Romeo Drive

la course contre la bombe

Une bombe. Une foutue bombe. Ce malade mental allait maintenant faire exploser une bombe on-ne-sait-où. La panique avait pris toute l’artère commerciale et tu avais pris les choses en main en barricadant ta boutique avec l’aide de quelques clients. Ta maison partira sûrement en fumée, si la bombe est cachée ici. Pourtant, ce Tracassin est malin et il peut très bien avoir fourré plus qu’une bombe, sans qu’on ne le sache. La magie n’a jamais été ton fort, mais tu accroches tout de même un bouquin et un peu d’herbes si jamais il y a des blessés. Sans oublier un peu de poussière de fée que tu as décidé de mettre de côté en cas d’éventuelle urgence. Un dernier coup d’œil sur la boutique avant de la celer à clef. Ne prendre ce qu’on a de besoin et après, on verra. Et puis, tu t’inquiètes pour ceux qui vont devoir fuir et qui on décidé de se tenir hors du danger ou même ceux qui y combattent, notamment : Kitty, Mowgli, Nina, Helena ou encore Lance... Tu chasses alors ces pensées noires en te disant que tout va bien aller. Ce n’est pas le plus important : le temps presse.

La plupart des volontaires à Romeo Drive étaient surtout des citoyens et pourtant, c’est le coin le plus achalandé de Fort Fort lointain, nom d’une licorne ! C’est bien l’une des premières fois que tu assistes à quelque chose dans le genre, mais avec tous les changements de roi, de reine et de tout ce qu’on voudra, il se passe toujours des trucs inattendus auxquels on ne s’attend pas toujours. En regardant un endroit aussi fréquenté vide et presque désert, c’est assez désolant comme situation, lorsqu’on y repense. Parmi les volontaires, tu reconnais quelques commerçants de nom, mais évidemment, rien de très éloquent. Il est rare de voir les rues aussi désertes, mais tu sens qu’il faut absolument s’assurer qu’il n’y a personne. On ne sait jamais, il peut toujours y avoir un gamin caché ou des gens qui ne veulent pas partir. C’est compréhensible, tout de même.. Toi-même, tu ne veux pas quitter ta maison ou la voir exploser sous tes yeux. Cependant, tu n’as pas le choix, il faut partir et désamorcer cette foutue bombe avant qu’elle ne fasse des dégâts. « Je pense qu’il faudrait s’assurer qu’il n’y a vraiment personne. On ne sait jamais, même si ça a l’air vide, c’est une grande artère... » suggères-tu à tes camarades. Romeo Drive est le cœur de tous les magasins et les autres petites maisons, c’est le centre ville quoi. Vous ne pouvez pas vous permettre de penser qu’il y aura plus de blessés que vous. C’est la première fois que tu fais une telle mission. « Si jamais il y a des blessés, j’ai quelques herbes et un peu de potions pour les vilaines blessures, mais c’est tout. » ajoutes-tu, tout en mettant ta petite bourse à ton cou, avec tout le nécessaire à l’intérieur, évidemment. La poussière de fée ? En extrême cas d’urgence seulement... Sinon, ce serait dramatique que tu t’épuises à trop en utiliser. « Il faudrait peut-être se séparer pour s’assurer que les lieux sont réellement vides. Je prends ce côté. » Pour une fois, tu vas devoir te débrouiller seule avec les autres et agir en équipe.

   

Romeo Drive

Le nain qui fait des siennes

On dit que c'est quand on n'a plus rien qu'on se rend compte à quel point on était heureux avant. Si simplement, le bonheur d'un sourire au détour d'une rue, un "bonjour" balancé à un inconnu, juste parce que le ciel est bleu, un enfant qui mendie un bonbon juste pour avoir cette saveur sucrée au bord des lèvres. Ce n'était qu'un quotidien. Ce n'étaient que des gestes répétitifs. Et tout s'est envolés, petit à petit, et si rapidement pourtant. Les rues sont entièrement désertes, là où pourtant l'animation ne manquait pas il y a encore quelques mois. Le fameux bal, c'était en décembre. Nous sommes en mai, et cette cicatrice ne s'est pas refermée. Pour personne. Il semble même qu'il n'y ai plus rien à améliorer dans cette ville, plus rien à faire pour rendre la vie plus confortable à quiconque. Juste se laisser porter par le courant trop fort, et prier pour qu'on ne chavire pas trop loin de la maison. J'aurai tellement voulu leur dire que tout irait bien. A tous. Les mettre à l'abri. Hansel, Alexei, même Ulrich ! Et Mulan. J'aurai voulu lui dire au revoir, à la demoiselle de Saay, un ultime au revoir. Parce qu'une fois que la bombe aurait explosé - Merlin sait où - tout sera terminé. La boutique, ma vie de substitution, ma convalescence. C'est mon dernier acte pour Fort Fort Lointain. Mon dernier acte avant de sombrer à nouveau, d'ouvrir mes bras désespérés à l'aventure. Et peut-être mourir demain, au détour d'un chemin. Mon dernier acte d'humanité.

Nous, les Lames de Cendres, nous savions ce qui se préparait. Nous savions qu'il était de notre devoir d'aider les villageois à se préparer à partir. Un bombe. Encore une. Mais qui pouvait être bien plus meurtrière cette fois... Bien plus que la dernière. Nous ne savons pas où elle sera. Elle peut se trouver dans une taverne, au palais, dans un bateau amarré au port. Alors nous nous sommes préparés au pire. Potté nous avait tous rassemblés quelques jours avant l'intervention, nous distribuant les quartiers, découpant la ville en morceaux à protéger. Tibiscuit nous conduisait, avec un jeune homme dont je venais de faire la connaissance, Elis, et sur place, une volontaire nous attendait pour participer à l'opération.
Ce fut elle qui engagea la conversation, avec une suggestion à la fois évidente et intelligente. Une fois la fée partie de son côté, je regarde autour de moi. Je ne reconnais presque pas les rues, moi qui vit dans chacune d'elle, tant j'ai l'habitude qu'elles soient noires de monde. Une ville fantôme. Ce sera peut-être bientôt le cas.

La fée ne nous ayant pas attendus pour choisir son côté, je me rapproche de Tibiscuit pour peut-être recevoir un ordre. Même si je dois avouer que cela ne me plaise pas beaucoup que Potté lui ai donné les commandes de l'opération, une implosion serait la dernière chose que je souhaiterais.
"Bien, il semblerait que nous devions travailler de concert aujourd'hui. Quelle drôle d'histoire... Tu sais si Pauline a eu le temps de se mettre à l'abri ?"
Je n'ai pas eu de nouvelles de mon amie depuis des semaines. Je ne sais même pas si elle a été touchée par le bal, ou si elle est une des rares à continuer sa vie comme elle l'était avant. Mais j'espère qu'au moins son employeur pourra me répondre à son sujet, qu'un poids se soulève de ma conscience trop lourde.
"Bon, je suppose que l'idée de la demoiselle n'est pas stupide. Qui sait si des familles n'ont pas eu la mauvaise idée de se barricader chez eux, pensant pouvoir éviter la catastrophe... Je prend ces rues par ici, le quartier est grand, et même si nous sommes une équipe, je pense judicieux de nous séparer. J'espère que la fée est au moins armée..."

Je me dirige vers les rues indiquées auparavant, et commence à frapper à toutes les portes avec le bois de mon arc. Mon carquois sur le dos, je suis prête à dégainer une flèche à toute menace qui viendrait des alentours. Prions pour que mon bras ne me fasse pas mal aujourd'hui, qu'il soit assez reposé pour au moins me laisser finir ça...
Quelques maison plus loin, j'entend un volet claquer. Il n'y a pas la moindre brise de vent, mais tous les volets de cette maison sont solidement verrouillés. Une famille cachée, j'en étais presque certaine... Je tape avec le bois de mon arc à la porte. Aucune réponse. Je frappe plus fort, mais toujours rien. "Hého ? Il y a quelqu'un dans cette maison ?" Le bois de la porte tremble, la pancarte au-dessus de la porte également. Le boulanger de Roméo Drive habite juste ici, et il doit être caché avec sa femme et ses enfants. Le faire sortir d'ici ne sera pas facile du tout. Bon, il faut bien que je joue la seule carte qui me reste. Le fils du boulanger venait souvent chez Miel&Epices avant que l'anarchie ne prenne possession du royaume. Je prie pour qu'il se souvienne de moi. "Timmy ? Timmy, c'est Gretel ! Tu te souviens de moi ? Il faudrait que je parle à tes parents, ouvre moi la porte s'il te plait !" Espérons que cela fonctionne...

L'avantage d'être un chat, c'était cette espèce de sixième sens bien pratique. Selivan n'avait pas eu beaucoup de clients ce jour-là, et était donc parti faire une sieste dans l'arrière-boutique, parce qu'on ne sait pas à quel point des sacs de farine peuvent faire un lit confortable jusqu'à ce qu'on les ait essayé. Il se réveilla il ne savait pourquoi, redressant la tête en effaçant vaguement la trace de farine qu'il y avait sur sa joue. Il y avait comme quelque chose de menaçant dans l'atmosphère, une espèce de saveur lourde et trop sucrée – et le kot baïoun n'aimait pas le sucre. Il se redressa souplement, s'époussetant vaguement et dans le plus parfait silence, et traversa sa boutique à pas prudents, toujours dans le plus parfait silence. Il glissa un regard par la fenêtre à croisillons, et la rue était déserte. Dans le plus parfait silence, oui.
Tout son instinct de conservation, et qu'il était développé chez lui cet instinct, se mit à hurler que ça n'était pas normal.
Comme il n'avait pas peur de grand-chose, il décida d'aller voir au-dehors ce qu'il se passait, pensant à fermer derrière lui sa boutique. Il parcourut le quartier en se positionnant naturellement aux endroits les moins exposés, promenant autour de lui des regards prédateurs peu rassurants.
L'atmosphère était encore plus étouffante et menaçante, et il allait finir diabétique si cette saveur de sucre qui caractérisait le danger pour son sixième sens ne s'estompait pas dans les dix prochaines minutes. Il avisa une jeune femme qui frappait sur une porte en parlant, arqua un sourcil, et s'approcha en silence.

Il apparut dans son dos, silhouette découpée dans le jour dont les yeux étaient la seule partie qui semblait animée de vie – et d'une vie pas très accueillante à l'égard des autres vies qu'il y aurait dans la rue. La curiosité de Selivan n'était pas forcément quelque chose de facile à supporter, c'était toujours vaguement... menaçant.
Il se fendit d'un sourire, se rappelant des bonnes règles de vie en société.

« Vous avez besoin d'aide avec cette porte ? Je peux certainement vous aider. »

Certainement, c'était bien l'adverbe qui convenait, en effet. De parfaitement immobile, Selivan s'anima brusquement et jeta tout son poids sur la porte, qui céda dans un craquement d'agonie sinistre. (Fort heureusement pour l'ego du chat-conteur parce qu'il va sans dire qu'il aurait très mal vécu toute espèce de résistance de la part de la porte.)
Il était plus fort que son apparence plutôt mince ne le laissait présager ; mystère du Charnel n°5, sans doute. Entrant dans la boutique concurrente de la sienne, les yeux s'habituant immédiatement à la pénombre de l'endroit, Selivan découvrit les crocs et aurait-il été chat, il se serait hérissé.

« SORTEZ IMMEDIATEMENT D'ICI, BANDE DE MOULES ! »

Le kot baïoun, une autre idée de la vigilance super héroïque. Il se tourna à demi vers Gretel, lui adressant un sourire trop brillant qui se découpa dans la pénombre :

« Au fait, je m'appelle Selivan. Je suis boulanger, aussi. »

L'autre boulanger, pas le chat géant mais l'humain, passa devant eux ses deux gamins sous les bras et sa femme en guise de queue de peloton, parfaitement affolé – et un peu scandalisé que la concurrence se permette de casser sa porte comme si ça n'était rien. Est-ce que ce gringalet avait une idée du prix d'une bonne porte de boutique, de nos jours ? Il renonça néanmoins à l'insulter ou vouer tous ses ancêtres aux gémonies les plus atroces, vu le signe de main – griffu le signe de main... à moins que ça ne fut son imagination ? – que lui adressa le chat-conteur avec un petit sourire amusé en coin.

« Mais pourquoi vous cassez ma boutique ? Nous nous cachons pour éviter la bombe ! »

Selivan eut alors enfin le bon goût d'ouvrir de grands yeux : une bombe ? Quelle horreur. Il préférait de loin les armes blanches – genre ses griffes –, c'était beaucoup plus intime.

   

Romeo Drive

Le nain qui fait des siennes

Je n'ai pas vraiment l'habitude que l'on m'aide dans les situations de crise comme celle-là. J'ai toujours été la simple traqueuse qui faisait équipe autant qu'elle le pouvait avec son frangin qui réfléchissait trop, et déléguer ce n'est pas vraiment mon fort. La solitude, encore et toujours. Parce que lorsque l'arc est bandé au point de déchirer le muscle trop faible du bras, on est seuls devant la cible à atteindre. Seuls face à la mort. Mais aujourd'hui, il est agréable de savoir que des personnes, aussi inexpérimentées soient-elles dans les situations de crise ou même de combat, sont prêts à aider leurs prochains. Une action de groupe. Je voulais faire mes adieux à cette rue en bonne et due forme. Dire adieu à ma vie tranquille de bonbons et de sourires, avant de replonger dans l'inconscience, l'adrénaline. Avant de reprendre ma valse avec la mort là où je l'avais interrompue des années de cela. Et je suis heureuse que ces adieux se fassent main dans la main avec de purs inconnus, de nouveaux compagnons de voyage pour la dernière épopée à Roméo Drive. Au final, d'aussi loin que je me souvienne, je n'ai jamais aimé les scènes d'adieux.

Tout s'est passé très rapidement pour sortir la famille de boulangers barricadée dans sa maison. Un jeune homme aux traits très fins m'a aidé à briser la porte et à prendre les choses en mains. Même si ma fierté a pris un coup quand il a réussi à entrer à ma place, j'étais heureuse qu'il soit là. Mon bras faisait encore des siennes, et je n'aurai jamais pu y arriver seule. La famille a été envoyée dans un endroit sûr, et avant que j'ai pu répondre à la présentation polie de Selivan, mon nouveau compagnon de mission, la fée a foncé sur nous pour nous donner un coup de main. Nous voilà donc trois compagnons dans le même endroit du quartier, pendant qu'Elis et Tibiscuit étaient je ne sais où dans le coin.

La jeune fée s'était tout de suite enquis du bruit que Selivan avait fait en enfonçant la porte, et la situation l'avait tout de suite rassurée. "Ne vous en faites pas. Si ça avait été la bombe, vous n'auriez plus été là pour vous poser la moindre question. Cette menace, ce n'est pas de la rigolade. Heureusement que le quartier est quasiment vide. J'ignore dans quel état nous retrouverons Roméo Drive après cela. Ni nos commerces. Ou n'importe quel endroit de la capitale..." N'importe quel endroit. Potté avait refusé que je l'accompagne aux alentours de la ville. Il n'avait rien dit, mais je savais que nous disperser nous laisserait une chance qu'un d'entre nous survive... Mais c'était le coeur gros que je l'avais laissé partir avec son équipe. Je ne savais pas à qui m'en remettre pour prier pour sa vie, mais je ne pouvais pas m'empêcher de réciter mon seul et unique souhait en mon for intérieur, comme un mantra sans fin. Je vous en prie, plutôt moi que lui...

La voix fluette de la jeune fée m'avait sortie de mon broyage de noir habituel, et sa présentation modeste me fit un peu chaud au coeur, malgré la situation. "Gretel, je tiens Miel&Epices plus bas dans la rue... Enfin, tenais, plutôt. Nous allons nous en sortir. Nous nous y sommes pris à temps. Il faut encore inspecter le dernier pâté de maisons et essayer de rejoindre Elis et Tibiscuit qui sont partis du côté opposé.  Ensuite nous irons nous mettre à l'abri avec les autres, et attendre..." Je détestais jouer les chefs de rang. Je détestais avoir la responsabilité de plus faibles, car il était évident que ni Clémence, ni Selivan n'était équipés pour une telle mission. Clémence avait une besace, certes, mais rien pour se défendre, et j'avais comme un mauvais pressentiment. C'était trop facile. Sortir les gens de leurs maisons, les envoyer à l'extérieur sans que personne ne vienne nous en empêcher ? Où étaient les hommes armés, les sorcières à la merci de Tracassin, les mercenaires sanguinaires ? J'avais évidemment mon arc et une ou deux dagues sur moi, mais je ne pourrais pas les protéger tous les deux très longtemps. Je priais donc pour qu'aucun escadron armé ne nous tombe dessus. Mais je devais jouer franc-jeu avec mes compagnons.

"Bon, je ne sais pas pourquoi ce n'a pas encore été le cas, mais qu'aucun groupe armé ne nous freine dans notre entreprise, je trouve ça suspect. J'ai deux dagues sur moi, je vous en donne une chacun juste au cas où. Je n'ai qu'un arc et un bras encore faible, je ne saurais pas vous protéger, alors si vous n'avez jamais appris à vous battre, c'est le moment d'improviser..."
Nom d'un nougat. Des mercenaires, ça aurait été plus facile que ça. Au loin, quelque part dans le labyrinthe des rues pavées, quelque chose de bien plus préoccupant que des sbires mal entraînés nous attendait. Les pleurs d'un enfant. L'heure avançait à pas de géants. Il fallait faire vite.

Donc c'est bien une histoire de bombe, tout ça. Selivan étrécit les yeux, réfléchissant en silence, et nul doute que s'il avait été chat, il eut balancé sa queue dans ce qui était de la réflexion pour la gent féline. Les chats étaient censés avoir 7 vies – ou 9, la littérature n'était pas d'accord sur ce point – et comme il avait été « amélioré » par la Baba Yaga en personne, Selivan ne pouvait pas garantir qu'elle se soit tapée une barre à lui en refiler 18, comme ça, juste pour voir ce que ça allait faire. Bref, Selivan avait toujours envisagé sa propre mort comme quelque chose de parfaitement étranger et curieux, qui relèverait de la légende la plus totale.
Il se mordit la lèvre inférieure en récupérant la dague, regrettant son apparence de félin démesuré. Revêtu de la livrée du kot baïoun, le chat-conteur qui s'était taillé un royaume désertique et hostile dans les forêts de Yasen, il les attendait de patte ferme, les hommes d'armes.
Bon là effectivement... Ses ongles trop longs tapotèrent nerveusement sur la garde de la dague. Il avait horreur qu'on essaie de le tuer, et surtout en usant de stratagèmes compliqués, genre sape psychologique. Il soupira longuement, glissa un regard vers la fée qui détendait l'atmosphère de son bavardage d'oiseau.

« Hmm. Disons que je me suis réveillé au bon moment. »

C'était très bien, ça pouvait passer pour une image – sauf que dans la réalité c'était exactement ce qu'il s'était passé. Il salua Gretel d'un signe de tête, consentant à reprendre la parole, de sa voix profonde et ronronnante de chat sauvage des contrées de Yasen. Soupçon d'accent, léger voile sur la voix, tout pour en faire un conteur de talent.

« Je m'appelle Selivan. Et je suis boulanger, un peu plus haut. »

Ses canines apparurent de nouveau, tranchantes et acérées, dans un sourire qui n'avait rien d'une salutation sympathique. Selivan ramenait le sourire à ce qu'il était à la base : il montrait les crocs et prévenait de sa dangerosité.

« Ne vous laissez pas abattre, je suis certain que tout va bien se passer. »

Comme pour souligner sa phrase d'un glas sinistre, un enfant se mit à pleurer. Selivan battit tranquillement des cils en tournant la tête dans la direction des cris, laissant échapper un petit rire amusé et même communicatif :

« Parlant d'un timing... »

Il fit un signe de la main aux deux jeunes femmes :

« Je propose qu'on ne se sépare pas. Si réellement des groupes armés vont nous tomber dessus, il vaut mieux qu'on soit à trois. Je sais qu'à Yasen, nous avons une réputation de grosses brutes alcooliques, mais je tiens à signaler que ce genre de trucs n'y est jamais arrivé. »

Bah non, pas à lui, par contre il avait eu à subir des tentatives d'assassinat et d'invasion de son royaume par les impériaux louvetiers de Yasen en personne. Fort heureusement, un louvetier est un chasseur de loups, comme son nom l'indique, et le kot baïoun s'en était sorti parce qu'il savait grimper aux arbres – et aussi par un très artiste travail de harcèlement psychologique, à base de feulements enragés quand le jour baissait, et quelques meurtres sanglants de soldats qui s'étaient trop éloignés de leurs petits camarades. Les impériaux louvetiers avaient laissé tomber quand le chat-conteur s'était mis à leur tourner autour toute la nuit en roulant des épaules sous sa fourrure, yeux lançant des éclairs lorsque le feu se réfléchissait dedans, et que malgré son apparence infernale, il racontait des histoires d'une beauté à pleurer.
Ils étaient repartis sur leurs chevaux et la tête basse, et le kot baïoun avait observé ça en léchant ses griffes trempées dans le sang.

« Pas d'inquiétude, je sais relativement bien me battre. »

Il jeta un regard curieux à la fée parce qu'il n'était pas certain qu'elle, elle sache, mais ignora bientôt tout ça parce qu'il y avait un enfant qui pleurait ! Donc le devoir l'appelait. Et il n'allait même pas le dévorer avant la fin de l'histoire, puisqu'il avait deux anges gardiennes flanquées d'office à ses côtés, n'était-ce pas merveilleux ?
Il suivit la piste auditive que laissait le petit d'homme, à pas veloutés et silencieux, et le débusqua bientôt. Il s'arrêta net, penchant légèrement la tête sur le côté, sans passer le coin de la ruelle.
Il étendit le bras en travers du chemin des deux damoiselles, et secoua légèrement la tête à leur intention, expliquant à voix basse :

« Mauvaise idée. Il y a un truc qui cloche là-bas. »

Comment le savait-il ? Le sixième sens félin qui frappait. L'odeur d'huile à polir les armes que le vent rabattait sur eux, par intervalles réguliers. Un cliquetis qui indiquait que ce gosse était vraiment bien armé, pour un petit de trois ans.
Un putain de piège.

« Vous faites ce que vous voulez, moi je passe par les toits. Amusez-vous bien, que les sylphes vous gardent. »

Selivan, souplement, grimpa à la façade de la maison contre laquelle il s'était appuyé, aussi facilement que si ça avait été une échelle, puis progressa en direction du peloton de gens d'armes qui attendaient en silence que quelqu'un vienne dans la ruelle se préoccuper de l'enfant qui pleurait – un vrai enfant, au demeurant, assis en plein milieu de la rue – pour l'égorger. Selivan passa un coup de langue sur la dague, manière de porte-bonheur, et s'installa pour la chasse à l'affût. Il se laisserait tomber sur l'un des gardes pour le tuer net dès qu'il verrait une ouverture.

La bombe de Snowel avait considérablement changé les choses. Malgré son indécrottable optimisme, Tibiscuit en était venu à un état d'esprit plus morose que positif. Potté avait œuvré dans son coin sans se soucier des conséquences, Marraine avait jugé opportun de disparaître prendre des vacances à Afshin ou tous les dieux pouvaient bien savoir où, son crétin de fils avait décidé de prendre le rênes du royaume, pour se faire déloger par un nabot crotteux et pire, ce nabot avait pris le pouvoir sur le royaume.
UN NAIN ! Le pâtissier avait préféré pousser un simple soupir, plutôt que de sombrer dans un désespoir inutile. Mais qu'un nain prenne le pouvoir était tout sauf crédible. Et un royaume entier se laissait berner par ce crétin congénital.
Les quelques discussins à la Sirène Amputée avait au moins assuré une chose : ils restaient soudés face à cette catastrophe ambulante qu'était Tracassin. C'était ce qui l'avait inquiété depuis le débarquement du nain, et alors qu'Olga et Potté partaient vers les alentours, et qu'Iseut rejoignait Ragtown, Tibi resta seul un court instant, réfléchissant à la manière de procéder. Inutile, cette fois, de partir sans songer un minimum à l'organisation.

Une bombe. Une deuxième bombe, et cette fois, elle ne visait pas un tyran, mais la population. Des personnes innocentes, qui n'avaient rien demandé de plus qu'un roi, une reine, du pain et quelques gâteaux. Des enfants, des femmes, des vieillards...des habitants qui vivaient simplement, n'avaient jamais recherché la moindre bataille ou conflit pour se faire éparpiller sur la surface de la terre.
Tibiscuit était de ces têtes trop cuites qui agissaient souvent impétueusement, mais la situation l'avait rendu grave. Aucun droit à l'erreur. Ils devaient tous réussir.

Glissant une dague sous sa veste, il avait rejoint Gretel pour se rendre à Romeo Drive. L'agitation régnait déjà, quelques femmes ne savaient où donner de la tête, et il reconnu certains clients apeurés, que des volontaires avaient déjà fait sortir. Mais heureusement pas le vent de panique qu'il avait imaginé. Pas de temps à perdre, il fallait se séparer.

-Je vais par là-bas, prends ce côté-ci. Et Pauline ? J'en sais rien, avoua-t-il, sans aucun remord concernant le sort de son employée. Bon, séparons-nous, et au moindre problème, on se siffle, ou tout ce que tu veux qui pourrais m'appeler en urgence !

Il la laissa partir vers les premières boutiques et couru de l'autre côté, frappant aux portes des magasins encore ouverts. A chaque portes, il chargeait les plus solides de faire partir les plus faibles. Quelques mots empressés, quelques phrases rassurantes mais urgente, pour que chacun se mette à bouger. Hurler à la bombe ? L'idée était affreusement mauvaise, mais il craignait tout de même que l'agitation ne croisse avec le remue-ménage que tout ça prendrait. Qui disait remue-ménage disait décision de la partie adverse, Tibiscuit savait parfaitement de quoi il parlait !

Alors qu'il faisait bouger l'artère sud de Romeo Drive, il s'arrêta un moment, guettant dans les ruelles d'éventuels mouvements suspects. Tracassin avait parlé d'hommes et femmes à sa solde, mais pour le moment, aucune ombre inquiétante. C'était le meilleur moment pour commencer les recherches. Le pâtissier s'assura que des volontaires aidaient les habitants et commerçants à quitter les lieux, et discrètement entra dans chaque magasin pour jeter un œil sur les étalages. A quoi pouvait ressembler cette bombe ? Le hic est qu'il y avait autant d'idées que de possibilités et le nain était assez tordu pour planquer ça dans un gâteau. Un court instant, un frisson le parcouru en imaginant le Muffin Man abritant la bombe du crétin infernal. Mais la boutique était fermée...trop éloignée du centre...c' était improbable. Possible, mais improbable.

Il se contenta de se rassurer seul, et poursuivant sa fouille, remonta lentement la rue, jusqu'à l'endroit où il avait laissé Gretel. Une jeune fille était à ses côtés dans la rue, qu'il prit le temps de saluer courtoisement...la situation d'urgence ne devait en aucun caslui faire oublier les bonnes manières !
-J'ai donné du boulot à des volontaires pour chercher un truc suspect, j'ai rien trouvé...Pour une fois je suis très inquiet...l'autre fou aurait pu la planquer n'importe où, sous n'importe quelle forme. On a même pas quelqu'un à faire parler…

Il n'attendait pas vraiment de réponse, mais fut coupé par un homme qui réapparu, bloquant le passage. Sous un physique jeune et presque frêle, brillait deux yeux intelligents sous une masse de cheveux sombres.
-Mauvaise idée. Il y a un truc qui cloche là-bas.  
-Merci, je suis pas en sucre...enfin pas en ce moment, ronchonna Tibiscuit, appréciant peu se faire donner un ordre par un inconnu.
-Vous faites ce que vous voulez, moi je passe par les toits. Amusez-vous bien, que les sylphes vous gardent. 
Tibi se tourna vers Gretel, l'oeil suspicieux. Plus loin, il entendit les pleurs de l'enfant.
-C'est quoi ce type ? Et c'est l'enfant, le danger ? Ca m'étonne pas, continua-t-il en soupirant, les gosses c'est plus dangereux que les gardes qui doivent le faire pleurer en ce moment-même. Il se tourna enfin vers la jeune fille.
-Je m'appelle Tibiscuit...expert en pâtisseries...Tu es une des volontaires ? Tu sais te battre ? Je crois que ça sent le grabuge… Gretel, continua-t-il, je vais suivre l'autre type et monter sur les toits voir ce qu'il se passe. On sera peut-être pas assez, et j'ai aucune idée d'où se trouve Elis. L'autre, là-haut, a l'air de savoir de débrouiller, ce qui fait qu'on est au moins trois, pour...une vingtaine de gros bras ? C'est large, ironisa-t-il. Si on en chope un, on pourra peut-être avoir plus d'info…

Il avisa une basse fenêtre et escalada la façade d'une maison donnant sur le passage, pour atteindre le toit. A moitié allongé sur les ardoises, il aperçut le type en face, dague à la main, le visage concentré sur la vue d'en bas. Quelques gardes entouraient un pauvre appât qui sanglotait.
-C'est mal de se servir d'un enfant, même si les gosses ne servent à rien, grogna Tibi en sortant sa propre dague. Installé, avec un superbe panorama, il fit un signe discret pour signaler à l'autre sa présence. Il était au moins deux, et il avait assez confiance en Gretel pour savoir que l'arc allait être utilisé correctement en cas de besoin. Mais pour l'autre jeune fille, on verrait plus tard.

   

Romeo Drive

Le nain qui fait des siennes

Dans d'autres circonstances, il aurait sûrement été agréable de faire la connaissance d'autant de personnes motivées. Autant de personnes différentes, qui viennent de régions plus ou moins reculées, avec des vies très différentes, mais qui savent pourtant mettre leur fierté personnelle de côté pour un but commun. Dans d'autres circonstances... Sauf que les gens ne se serrent pas les coudes lorsqu'il ne s'agit pas de situations de crise. Aussi, il n'y a que quand notre vie est en danger que nous sommes susceptibles de faire preuve d'humanité - pour les moins égoïstes d'entre nous. Avec les cris de l'enfant et nos instincts personnels, ce n'était pas le moment de montrer sa fierté ou de faire dans l'ego-centrisme.

Toute cette situation ne sentait pas bon du tout, et mes soupçons se sont confirmés quand Tibiscuit nous a rejoint. Il devait l'avoir sentit aussi, même s'il était bien plus loin que nous des pleurs de l'enfant. Il m'a épargné gentiment ma salive en répondant à ma question avant même que je ne l'ai posée : Elis avait disparu Merlin savait où, et il ne semblait pas décidé à nous rejoindre. Je savais ce que valait le forgeron pour en avoir entendu du bien, aussi je n'étais pas inquiète outre-mesure. Ce qui m'inquiétait davantage était l'assurance de Selivan et de Clémence. Je ne les avais jamais vus à l'action, aussi je ne pouvais m'empêcher d'émettre quelques doutes quant à leur faculté à se défendre.
Mes doutes se sont à peu près dissipés à propos du boulanger quand il proposa de passer par les toits, et que Tibiscuit l'avait suivi.  "Gretel, je vais suivre l'autre type et monter sur les toits voir ce qu'il se passe. On sera peut-être pas assez, et j'ai aucune idée d'où se trouve Elis. L'autre, là-haut, a l'air de savoir de débrouiller, ce qui fait qu'on est au moins trois, pour...une vingtaine de gros bras ? C'est large. Si on en chope un, on pourra peut-être avoir plus d'info…" - "Fais attention là au-dessus, et ne te fais pas repérer. Si vous arrivez à leur tomber dessus, on se chargera des autres après votre diversion avec Clémence. Tant pis pour Elis, j'espère juste qu'il n'a pas de problèmes. On va essayer d'en assommer un et de le faire parler."

"Attention !"
La fée plongea d'un seul coup derrière moi et je la voyais tenter de repousser l'homme armé qui s'éclata la tête contre un pavé, l'assommant d'un coup. A voir son équipement, il s'agissait au mieux d'un mercenaire, au pire d'un petit voyou qui profitait de la panique générale pour détrousser deux demoiselles sans défenses. La fée s'en sortait plutôt bien, au moins elle avait de bons réflexes. Croyant que tout cela était terminé, elle engagea la conversation d'un ton poli. "Ça va ? Rien de casser ? Vous avez parlez d'une blessure toute à l'heure et..." Elle avait définitivement de bons réflexes, ce qui ne pourrait que lui servir. Cependant, elle semblait hésiter alors qu'elle était aux prises avec ce voyou. Il ne fallait jamais réfléchir dans ce genre de moments, ou c'était la mort assurée. Ma petite dague à la main, je l'enfonçais d'un coup dans la cuisse du voyou qui s'étala par terre de douleur. "Ils ne sont jamais seuls ces mercenaires, toujours par deux, rappelez-vous en ! Ça pourrait vous sauvez la vie la prochaine fois. Ne vous en faites pas pour moi, une vieille blessure au bras, mais tout ira bien. Venez, il faut contourner la maison et les prendre à revers. Ceux-là n'étaient pas les soldats de Tracassin, ils n'en avaient ni l'étoffe ni l'équipement."

J'entraînais la fée à ma suite derrière la maison que l'on contournait. Arrivés juste derrière les soldats, bien cachées derrière le mur, je levais le nez en l'air pour m'apercevoir que Selivan et Tibiscuit étaient en place. Me tournant vers la fée, je lui murmurais à l'oreille : "Tibiscuit et Selivan vont leur tomber dessus pour faire diversion. Je vais essayer de maîtriser les deux qui sont directement devant nous pour vous frayer un passage. Vous pensez que vous pourrez attraper l'enfant et le protéger le temps qu'on termine ?" J'attendais la réponse de la jeune fée, particulièrement courageuse pour une personne de sa race - je doutais fort que Dragée ai été prête à se salit les mains comme Clémence - puis j'attrapais une flèche dans mon carquois. L'arc bandé, pointé précisément sur le premier garde à ma portée, je fis signe de la tête à nos deux acolytes sur le toit pour leur faire comprendre que nous étions prêtes.

Il faudra en assommer au moins un. Juste pour que Tibiscuit ai le plaisir de le faire parler. Du reste, la priorité pour moi était de protéger l'enfant.