Le port

La course contre la montre

Le chaos total. Voilà qui résume bien la situation du port actuellement. Des gens qui se jettent désespérément à l'eau dans l'espoir de fuir au plus vite la cité à la nage. Des touristes complètement paniqués ne sachant plus comment rejoindre leur contrée d'origine sans finir en pièce à cause d'une explosion. Divers marchants qui tentent tant bien que mal d'emporter leurs marchandises le plus vite possible loin e tout ce tumulte . Je soupçonne d'ailleurs certains de ne pas être les vrais propriétaires des denrées qui vont et viennent en ce moment, mais plutôt des voleurs qui profitent de l'agitation pour s'emparer de tout ce qui leur passe sous la main. Je ne les blâme pas, d'ailleurs, ayant moi-même profité d'une certaine explosion et de la panique qui s'en ait suivi pour me faire embaucher au château. N'importe qui d'assez rusé sait très bien qu'une menace sur la capitale est la meilleure des opportunités pour piller.

Seulement là, moi, ça ne m'arrange mais alors pas du tout. Perdue dans le vacarme, m'efforçant de ne pas me faire renverser par la foule et de garder mes vêtements et mon sac aussi intactes que possible, je longe les quais tant bien que mal à la recherche d'une embarcation pour fuir, mais en vain. Plus aucun navire à l'horizon. Tous ont quitté le port dès l'annonce du possible attentat, et je n'ai pas eu le temps de m'embarquer sur l'un d'eux. Et pourtant, j'étais prête. Oh oui, ça fait même un petit moment que je suis prête. Dès l'apparition de Tracassin, j'ai fait mes valises, enfin mon sac en fait, et je me tenais sur mes gardes, guettant le moindre signe d'une défaite de Charmant. Immanquablement, la défaite est arrivée et c'était donc l'heure pour moi de partir. Qu'on ne s'y trompe pas, je ne voulais pas partir à cause de la bombe. Je voulais partir pour ne pas avoir à vivre sous le règne de Tracassin : il ne faut pas le sous-estimé, car il est beaucoup plus dangereux que ce qu'il y paraît, et je ne pourrais pas continuer mes affaires en paix sous sa coupe. Malheureusement pour moi, il a fallu que la rumeur de l'attentat se répande le jour même de mon départ, alors que tout était en place pour m'assurer un bon départ et un retour au château sans vague le moment venu.

Et me voilà donc, bloquée sur les quais, à regarder d'un air blasé la foule qui s'agite et se jette à l'eau. Il n'est plus question de quitter Fort Fort Lointain maintenant, parce que je n'aurais jamais le temps de partir par la voie terrestre et qu'il est absolument hors de question que je parte à la nage : on ne mouille pas une robe Versachery dans une eau puante et pleine de poissons et autres déchets divers. Furieuse, je rebrousse chemin, avec comme nouvel objectif de trouver un coin où me faire oublier le temps de l'attaque et où je serais le plus en sécurité possible. Tout ce que j'espère, c'est de ne pas tomber en chemin sur un bénévole, ou pire un chevalier, qui viendrait me bassiner avec leur course contre la bombe...

La mer était calme face à l'agitation des marins, qui, dans la précipitation, tendaient les voiles au point de les faire craquer, le vent s'y engouffrant avec violence. L'horizon se remplissaient de tâches blanches et maronnâtres, les bateaux glissant vers l'infini de l'océan, jadis si effrayant mais qui aujourd'hui leur semblaient le seul refuge face à la menace de Tracassin. Jeremiah regardait le spectacle sans sciller, faisant danser les cartes entre ses mains. Quelques désespérés se jetaient à l'eau, pensant pouvoir rattraper les derniers navires partis. La bête, appuyée contre un mur, s'amusait d'un tel spectacle, de la peur que pouvait insuffler ce bout d'homme de Tracassin aux habitants du royaume. Comment un Prince pouvait céder face à cet homme au corps d'enfant ? Jeremiah avait réussi à se faufiler pour voir l'adoubement de Charmant, plutôt pathétique. Il avait cédé à la peur, comme tout ceux qui se trouvaient maintenant sur la mer, préférant abandonner leurs maisons au risque de quelques explosions. Il se demandait si Charmant se trouvait sur un des bateaux, ou peut-être était-il caché sous son lit, pleurant toutes les larmes de son corps ? Peut-être Jeremiah était-il influencé par son corps de tokoloshe, qui encore aujourd'hui était une contrainte pour son esprit, une prison duquel il était impossible de se libérer, mais la créature docile qu'il était il y a longtemps réclamait d'un maître, autant d'un Prince, qu'il sache rester maître en sa maison. Qu'on ne s'y méprenne pas, Jeremiah n'affectionnait pas plus le nain que le prince, quel homme accédait au trône en faisant planer la peur sur son futur peuple ? Rien ne se passait comme cela de là où il venait. Sur la terre brûlée, on gagnait des tribus par la force, le respect, on écrasait les hommes pour susciter l'admiration des enfants, gagner le cœur des femmes. Les chefs étaient acclamés de par leur courage, leur ingéniosité à la guerre, il prenait soin des leurs au lieu de les massacrer. Tracassin ne valait pas mieux que les anciens maîtres du tokoloshe, usant de la peur pour manipuler les pauvres gens. En poussant la réflexion, on pouvait même rapprocher cette pauvre bombe à Jeremiah, instruments causant la terreur malgré eux. Pauvre bombe.

L'agitation semblait à son comble,quelques badauds, à défaut de pouvoir s'enfuir, raflant tout ce qui se trouvait sur les étales des marchands avant de partir en courant, parfois en criant, cédant totalement à la panique. Une enfant s'était arrêtée près de lui, comme tétanisée par la peur, elle avait les yeux fixés sur les mains du tokoloshe qui battait encore les cartes, inlassablement. Jeremiah se tourna vers elle, lui présentant les cartes en éventail. « Tires une carte. » lui chuchota-t-il. La petite fille, après un moment d'hésitation, tendit la main, désigna une carte sans oser la prendre. La bête, avec délicatesse, retourna la carte. « Reine de cœur » dit-il, la faisant danser devant les yeux de la fillette. « Tout se passera bien pour toi, la reine bienveillante protège ceux qui arrivent à la trouver. » Il n'en avait, en réalité, aucune idée, il était habitué à faire des tours de passe-passe, pas à faire des prédictions à la madame Irma.

David était d’une humeur massacrante. Depuis que ce nain de malheur Tracassin avait eu la fausse bonne idée de s’emparer du trône et d’humilier le prince Charmant, toute la ville état sens dessus dessous, à commencer par le port à quelques pâtés de maison de la librairie de l’ancien pirate. Il n’avait jamais pu se résoudre à s’éloigner complètement de la mer, même en ayant tiré un trait sur la navigation. Et aujourd’hui, il en payait le prix en se retrouvant aux premières loges de ce bordel ambiant. Mais au fond, il savait très bien que toute la ville devait être dans le même état – et il savait aussi que cette panique était son élément naturel. Les cris des passants et des marchands faisaient écho à ceux des populations qu’ils pillaient à l’époque, ou ceux des marins qu’ils jetaient pas dessus bord lorsqu’il partaient à l’abordage. Du cri, du sang, des larmes. Il y avait les cris, il y avait les larmes – et instinctivement, Davy Jones sentait que le sang n’était pas bien loin. Si une bombe sautait dans le port, c’était un véritable carnage qui s’offrirait à ses yeux qui en avait déjà tant vu. Et si le sort des marchands le laissait assez indifférent, en revanche, toucher à un port était un sacrilège. L’attaque de Libertalia lui revenait en mémoire : le feu, le bois qui craque, les bateaux qui flambent et la vie qui s’échappe entre la côte et la mer. Il avait déjà vu ça une fois. Il n’allait pas rester sans bouger alors qu’une nouvelle catastrophe se préparait. Il détestait la famille royale, se fichait pas mal de qui avait les fesses sur le trône, et s’amusait même en imaginant la tête de ce pleutre de Charmant évincé de son titre – en revanche, toucher à un port, c’était un sacrilège. Remontant à contre-courant des gens qui fuyaient vers le centre-ville (les fous !) David marchait d’un pas assuré, la main sur la garde de son épée, et le regard résolu. Il fallait trouver cette bombe. Hors de question de collaborer avec les incapables qui s’appelaient bénévoles ou gardes ; sans son équipage, il fonctionnait bien mieux tout seul. Et il n’avait aucune envie de recevoir des ordres du premier péquenot venu. Quitte à s’amuser un peu, autant ne pas s’infliger la compagnie de bouseux qui n’y connaissent sûrement rien en bombes ou en explosifs. Non mais.

Arrivé sur la digue, Davy constata l’étendue des dégâts. Les gens tentaient de fuir non seulement par bateau, mais aussi à la nage – son petit doigt lui soufflait que le nombre de noyés allait faire exploser les statistiques une fois la catastrophe terminée. Il secoua la tête en soupirant, excédé. Garder son sang-froid n’était visiblement pas à la portée de tout le monde. Tournant les yeux, il remarqua une petite fille en compagnie d’un homme à la peau sombre qui faisait danser une carte devant ses yeux. Ce type… David se souvenait l’avoir déjà vu dans les rues de Fort Fort Lointain. Un prestidigitateur, une ânerie du même genre. La gamine avait des sillons de larmes sur les joues. David s’approcha de l’étrange duo et s’adressa aussitôt à l’escamoteur : « Elle est à vous cette gamine ? » Après avoir reçu sa réponse, il enchaîna, imperturbable : « Il est temps de partir. Ca risque de devenir dangereux dans les prochaines minutes. »

Il arrêta au vol un matelot reconnaissable à sa canote, lui intima d’emporter la petite avec lui sur un rafiot d’un ton qui laissait clairement entendre que sa tête risquait de finir encastrée dans le mur s’il n’obéissait pas – et le jeune homme partit aussitôt avec le petite dans les bras en direction d’un des seuls bateaux encore à quai. Il attendit quelques instants, puis s’adressa à nouveau à l’homme à la peau sombre – ainsi qu’à une jeune femme à la chevelure de feu qui se tenait à quelques pas, l’air pensive.

« Et vous ? Vous n’essayez pas de filer tant qu’il est temps ? »

Non pas que Davy ait le temps ou l'envie d efaire la causette - mais s'il y avait encore des gens errant sans but sur le port, ils risquaient de se mettre en travers des recherches. Et Davy n'avait guère de temps à perdre avec des indécis.

Le port

La course contre la montre

Evidemment. Il a fallu que je m'arrête une seconde pour repérer le meilleure endroit pour, et bien ne pas me faire exploser si bombe il y a, pour me faire interpeller par un homme définitivement pas sortable sur le quai. Il a le profil-type du pirate bagarreur qui se la joue héros. Non, vraiment, cette journée avait mal commencé et je sens que ce n'est pas près de s'arranger. Je dévisage mon interlocuteur puis je porte mon attention sur un homme appuyé contre un mur non loin de là, à qui la question de l'autre homme était également adressée. Bon, deux illuminés pour le prix d'un : après le pirate, voilà le timbré aux cartes. Je ne sais pas si l'homme à la peau basanée a bien compris ce qui est en train de se passer, mais si c'est le cas, ça n'a pas l'air de le perturber plus que ça puisqu'il continue à jouer avec un jeu de cartes.

Parfait, s'il compte rester là et se faire exploser en même temps que notre héros du jour, ça me va, mais je ne compte pas rester dans le coin pour profiter du spectacle. D'ailleurs, le bâtiment contre lequel est appuyé l'homme m'a l'air de la cachette que je cherchais, l'intervention du pirate aura au moins eu pour utilité de me le faire remarquer. Toutefois, je ne peux m'empêcher de répondre à sa question, plus parce que je meurs d'envie de passer mes nerfs sur quelqu'un que parce qu'il mérite une réponse :

"Filer ? Où ça, si c'est pas trop demander ? Non parce qu'à moins de savoir marcher sur l'eau, je vois mal comment quiconque peut quitter le port maintenant. Au cas où ça vous aurait échappé, il n'y plus aucun bateau susceptible de nous emmener, sauf si vous comptez la barque du matelot avec la gosse, mais comme je ne suis pas assez stupide pour fuir à la nage, je ne le suis pas assez non plus pour partir sur une embarcation qui va faire trois mètres avant de couler. Maintenant si vous voulez bien m'excuser, je vais aller me trouver un endroit à peu près potable pour attendre la fin de l'alerte. Si ça vous amuse, vous pouvez demander à notre ami le magicien des cartes de vous faire apparaître un bateau, sait-on jamais, sur un malentendu ça peut marcher."

Ah, voilà une bonne chose de faite. Roulant les yeux pour bien signifier mon indignation pour ceux qui ont du mal à suivre, je me dirige vers la porte du bâtiment d'un pas décidé, le bruit de mes talons résonnant sur les pierres pavant le port. La porte n'a pas l'air bien solide, et de toute façon, je n'ai même pas l'impression qu'elle soit fermée. Je m'apprête à l'ouvrir lorsque je crois entendre du bruit venant de l'intérieur. Les sourcils froncés, j'agrippe la poignée et ouvre d'un coup sec, la laissant claquer contre le mur.

Le cri que je laisse échapper est instantanément couvert par les cris à l'unisson de dizaines de personnes entassées dans ce qui semble être un dépôt actuellement remplis de divers vivres probablement rassemblés par les infortunés qui y ont trouvé refuge. Mon arrivée soudaine et le claquement de la porte a dû faire penser à plusieurs que la bombe avait finalement explosé dans leur cachette. Désemparée, je recule d'un pas avant de masser mes tempes de mes mains. Cette histoire d'attentat commence sérieusement à me courir sur le haricot, et en plus maintenant, il faut que je me trouve une nouvelle planque...

« Elle est à vous cette gamine ? » Jeremiah tourna la tête, surprit qu'on lui pose une telle question, comme si le fait qu'il puisse avoir un enfant était pour lui bien plus dérangeant que de se trouver en plein milieu d'une scène de panique. Enfin, bien sûr que ça l'était. « Bien sûr que non. » dit-il, presque offusqué de la question. Comment aurait-il pu fabriquer ce petit être blanchâtre et pleurnichard ? « Il est temps de partir. Ça risque de devenir dangereux dans les prochaines minutes. » L'homme, sans doute un marin de par son allure en cuir, sa petite barbe mal taillé – mais, étonnamment, pas de par son odeur, en effet, il ne sentait ni le sel ni le poisson – en commanda un autre, qui prit la petite fille en pleur pour l'amener dans une barque. Alors que s'éloignant, les yeux de la petite fille ne quittait pas le tokoloshe, il lui fit un petit signe de la main alors que le marin qui sentait bon – impensable – parla encore, comme empli par le devoir d'agir. « Et vous ? Vous n’essayez pas de filer tant qu’il est temps ? » Jeremiah se retourna pour toiser la troisième personne inclut dans la conversation, ou plutôt la deuxième interpellée. Une grande femme, fine, à la chevelure de feu. Elle n'avait pas l'air franchement emballé d'être ici et, Jeremiah pouvait le sentir, elle était nerveuse, son corps tendu, sûrement par le fait qu'elle se retrouve ici et par ailleurs. Il sentait son cœur battre, il l'entendait comme si c'était le sien qui venait tambouriner sur sa tempe. Ca lui arrivait encore de sentir le cœur haletant des femmes ou des enfants, comme il ressentait auparavant le cœur de ses proies, effrayées de sa simple présence.

« Filer ? Où ça, si c'est pas trop demander ? Non parce qu'à moins de savoir marcher sur l'eau, je vois mal comment quiconque peut quitter le port maintenant. Au cas où ça vous aurait échappé, il n'y plus aucun bateau susceptible de nous emmener, sauf si vous comptez la barque du matelot avec la gosse, mais comme je ne suis pas assez stupide pour fuir à la nage, je ne le suis pas assez non plus pour partir sur une embarcation qui va faire trois mètres avant de couler. Maintenant si vous voulez bien m'excuser, je vais aller me trouver un endroit à peu près potable pour attendre la fin de l'alerte. Si ça vous amuse, vous pouvez demander à notre ami le magicien des cartes de vous faire apparaître un bateau, sait-on jamais, sur un malentendu ça peut marcher. »

Jeremiah s'écarta, se rapprochant du marin alors qu'elle se rapprochait d'eux d'un air décidé, agrippant la porte avant de l'ouvrir dans un fracas qui traduisait sa colère. La chorale de cris d'effroi sembla perturber les manants dans leur panique, tous pensant semblant à une explosion. Puis la cohue repartit de plus belle alors que la rousse se massait les temps devant la petite foule entassée dans le cabanon où elle semblait sans doute se réfugier. « Elle n'a pas tort, fuir par la mer n'est pas une bonne solution » dit-il en s'adressant au marin « mais se réfugier dans une maison en bois lors d'une menace à la bombe, ce n'est pas plus malin .» lança-t-il à la rousse. « Et, malheureusement, je ne connais aucune magie, et je suis dans l'incapacité de vous faire apparaître un quelconque bateau » dit-il en haussant les épaules. « Si la bombe est dans le coin, autant s'éloigner des habitations pouvant s'enflammer. Dirigez vous vers un endroit neutre, et solide : un grand hangar vide par exemple » dit-il en se rapprochant du mur pour s'y appuyer de nouveau, ignorant toujours la panique autour de lui, les habitants courant dans tout les sens, livrés à eux même. Il préférait observer la rouquine, comme fasciné par son visage tendu sous par l'adrénaline et l'énervement.

"Filer ? Où ça, si c'est pas trop demander ? Non parce qu'à moins de savoir marcher sur l'eau, je vois mal comment quiconque peut quitter le port maintenant. »

C’était bien sa veine. Non seulement il tombait sur une réfractaire, mais une réfractaire désagréable, avec ça. Davy leva les yeux au ciel en retenant un long soupir contrit alors que la voix de crécelle de la jeune femme résonnait à ses oreilles, aussi douce qu’une scie découpant l’acier d’une hache. Ca lui apprendrait à essayer de se montrer aimable, tiens. La prochaine fois qu’il verrait Léonard (s’il le revoyait un jour), et que celui-ci l’encouragerait à être un humain sociable et aimable, il saurait comment l’envoyer paître.

« Au cas où ça vous aurait échappé, il n'y plus aucun bateau susceptible de nous emmener, sauf si vous comptez la barque du matelot avec la gosse, mais comme je ne suis pas assez stupide pour fuir à la nage, je ne le suis pas assez non plus pour partir sur une embarcation qui va faire trois mètres avant de couler. »

S’il se fichait bien du destin de celle qu’il appelait désormais dans son esprit la harpie, en revanche il fut bien obligé d’admettre qu’effectivement les bateaux étaient tous pleins ou déjà partis, et que les barques vacillaient dangereusement sur une eau qui commençait à s’agiter comme par un tour du destin. David leva la tête, ses yeux bleu et vert scrutant le ciel, sourcils froncés. Le temps commençait à tourner. Il ignorait s’il y avait une quelconque sorcellerie là-dessous, mais ça ne présageait rien de bon.

« Si ça vous amuse, vous pouvez demander à notre ami le magicien des cartes de vous faire apparaître un bateau, sait-on jamais, sur un malentendu ça peut marcher. » conclut-elle sans que David ne lui accorde un regard – en revanche il se retourna lorsqu’il entendit des cris derrière lui et une cavalcade : des habitants terrifiés qui s’étaient cachés derrière la porte qu’elle venait d’ouvrir. La jeune femme elle-même n’avait pas l’air bien rassurée ni heureuse. Cette fois, il n’essaya même pas de retenir le ricanement qui naquit sur ses lèvres. Ce fut le magicien qui le ramena à la réalité, sur un ton détaché qui plaisait déjà beaucoup plus à l’ancien pirate.

« Elle n'a pas tort, fuir par la mer n'est pas une bonne solution, mais se réfugier dans une maison en bois lors d'une menace à la bombe, ce n'est pas plus malin .» David ne pouvait pas le contredire. Il se contenta donc de ne pas répondre, ce qui chez lui et pour ceux qui le connaissaient bien pouvait être décrypté comme une forme d’acquiescement. « Si la bombe est dans le coin, autant s'éloigner des habitations pouvant s'enflammer. Dirigez vous vers un endroit neutre, et solide : un grand hangar vide par exemple »

Le magicien n’était pas complètement dénué de bon sens. Mais il n’avait pas non plus l’air décidé à aller se mettre à l’abri. David lui jeta un regard inquisiteur, se demandant brièvement qui était ce type et ce qu’il pouvait bien avoir derrière la tête pour être aussi peu paniqué alors que le commun des mortels semblait voir arriver la fin du monde. Mais le libraire n’avait aucune envie de faire la conversation, encore moins dans une telle situation : sa priorité était de s’assurer que le port subisse le moins de dommages possibles. Lui et Philomène étaient à deux doigts de pouvoir ramener les ruines du Hollandais à port et commencer les réparations, il était hors de question de voir cette opportunité lui filer sous le nez à cause d’une fichue bombe posée là par un détraqué. Celui-là d’ailleurs, s’il lui mettait la main dessus, il le jetterait volontiers au Kraken. Ou il lui ferait sauter la tête d’un coup de sabre, à voir selon l’impulsion du moment.

David allait abandonner ses deux interlocuteurs et s’éloigner lorsqu’un garde lui coupa la route en se mettant juste sur son chemin, plantant ses yeux dans les yeux. Le pirate s’arrêta net, un air peu amène sur le visage alors que le garde lui adressait déjà la parole.

« Monsieur. Il ne faut pas rester ici, ça risque d’exploser d’un instant à… »
« Ecarte-toi, j’ai autre chose à faire que d’écouter les recommandations d’un bleu qui n’a encore jamais versé une goutte de sang de sa vie. » grommela-t-il en le bousculant.
« Ah, monsieur ! Vous faites partie du groupe de volontaires ? » David s’arrêta net. Les volontaires ? Il y avait donc d’autres gens qui cherchaient la bombe ?
« Oui. » mentit-il effrontément, lui qui n’avait aucune intention de faire équipe avec qui que ce soit.
« Il ne faut pas vous déplacer seul, si vous trouvez la bombe ce serait dangereux ! Où est le reste de votre équipe ? Si ça peut les motiver, je suis à peu près sûr que la famille royale serait prête à récompenser grassement les héros qui trouveraient les bombes… »

Alors qu’il prononçait ces mots, le garde se tourna vers le magicien et la harpie, l’air interrogateur et suppliant. Cette fois Davy ne chercha même pas à retenir un soupir et commença à s’éloigner sans attendre de voir si les deux autres le suivaient ou non. Si la bombe était cachée à un endroit stratégique, le comptoir maritime était un bon endroit où commencer…

Le port

La course contre la montre

Ils me tapent définitivement sur les nerfs. Tous, autant qu'ils sont. Alors oui, sous prétexte qu'une bombe va éventuellement exploser, tout le monde se permet tout et n'importe quoi ? Non, ça commence à bien faire. Si on omet les ahuris serrés dans le bâtiment qui me fixent avec des yeux de merlans frits, il me reste le pseudo-héros et le magicien pas net. Et ce sont eux qui me courent le plus sur le haricots : après les conseils peu avisés du premier, c'est au tour du deuxième de venir me pourrir la vie. Non mais on lui a demandé quelque chose, à celui là ? Qu'il trie ses cartes et qu'il me fiche la paix. Et puis d'abord, qu'est-ce qu'il en sait, que ce bâtiment n'est pas sûr ? Je ne vois pas où est le problème. Et puis s'il est aussi peu sécurisé que l'homme le laisse entendre, il n'a qu'à s'éloigner de là, c'est vrai quoi ! C'est quoi son problème ? Suicidaire à tendance explosive ? Non parce que s'il reste là, appuyé à cette "maison en bois" alors que la bombe menace de sauter, lui et ses cartes vont finir par faire un beau vol plané.

Plus exaspérée que d'accoutumée, je m'apprête à leur tourner le dos lorsqu'un garde accoste l'homme blond. Il nous prend pour une équipe de volontaire à la recherche de la bombe. Nous trois. Encore un qui ferait bien de tourner sa langue dans sa bouche avant de parler. Ou de ne pas parler du tout, en fait. Je pense qu'il est clair pour quiconque qui nous regarde qu'on n'a rien à voir les uns avec les autres. Pour l'homme blond, je ne dis pas, il a l'air de vouloir jouer les héros et confirme même faire partie de l'équipe de volontaires. Mais l'autre homme ne pourrait pas avoir l'air moins impliqué dans toute cette histoire même s'il le voulait. Quand à moi... Je ne vois pas pourquoi une jeune femme telle que moi irait risquer de salir ses chaussures hors de prix au port pour aider à évacuer et chercher une bombe. Je sens un ricanement me monter lorsque le garde se tourne vers nous d'un aire suppliant. Comme si Dragée et Charmant étaient en mesure de fournir une récompense à qui que ce soit. C'est Tracassin le maître à bord maintenant, et ça ne m'étonnerait pas le moins du monde que la moitié de la fortune du Royaume soit déjà à moitié engloutie pour assouvir les délires de ce lunatique.

Pourtant, je ne vois pas d'autre solution que de suivre l'homme blond lorsqu'il part vers le comptoir maritime : on ne sait jamais, un peu d'argent en plus fait toujours plaisir. Ce que je n'avais pas prévu, en revanche, c'est que les gens entassés dans la baraque me suivent comme une seule âme. Agacée, je m'arrête et fais volte-face.
"Mais qu'est ce que vous faîtes enfin ? Restez là où vous êtes, ou allez embêter quelqu'un d'autre, j'ai pas le temps de jouer."
"Mais on ne peut pas rester là, mademoiselle ! Cet homme vient de dire que ce n'était pas sûr ! Vous êtes bien de l'équipe des volontaires, non ? Alors aidez nous à nous mettre en sécurité !"
Je coule un regard noir au magicien, et reporte mon attention sur le vieillard qui m'a parlé. Comment faire pour me débarrasser d'eux maintenant... Je n'ai aucune idée d'où les mettre et pas vraiment l'envie d'y réfléchir de toute façon. Risquant un regard au type blond, je m'aperçois qu'il est déjà presque arrivé au comptoir.
"Bon, suivez moi, mais ne restez pas dans mes pattes, et je ne suis pas responsable de ce qui vous arrive si ça tourne mal. Et je refuse d'aider les vieux à marcher ou de porter les gamins."

Je repars au pas de course vers ce qui semble être mon nouveau camarade de fortune, en scrutant l'horizon. Il doit bien y avoir un endroit où empiler tous ses gens vite fait bien fait ! Et puis, je ne fais pas partie de l'équipe de volontaire, alors si jamais j'ai besoin, je n'aurais qu'à refiler cette populace à l'autre homme, lui est bien là pour les aider, non ?

La garde royale finit enfin par arriver, en retard, comme d'habitude. L'un deux, sûrement un commandant, se plantant devant le marin qui sentait l'eau de rose, prêt à donner des ordres « Monsieur. Il ne faut pas rester ici, ça risque d’exploser d’un instant à… - Ecarte-toi, j’ai autre chose à faire que d’écouter les recommandations d’un bleu qui n’a encore jamais versé une goutte de sang de sa vie. -  Ah, monsieur ! Vous faites partie du groupe de volontaires ? » Jeremiah regarda la scène avec amusement, s'étonnant de savoir qu'il y avait des volontaires pour trouver une bombe. Lorsqu'il s’agissait des bijoux de la reine, d'accord, il y avait moyen de les revendre pour une coquette somme, mais une bombe, à part aller caresser les oiseaux en vol pendant quelques secondes, non vraiment. Qui avait envie de trouver une bombe ? « Oui. » Le marin terrestre appartement. « Il ne faut pas vous déplacer seul, si vous trouvez la bombe ce serait dangereux ! Où est le reste de votre équipe ? Si ça peut les motiver, je suis à peu près sûr que la famille royale serait prête à récompenser grassement les héros qui trouveraient les bombes… »
Jeremiah se redressa, arrêtant de s'appuyer contre la vieille bicoque en bois, comme si la lui permettait de mieux entendre. Récompense ? Il se sentait concerné par la bonne santé des forts forts lointiens tout à coup. Il n'eut pas le temps de demander plus de détails au gigolo de la garde royale que le barbu au blouson de cuir partait déjà vers la bâtisse la plus vivante du port, le comptoir maritime. Pas totalement convaincu, mais investi par le devoir de payer son loyer, Jeremiah lui emboîta le pas, non sans une certaine nonchalance.

« Mais qu'est ce que vous faîtes enfin ? Restez là où vous êtes, ou allez embêter quelqu'un d'autre, j'ai pas le temps de jouer. » La créature se retourna pour découvrir que les joyeux réfugiés suivaient la fille à la chevelure de feu, comme une masse indistincte, tous réunis en un seul corps qui suivaient avec désespoir celle qui les avaient trouvés, leur sauveuse de fortune.  « Mais on ne peut pas rester là, mademoiselle ! Cet homme vient de dire que ce n'était pas sûr ! Vous êtes bien de l'équipe des volontaires, non ? Alors aidez nous à nous mettre en sécurité ! » Jeremiah fut surpris que la jeune femme le regarde avec des éclairs dans les yeux. Deux grosses pointes de foudres venues pour le foudroyer. Quelle charmante dame, comme une boule de nerfs, mais avec une robe scandaleusement cher. Tout ce qu'il faut pour plaire. « Bon, suivez moi, mais ne restez pas dans mes pattes, et je ne suis pas responsable de ce qui vous arrive si ça tourne mal. Et je refuse d'aider les vieux à marcher ou de porter les gamins. » Et ils repartirent tous, comme un homme – c'est bien connu, au port, les hommes suivent toujours les jolies filles – vers le comptoir maritime ou le chef officieux du petit groupe était presque arrivé. Un vieillard s'accrocha au bras de Jeremiah alors qu'une petite fille agrippa à sa jambe, pleurant furieusement. Bien, il n'était pas le chef, il n'était pas l’héroïne en colère, il fallait qu'il soit le manant chevaleresque qui passait par là. D'un geste souple, il jeta la petite fille dans ses bras, pris la main du grand père et rattrapa le groupuscule alors que le chef de leur petit groupe était maintenant presque devant la porte. « Que tous les gueux et les gueuses m'écoutent ! Et celles un peu moins gueuses aussi » se sentit-il obligé de rajouter après le regard noir d'une jeune fille de l'assemblée. « Il y a une cave de pierre pour la conservation du poisson dans la rue d'à côté, elle résistera à un effondrement si la bombe est proche, que ceux qui ne sont pas volontaires me suivent ! » dit-il en haussant la voix, lâchant un regard à ceux qui étaient ses acolytes depuis environ trois minutes. « Je reviens dans quelques minutes. N'hésitez pas à bouger, je saurais vous retrouver. » dit-il avant de mener la petite troupe d'infortuné à la cave promise. Ils se déplaçaient dans une atmosphère légèrement plus calme, quelques apeurés rejoignant le groupe, le reste de la cohue s'étant calmée depuis l'arrivée des gardes ou d'autres volontaires. Après avoir défoncée la porte d'un coup de pied magistrale (et ça, avec une petite fille dans les bras, vraiment, quel homme ce Jérémiah), la petite troupe s'enfonça un à un dans le sol creusé puant le poisson. Prions juste pour que la bombe ne soit pas là. « A l'abri, tous, à l'abri ! » dit-il avant de déposer la petite fille au sol. « Quand tout le monde est rentré, tu fermes la porte d'accord ? » Elle eut à peine le temps d'hocher la tête la tête que le tokoloshe était déjà reparti en direction du comptoir maritime pour retrouver sa petite équipe.