Alice. La petite fille perdue dans des rêves trop grands pour elle. Alice, ô douce Alice, pourquoi refuses-tu d'avoir les pieds sur terre ?

« Dis Alice, pourquoi ils te regardent tous comme une démente alors que toi tu les regardes avec les yeux de l'enfance ? Trop de candeur. Trop d'innocence. Grandis gamine, et peut-être que tu mériteras d'être entourée. C'est stupide de s'entêter comme ça. T'es stupide Alice. Et folle en plus de ça. »

C'est pas de sa faute vous savez. Elle a toujours été comme ça, et ce depuis sa plus tendre enfance. Elle a grandit comme une enfant lunaire. Très tôt déjà c'était une petite fille énigmatique de tous peinaient à comprendre. Faut dire qu’interpréter les paroles d'Alice c'est parfois difficile. Et puis le reste du temps, quand ses dires sont à peu près normaux, ce sont son excentricité et sa maladresse qui ont tendance à faire fuir les gens. Lorsqu'elle était enfant Alice n'avait que très peu d'amis. Et aucun d'entre eux n'était humain. La petite ne s'insérait pas dans le monde de ses pairs comme elle aurait du, alors ils la rejetaient impitoyablement. Au départ elle était blessée par ce comportement. Ça venait gâcher sa bonne humeur naturelle. Parfois elle s'enfermait des heures durant dans sa chambre pour pleurer et maudire cette personnalité et cet esprit qu'elle n'avait pas choisi. Elle n'était pas responsable de son comportement !  Puis au fur et à mesure elle a appris à se moquer du quand dira-t-on. Elle pouvait bien sûr compter sur le soutien de sa sœur Lorina qui, même si elle n'arrivait pas toujours à cerner la gamine étrange, la soutenait avec cette affection forte et infaillible qu'ont les sœurs aimantes. Puis Alice a retrouvé progressivement confiance en elle. Évidemment elle ne souffrait pas moins de la discrimination dont elle était victime, et elle continuait de se blottir fébrilement dans ses draps pour pleurer en silence la nuit. Mais malgré tout elle continuait de vivre. Parce qu'il le fallait, parce que ses rêves n'ont jamais cessé de la porter plus loin que l'entendement. La petite fille avait commencé à se faire des amis. Elle s'était liée avec quelques animaux parlants. Elle pouvait compter ses fréquentations sur les doigts d'une main bien sûr, mais sa vie était quand-même égayée par ces étranges énergumènes. Il n'y a que les fous s'entourant de fous qui sont à même de tenir la route, affectivement parlant. Alice adorait passer du temps en compagnie de ses quelques amis. Elle leur préparait le thé, ils faisaient la course dans la forêt tous ensemble, ils discutaient gaiement de la vie du royaume. Et surtout, ils ne tournaient pas le dos à Alice même quand elle se montrait incroyablement incohérente, ce qui lui arrive toujours aussi souvent aujourd'hui. L'enfant étrange avait contre toute attente surmonté les épreuves qui s'étaient amassées pour la jeter à terre. Elle s'était montrée plus forte que la logique du monde.

« T'en as pas marre de ces regards cruels dans ton dos qui viennent te poignarder tous les jours ? Essaye de réfléchir Alice. Pense. Assemble tes idées. Sois logique pour une fois. Et me dis pas que t'y arrives pas, t'as jamais essayé. On dirait que tu aspires à être détestée. »

Alice grandissait -au moins physiquement-. Elle avait finalement retrouvé un certain équilibre au fil du temps -si l'on peut réellement parler d'équilibre la concernant-. La petite fille aux joues rebondies et au sourire poupin laissait peu à peu place à une jeune fille tout à fait ravissante. Sa crinière blonde indomptable et ses yeux pétillants étaient tout ce qui demeurait de son enfance mouvementée. Elle était maintenant une adolescente joueuse, énergique et mutine. Dont la logique était toujours aussi décousue cependant. Mais ses amis ne s'en souciaient guerre et ils ne l'avaient pas abandonnée en cours de route, alors elle n'avait aucune raison valable de s'inquiéter. Elle s'était mise à travailler pour le compte de sa sœur dans une boutique qu'elle trouvait merveilleuse. En effet, Lorina avait ouvert une boutique de tasses de thé en porcelaine dans la capitale. Peindre minutieusement est la seule chose manuelle pour laquelle Alice est visiblement douée. Elle n'a jamais cassé aucune des tasses qu'elle a manipulé, ce qui est plutôt étonnant quand on connaît sa maladresse presque légendaire. Elle a cassé des  tas de truc en vingt ans, du plus beau des vases au plus joli des bracelets. Mais là tout semblait lui réussir. Au final elle était épanouie. Les journées s'écoulaient pendant lesquelles elle était professionnelle, travailleuse et souriante. Et puis elle était amenée à voir bien plus de monde, de par son statut de vendeuse. Bien entendu beaucoup de clients restaient sur leur garde, connaissant bien la réputation d’énergumène hors du commun de la demoiselle, mais elle avait appris à ne plus faire cas des avis des gens. Elle n'avait pas à changer son être profond, à se plier en quatre pour rentrer dans le moule trop étroit qui façonne les jeunes filles admirables de la société ordinaire. Elle ne voulait pas de ça, il en était hors de question. Elle voulait pouvoir continuer à courir partout et à trébucher, quit-à rentrer le soir la robe couverte de boue. Elle avait besoin de se retrouver au milieu de la nature, de cueillir des fleurs, de cuisiner des choses bizarres, de faire des blagues totalement dépourvues de sens. C'était la liberté. Sa définition de la liberté. Et elle y tenait plus que tout. Alice est de ces gens qui préféreraient arrêter de respirer plutôt que de perdre tout ce qui fait qu'ils sont libres. La liberté prime sur le travail, les amis, et même la famille. Sur tout. Ce qui montre une fois de plus que la jeune fille est loin d'être ordinaire, qu'elle n'a pas les mêmes préoccupations que le commun des mortels. Mais c'est pour ça qu'on t'aime, ô douce Alice.

« T'as encore la robe toute boueuse Alice. Ou est-ce que t'as été traîné ? N'y aura-t-il donc jamais un équilibre dans ta vie ? Tu vas jouer à tout foutre en l'air encore longtemps ? Ça m'étonne pas tant que ça. Tu comprends rien à  rien. Tu comprendras jamais, petite idiote. »

Aujourd'hui Alice a vingt ans, mais ça ne s'accompagne pas vraiment de nouvelles priorités. Elle est l'adulte au cœur d'enfant qui a tendance à agacer les grands comme les petits. Non pas parce qu'elle est bloquée entre deux âges, mais plutôt parce qu'elle revendique purement et simplement son envie de ne pas grandir. Très peu de gens parviennent à la comprendre et à la fréquenter comme si de rien n'était. Faut dire qu'elle  est loufoque la petite Alice. Mais c'est ce qui la rend charmante, en théorie. Tenez, il n'y a pas si longtemps elle s'est perdue dans une forêt des plus étranges. Enfin, les personnes qu'elle y a rencontré étaient très bizarres. Elle se baladait joyeusement à la recherche de nouvelles aventures à vivre un jour qu'elle ne travaillait pas. Mais la forêt était dense, et la belle Alice tête-en-l'air s'arrêtait souvent pour contempler ce qui l'entourait. Une pensée qui dérivait et hop, elle revenait sur ses pas pour cueillir une fleur avec les yeux brillants. C'est ainsi qu'elle rencontra le chat et le chapelier. Qui, vu leur degré de  bizarrerie, se fondaient on ne peut mieux dans son univers. Le chat par ses babillements incompréhensibles avait contribué à ce qu'elle se perde un peu plus. Elle avait tourné en rond pendant une heure de plus, en essayant de comprendre la logique de cet animal et sans y parvenir. Elle l'avait maudit sur le coup, mais au final il avait quelque-chose de fascinant qui amusait la jeune femme. Quoiqu'il en soit elle avait continué son chemin chaotique bien plus longtemps que prévu. Pleine de boue et tremblante de fatigue, elle était arrivée on ne sait comment jusqu'à la demeure du chapelier. Comme un heureuse hasard ! Bien que ce soit sûrement du à l'intervention du matou, il lui avait parlé d'un chapelier. Le dit chapelier avait passé tout un moment en compagnie de la jeune femme à discuter. Ou plutôt à lui parler en énigmes, débitant bizarrerie sur bizarrerie. Elle riait beaucoup. Il lui avait servi un thé en lui souhaitant un joyeux non anniversaire. Elle n'avait pas vraiment compris, mais encore une fois elle les avait trouvé suffisamment hors du commun pour être dignes d'intégrer son monde. Elle avait quitté le chapelier assez tard et il ne lui avait donné que peu d'indications sur le chemin à prendre pour retourner chez elle, mais cette journée fut on ne peut plus mémorable. Plus-tard elle se rendit compte qu'elle avait égaré quelque-chose dans les bois ce jour là. Son collier porte bonheur, un pendentif en forme de montre à gousset qu'elle n'avait jamais quitté depuis l'enfance. Aujourd'hui elle ne l'a  toujours pas récupéré, et elle doute vraiment de le revoir un jour. Cependant elle a l'intuition  que les rencontres faites  ce jour là dans la forêt sont de celles qui  changent une vie, et elle aimerait revoir très vite ses nouveaux amis. Elle considère vite les gens comme ses amis la gosse, et les gens vraiment louches en plus, c'est vous dire à quel point elle est détraquée.

« Un chat qui disparaît à loisir et un chapelier détraqué. Mais bien sûr Alice ! Tu sais pourtant que c'est pas joli de mentir. Y a que dans ta tête que tu as des amis. Et même là tu trouves encore le moyen de faire en sorte qu'ils soient bizarres. Gamine paumée, arrête de t'inventer une vie. »

Cependant la jeune femme n'a pas vraiment le temps s'ennuyer ces derniers temps. La boutique lui donne beaucoup de travail (enfin surtout sa sœur qu'elle commence à trouver un peu envahissante) et le gouvernement du pays a changé. Et quel changement radical ! Alice sait de source sûre que Marraine la Bonne fée en terrorise certains et que d'autres voudraient l'expulser du trône en quatrième vitesse. Autant dire que la vie du royaume a été mouvementée ces derniers mois. Et encore plus depuis que tout le monde est humain grâce aux effets du Charnel n*5. La gamine en rit beaucoup. Elle ne trouve pas la situation alarmante et puis ça ne la touche pas directement alors elle s'adapte  facilement. En revanche elle trouve comique de voir ses amis sous forme humaine. Certains s'en offusquent, d'autres apprécient, mais Alice rit quoiqu'il arrive. Que peut-on attendre de plus d'une adulte coincée dans l'enfance et qui aime les blagues ? Quoiqu'il en soit elle ne se rend pas compte des potentiels enjeux terribles qu'il y a derrière tout ça et qui pourraient bien à l'avenir mettre en péril le calme du royaume de Fort Fort Lointain. Mais Alice boit du thé, fait parler ses poupées et saute dans les flaques de boue. Elle est de  ces gens qu'on ne change pas.