« Ô, Notre-Dame Toute Puissante, donne-moi la force d'affronter cette nouvelle journée... La force de résister aux tentations, aux péchés, et au mal... Toi qui es Tout, aide-moi, je t'en fais la prière. »

Claude Frollo embrassa la chevalière qu'il portait au majeur et la posa sur son cœur pour clore sa prière. Il resta encore quelques instants à genoux auprès du lit de sa modeste chambre et se redressa. Cela ne valait pas le grand temple qu'il habitait jadis, entièrement dédié à Notre-Dame, la Toute Puissante, la Créatrice, mais il devait se contenter de ce qu'il possédait désormais. Autrement dit, une simple bague, où était schématisé le visage de Notre-Dame, et sa foi inébranlable. Ou presque inébranlable.
A son arrivée à Fort Fort Lointain (à peine quelques jours plus tard, pour vous mettre les points sur les i), il avait rencontré une demoiselle tout à fait charmante qui animait les rues d'une danse sans doute un peu trop sensuelle. Malheureusement, l'image de cette femme était resté gravée dans son esprit et il n'avait plus pu s'en défaire. Passant devant elle presque chaque jour, il prenait soin, depuis lors, de ne plus lui porter aucune attention. Mais pour ce faire, il avait besoin de la force que Notre-Dame voudrait bien lui accorder.

Il ferma un instant les yeux, au milieu de sa chambre, inspirant profondément, redressant les épaules, avant de sortir et de descendre jusque dans la salle à manger. La maison qu'il habitait en compagnie de son fils adoptif, Quasimodo, lui avait généreusement était prêtée en gage de ses nouvelles fonctions auprès de Marraine la Bonne Fée. Bien qu'elle ne soit aujourd'hui plus sur le trône, ce privilège lui avait été laissé. Cela arrangeait bien l'alchimiste qui ne gagnait presque rien pour son travail réalisé que l'on considérait comme un service. Mais Frollo savait vivre avec ce qu'on lui donnait, c'était l'un des enseignements pour tous ceux qui se convertissaient en la religion de Notre-Dame, bien que cette religion soit inconnue ici, à Fort Fort Lointain.
Lorsque Quasimodo entra dans la pièce, tout avachi qu'il était sur lui-même, Claude redressa un peu plus les épaules – si toutefois c'était possible – et joignit ses mains à hauteur de son ventre, regardant froidement la créature qu'il avait, vingt-deux années plus tôt, pris en pitié.

A cette époque, Claude était alors âgé de vingt-trois ans ; jeune homme passionné de toutes les connaissances que recelait le monde qu'il habitait, vivant depuis cinq ans au sein du temple dédié à Notre-Dame (depuis que ses parents avaient succombé à la maladie), notre ami était tombé, un matin, nez à nez avec un panier d'osier dans lequel reposait un nourrisson tout bonnement difforme. Plusieurs autres personnes étaient déjà attroupées devant l'enfant qui les contemplait de ses petits yeux encore emplis d'innocence. Claude s'était penché au-dessus de lui et, sans mot dire, l'avait emporté pour l'élever au sein du Temple. La pitié l'avait poussé, en premier lieu, à agir de la sorte, mais au fur et à mesure, une forme d'attachement certain le lia à l'enfant qui grandit sous sa tutelle. Laid et voué à le rester, l'enfant grandit à l'abri des regards. Claude s'efforçait de le protéger contre les quelques gens cruels qui l'insultaient, lui lançaient des pierres, ou le rejetaient. Finalement, Quasimodo finit par ne plus sortir du Temple de Notre-Dame et resta cloîtré dans sa chambre ; Frollo ne fut plus que sa seule source de communication avec le monde, il lui apprit à parler, à lire, à écrire et à compter. Il lui enseigna les valeurs de Notre-Dame et le guida sur les valeurs à respecter en Son nom.

Quasimodo, qui n'avait personne d'autre à qui se rattacher, restait donc auprès Claude et l'aimait. Claude l'aimait en retour mais, s'étant formalisé à son rôle et à sa figure d'autorité paternelle, n'accordait aucun signe d'affection à son protégé, ni effusions, ni paroles tendres...
Bref : ils vivaient ensemble dans cette maison, à Fort Fort Lointain, depuis environ un an (sans compter les quelques mois éparses). Claude était, depuis sa jeunesse, un alchimiste doué et passionné. Il s'intéressait vivement aux plantes, aux ingrédients, aux formules, aux doses exactes, et à tout ce qui pouvait bien naître de la terre. Intéressé par tout ce qu'il pourrait tenter de créer, magique ou non, il s'adonna donc très tôt à de nombreuses expériences, fructueuses ou non. Il en résulte que beaucoup de personnes venaient le voir, dans sa contrée d'origine, pour de nombreuses raisons, et le payait pour s'approprier fioles et élixirs. C'est ainsi que Claude avait toujours gagné sa vie, par l'alchimie, par les potions, car prier Notre-Dame ne rapportait rien d'autre qu'une vie pieuse – dont Claude se contentait fort bien, Notre-Dame l'en garde.
Renommée faite, dis-je, on entendit sûrement parler de lui jusqu'à Fort Fort Lointain puisque, un matin, il reçut une missive l'informant que Marraine La Bonne Fée, bien-aimée souveraine, requerrait ses services. Si la demande venait directement d'elle ou non, Claude ne le sut jamais vraiment, mais, quoiqu'il en soit, il plia bagage – non sans regrets, car il chérissait le temple où il avait passé la plus grande partie de sa vie – et amena Quasimodo avec lui jusqu'à Fort Fort Lointain. Le voyage fut extrêmement long (car, comme son nom l'indique, le royaume est Fort Fort Lointain...), mais Claude avait espérance que, mêlé à une autre vie, son protégé puisse trouver un métier – bien que l'idée de le laisser aller ne l’enchantasse guère.

Et nous voici où nous en sommes : Claude Frollo dans la salle à manger de la maison qu'on lui avait généreusement prêté en compagnie de Quasimodo. Ils s'assirent tous les deux en silence et, après avoir remercié Notre-Dame de la chance qu'ils avaient, ils déjeunèrent.
La politique avait beaucoup changée depuis qu'ils étaient arrivés dans le royaume, et la place sur le trône avait laissé Tracassin, un nain d'une rare intelligence – selon Frollo et ce qu'il en savait – s'approprier le pouvoir. Ne s'intéressant guère à toutes ces guerres, Claude faisait essentiellement en sorte que son travail soit bien fait. Il n'inspirait qu'à vivre sa vie, en somme, mais, servant ses intérêts plus que ceux des autres malgré les enseignements très strictes de Notre-Dame à ce sujet, il prenait garde de rester informé, au cas où le vent changerait de direction et ne prenait parti ni d'un côté, ni de l'autre... Quoique tout indique qu'il suivait volontairement la politique actuelle. Mais il ne souhaitait faire aucune histoire. Pour le moment, en tout cas. Observateur, il attendait simplement, silencieux.
Cependant, il s'inquiétait beaucoup de ce que pourrait faire Quasimodo et veillait à surveiller la moindre de ses activités. Comme chaque matin, il lui demanda donc de lui faire un rapport de ses activités depuis la veille au soir puis, chose faite, s'en alla travailler.

La vie suivait son cours...