Lorcan & Gretel

Une rencontre incongrue peut apporter bien pire que
des choses plaisantes

Si on m'avait dit un jour que je serai obligée de vendre mes produits à un endroit aussi mal famé que la Sirène Amputée, je n'y aurai pas cru. Cet endroit suinte la saleté et l'infâme de toutes les pièces de bois qui la composent, et je ne serai pas étonnée si les pires mécréants le fréquentaient. Je déteste Ragtown, je déteste ce bar et je déteste les souvenirs que j'y ai. La seule et unique fois que je suis venue ici, je me suis couverte de ridicule en suppliant le capitaine Quatrevents de m'emmener en expédition avec lui. Bon, d'accord, je n'étais pas tout à fait sobre et très en colère contre Potté, mais sur ce coup là je n'ai pas été très maline. Je ne sais toujours pas comment j'en suis arrivée là, devant la porte de cette abominable taverne, mon chariot chargé de cagettes de muffins au chocolat. Je suppose que c'est parce qu'avec les derniers événements politiques le taux de fréquentation de ma boutique n'est plus aussi élevé que d'habitude. Je suppose que les friandises sont devenus le cadet des soucis des habitants plongés dans l'anarchie la plus profonde. Et comme maintenant j'ai un employé à payer... Je suis bien obligée de trouver des clients... différents. Je pousse maladroitement la porte dégoûtante de la taverne encore plus hideuse et m'engouffre dans l'énorme pièce malodorante et affreusement chaude. C'est fou comme en passant une simple porte on se retrouve de la rue banale à un endroit dans lequel on a absolument pas sa place.

J'avance lentement entre les vieilles tables et chaises sales de la taverne pour me diriger vers le bar, collant et miteux, et m'adresser au barman, tout aussi miteux et sale.
"Bonjour, je viens livrer les muffins dont vous avez passé commande chez Miel&Epices. Pouvez-vous venir me décharger ?" En grommelant, le barman à la tête de cochon enfoncée sort de derrière son bar pour accrocher le chariot et l'emporter dans l'arrière-boutique. Dieu merci je n'ai pas eu à le faire toute seule. Avec un seul bras, cela aurait été compliqué. La serveuse pose un verre "propre" devant moi. "J'vous sers quequ'chose Mdame ? Pour vot'effort, cadeau d'la maison." Je suppose que je peux bien prendre quelques minutes de pause. "De l'hydromel, s'il vous plait."
Je pose mes fesses sur le tabouret défraîchit du bar et regarde autour de moi. Des poivrots, des marins plus vieux que le monde, une vieille dame à moitié endormie sur sa bière et... Un jeune homme qui m'est étrangement familier. Je suis certaine de l'avoir déjà vu quelque part, mais je ne sais plus où... Je creuse mes méninges tout en le détaillant absolument pas discrètement. Cette crinière de lion... Oui, je me souviens ! Il nous avait aidé avec Mulan et un autre jeune homme à rattraper les poulets chez Burger Prince !

Je crois qu'il s'est rendu compte que je le regardais avec insistance. Aussi je lui adresse un petit sourire accompagné d'un hochement de tête pour le saluer, histoire de rattraper mon impolitesse, et je retourne à mon verre d'hydromel fraîchement servi, en attendant que le barman revienne avec mon paiement - et mon chariot.

Lorcan & Gretel

Une rencontre incongrue peut apporter bien pire que
des choses plaisantes

La Sirène amputée, c'est finalement comme une des maisons de Lorcan. L'endroit est malfamé, il est vrai, mais tant qu'il partage un verre d'alcool avec la bonne compagnie de ses potes, c'est tout ce qu'il lui faut. N'importe quelle auberge de Fort Fort Lointain fait l'affaire, le blond n'est pas réellement une fine bouche. Tant que ce qu'on y sert est buvable et qu'on puisse s'y asseoir, c'est suffisant pour lui. Les bagarres ? Lorcan ne le craint pas. Il est même une des principales causes de ces dernières : un mot de travers, une blague qui part un peu trop loin, une bière renversée, en bref, souvent pour trois fois rien, et ça y est le matelot est prêt à en découdre avec ses protagonistes. Pas qu'il est agressif, juste qu'il aime se battre et, une fois qu'on a bu un peu, toutes les raisons sont bonnes pour se livrer à une telle occupation. Avec la carrure que le charpentier se traîne, pour sûr qu'on évite de l'embêter en temps normal. Mais tous savent que Piedmarin cherche la bagarre comme le vrai marin qu'il est ; juste par envie d'aventure, il est pas vraiment méchant le bougre, il fait ça pour s'amuser.

Le blond est déjà entrain de lancer un chant de marin dans l'auberge quand son regard est attiré par une activité inhabituelle auprès du bar. Quand on est habitué à fréquenter les auberges telles que celle-ci, pour sûr qu'on a pour habitude de rester vigilent. Lorcan renifle avec toute la grâce du monde avant d'observer avec attention ce qui se passe un peu plus loin. Ce n'est finalement pas grand-chose ; juste une livraison. Mais la livreuse a quelque chose de spéciale. En fait, son visage n'est pas inconnu au charpentier dont la tête se tourne légèrement vers le côté tandis qu'il songe à l’identité de la jeune femme. Mais c'est la demoiselle chasseuse de poulets. Et vu le regard insistant qu'elle pose sur lui, suivi d'un petit signe de tête en guise de salut, le marin est absolument sûr qu'elle le reconnaît également. Il se lève alors, quittant la table où il était assis sans que cela ne perturbe réellement ses compagnons, avant de marcher en direction de la livreuse.

Une fois à sa hauteur, le sourire aux lèvres, Lorcan est absolument sûr qu'il s'agit bel et bien de cette jeune femme avec qui il a chassé les poules du Buger Prince. Une sacré aventure dont ils avaient finalement triomphé. « Hey, j'vous reconnais vous ! Vous étiez là, à chasser les poulets au Burger Prince.» Il a l'air assez content de recroiser une personne ayant participé à cette petite aventure hors du commun. « Vous allez bien ?» En prononçant cette question, le blond pose les yeux sur le bras amoché de la jeune femme, avant d'ajouter. « Ca va votre bras ?» C'est pas qu'il est curieux – enfin si, un peu – mais Lorcan veut toujours bien faire. Se soucier du monde qui l'entoure, cela lui semble important. Avalant une gorgée de sa bière en écoutant la réponse de son interlocutrice, il finit par rajouter, cette fois-ci par pure curiosité. « Vous faîtes quoi par ici ?» Parce que si on s'attend à croiser un marin tel que Lorcan Piedmarin accoudé au bar de la Sirène Amputée, ce n'est pas vraiment le cas pour la jeune femme qu'il a sous les yeux.

Lorcan & Gretel

Une rencontre incongrue peut apporter bien pire que
des choses plaisantes

Qu'est-ce que je fiche ici moi ? Vraiment, je dois être tombée bien bas pour vendre à ces sacripants des délices qu'ils se contenteront d'engloutir comme une vulgaire soupe au lieu de les déguster comme il se doit. Et pour faire moi-même les livraisons, qui plus est, le bras en moins, la motivation encore moins présente que la validité de ce membre que je traîne comme une branche morte depuis des semaines. Le verre d'hydromel devant mes yeux, je ne le boirais pas. La dernière fois que j'ai bu ici, je me suis retrouvée à supplier un capitaine inconnu de me prendre sur son bateau. Aujourd'hui, je ne sais même pas s'il est encore vivant. Mais je sais que je n'aurai jamais eu le courage de partir avec lui. Mon corps tout entier suintait la trahison. Jamais je n'aurai pu faire cela à Potté et à Hansel. Jamais.

L'homme à la crinière de lion, reconnaissable entre tous, semble avoir capté mon salut et - pour mon plus malheur - se lève de sa table pour me faire la conversion. Je suppose que cela part d'un bon sentiment, celui de me présenter ses hommages, mais je doute que mon humeur soit propice à la conversation. « Hey, j'vous reconnais vous ! Vous étiez là, à chasser les poulets au Burger Prince.» Perspicace le bonhomme. Oh, la ferme Gretel ! Il n'y peut rien si tu es d'une humeur massacrante. "Oui, en effet c'est moi. Il me semblait bien vous avoir également reconnu. Saleté de bestioles hein ? Elles nous auront occupés toute la journée."

Malgré son assurance peu commune, il semblait gentil et assez porté sur la conversation.  « Vous allez bien ? Ca va votre bras ? » ajoute-t-il en me scrutant d'une manière pas très agréable. Non, bien sûr que non, ça ne va pas. J'ai l'impression d'être une erreur de la nature, un animal bizarre qui a perdu toute mobilité et qui erre sans fin à la recherche d'un espoir de guérison, de rédemption. Qu'elle idée de demander à quelqu'un qui a faillit perdre son bras si ça va. Mais il n'y peut rien. Personne n'y peut rien d'ailleurs. Les choses arrivent quand elle doivent arriver. C'est tout, il n'y a rien à ajouter.

L'amertume de mes pensées refait surface, aussi j'oublie un instant que la question du marin attendait une réponse. "Ça va, ça se rétablis tout doucement, je crois."
Un marin, hein ? Evidemment que c'en est un. Il marche comme l'un d'entre eux, la même odeur d'eau salé et de besogne émane de lui. La même odeur qui émane d'Hansel, lorsqu'il regagne le rivage. Hansel. Depuis combien de temps ? Depuis notre dernière conversation, qui n'avait pas trop mal terminé d'ailleurs, même si je ne saurai dire si elle s'était achevée sur un adieu inavouée ou la promesse d'un lendemain imperceptible.

« Vous faîtes quoi par ici ? » La question du marin me ramène encore une fois parmi les vivants. Je regarde machinalement autour de moi. Beaucoup de gens comme lui, peu de gens comme moi dans cet endroit. Il est en droit de se poser cette question. Même moi je pourrais me la poser. Je n'ai rien à faire ici. "Une livraison. Mon activité ne va pas fort depuis les récents événements qui ont chamboulé le royaume. Je dois bien payer mes employés, alors j'essaye de vendre où je peux, même dans les endroits... surprenants."
Si j'étais seule, je me frapperai volontiers sur la tête en me traitant d'idiote. Non mais vraiment, j'aurai pu trouver mieux comme endroit pour vendre. Je suis tellement stupide. Tout cela parce qu'il faut que je garde mon activité de vendeuse comme couverture, pour que personne ne sache que Potté se cache chez moi. Comme si j'avais réellement besoin de cela.

"Et vous ? Revenu de mer je suppose ? Vous avez l'odeur de l'océan et des cales de navire. Quel bâtiment ?" Honnêtement ? J'ignore d'où cette question est sortie. Mais on parlait juste un peu trop de moi à mon goût. Alors au pire je me fais remballer, au mieux on détourne la conversation.