On m’a beaucoup parlé de vous et de vos prouesses. Je viens vous proposer un marché, un partenariat, une alliance ou appelez ça comme vous le voulez. En échange des services que vous me rendrez, je vous promets que vous aurez assez d'or pour remédier à cet uniforme de gueux que vous portez, capitaine. » Une petite courbette bien placée et un sourire charismatique en plus pour le convaincre de s’intéresser à son offre, Potté fit moins le fier quand il vient à lui répondre sèchement.
« L’habit ne fait pas le moine dit-on, vos fanfreluches ne font peut-être pas de vous une personne d’exception, du moins j'en doute effronté comme vous êtes. » Cet homme était bien plus arrogant qu’il ne l’aurait cru. Mais le chat ne se laisserait pas abattre si facilement. D’une manière ou d’une autre, il aurait ce qu’il veut.
« Comment oses-tu, insouciant. Tu as la langue bien trop pendue pour un capitaine digne de ce nom. Tu ne sais pas à qui tu t’adresses. Je suis le chat potté ! En garde ! » Il en avait fini avec les politesses, il le traiterait d’égal à égal, et le défier lui permettrait de se faire entendre. Le mercenaire redressa sa colonne vertébrale, les pieds bien ancrés au plancher. Mais, maladroit, ce n’est pas son épée qu’il dégaina mais le poisson frais qu’il avait entamé. Son regard perturbé se perdit un peu sur cette nageoire qui se débattait, puis, finalement il haussa des épaules et gifla le marin avec l’animal. Il entendit l’équipage rire et se félicita intérieurement d’avoir amusé l’assemblée. Potté s’engagea d’un saut périlleux arrière, avant de dégainer sa réelle épée.
« Affronte moi, si t’es cap. » L’homme afficha une mine déconfite, outrée, avant de lancer un regard hésitant vers un autre marin. Ce dernier lui jeta alors un sabre.
« Et fais lui ravaler ses moustaches, je te prie ! » Le capitaine acquiesça d’un sourire avant de se frotter la joue.
« Avec grand plaisir mon ami. » Le sabre fut mené à la perfection, tournant et passant d’une main à une autre autour de sa tête. Potté sourit en observant cet adversaire qui semblait à sa hauteur. Leurs lames se rencontrèrent alors, tintant telles des cloches sur le navire. Leurs jambes se balançaient dans un rythme effréné mais précis, leur permettant de prendre des appuis nécessaires à leurs courbettes. Un combat amusant mais éreintant, n’en finissant pas. Pourtant, alors que l’équipage s’était déjà servi du rhum et pensait en voir plus, Potté trébucha sur ce satané poisson, lui faisant perdre l’équilibre. Il glissa un peu avant de tomber à la renverse, à la merci de son adversaire. Celui-ci n’attendit pas pour pointer son sabre et frôler le cou du mercenaire. Mais le marin qui avait donné son arme l’arrêta net.
« SUFFIT. Kale, je pense que tu l'as assez ridiculisé comme ça. » L’homme tout souriant se rapprocha d’eux.
« Le chat potté souhaite refaire ma garde robe hm ? Je ne pense pas avoir besoin de conseils venant d'un félin de salon, mais soit, parler affaire n'a jamais tué que je sache. » Potté poussa brusquement de sa main le sabre avant de se relever, ne cachant pas sa surprise sur son visage. Il comprit alors quelle erreur il avait faite en confondant ce marin avec le réel capitaine. Tout d’un coup, il perdit tout intérêt pour l’autre. Il ramassa et rangea son épée avant de s’adresser au légendaire Sinbad.
« Vous m’avez dupé, je dois bien vous reconnaître ça. Maintenant, pourrions-nous discuter dans un endroit plus tranquille ? » Alors le capitaine le guida jusqu’à ses quartiers et accepta son offre. L’Ecorchée importerait et exporterait entre Fort Fort Lointain et d’autres contrées des denrées, des objets, en tout bien tout déshonneur. C’est ainsi que Sinbad et Potté firent affaire et démarrèrent leur business illégal, leur marché noir et leur amitié.
Gretel, ses yeux en amande, son nez en sucette et ses lèvres en guimauve. Ce qu’elle lui inspirait n’était que douceur et sucré. Il voyait en elle à la fois une petite fille et une femme. Belle, forte, indépendante, indomptable. Mais aussi fragile que de la porcelaine. La poupée n’arborait pas ce sourire qu’il aimait tant, qui s’étirait jusqu’à ses pommettes rosies par la fraicheur. Sur ses joues perlaient des larmes, discrètes, silencieuses. Elle faisait le tour de la pièce, ses boucles chocolat rebondissant sur ses frêles épaules. Soucieuse, pensive. Potté l’observait sans broncher, bien assis sur son siège. Le seul son qu’il provoquait venait de son canif qu’il plantait dans le bois de la table, puis reprenait, et replantait, dans un rythme presque mélodieux. Les odeurs appétissantes qui émanaient de l’arrière boutique lui donnaient l’eau à la bouche.
« Je peux comprendre ce que tu vis. » Le mercenaire finit par briser le silence. Gretel s’arrêta pour le fixer, perplexe. Après un soupir, elle finit par se laisser tomber sur un siège et d’un geste de la main, arrêta celle de Potté qui abîmait sa table.
« Nos histoires sont différentes Potté. Quoi que tu dises, ça ne changera rien, je ne veux pas être cette fille là. » Il savait qu’elle hésitait sur chaque mot, chaque ponctuation. Il ressentait sa peur, ses doutes, son adrénaline. Il pouvait pénétrer son âme comme elle savait infiltrer son coeur. Il y voyait une femme prise entre deux forces, entre le danger et la morale. Elle avait trié ses envies et ses besoins dans le mal ou dans le bien. Mais Gretel était ce qu’elle était. Une tueuse, une chasseuse de sorcière, une aventurière, une machine de guerre. Potté savait que la petite fille derrière son comptoir qui vendait des pâtisseries n’était qu’une couverture. Lui, il voyait la femme et la guerrière derrière ça. Il connaissait Gretel telle qu’elle était réellement, et, comme Hansel, il tentait de lui faire entendre raison.
« C’est ton destin et tu le sais. Je n’aime pas ton frère. C’est un affreux bâtard de s’éloigner de toi, il est dur. Mais je ne vais pas te mentir et te réconforter car je sais qu’il fait ça pour te mener à lui, et donc, à moi. Moi je ne te ferais jamais pleurer. » Elle cligna hâtivement des paupières et s’essuya les joues d’un revers de manche, le minois grimaçant. Potté ne désirait qu’une chose pour elle, un déclic. Pourtant, même s’il la poussait vers le danger, là où était sa place, il ne pouvait s’empêcher d’avoir peur et de s’inquiéter pour elle. Certes, c’était une dure à cuire. Plus coriace et plus puissante que Hansel. Mais elle était exactement comme le mercenaire. Elle fonçait. Parfois elle agissait plus vite qu’elle ne réfléchissait et ça, dans le métier, il n’y avait rien de plus risqué. Mais il l’avait vue manier l’arc, elle ne ratait jamais sa cible. Quel gâchis d’enfouir ce talent, ce don que le ciel leur avait fait. Gretel laissa planer un silence triste.
« Jusqu’où irez-vous pour me convaincre ? Je ne veux pas de cette vie. Alors Hansel finira par m’ignorer parce que je veux oublier mon passé, et un jour, il mourra lors d’une mission et la dernière chose qu’il m’aura dite, c’est à quel point je le déçois. » Le mercenaire se mordit les lèvres, sentit son coeur se fendre. Ses doigts se crispèrent sur sa lame. Elle avait raison. C’était si injuste. Parce que l’Âne ne voulait plus de cette vie, Potté l’avait traité de lâche et l’avait renié, abandonné. Mais si l’un d’eux disparaissait subitement, quels regrets, quels douloureux souvenirs que de se rappeler leurs dernières paroles l’un pour l’autre. Alors qu’ils avaient été si proches, soudés, envers et contre tout.
« Pourquoi cherches-tu désespérément à te protéger, de quoi as-tu si peur ? » Il ne savait même plus s’il s’adressait à elle, ou à lui-même. Gretel et Potté n’étaient pas si différents. Ils cherchaient tous deux à fuir un passé qui dérange, même si cela impliquait de se séparer de choses qu’ils aimaient. Faire des choix difficiles, rongés par la crainte, par peur de ce qu’on peut penser d’eux. Ils n’étaient pas si différents tous les deux, ils avaient simplement pris des chemins opposés. Le regard perçant de la gazelle semblait sonder l’esprit du mercenaire. Mais il resta imperturbable, impénétrable. Elle brisa alors le silence.
« J’ai peur de rendre tout ça réel. J’ai peur de me tromper et d’avoir mal. » Il ne pouvait que comprendre, ressentant les mêmes craintes. Sauf que ce n’était pas lui-même qu’il cherchait à convaincre, mais bien elle. Il mettait tant d’espoir en elle. S’il n’y arrivait pas avec Gretel, jamais il ne serait capable de récupérer le courage qu’il lui manquait.
« C’est réel Gretel, c’est indéniable, tu ne peux changer qui tu es… et si tu ne prends pas le risque de faire des erreurs et d’en souffrir, tu ne prends pas le temps de vivre. » Potté avait touché et coulé tous les points sensibles.
« Hansel a besoin de toi. J’ai besoin de toi. » finit-il sur un ton accablé. Gretel semblait chamboulée et plus hésitante encore qu’au début de leur conversation. Le mercenaire se releva pour embrasser son visage tourmenté, avant de passer avec douceur une main dans ses cheveux. Puis il se retourna sans un bruissement de cape et sortit de la boutique, sans un mot, sans un souffle.