“The words spelled out a delicious and wonderful phrase: Once upon a time.” Le moindre commerce situé sur Romeo Drive possède une spécialité, quelque chose qui le rend spécial aux yeux de ces habitués, sinon, comment survivre à la dure loi du marché ? Celle du restaurant appelé "la louche dorée" était la soupe. Le bâtiment ne payait pas de mine, tenue par un couple aimant et leur fille unique (qui aida au service dès qu'elle eut l'âge de porter un plateau), du lettrage doré qui affichait clairement le nom de l'établissement, il ne restait plus que trois lettres encore lisibles
'Dor'. Cela parce que les propriétaires préféraient dépenser les shillings durement gagné dans l'achat des meilleurs légumes plutôt que d'engager un peintre afin de redonner un petit coup de neuf à leur devanture. Un sens des priorités que la clientèle appréciait. Ainsi, pour beaucoup de monde, le restaurant s’appelait
Dor, voir, carrément
'le royaume de Dor' pour le peuple de souris et de rats qui y vivaient en cachette.
Une fois par an, les deux cuisiniers de Dor usaient de leurs talents pour ajouter une nouvelle recette de soupe à la carte du menu. Ces deux messieurs avaient des visions très différentes de ce que devait être une soupe, aussi, l'exploit de créer une recette commune aboutissait toujours à un résultat fantastique après une violente joute verbale. Le jour de la soupe était la fête qu'on préparait méticuleusement durant le reste de l'année, le restaurant ouvrait exceptionnellement plus tôt en ce premier dimanche de printemps afin que cette nouvelle création soit servie à midi pile. À l'approche des fameux douze coups, les ingrédients étaient révélés quand ce n'était pas la dispute des deux cuistots audible jusqu'à l'extérieur du modeste bâtiment qui ne servait pas de spectacle en guise de première partie.
Nombreux étaient les fins gourmets qui faisaient le déplacement ce jour-là et nombreux furent ceux qui assistèrent à l'accident qui allait faire basculer la prospérité de la Louche Dorée.
L'ennui quand un tel événement a un aussi grand nombre de témoins, c'est qu'il est ensuite impossible de savoir la vérité. Tout le monde voulait rajouter sa participation à l'histoire. Même sur la recette de la soupe servie en ce jour spécial, les récits divergent.
Il y avait des champignons. Non, elle était orange, c'était une soupe à la carotte. Mais non... Et ainsi de suite.
Concernant l'accident, deux choses étaient certaines : Rat et Soupe y avaient joué un rôle prépondérant.
La gérante du restaurant était intraitable sur un point, elle devait goûter la nouvelle soupe avant qu'on ne songe à la servir aux clients. Elle était si pointilleuse et amatrice de soupe que, le reste de l'année, il était très difficile de l'empêcher de goûter chaque bol qui devait être servi. Les mauvaises langues disaient que ce n'était qu'un prétexte pour justifier sa gourmandise. Ce jour-là, un rat tomba dans sa soupe alors qu'elle en avait pris une cuillerée.
"Un rat ! Dans ma soupe ! Et j'y ai goutté !"Voilà le cri perçant que les gourmets entendirent depuis la cuisine suivit d'un choc lorsque la gérante tomba dans les pommes accompagné d'un bruit de vaisselle cassée.
Le mari hurla d'attraper le rat fautif. Tous se lancèrent dans cette poursuite avec fracas. Ce n'est que lorsque le
'coupable supposé' arriva à traverser le restaurant pour s'enfuir qu'on s'inquiéta de l'état de la gérante. C'est là que la triste nouvelle tomba. Morte ? Comment était-ce possible ? A ce moment du récit, les avis divergent. Morte de peur, morte de dégoût en pensant au rat pataugeant dans la soupe qu'elle venait d'ingérer. La famille fut sous le choc devant une perte aussi soudaine qu’insensée.
Étant donné les circonstances, les clients se montrèrent indulgents et compréhensifs devant la fermeture du restaurant et l'annulation du jour de la soupe. Par contre, ils ne comprirent jamais la décision du propriétaire endeuillé de ne plus jamais faire de soupe lors de la réouverture. Comme on y aurait pu s'y attendre, la clientèle déserta petit à petit le restaurant privé de sa spécialité. Une désastreuse décision qui allait mener son commerce à la ruine. Un choix poussé par le chagrin et non par la raison.
Maintenant que le décor est planté, passons à notre personnage principal.
“There ain't a body, be it mouse or man,
that ain't made better by a little soup.” Dès la naissance de leur petit dernier, la famille Tilling pressentait que quelque chose n'irait pas avec lui. À sa naissance, le petit Despereaux ne tremblait pas, ces yeux restaient ouverts sur le monde qui l'entourait et ces grandes oreilles semblaient toutes aussi attentives, bougeant légèrement au moindre son. Ce n'était pas l'attitude que devait avoir une souris.
Cela arrive parfois, il apprendra à trembler. Déclara le médecin-souris et la famille inquiète s'accrocha à ces paroles.
Les parents avaient raison d'être inquiets. Une souris devait avoir peur. Ils étaient si petits face au vaste et terrifiant monde. Un monde qui se limitait à Dor et cela était bien suffisamment effrayant comme çà ! Surtout que, depuis la mort de la propriétaire, le mari portant éternellement le deuil de son aimée avait mené une chasse implacable envers tout ce qui pouvait ressembler à un rat. Avoir peur était le meilleur moyen de survivre.
Pourtant, Despereaux s'approchait au lieu de fuir, Despereaux ne tremblait pas au moindre bruit, Despereaux trouvait mignonne les images de chat que les grands montrent aux petits, bref, Despereaux n'agissait pas comme une souris.
Cela lui passera, personne ne naît peureux, on le devient. Se répétaient ces parents à chaque geste audacieux de leur plus jeune fils, mais cette conviction s'effritait à mesure que le temps passait et que rien ne changeait.
Despereaux, naïf petit souriceau, estimait n'avoir aucune raison d'avoir peur. Attentif à tout ce qui l''entourait, il n'était pas aussi aveugle que ces semblables sur la situation de la bâtisse qui les hébergeait. La nourriture se raréfiait dans la cuisine au même titre que la clientèle. Au point que les morceaux de fromage qu'il arrivait à ramener dans l'assiette de sa famille provenaient de piège à souris qui mettait à l'épreuve son agilité chaque jour. De son point de vue, c'était le moment d'être courageux et non terrorisé. Hélas, quand il en faisait la remarque, les souris de son âge ou son père répondaient toujours la même chose :
on ne peut pas agir ainsi. "Pourquoi ?" Demandait-il toujours. La réponse, également, était toujours la même :
parce que le règlement l'interdit.Lester Tilling nourrissait bien des craintes envers son fils et toutes étaient en rapport avec ce mystérieux règlement. Même la sanction ultime, le bannissement, ne semblait pas effrayer Despereaux qui se contentait de regarder en direction d'une fenêtre en disant
"je me demande ce qu'il y a là-bas".
À l'opposé du comportement courageux du second fils, l'aîné nommé Furlough était une souris suffisamment craintif pour deux.
"Tu n'as qu'à faire comme lui." Ordonna le chef de famille. Et c'est ainsi que Despereaux fut contraint de suivre son grand frère partout pour suivre son exemple.
Cette coopération forcée était un fardeau pour les deux partis concernés. L'aîné fut obligé de montrer son coin secret au cadet. Elle se trouvait à l'étage, là où le gérant et sa fille vivaient lorsque le restaurant était fermé. C'était une pièce magnifique, rempli d'objets. Furlough devait sans cesse tirer son frère par l'oreille pour le ramener à la réalité. Cette fois-ci, il essaya d'attirer l'attention de la petite souris sur un livre. Un trésor que l'aîné grignotait à la place de chercher de la nourriture en cuisine. C'était bien moins dangereux comme méthode, estimait-il. La pièce était déserte la plupart du temps. Avant que Despereaux ne puisse souligner le fait que le papier ne semblait pas spécialement appétissant ni aussi nourrissant que, disons, n'importe quelles miettes provenant de la cuisine, son frère lui fourra un morceau entre les mains.
Grignote et ne lis pas. C'est le règlement. Encore ce règlement ! Furlough semblait presser d'aller voir ailleurs puisqu'il partit de son côté après avoir donné mille recommandations à son cadet et la consigne de l'attendre.
Le cadet de la famille Tilling reniflait et chipotait à son morceau de papier sans conviction. Il n'était pas convaincu par les arguments de son grand frère, n'avait aucune envie d'y goûter, encore moins de grignoter tout le livre. Que pouvait-il faire pour passer le temps ? Despereaux alla jusqu'à la première page du livre (une manœuvre qui lui coûta bien des efforts) et s'acharna à en déchiffrer les premiers mots. "
Il... Était... Un pois... Non... Une... Fois. Il était une fois." Répéta-t-il à voix haute d'une voix hésitante, les petits yeux plissés sur l'immense lettrage.
Comme s'il venait de réciter une formule magique, un bruit de pas retentit et le grincement annonçant l'ouverture imminente de la pièce ne tarda pas à suivre. La petite souris se cacha juste assez pour ne pas être vue. Il vit le gérant, toujours rongé par un chagrin sans fin, se traîner jusqu'à un siège placé devant un miroir en poussant un renfort de soupir inconsolable. Despereaux s'attarda sur l'objet qui ne semblait pas être à sa place tant il était joliment décoré. Avant qu'il ne puisse pousser sa curiosité plus loin, la surface de verre cessa de refléter la mine triste de son propriétaire pour diffuser des images animées. Le regard ébahi de la souris parlante découvrit des émissions, mais surtout des histoires. Pleins d'histoires. Avec Flic-Story, il découvrit des mots comme bravoure, honneur et droiture. Avec amour, gloire et loyauté, il suivit l'histoire de princesse ayant beaucoup de difficulté pour trouver leur prince charmant.
Despereaux resta hypnotisé par ce qu'il avait vu, même alors que les images avaient disparu et que l'humain soit parti traîner sa tristesse ailleurs. Il sursauta en entendant la voix de son frère derrière lui, un rappel brutal à la réalité alors que la souris rêvait d'un monde où régnait courage, noblesse et honneur.
"Papa va être content." Déclara son frère en voyant la mine coupable de son cadet. Au moins, cette réaction lui permit d'éviter de parler de ce qu'il avait fait à la place du grignotage de papier.
Aujourd'hui, Despereaux a sursauté. Voilà la nouvelle qui tomba au cours du dîner, comme si un élève studieux venait de ramener un 10/10 de l'école. Papa et maman Tilling manifestèrent leurs soulagements et quelques félicitations.
"Il en a l'appétit coupé, brave petit." Commenta le père. Un estomac noué était un signe prometteur de peur. Le pauvre monsieur Tilling ignorait que si son fils traînait à vider son assiette, c'est parce qu'il était trop occupé à se rappeler des séries vues à travers le miroir magique.
Despereaux avait trouvé sa vocation : il deviendrait un chevalier ! A présent, il suivait son frère avec beaucoup plus d'enthousiasme jusqu'à son endroit secret et attendait avec encore plus d'impatience le moment où l'aîné l'abandonnait pour vaquer à ces occupations, signe que l'humain allait bientôt arriver pour regarder les aventures à travers le miroir. La petite souris s'était trouvé une aiguille et s'entraînait à l'escrime avec. Plus le temps passait et plus il devenait impatient de savoir la suite. Un jour, il osa se rendre de nouveau à l'étage, mais tout seul dans l'espoir que le miroir soit encore allumé.
Le plus difficile fut de mentir à sa famille, prétextant vouloir finir de manger la page du livre. Il n'était pas très bon menteur, en plus, il estimait les chevaliers ne devaient pas user de ce genre de subterfuge. Pourtant, que se soit ces parents ou son frère, ils gobèrent cette excuse.
Le remords d'avoir menti le poursuivit tout le long du chemin et ne fut chassé que par la surprise de voir, non pas le miroir allumé avec l'humain affalé devant, mais une douce demoiselle en train de pleurer.
“ Say the word 'quest'. It is an extraordinary word, isn't it?
So small and yet so full of wonder, so full of hope.” Aux yeux de Despereaux, PetitPois était si belle qu'il ne pouvait s'agir que d'une princesse. Il estimait être devenu une sorte d'expert sur le sujet, après tout, il en avait vu des dizaines via le miroir magique qui se languissaient pour des raisons multiples.
Un chevalier ne pouvait laisser une princesse pleurer. C'est ainsi que le souriceau oublia toute prudence et s'approcha pour questionner la demoiselle sur l'origine de son chagrin. Tout d'abord, PetitPois sursauta en voyant la bête parlante qu'elle prit pour un rat. Puis la surprise fit place à l'amusement lorsque son étrange interlocuteur se présenta comme un
'gentilhomme' et non une souris.
De fil en aiguille, PetitPois expliqua la cause de ces larmes, mais, pour ne pas briser la vision si spéciale du souriceau qui semblait la prendre pour une princesse, elle utilisa le mot
château et
peuple à la place de
'restaurant' et
'clientèle'.
"Cela finira bien. Il ne peut en être autrement." Assura Despereaux.
"C'est toujours ainsi que se finissent les belles histoires.""Les histoires ? Promets-moi que celle-ci aussi finira par un 'ils vécurent heureux pour toujours'." Répondit PetitPois. Au ton de sa voix, il était évident qu'elle n'y croyait pas. Ce qui poussa le souriceau à déclarer solennellement :
"Je le promets. J'en ferais ma quête."Sa Quête. Un bien grand mot pour une si petite souris. Au moins, cela lui permit d'entendre le merveilleux rire de celle qu'il prenait pour une princesse. Pour remercier son chevalier miniature de l'avoir réconforter, PetitPois se baissa pour déposer un doux baiser sur le bout de son museau. Despereaux arriva à faire une révérence qu'il espérait correcte et quitta la pièce sur des pattes chancelantes, mais avec un doux sentiment lui réchauffant le cœur.
Il était heureux comme jamais et motivé à accomplir sa quête. Dans sa joie, il ne put s'empêcher d'en parler à son grand frère. Bien sûr, ce dernier ne voyait pas l'aveu de son cadet comme quelque chose de positif. Despereaux parlait du parfum de l'humaine et de sa beauté, Furlough lui répondait en évoquant le bannissement et les rats qui dévoreraient le souriceau pour avoir encore enfreints le règlement. Malgré les détails horribles qu'inventait son aîné, Despereaux n'éprouva aucun regret.
Les rats pourraient bien l'écorcher vif, du moment qu'il arrivait à réussir la quête que sa princesse lui avait fixée, cela en vaudra la peine ! Il avait prononcé ces mots d'une voix forte et assurer au point que ces paroles courageuses tombèrent dans l'oreille de leur père.
Lester Tilling se trouvait dans une situation délicate. Il aimait son plus jeune fils, mais il ne pouvait ignorer cet ultime acte de
*il en frissonnait rien que de penser à ce mot* courage. Il devait dénoncer Despereaux au conseil des souris, sinon quelqu'un le ferait et si le conseil apprenait que le père avait connaissance des agissements de son fils et ne leur avait rien dit... Il était tiraillé entre la peur concernant l'avenir de sa progéniture ou le sort qui menaçait de s'abattre sur sa propre tête. Il ne savait pas devant quelle peur céder.
Ignorant tout des troubles rongeant l'esprit de sa famille, Despereaux se rendit le lendemain à son lieu secret. Allait-il tomber sur l'homme se morfondant devant le miroir magique ou reverrait-il sa jolie princesse ? Les deux éventualités lui plaisaient. En chemin, le chevalier en herbe commençait à réfléchir à un plan pour sa quête. Il fut totalement pris au dépourvu en trouvant le conseil des souris près du livre qu'il prétendait grignoter chaque jour. Un mensonge qui ne tiendra pas longtemps en voyant l'unique page à peine entamer. D'ailleurs, cette fois, Despereaux n'essaya pas de mentir. Il ne voulait plus jamais ressentir cette horrible sensation qui lui nouait l'estomac.
On récita ces crimes. Il n'y avait que chez les souris qu'une phrase comme
'a eut à plusieurs reprises des comportements hardis, et même audacieux' pouvait passer comme une mauvaise chose. Le verdict était évident : le bannissement. L'accusé n'en voulut pas à sa famille qui ne prononça aucune parole pour le défendre. Après tout, c'était ainsi que devait se comporter les souris.
"C'était une très belle histoire." Déclara-t-il alors qu'on lui demanda s'il avait une dernière déclaration à formuler avant l'application de la sentence.
Vu depuis une taille humaine, la sentence d'être conduit hors de restaurant ne semblait pas horrible. Du point de vue d'une souris, ce bannissement était aussi terrible et mortel que d'être envoyé dans un repère de monstre. Despereaux ne pouvait s'empêcher d'être triste alors qu'on le conduisait à la limite de Dor, non pas à cause du sort incertain qui l'attendait, mais parce qu'il lui semblait à présent difficile d'accomplir sa quête. Pourtant, au fond de lui, il continuait de croire qu'un
heureux pour toujours se cachait quelque part.
“ an interesting fate awaits almost everyone,
mouse or man, who does not conform.” Hors du restaurant, Despereaux découvrit un monde beaucoup plus animé. Plus de plafonds au-dessus de sa tête, mais un ciel bleu qui semblait si haut... Qu'il faillit se blesser à la nuque à force de lever la tête. Émerveillé par tout ce qui l'entourait, il faillit se faire écraser par un taxi-calèche. Esquivant les obstacles les un après les autres, la petite souris parlante n'eut pas le temps de réfléchir à une destination. Tout comme il ne remarqua que trop tard qu'il avait petit à petit quitter les rues colorées de Romeo Drive pour se retrouver dans celles beaucoup moins accueillantes de Ragtown.
La souris fut complètement désorienté en constatant ce changement de décor et il sentait son courage mit à rude épreuve. Que devait-il faire à présent ? Despereaux se creusa la cervelle. Dans les histoires qu'il avait vues, que se passait-il lorsque le héros se retrouvait dans un territoire hostile où tout espoir semblait perdu ? Dans les histoires, dans les histoires... La souris allait vite découvrir que la réalité n'était pas aussi simple.
À peine avait-il fait quelques pas dans une ruelle peu engageante qu'une énorme main le saisit par la queue pour le soulever.
"Tu n'es pas très gras, le souriceau, mais tu feras l'affaire pour le dîner." Répliqua l'humain. Despereaux n'eut aucune doute sur le fait que l'inconnu voulait réellement le manger, il suffisait de voir son apparence tout aussi douteuse que la ruelle dans laquelle ils se trouvaient pour en avoir la confirmation.
Un chevalier n'implore pas. Pensa la souris avec toute la détermination qu'il lui restait.
"Je ne suis pas un souriceau mais un gentilhomme." Déclara-t-il. Peut-être que les paroles qu'il avait prononcé à sa princesse lors de leur première rencontre lui porteront chance.
L'inconnu rigola.
"Voyez-vous çà." Il daigna le remettre la tête à l'endroit en coinçant la souris parlante dans ces énormes paluches crasseuses. C'est dans ces moments-là que Despereaux regrettait d'avoir un odorat aussi développé ! La souris répondit à toutes les questions de l'humain. En se faisant, il essaya d'ignorer le fait que ces répliques avaient des spectateurs : des rats se montraient de plus en plus nombreux et semblaient attendre le moindre signe pour piquer la trouvaille (c'est-à-dire lui) de l'humain. Despereaux essaya d'oublier les descriptions horribles que lui répétaient son grand frère pour continuer de parler de l'émission Flic-Story et des valeurs des chevaliers qu'il y avait entendue.
Pendant ce temps-là, au château de Fort Fort Lointain, une certaine Marraine était couronnée reine. Loin de ces préoccupations politiques, Despereaux essaya de ne pas se faire manger. Sa première erreur fut de parler de Dor. L'illustre inconnu qui le tenait captif était un ancien client de La Louche Dorée, mais çà, la souris ne l'apprit que lorsqu'il parla de la
princesse PetitPois. La canaille eut un sourire sarcastique devant ce titre. Une réaction que la souris ne comprit que plus tard, lorsque lui-même apprendra la vérité.
"En attendant, c'est à cause de ta princesse que je n'ai plus ma soupe." Sa deuxième erreur arriva, Despereaux défendit vaillamment PetitPois. C'était impossible qu'elle soit responsable.
Première leçon d'un captif : ne jamais contrarié celui qui peut vous écrasez en resserrant sa poigne. En effet, son interlocuteur n'apprécia guère qu'on aille à l'encontre de son opinion.
"J'en ai assez de tes histoires, va donc les raconter aux rats !"Despereaux n'eut pas le temps de reprendre son souffle que son tortionnaire le lança en direction des nuisibles. Il ne toucha pas le sol, des mains griffues se saisirent de lui en plein vol.
Un chevalier ne ferme jamais les yeux face au danger, pourtant, la souris manqua à ce principe et alla jusqu'à tenter de se boucher les oreilles pour ne pas entendre les rires triomphant des rats emmenant leur proie dieu seul savait où.
La souris ouvrit les yeux dans un tonneau vide. Quoi que le qualificatif de
vide ne fût pas juste. En levant la tête, la souris put voir des rats s'attroupant et se penchant pour ne pas rater la moindre miette du spectacle. Car un autre élément de sa situation ne tarda pas à attirer son attention. Un chat occupait quasiment tout l'espace restant du tonneau et le regardait avec insistante.
Tout d'un coup, Despereaux trouva ces félins beaucoup moins mignons. Il tenta de raisonner la bête, mais le chat n'était pas une bête parlante comme lui. Les rats qui l'avaient jeté dans ce jeu sordide en étaient, mais la souris chassa vite de son esprit l'idée de les raisonner.
Comment combattre sans arme ? Non, il était hors de question de chercher une issue. La souris était bien décider à se comporter en chevalier. Il fit un mouvement prudent sur le côté et... fut envoyer contre le bord du tonneau avec force d'un coup de patte. Le chat attendit patiemment que sa proie se relève pour lui donner un second coup, cette fois, les griffes sorties.
Despereaux tenta de nouveau de se relever quand soudain, il entendit le bruit d'une porte qu'on fracasse, le son métallique et répétitif de pas provenant de personnes portant une armure et des ordres lancés. La souris avait l'impression de se retrouver au beau milieu d'un épisode de Flic-Story. Était-il en train de rêver ? Les hommes en armure se saisirent des rats puis un des nouveaux arrivants se pencha dans le tonneau pour l'attraper à son tour.
“And hope is like love... a ridiculous, wonderful, powerful thing.” De nouveau, Despereaux ne put rien faire d'autres que de se laisser porter par le courrant d'événement. On lui donna un Charnel n°5 et des vêtements. À peine avait-il eu le temps de s'étonner de sa nouvelle apparence qu'il fut coincé dans la chaîne administrative. On lui tendit plein de formulaires à remplir tout en lui fourrant un nombre impressionnant d'informations.
"Qui ?" Demanda-t-il avec une mine perdue l'ancienne souris lorsque le bureaucrate qui lui faisait face lui parla de Marraine la Fée. Ce n'est qu'à ce moment-là que son interlocuteur accepta de ralentir le rythme, non sans y ajouter un renfort de soupir exaspéré entre chaque phrase.
Despereaux fit son possible pour tout retenir, bien qu'un grand nombre de ces nouvelles informations lui échappaient complètement. Il ressentit un sentiment nouveau : l'inquiétude. Il était pressé de sortir pour retourner à Dor. Est-ce que son bannissement par le conseil des souris s'appliquaient toujours étant donné sa nouvelle apparence ? Il estima bien vite que non. De toute façon, dans son état, ce n'était pas un jugement dicté par des petites souris qui allait l'empêcher de rejoindre sa famille !
Il mit un certain temps à trouver. Rien d'étonnant puisqu'il cherchait un bâtiment aussi grand qu'un château. Finalement, après être passé plusieurs fois devant, Despereaux tomba sur l'enseigne dont seulement trois lettres avaient conservé leurs dorures d'origine. La vérité le frappa. Une vérité si évidente qu'il se sentit idiot de n'avoir rien compris avant ce jour. Il sentit le rouge lui monté aux joues alors qu'il se demandait ce que PetitPois devait bien penser de lui lorsqu'il l'avait appelé princesse.
Cependant, l’inquiétude finit par devenir plus forte que la honte et il se décida à franchir la porte. À l'intérieur régnait une confusion encore plus grande que dans les rues de Fort Fort Lointain. Le restaurant était rempli. Le propriétaire des lieux avait troqué son air morose et son chagrin contre la mine perdue qu'avait affiché Despereaux lui-même lorsqu'on lui avait imposé le Charnel n°5. PetitPois ne semblait pas s'en sortir mieux que son père.
Avec tout cela, il en oublia dans un premier temps que personne ne pouvait le reconnaître sous cette nouvelle apparence. Ce n'est que lorsqu'il se présenta qu'il reçut des réponses. Bien que l'ancienne souris put comprendre de lui-même ce qui se passait ici lorsqu'un couple d'un certain âge se jeta dans ses bras en criant son nom. La fameuse clientèle était toutes les souris habitant Dor. Ceux-ci, déjà naturellement prompte à céder à la panique, se retrouvaient encore plus perdu, car le conseil avait refusé de porter le Charnel n°5 et avait été conduit aussi sec par la garde royale vers un endroit inconnu.
Étant donné la situation, Despereaux ravala ces inquiétudes. On ferma la Louche Dorée pour la journée (ce qui ne fit pas une grande différence au niveau du chiffre d'affaires) et l'ancienne souris parla longuement avec le propriétaire afin de lui expliquer la situation depuis le point de vue des siens. L'heure n'était plus au chagrin. Puisque les souris avaient longtemps crus habiter le royaume de Dor, elles étaient,
en quelque sorte, les sujets. De ce fait, le propriétaire en était (toujours '
en quelque sorte') responsable.
Le principal concerné accepta ce fait, l'appui de sa fille y était certainement pour quelque chose. À la fin des négociations, ils avaient réussi à trouver une place à tous et un travail au restaurant. Despereaux réussit l'impossible en accomplissant sa quête, persuadant le propriétaire qu'en ces temps troubles, les habitants de Fort Fort Lointain avaient grand besoin de réconfort. Et qu'il n'y avait rien de plus réconfortant qu'une bonne soupe provenant de La Louche Dorée ! Des hourras fusèrent lorsque les décisions furent répétées aux autres souris. Despereaux avait du mal à se joindre aux exclamations de joie, alors qu'il avait reçu un sourire radieux de PetitPois parce qu'il avait tenu sa promesse. Il était content, mais... En ayant pris conscience du monde qui l'entourait, rétablir la soupe sur la carte des spécialités sonnait beaucoup moins héroïque.
"Ce n'est pas ainsi qu'une souris doit agir." "Papa, on est plus des souris !""Bien sûr que si ! Je vais te le montrer." Et Lester Tilling fit un geste en direction du bracelet contenant le Charnel n°5. Despereaux agrippait alors avec force le poignet de son père.
Cette discussion, voilà un an qu'elle se répétait. Au fur et à mesure, les autres souris s'étaient envolées, emportées par la garde parce qu'elles avaient commis une faute. Il ne restait plus que sa famille. Despereaux avait peur, peur que ces proches soient les prochains. Surtout lorsque son père continuait de lui répéter les mêmes arguments. Ces parents ne sortaient plus, son grand frère restait caché sous le matelas. C'était lui, le plus jeune, qui devait travailler sans relâcher pour aider au restaurant, acheté la nourriture et surtout veillé que sa famille ne commette pas de bêtise. Parfois, le cadet avait l'impression d'être devenu le père de trois bébés n'en faisant qu'à leurs têtes.
Un an déjà, le temps passait si vite. Despereaux ne savait plus où donner de la tête. Des rebelles. Marraine qui disparaît. Charmant au pouvoir. Tracassin. Une bombe. La fée qui revient en sauveuse. Fort Fort Lointain devenait fou ! C'était toujours dans ces moments de trouble qu'un héros faisait son apparition. Sauf que les héros en question étaient accusés par la fée souveraine de pratique peu héroïque.
Qui pourrait rapporter l'espoir ? Lui ? Certainement pas. Il y avait le restaurant et sa famille, il ne pouvait pas prendre le risque que les autres subissent le contre-coup de ces actions. Et puis, il n'était qu'une souris. Que pouvait-il faire pour arranger les choses ? Alors il continue de subir tout en étant rongé par la certitude qu'il ne pouvait pas rester ainsi sans rien faire. Adieu le Despereaux courageux, celui qui affrontait sans crainte les dangers sans se soucier des risques. Ce Despereaux-là était étouffé au fond de son cœur, réduit à une petite voix dans sa tête qui disait sans cesse
"et si".
Finalement, il était horriblement simple de devenir quelqu'un de peureux : il suffisait d'avoir des personnes qu'on aime plus que tout.