Les suicidaires

Have a boom day deary

Le visage d'Iseut reprit peu à peu des couleurs, à défaut de son bras, lequel virait franchement au marbre avant qu'elle ne se décide enfin à dégager ses pieds de la flaque bariolée. Elle ne l'aurait pas crié sur tous les toits mais elle devait l'avouer, voir son membre à deux doigts de reprendre sa forme d'origine lui avait fichu une sacrée pétoche. Relevant le nez de celui-ci, son regard croisa les traits secoués d'une jeune femme aperçu près de l'entrée. Elle lui proposa deux fioles de potions afin de l'aider, néanmoins, la bergère fronça le nez, aussi confiante qu'un mouton lâché hors de sa clôture. Les choses lui paraissaient déjà assez mal engagées, aurait-il vraiment été sensé de tenter un peu plus le sort en ingérant un - deux - liquides inconnus ? Elle décida que non. " Merci, mais ça ira. " rassura-t-elle la fée, ainsi que Kitty au passage. Sa peau reprenait déjà une teinte rosée plus normale maintenant qu'elle n'était plus en contact avec cette mare du démon. Pour autant, elle devinait encore quelques reflets de porcelaine renvoyés par la faible lueur de l'endroit. Bon, tant pis. Il faudrait que ça aille, quoi qu'il arrive. Ils avaient d'autres nains à écarteler.

Elle supposa que la demoiselle ne s'offusquerait pas de son refus, car déjà, Tibiscuit jouait les goûteurs à grands renforts de palabres chevaleresques - la subtilité en moins, cela dit. Contre toute attente, et malgré la situation critique dans laquelle ils étaient fourrés, Iseut se prit à sourire face à cette attitude toute Tibiscuitienne. Même aux portes d'une mort potentielle, certains trouvaient le moyen de rester totalement fidèles à eux-mêmes. D'un certain côté, c'était plutôt rassurant.

Cette fois-ci, ce fut Kitty qui repartit la première et elle la suivit alors qu'elles débouchaient dans un couloir l'une à la suite de l'autre. Plusieurs portes et autant de possibilités d'action, de quoi vous en donner le vertige alors que vous aviez l'impression qu'un gigantesque coucou braillant un "TIC TAC ÇA VA PÉTER BORDEL TIC TAC" vous martelait le crâne. La bijoutière embrassa les lieux d'un regard circulaire, indécise. Certes, ils étaient pressés par le temps mais nul ne savait ce qui se trouvait derrière et elle était bien placée pour savoir que les lieux leur réservaient de mauvaises surprises. En parlant de surprise, Forgéteinte choisit ce moment précis pour revenir parmi eux. Elle haussa un sourcil en découvrant son nouveau fardeau et voulut lui jeter une oeillade interrogatrice, sauf qu'il évita sciemment de croiser son regard pour une raison qu'elle ne comprit pas - ni davantage pourquoi la nouvelle venue lui renvoyait un regard aussi ... Haineux, étant donné qu'elle ne se rappelait pas la connaître ni de Shrek ni de Fiona. Etait-il impliqué dans le fait que la jeune femme soit privée de ses jambes ? Elle espérait très sincèrement que non ! Sinon, il risquait d'entendre parler du pays et ... Bref, il était temps de revenir aux priorités du moment.

Elle s'avança vers l'une des portes et s'apprêtait à en tourner la poignée quand le bruit d'un interrupteur qu'on abaisse résonna derrière elle. Elle eut juste le temps de pivoter avant qu'un liquide visqueux ne se répande partout dans le couloir. Privée de ses appuis, la rebelle commença à glisser et par réflexe, se rattrapa à la poignée. Mauvaise idée. La porte céda sous son poids et elle partit en arrière avec le battant, tombant sur les fesses de l'autre côté. Une douleur fulgurante lui traversa l'avant-bras. Elle lâcha un hoquet de souffrance, quelques points noirs venant danser devant ses yeux. Les interférences magiques ne s'étaient pas totalement dissipées et semblait-il qu'elles avaient rendu son bras plus fragile qu'à l'accoutumée sous Charnel. Elle tenta de bouger l'articulation de son poignet, cependant, au vu des éclairs douloureux qui la traversèrent, elle renonça. Un instant plus tard, elle se remettait péniblement debout, le sang battant encore à ses tempes alors que lui parvenait la voix de Wolfran depuis le couloir, incapable de déchiffrer ses paroles.

Elle revint dans le couloir en pestant et maugréant, sa main valide enserrant la blessée, le visage tordu en une grimace où se mêlaient un agacement profond - foutu karma - et un début de fatigue criant.


" Je ne sais pas ce qu'il y a là-haut. " répondit-elle au loup curieux. " Par contre, si tu veux grimper jeter un oeil, je t'en prie, après toi ! "


La pièce qu'elle avait révélé dans sa chute n'était qu'un débarras où s'entreposaient cartons et autres chaudrons vides. Rien d'intéressant, en somme. Elle retint un soupir résigné. Elle commençait vraiment à croire que malgré leurs efforts, il n'arriverait jamais à mettre la main sur cette bombe à temps.

Les suicidaires

the end is near

Tout le monde ne savait pas quoi faire, au final. C'était une course à l'aveugle, un colin-maillard, un jeu sadique orchestré par un foutu nain. Et ils étaient ses pions. Le couloir sur lequel Kitty était tombé ne semblait pas contenir une quelconque once de magie mais il valait mieux vérifier, n'est-ce pas ? Ce nain était assez intelligent pour dissimuler ses traces. Elle ouvrit une porte qui ne donna sur rien ; un espace vide, gluant et sombre. Elle en sortit, fermant la porte - elle allait les faire une à une et n'omettre aucun détail. Sa conviction fut vite oubliée cependant quand, ouvrant la prochaine porte, un liquide visqueux se déversa sur l'ensemble du sol, entraînant Iseut avec lui et fermant la porte que Kitty avait ouverte, l'envoyant valser quelques mètres plus loin. Sur les fesses, elle mit quelques secondes avant de se relever, quelque peu sonnée... Où était-elle ? Du couloir, elle était passée à l'intérieur de la pièce qu'elle comptait visiter. Joie. Un hématome et une contusion plus tard, elle marcha vers la porte et... « C'est pas vrai... ».

Elle ne s'ouvrait pas. Le liquide visqueux devait faire pression sur la porte ou devait l'avoir bloquée d'une manière ou d'une autre... Têtue, elle continua à tourner la poignée dans tous les sens, espérant qu'une certaine combinaison résoudrait par miracle sa situation. Elle sentait l'adrénaline pulser dans ses veines, mais cela la rendait plus inquiète qu'autre chose. Préparant son épaule, elle tenta de défoncer la porte mais son poids plume ne bernait personne - elle ne céda pas. « Bordel ! » cria-t-elle, laissant son poing s'abattre rageusement sur le bout de bois.

« Un problème a été détecté dans le bâtiment principal. Tous les employés sont priés d'évacuer les lieux par les entrées à l'avant et à l'arrière de la Fabrique du Bonheur. Je répète : Tous les employés sont priés d'évacuer les lieux. »

Les pupilles de Kitty se dilatèrent et son souffle s'accéléra doucement : il fallait qu'elle sorte d'ici. Et au plus vite, apparemment. Elle inspecta rapidement la pièce à la recherche de n'importe quoi : un trou qui lui permettrait de passer, un objet pour faire céder la porte... Rien. Quatre murs, une porte. Elle l'inspecta de plus près et s'aperçu que le loquet, sous la pression du liquide visqueux, avait simplement décidé de se mettre en arrêt de travail. Si elle avait ses griffes, l'affaire aurait été réglée en quelques secondes, mais, évidemment, cela aurait été trop facile, n'est-ce pas ?
S'accroupissant au sol, elle regarda par la petite ouverture entre la porte et le sol. Une petite barre de fer gisait, à quelques centimètres d'elle. Il ne lui restait plus qu'à l'attraper.

Si elle avait su, Kitty aurait pris des cours de contorsions. Sa main, aussi fine fût-elle, ne semblait pas pouvoir aller plus loin que quelques millimètres. « Allez ! » Tic, tac, tic, tac. Par une posture que Kitty ne comprenait toujours pas, elle parvint enfin à se munir de cette barre de fer, qu'elle utilisa pour faire rentrer le loquet dans la porte et en sortir. Une fois dehors, elle ne put suivre le mouvement ; cela faisait quelques secondes déjà que l'annonce avait retenti.

Il ne lui restait qu'une chose à faire : courir. Et vite, si elle ne voulait pas finir en pâté pour chat - ah, l'ironie ! Elle était où, la sortie, déjà ?

Finalement, il semblerait que j'ai sous-estimé mon amant favori : moi qui pensais être bloquée dans cette salle jusqu'à ce que les effets de la potion se dissipent et que je retrouve l'usage de mes jambes, quelle ne fût pas ma surprise en voyant débarquer Cúchulainn. Certes, mes vociférations ont probablement résonné jusqu'à l'autre bout de la Fabrique, mais je ne pensais pas que ce serait lui qui viendrait me porter secours. Enfin, toujours est-il que je me retrouve maintenant dans ses bras, cramponnée à son cou et à mon sac de potions, me demandant ce qu'il compte faire de moi ensuite. Ce n'est pas parce qu'il m'a sorti de la pièce pleine de potions qu'il va avoir la patience de me porter pendant des heures, je le connais assez bien pour ça.

Mes réflexions sur le comportement de Cúchulainn sont abrégées par notre rencontre avec d'autres volontaires. Et attention, pas n'importe qui : devant nous, dans le couloir, se tient la fameuse Iseut Sautemouton. Mon coeur rate un battement tant les possibilités qui s'offrent à moi maintenant m'émerveillent. Iseut, la femme parfaite qui ne laisse personne insensible, pas même l'homme qui me porte actuellement dans ses bras. Le point positif à traîner souvent à la Griffe Marine, c'est que j'entends beaucoup de rumeurs fortes utiles, comme par exemple le fait qu'un grand homme blond baraqué aurait été vu portant la jeune femme jusqu'à chez elle, et ne serait ressorti qu'un long moment après. Et le comportement de Cúchulainn à ce moment précis ne fait que confirmer mes soupçons : on n'évite pas le regard de quelqu'un de cette façon sans avoir quelque chose à se reprocher. Qu'à cela ne tienne, si je dois mourir explosée ici, autant m'amuser un peu avant de partir. Je lance un regard foudroyant à la bergère tout en resserrant mon emprise sur le coup de mon sauveur.

Malheureusement, mon plan est perturbé lorsqu'il active un interrupteur qui déverse un liquide visqueux partout sur le sol, faisant au passage tomber ma rivale pour mon plus grand plaisir. Mais mon sourire s'évanouie en quelques secondes lorsqu'une alarme retentit après ce qui pourrait être un tremblement de terre. Parfait, donc maintenant, il n'est plus question de trouver la bombe, mais de fuir cette endroit le plus vite possible. Et ça tombe bien, parce que je sens de nouveau mes jambes. Je fais signe à Cúchulainn de me déposer et après lui avoir susurré un mot de remerciement, m'en vais sans demander mon reste.

Ma progression vers ce que je pense être la sortie n'est cependant pas facilitée par le liquide qui semble avoir recouvert l'étage entier. Je pleure intérieurement à chaque pas que je fais et qui salit des chaussures à talons hors de prix. Mon seul réconfort est de croiser sur mon chemin la bergère, accompagnée d'un loup, qui manifestement a fait les frais du piège déclenché par mon amant. En passant à côté d'elle, je ne peux retenir un ricanement dédaigneux en la voyant se tenir le bras mais l'urgence de la situation ne me permet pas de me lancer dans les commentaires qui me passent par la tête, comme par exemple le fait que si elle n'était pas aussi flasque, elle ne serait peut-être pas tombé à cause du liquide.

Je continue donc ma route sans rien dire et croise au détour d'un couloir une jeune fille sortant de la pièce, et qui n'a pas vraiment l'air de savoir où elle va. Bien malgré moi, je ne peux m'empêcher de l'interpeller : "Si tu veux pouvoir te coucher sereinement ce soir, je te conseille de te bouger un peu, parce que tu ne risques pas de pouvoir faire grand chose si tu es encore là quand la bombe explose... Je pense que la sortie est par là, si tu veux tenter ta chance avec moi."

Je ne suis normalement pas du genre à me soucier du sort des autres, mais je dois bien admettre que là, me retrouver seule dans un bâtiment sur le point d'exploser, ça ne rassure pas du tout, alors si je peux traverser ça avec quelqu'un, cette jeune femme fait aussi bien l'affaire qu'une autre...

Tic, tac

les suicidaires

Forcément, quand le premier pinpin du village fait un truc ça lâche des oiseaux, mais quand Cúchulainn s'y met, ça fout la merde. Après un soupir à lui-même en sentant le liquide recouvrir ses bottes, il se tourne pour s'assurer que tout le monde est sain et sauf. La chute d'Iseut lui fait commencer un pas, qu'il ravise en se souvenant de Suzy dans ses bras. Il ne manquerait plus que d'avoir la rousse parterre pour qu'il finisse castré et avec des frais de pressing. Avec un écho pour seule réponse, Cúchulainn gueula dans la fabrique comme s'il était chez lui, demandant si tout le monde allait bien juste pour se rassurer. Trouver la bombe était une chose, ressortir vivants d'ici en était une autre. Supposant que « Pas de nouvelle, bonne nouvelle », Cúchulainn se contenta d'avancer plus loin dans le couloir, ouvrant les portes à coups de talons comme à son habitude. Malheureusement pour lui, il ne trouva derrière celles-ci que des salles de réunion, un local à poubelle et des toilettes sans papier. Il se demanda, un instant, si les fées faisaient ça par magie ou si la Fabrique était seulement victime d'un voleur de papier toilette, mais un tremblement de terre le sortit de ses pensées à la porte suivante.
Se calant à l'angle de deux murs dans le petit placard qu'il venait d'ouvrir, il réussit de justesse à rester debout, sous l’œil vigilant de Suzy qui lui ferait bien payer tout problème. Un problème a été détecté dans le bâtiment principal. Tous les employés sont priés d'évacuer les lieux par les entrées à l'avant et à l'arrière de la Fabrique du Bonheur. Je répète : Tous les employés sont priés d'évacuer les lieux. Sortant la tête du placard avant de retourner dans le couloir, il le retraversa dans l'autre sens, jusqu'à s'arrêter devant la première porte ouverte. Il avait cru entendre Wolfran vaguement parler d'une odeur étrange que lui, Dieu merci, ne sentait pas.
Trop délicatement pour lui, Cúchulainn laissa descendre Suzy de ses bras lorsqu'elle se sentait prête à repartir, et la laissa s'enfuir. Il la savait ne pas être des plus courageuses (bon, oui, d'accord, suicidaires si vous voulez, ça va.), ne prenant pas même un instant pour la regarder, trop occupé à chercher ceux qui restaient là. D'une main ferme, il alla attraper la fourrure rose et visqueuse de Wolfran, l'aidant à avancer jusqu'au bout du couloir sans tomber – le pauvre en avait eu assez dans la journée –, forçant Iseut qui n'en était pas loin à passer devant, qu'il puisse cette fois la rattraper si elle tombait. Sortis de cette horreur qui avait sali leurs bottes à tous, il abandonna le loup et la bergère – quel comble – pour monter les quelques marches déjà franchies par Tibiscuit, et s'assurer qu'il revenait bien vers eux. Il dévala les marches accompagné par le biscuit, croyant Potté, Gretel et Olga assez débrouillards pour s'en sortir sans aide. Il pressa le pas dans les allées, ne s'arrêtant qu'une fois hors de la Fabrique, refusant de s'éloigner plus avant de voir Potté et les autres sortir. Juste au cas où.

Les suicidaires

Have a boom day deary

La bergère commençait à imiter le loup, levant le nez vers l'abîme noire qui s'élevait au-dessus d'eux. Avec un bras en moins, la perspective de crapahuter jusque là-haut ne lui seyait guère plus que ça et pour tout dire, celle que Wolfran s'y enfonce à sa place, encore moins.

" Occupons-nous plutôt des portes. " conclue-t-elle, sentant une sorte de malaise s'insinuer en elle. La bijoutière avait beau être totalement insensible aux émanations magiques - excepté lorsqu'elles interféraient avec son Charnel, naturellement - et ne pas avoir peur du noir plus que n'importe qui, cette usine anti-déviance et pro-conformité lui mettait bien plus les jetons qu'elle ne voulait se l'avouer.

Elle esquissa un pas en arrière, prête à pivoter pour rejoindre les autres quand le sol se mit à trembler. Elle évita de justesse une jarre, laquelle faillit lui tomber sur l'épaule et elle ne dut son équilibre qu'au crochet pendouillant du plafond qu'elle eut le réflexe d'attraper. De sa mauvaise main, évidemment. Le bruit de verre et de bois fracassé couvrirent à peine son hurlement. Cette fois, la sensation de vertige fut tout ce qu'il y avait de plus réelle. Les points noirs revinrent danser devant ses yeux tandis qu'elle lâchait presque aussitôt son appui, la douleur se répercutant jusqu'à son épaule tel un coeur emballé à mille à l'heure. Elle se laissa glisser contre le mur en maugréant, maudissant Marraine, le nain assassin et tout ceux qui avaient joué un rôle, même minime, dans les évènements qui les avaient conduit dans ce foutu couloir à la recherche d'une bombe introuvable.

En revanche, elle retrouva ses esprit au moment où la voix mécanique retentit au-dessus d'eux. Un problème a été détecté dans le bâtiment principal. Tous les employés sont priés d'évacuer les lieux par les entrées à l'avant et à l'arrière de la Fabrique du Bonheur. Je répète : Tous les employés sont priés d'évacuer les lieux. énonçait-elle, implacable, indifférente à leur sort. Le sang d'Iseut se glaça dans ses veines factices tandis qu'elle se demandait si le "problème" était d'ordre explosif, ainsi qu'on le leur avait fait croire depuis le début et surtout, si la secousse dont ils venaient d'être victimes était le prémisse d'un feu d'artifice mémorable. Il ne lui fallut pas davantage de tergiversations pour se remettre debout et tenter, bon an mal an, à cause du liquide poisseux qui jonchait le sol, de rejoindre la porte que Kitty venait juste de parvenir à rouvrir. " Viens, Wolfran ! Dépêche-toi ! " ordonna-t-elle au magicien sauvage derrière elle. Une bergère qui refusait d'abandonner un loup derrière elle, ou l'ironie du désespoir.

Elle vit la rousse portée par Forgéteinte filer sans demander son reste - tout comme il lui avait semblé qu'elle le remerciait un peu plus tôt - et laissa ce dernier les aider, Wolfran et elle, à se frayer un chemin vers la sortie avant qu'il n'aille récupérer Tibiscuit. Ils ne s'arrêtèrent qu'une fois à l'extérieur. Iseut s'assura que Kitty était bien là, ainsi que Wolfran et ses deux compères rebelles. Tenant toujours sa main blessée contre sa poitrine, elle se tourna vers la porte principale qu'ils venaient de franchir. Potté et Olga étaient toujours à l'intérieur. Ses sourcils se froncèrent tandis qu'elle se tournait vers Kitty et Wolfran : " Ne restez pas là ! Filez ! " Parce qu'il n'y avait rien de plus à faire. En tout cas, pour eux. En ce qui concernait la blonde, c'était autre chose.

Elle croisa le regard de Cùchulainn et, elle ne sut pas si ce fut l'étincelle dans son regard ou juste parce qu'il la connaissait davantage qu'elle le pensait, mais il comprit immédiatement ses intentions. Sentant qu'il n'allait pas hésiter à lui sauter dessus pour l'empêcher de s'exécuter, sans réfléchir et malgré ses jambes flageolantes, elle repartit comme une flèche vers la Fabrique. Comme dit plus tôt, Iseut préférait se faire péter en famille que crever toute seule. Plus encore, elle préférait crever tout court que laisser pas moins de trois de ses acolytes exploser avec ce bâtiment de malheur. Elle reviendrait avec eux sains et saufs ou ne reviendrait pas. Sinon, elle ne se le pardonnerait jamais.

Tic, tac

les suicidaires

Ce cliquetis incessant, les tambours rugissants, et le coeur qui frémit. Il était sûrement trop tard pour éviter le drame, le chaos dont les Lames -et surtout lui, étaient indubitablement à l’origine. Potté savait que dorénavant, tout allait changer. Il n’avaient plus le temps, mais au moins, ils avaient pris soin d’évacuer la citadelle. Il fallait à tout prix sortir de cette usine avant qu’elle ne se fende en éclats. Mais c’était sans compter sur les obstacles leur barrant la route. Il songeait que certains devaient être piégés par leurs propres enchantements là où ils étaient, alors que les livres de la bibliothèque commençaient à se jouer d’eux trois. Gretel était aux prises avec des lianes de papiers, tandis qu’Olga repoussait tant bien que mal certains ouvrages flottant dans l’air. Le voleur se rua sur la pâtissière en une glissade des semelles de ses bottes, sortit une dague de l’une d’elle et assena le coup de grâce aux morceaux de papiers qui enserraient les poignets de la demoiselle. Sa main attrapa le bras de la belle puis l’autre celui de l’ogresse, les menant toutes deux vers la sortie. En se retournant pour fermer les portes, certains livres restèrent bloqués dans l’embrasure, laissant mourir là des pages fanées. Alors, ce qu’il craignait arriva et l’alerte automatique de l’usine résonna, ayant probablement perçu des ondes thermiques et décelé une mauvaise magie. Les explosifs. « Un problème a été détecté dans le bâtiment principal. Tous les employés sont priés d'évacuer les lieux par les entrées à l'avant et à l'arrière de la Fabrique du Bonheur. Je répète : Tous les employés sont priés d'évacuer les lieux. » Une fois sur les passerelles, le chat s’appuya contre les rambardes pour se laisser tomber au rez de chaussée, d’où il put se rapprocher des portes arrières de l’usine. Ses mains restèrent une minute bloquées contre les poignées, celles-ci ne répondant à aucun contact. Ces portes étant verrouillées. « À l’avant ! » Il se mit à courir à leur cadence, elles en haut, lui en bas, avant de remarquer une chevelure blonde non loin. Iseut. Malgré les gouttes de sueur perlant de son front et lui brouillant la vue, probablement aussi causé par l’angoisse, il la reconnut aussitôt. Il la vit du haut de la passerelle, sortir son bâton de bergère et le descendre le plus bas qu’elle pouvait. Le mercenaire accéléra le rythme de ses pas, monta sur quelques tonneaux et cuves avant de bondir et de tendre la main pour l’attraper et se hisser. L’élan le fit basculer jusqu’à sa hauteur, mais le malheureux ayant mal calculé l’atterrissage, se prit son acolyte de plein fouet, la plaquant au sol, la tête dans sa poitrine. « Je t’assure que c’était involontaire. » dit-il tout sourire en se relevant et l’attrapant au passage, glissant un rire derrière lui. Un dernier coup d’oeil en arrière, il prit une grande inspiration et suivit les demoiselles jusqu’à l’entrée de la fabrique, d’où des bruits stridents se faisaient déjà entendre. Il vit Gretel sortir la première, suivie d’Iseut. Olga fermait la marche. Lorsqu’il se rua enfin lui aussi en dehors, ses rétines mirent un temps à se réadapter aux rayons du soleil, mais il lui semblait qu’il ne manquait personne. Mis à part l’ogresse, restée derrière lui. Le voleur fit volte face comme un félin aux aguets, le coeur tambourinant. Elle était là, pourtant, mais ses mains étaient comme suspendues contre une paroi invisible. « Mais qu’est-ce que… » Potté plongea son bras pour attraper celui d’Olga, tirant de toutes ses forces. Plus il forçait et plus sa tentative était veine. C’est quand il vit les lèvres de l’ogresse se tordre, et les larmes lui monter aux yeux qu’il se mit à trembler et hurler de toutes ses forces, avant d'enfin reculer, avant que son coeur ne lui chuchote de s’arrêter.