Depuis quand on changeait de fée en cours de vie ? Pauline avait déjà changé de vie, il ne lui restait que sa marraine, et voici que celle-ci la recommandait à une autre personne … « Quelqu'un qui te voudra du bien », c'était assez vague. La jeune femme, assise sur son lit à relire sa lettre, entre blasement et déception, se demandait si elle devait y aller. Ce serait après tout impoli de poser un lapin, il paraît que les fées sont susceptibles, il ne faudrait pas s'en mettre une à dos ! Après avoir poussé un soupir, la jeune femme se leva et ouvrit le coffre où se tenait ses tenues. Il serait un peu inapproprié peut être d'y aller avec la grande robe couleur de temps. Surtout que le rendez vous était à Versachery, le temple de la mode de Fort Fort Lointain ! Alors quoi faire ? Bon, commencer par se changer, prendre une robe plus simple, dans un bleu marine qui lui sied bien. Puis elle va voir sa nouvelle fée, pas aller au bal avec un prince hein ! Alors pourquoi elle stressait autant ?

Tout en coiffant ses jolis cheveux, Po se rappelait de son ancienne marraine, une femme adorable, pleine de bonté et de présence, mais elle avait pour défaut de toujours chanter. Et pourtant, elle-même fredonnait à cet instant, mais ne supportait pas le cliché de chanter à tout bout de champ, surtout les fées, c'était d'un chiant ! Elle avait réussit à stopper sa marraine, la limiter dans ses élocutions chantées car c'était d'un barbant ! S'il fallait faire pareil avec la prochaine, Pauline n'en avait pas fini de la reprendre ni de soupirer en levant les yeux en l'air.

Coiffée, un peu maquillé et habillée, il était temps de quitter sa chambre pour rejoindre sa nouvelle marraine. Pourquoi la jeune femme avait une appréhension ? Comme un mauvais pressentiment … Mais il n'y avait pas de raison, sa marraine n'allait pas la confier à une idiote, une moche, une alcoolique ou une psychotique ! Il fallait aussi aussi garder confiance. Elle n'avait que quelques minutes de marche jusqu'à la grande boutique mais Pauline eut l'impression d'y passer des heures à cause de cette foutue appréhension, comme si quelque chose allait mal se passer. Une fois devant la porte, avec plusieurs secondes d'hésitation, la jeune femme se décida enfin à pousser la porte, laissant le carillon annoncer son arrivée imminente.

« Bonjour, bonjour, bonjour! »

Si la voix lui parût un peu masculine, Pauline n'y tint pas compte, on ne pouvait pas blâmer les voix graves ! Mais quand la fée apparut, tout à coup la voix allait beaucoup mieux … à un homme.

Un homme fée.
Ou une fée masculine.

Autant dire le choc absolu ! Le voilà le mauvais pressentiment, il y avait bien une entourloupe, sa marraine avait omis de mentionner que sa marraine avait un service trois pièces en plus de ses ailes. La surprise devait se lire sur le visage de la demoiselle avec sa bouche entrouverte et ses yeux ronds. Sa nouvelle marraine – pouvait-on dire parrain ? – le remarqua immédiatement !

« Hum… On ne t’avait pas prévenu n’est ce pas ? »

La surprise lui avait ôté toute parole, et elle se contenta d'un hochement mollement négatif de la tête, tout en observant cet incroyable personnage qu'était sa nouvelle marraine, qui était un homme donc, et dont elle ne savait même pas que les fées pouvaient aussi être des hommes. Le silence gagnait la boutique, pas vraiment très propice à une nouvelle relation, mais plutôt à un malaise. Encore une fois, ce fut la fée qui brisa le silence.

« Et oui : Je suis ton parrain la bonne fée !!! Étonnant hein ? Tu pourras te vanter d’avoir une fée comme personne d’autre depuis … et bien … depuis toujours ! Il faut bien une première à tout, n’est-ce pas ?
Me vanter n'était pas dans mon programme … » ce fut ses premiers mots, un peu dubitative.

Non clairement, déjà qu'elle ne parlait pas beaucoup de sa marraine mais de là à dire qu'elle a un parrain ? Autant se jeter par la fenêtre avec un boulet au pied, ce serait plus sympa ! Et qu'est ce qu'il avait à tourner autour d'elle à l'observer. Pauline détestait qu'on la juge, surtout sur son physique, elle trouvait cela ingrat et surtout bas. Surtout que Théo avait pris sa taille de fée pour l’observer d'encore plus près. Elle prit son mal en patience et retint un soupir d'exaspération.

« Sucre bleu ! Ma chérie... Nous avons un long travail à faire !
Sur quoi ? Elle croisa les bras, le toisant du regard. Et non, je ne suis pas une demoiselle à la taille de guêpe, je fais une taille 40. Je travaille dans une pâtisserie, donc je ne mange pas toujours équilibré … mais si ça peut vous rassurer, mes robes me vont toujours ! »

Elle fronçait les sourcils pour se convaincre un peu. Certes, elle rentrait dans ses robes couleurs temps, lune, soleil, mais il est vrai qu'elle avait un peu plus de mal à les fermer certes, mais tant qu'elle pouvait les mettre pour aller travailler, c'était le principal !

« Et puis, vous êtes vraiment une fée ? Une fée masculine ? Ca existe ? »

En effet, elle n'était pas convaincue …

« Faut changer le packaging, ma chérie… »

C'était le genre de choses que Pauline n'aimait pas particulièrement entendre. Packaging ? On dirait qu'elle était une boîte de gâteaux ou un emballage à deux écus. Bien sûr, son nouveau parrain travaillait dans la mode, forcément qu'il devait être superficiel et s'attacher au physique et au style. Lui-même, son « packaging » était irréprochable dans sa tenue, coiffure, attitude … Ca devait être un travail pesant au quotidien ! Mais après la vie qu'avait vécu Pauline, disons que le physique et se mettre en valeur, ce n'était pas son souci majeur. Après avoir longtemps erré avec cette fichue peau d'âne sur la tête, à jouer la souillon de basse-cour et qu'on l'insulte, la rabaisse, autant dire que tout cela l'avait bien remise à sa place. Après une telle expérience, on peut dire que Pauline n'avait plus les mêmes priorités, n'avait plus envie de se prendre la tête avec certaines bêtises, comme savoir quelle robe mettre pour sortir voir Gretel ou si sa tenue était à sa morphologie pour travailler dans une pâtisserie !

La relation parrain-demoiselle commençait sur un bien mauvais pied, chacun ne s'attendant pas au caractère de l'autre, ni à sa vision des choses. Et puis, il fallait bien l'avouer, une fée masculine avait de quoi déranger. On parlait de marraine la bonne fée, toutes les histoires parlaient d'une marraine, jamais d'un parrain, comment se conduisait-on avait un parrain fée ? Peut être aurait-il fallu ne pas lui poser la question de son existence, cela semblait déplacé et Pauline le sut en regardant Théodose. Finalement, un travail sur soi ne ferait pas de mal, un peu moins de franchise mais un peu plus de non-dit ou de silence, voire même de tact ou de délicatesse. Au moins, elle aurait pu éviter le spectacle du parrain en costume trois pièces à paillettes, et cette mise en scène un peu trop tape à l’œil. Pauline s'était souvent plainte de ne pas avoir sa marraine durant sa longue errance, finalement au vu de ceci, ce n'était peut être pas plus mal …

A dire vrai, c'était un peu gênant, tout ce monde, ces danseurs, ces feux d'artifice, et puis … oh non, il chantait. Tout en se mordant la joue intérieur, Pauline se retint de ne pas lui dire de se taire. Pas de chant, pas de chant ! Mais qu'est ce qu'avait les fées à chanter sans cesse pour donner de bons conseils ? Il y avait un règlement, une clause que toutes les fées devaient signer, stipulant que toute fée devait chanter pour distiller ses conseils et sa bonne humeur, quitte à horripiler la personne en face d'elle ? Si Pauline pouvait envoyer promener son ancienne marraine, peut être qu'il était encore trop tôt pour faire de même avec le nouveau, qui se donnait finalement beaucoup de mal pour se montrer convaincant. Un peu trop tape à l’œil mais motivé. Elle esquissa un sourire alors qu'il s'approchait d'elle, pour le final.

« Avec Théodose Lafay : ton sex appeal est garantie, Taille 40. Quel slogan ! Elle se retint de rire alors que tout disparaissait enfin, pour laisser place à un calme qu'elle ne pensait plus avoir après tout ce raffut. Alors ? Vendu ? »

Refuser ou se moquer aurait été très malpoli, et complètement déplacée, tout comme les quelques instants de silence, que Pauline s'empressa de couper, d'une voix un peu trop enthousiaste pour sonner vrai.

« Affaire conclue ! » Et elle tendit la main à son nouveau parrain qu'elle avait décidé d'adopter.

Il était sûrement temps de mettre les points sur les i, sans se montrer trop tyrannique, mais en tant que filleule, elle avait sans doute des droits, et un droit de véto qu'elle poserait sans condition. Autant commencer par les choses désagréables, mais avec le sourire !

« Je peux te demander une chose, une simple demande ? N'importe qui aurait pensé à un cadeau, une transformation, mais non : Peux tu ne pas chanter ? Je hais les conseils en chanson, cela fait cheap et tellement mémère, on se croirait dans un conte de ma grand-mère. Mon ancienne marraine le faisait tout le temps, et je hais me répéter, donc je le dis tout net : stop à la chanson pour les conseils. Je suis assez grande pour écouter des vraies conversations. »

Elle gardait le sourire et s'était efforcée de garder un ton assez courtois. Avec son ancienne marraine, elle lui disait de se taire sans ménagement puisque cette dernière ne cessait de pousser la chansonnette à tout instant, pour la moindre affaire de troisième zone. Quand on écoute pas, on se ramasse des remarques, voilà tout !

Une fois le débat sur la chanson close, Pauline avait aussi besoin de s'exprimer sur d'autres aspects de sa vie, et que Théodose puisse l'aider, ou pas du tout d'ailleurs. Devenue une jeune femme indépendante et sans histoire, l'ancienne souillon avait besoin de règles à établir. Elle s'assit sur une chaise et commença son speech un peu plus sérieuse.

« Mon autre marraine ne s'est pas manifestée pendant des années, mais tu dois quand même être au courant de mon histoire, avec la peau, le prince, tout ça. J'ai vécu ça toute seule, et je m'en suis tirée, autant dire que j'aurais un peu de mal à avoir recours à tes services. Tu as parlé de prétendants tout à l'heure, j'espère que tu ne vas pas jouer les entremetteuses à deux sous. Elle rit doucement, elle en avait déjà assez avec un, un peu trop collant. J'ai déjà un type qui me colle aux souliers, ça me suffit. Non, non, je devine déjà ce que tu as derrière la tête, mais avec lui, c'est non. Il a cru que je voulais le tuer, quand on ne sait pas ce qu'est la subtilité en amour, c'est qu'on est un idiot. »

Elle roula des yeux en repensant à Engueran, ce garçon était aussi beau que bête, ils n'avaient rien en commun, et cette bague assassine lui avait finalement sauvé la mise. Mais peut être n'aurait-elle pas dû en parler, il paraît que les fées adorent les happy ending avec un mariage à la clé.

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