Lorcan & Rouge

look for the girl with the broken smile

Une semaine. C'était long une semaine. Sept jours. Six jours plus exactement et un jour de congé. Six longs jours de monotonie presque inquiétante. Rien ne changeait, tout se gardait. Les heures d'aujourd'hui ressemblaient à celles d'hier et ressembleront à celles de demain. Rien ne sera jamais palpitant. C'est mieux ainsi pour certains. Pour le petit chaperon rouge, surtout. La dernière fois qu'elle s'était amusée à partir à l'aventure elle avait manqué de se faire dévorer par une sale bête. Disons qu'après une telle anecdote on a de quoi réfléchir sur que l'on veut faire le reste de notre vie ; rester tranquillement dans un lieu où l'on ne risque pas de décéder prématurément, ou aller risque sa vie en quête de sensations fortes. Si cela plaisait à des gens comme Hansel, elle, cela ne lui donnait guère envie. Même si elle trouvait sa vie barbante à souhait, elle préférait s'ennuyer que finir au fond d'un cercueil à cause d'une mésaventure quelconque. Mais six jours ça fait long, tout de même. Enfin sept, car son jour de congé lui sert à aider sa chère mère-grand à faire ses comptes. Chose délicate et compliquée qui donnait presque envie à Rouge de faire des heures de livraison supplémentaires. Bien que le contact avec le client se faisait de plus en plus compliqué entre les petits vieux qui passent une heure à discuter dans le vide avant de payer et les radins qui ne cessent de vouloir marchander ses tarifs. On ne négocie pas avec Rouge. Jamais. On prend la livraison, on remercie, on paye et fin de l'histoire. Il n'était que huit heure du matin, mais elle avait hâte d'être ce soir et d'aller boire une pinte d'hydromel à la taverne du coin. Petit péché qu'elle se permettait et qui ferait hurler sa grand-mère si elle l'apprenait. Une femme qui boit, et puis quoi encore ! Une femme qui sait se battre pendant qu'on y est. C'est sans doute ce que dirait mère-grand... où elle tomberait dans les choux de façon dramatique. L'alcool n'est qu'un vice comme autre, ce n'est pas pire que manger les petits enfants ou piller des gens. Des excuses, toujours des excuses. Il en faut bien pour continuer à se regarder dans la glace sans avoir envie de briser la simple vision de son reflet.
La matinée s'annonçait agréable. Du moins il ne pleuvait pas, il ne faisait pas froid et les habitants de Fort Fort Lointain étaient polis -chose bien rare la politesse- pour une fois. La blonde s'était même surprise à sourire à l'un de ses voisins qu'elle ne pouvait pas supporter habituellement. En faisant les efforts nécessaires cette journée pouvait passer extrêmement vite, ce qui était une véritable bonne nouvelle et une source de motivation des plus efficaces. Rouge n'avait que trois livraisons aujourd'hui. Trois clients importants pour la crèmerie de sa chère mémé. Le Château, Le restaurant de l'Âne trop curieux et un navire marchand qui devait repartir cette semaine. Le petit chaperon rouge soupira de soulagement en sachant qu'elle n'aurait pas à livrer l’Écorchée. La blonde n'était pas d'humeur à affronter Sinbad et ses taquineries pesantes ou encore les sifflements des quelques matelots qui traînent parfois sur le pont. Non, elle n'était pas d'humeur. Enfin, Rouge était rarement d'humeur à livrer l’Écorchée. Sauf lorsque l'envie de voir Hansel était présente, même si elle risquait sans doute de le rencontrer ce matin ou de l’apercevoir, il lui semblait que l’Écorchée n'avait pas encore levé l'ancre. Pour combien de temps d'ailleurs ? Pour combien de temps ce bâtiment à l'ombre peu rassurante allait rester dans les eaux calmes de ce bon vieux port ? Combien de temps avant qu'il ne reparte en quête d'expéditions plus fascinantes les unes que les autres, avide de trouver trésors, action et légende. Une succube drainant la bravoure de ses marins, ce rafiot les mènera au bout du monde. Si ce n'était pas déjà fait, après tout Sinbad restait une légende malgré sa stupidité et sa moustache ridicule. La femme au chaperon pourpre souhaitait de toute son âme qu'Hansel ne se laisse jamais pousser une moustache pareille, qu'il garde sa dignité par pitié ! M'enfin, en tant que fan de ce satané marin, il en serait bien capable. Brave le gamin, mais pas bien malin. Comment pouvait-il avoir l'ambition de devenir un héros aux côtés d'un homme comme Sept-
« 50 schillings pour l'tout, c'ça mam'zelle Rouge ? » Note à elle-même ; arrêter de faire une fixette haineuse sur Sinbad au risque de devenir une folle furieuse. Bien qu'elle ne se trouvait pas si loin de cette image, ahem. « 65. Les taxes ont augmenté, Mère-Grand a dû augmenter ses prix. » Une grimace, un juron, un cracha méprisant, il bougonne et râle. Grogne comme un animal en colère. « Elle nous ruinera tous cette foutue fée et pendant qu'on bosse comme des fous, elle, elle s'empiffre comme une ogresse enceinte ! » Rouge le laisse déblatérer dans sa barbe pendant qu'il fouille dans une bourse crasseuse dans l'espoir de trouver les pièces manquantes pour pouvoir congédier la livreuse ennuyée qu'elle était. Il n'avait pas tort ce marin, marmonnait-elle intérieurement. Si ça continuait comme ça, ils allaient tous faire faillite hormis les quelques favoris de la « reine ». Heureusement mémé tentait de broder de jolies relations avec la cour pour éviter cela et tant qu'elle continuait de cuisiner de délicieuses douceurs pour cette chère marraine, elles n'auront sans doute aucun soucis avec la crise qui finira bien par pointer le bout de son nez crochu. « Voilà pour toi, blondinette et à la r'voyure. » Un clin d’œil et voilà cet homme à la jambe de bois déjà sur son navire, le sac de vivres tout juste livré sur l'épaule. « C'est ça, à bientôt... » Un soupir. Le soupir. Le soupir qu'elle employait pour dire tout un tas de choses différentes, du « c'est barbant » à « chouette enfin tranquille » en passant par le « je suis contente, mais je soupire quand même car j'aime être désagréable. ». Le soupir pouvait tout dire. Et ce soupir là signifiait qu'il fallait qu'elle se dépêche de rentrer à la maison pour prendre la seconde livraison de la journée. Rentrer, prendre, livrer, être payée, donner l'argent à mémé, terminer, aller picoler, prendre un bain brûlant et dormir. Elle enviait secrètement la belle au bois dormant pour sa sieste de cent ans.
Son petit panier d'osier à son bras, elle prit sa plume et sa fiche récapitulative des livraisons pour barrer celle-ci, enfin terminée. Tournant les talons elle allait s'enfuir du port, tant pis pour Hansel, il viendra bien la voir de lui-même un de ces quatre. L’Écorchée ne semblait pas vouloir bouger de sa place habituelle et elle, elle ne semblait pas vouloir s'y aventurer pour y chercher ce gamin qu'était Denougatine. Le nez dans sa paperasse, elle n'avait pas remarqué la montagne qu'elle allait se prendre de plein fouet dans cinq, quatre, trois, deux, un... « Ah ! Vous pourriez faire att- » Les reproches se taisent au fond de sa gorge lorsque son regard vint croiser celui de « la montagne ». Homme pas si grand que ça tout compte fait, mais toujours plus grand qu'elle. Sa crinière lui rappelait quelque chose ; il était l'un des marins qui accompagnait Hansel au pub, la dernière fois. Une allure de lion bien que ses yeux brillants et sa barbiche lui donnaient un air sympathique. Le petit chaperon rouge haussa les sourcils face à ce grand dadais qui lui faisait face, peut-être une requête de livraison de dernière minute ou une connerie du genre. Du genre habituel venant de la part de l'équipage de l’Écorchée. « Oui ? Vous... Que puis-je faire pour vous ? » L'air dubitatif, Rouge espérait que cela se termine vite.
Une semaine c'était drôlement barbant, c'est à se demander pourquoi désirait-elle la vivre aussi rapidement.