Nemo devait lever l'ancre dans les prochains jours, si tout allait bien. Son équipage remettait le bateau en ordre et le nettoyait de fond en comble depuis que le soleil s'était levé ; il lui semblait donc normal de leur offrir un verre dans une taverne à la tombée de la nuit. A la tête de ses hommes, il pénétra dans l'endroit mal famé - qu'importe, personne ne les importunerait. Il commanda une tournée à la serveuse et alla rejoindre ses hommes à la table qu'ils avaient choisi d'occuper. Leurs verres arrivèrent et il laissa son esprit divaguer pendant que ses marins bavardaient joyeusement.
Ce n'est pas qu'il n'avait pas envie de reprendre la mer, après tout, c'est ce qu'il aimait le plus dans son métier. Mais la fréquence des missions récemment lui faisait quelques fois regretter le sol. Ils n'en avaient que pour deux semaines cette fois, il leur fallait simplement récupérer des marchandises non loin d'ici et revenir. Il avait seulement commencé à fréquenter Marie Lopaline et la chaleur de ses bras et le réconfort de son corps allait sûrement lui manquer. Il avait deux femmes sur son bateau - au diable les superstitions - mais elles étaient en cuisine et elles le faisaient savoir. La graisse enlevée de la viande qu'elles cuisinaient semblait s'ajouter sur leurs corps instantanément. Il grimaça de dégoût en s'imaginant courtiser l'une d'elle. Impossible. Marie représentait à l'heure actuelle son idéal, de toute façon. Non pas sentimentalement, non, ils étaient sur la même longueur d'ondes, mais ils s'entendaient bien et cela plaisait à Nemo.

Le prénom de Sinbad soudain fut prononcé et son sang ne fit qu'un tour. Il releva les yeux vers ses hommes qui étaient passés d'un air joyeux aux regards méfiants. « De quoi parlez-vous donc ? » demanda-t-il, agacé. Il était bien connu que Nemo haïssait le marin. « De rien, Cap'taine ! Sinbad est passé devant The Queen's Dust aujourd'hui et nous avons seulement remarqué qu'il ne s'était toujours pas départi de son air supérieur. » Bien évidemment, qu'il ne s'était toujours pas "départi de son air supérieur". Sinbad était la modestie incarnée. Il se pensait meilleur que tout le monde, alors que le seul monde qu'il voyait était celui juste qui étaient sous ses pieds, son radeau de fortune, son bateau maudit. « Qu'il aille au Diable », dit-il en levant son verre. « Nous savons tous que son bateau finira par couler et, avec un peu de chance, il coulera avec. Sa supériorité ne lui servira à rien au fond de la mer.». Il but une gorgée, laissa la liqueur déposer sa chaleur dans sa gorge et se leva. Il avait besoin de prendre un peu l'air ; l'ambiance étouffante de la taverne n'aidait pas Nemo à se calmer.

Nemo & Gretel

Un femme brisée est une femme dangereuse

Je fais réellement peine à voir.
Voilà où en est Gretel, la courageuse Gretel qui a vaincu la sorcière, qui a ouvert un commerce très côté et qui est aimée de tous. La grande gueule de Gretel que tout le monde admire, la femme très courageuse qui bat tout le monde au tir à l'arc. La Gretel qui défierait tous ceux qui la regarderait de travers. Voilà où elle en est : soûl, assise à une table dans un coin sombre de la Sirène Amputée, un capuchon qui tente de cacher sa honte et un énième verre d'hydromel à la main.
Si j'étais une personne extérieure et que je me voyais ainsi, je me dégoûterai. Rien n'a fonctionné, rien n'a pu me faire oublier. Hansel est parti, Potté l'a suivi. Je suis définitivement seule, et j'ai perdu le goût de tout. Même la forêt ne me plaît plus. Elle me rappelle trop les adieux de Potté. La plage, je la déteste. Elle me ramène aux au revoir silencieux avec Hansel.

Si je m'écoutais, je partirais dans une contrée lointaine, pour que plus aucun arbre, aucun rocher ne me soit familier. J'ai besoin de neuf, d'adrénaline, ou d'oublier. Je suis trop froussarde pour les deux premiers, alors j'utilise l'hydromel pour parvenir au troisième.
Mais la vérité est que je déteste cette sensation. Plus je me sens mal, plus mes pensées me renvoient à eux. C'est la dernière fois que je bois de l'alcool.
J'envoie valser mon verre à l'autre bout de la table collante et sale. Je m'apprête à me lever quand je vois une bande de matelots qui entrent dans le bar. Je prie pour qu'ils ne viennent pas de l'Ecorchée. Heureusement pour moi, le capitaine est quelqu'un que je ne connais pas.
Je rassemble mes esprits pour tenter d'écouter leur conversation.

Ils parlent de Sinbad. Je me fais toute petite sur mon siège et rabat encore plus mon capuchon sur mes yeux. Mais je réalise qu'ils ne disent pas du bien de l'homme que je déteste le plus au monde. The Queen's Dust ? Un bateau de la marine marchande peut-être ? Et le capitaine ? Je me lève pour payer ma consommation au bar. Je me trouve juste devant la table des matelots.

« Qu'il aille au Diable. Nous savons tous que son bateau finira par couler et, avec un peu de chance, il coulera avec. Sa supériorité ne lui servira à rien au fond de la mer.»

J'aime déjà cet homme. Depuis longtemps, l'idée de partir en mer pour régler mes comptes avec Sinbad me trotte dans la tête. Je viens de trouver mon billet pour la mort de Septmers.
Je caresse doucement le manche du couteau glissé dans ma ceinture en pensant au moment où je le découperai en morceaux. Je dois saisir ma chance, il faut absolument que je parle à ce capitaine. Je le vois boire son verre d'un trait et sortir de la taverne. Je dépose les schillings que je dois à la serveuse sur le bar, puis je me hâte vers la sortie en essayant de marcher le plus droit possible. Il ne faut pas que je le perde de vue.

L'air frais du soir me gifle le visage. Je m'emmitoufle dans ma cape et découvre le capitaine adossé à la devanture de la taverne. Je m'arrête net et le fixe. Aller Gretel, tu dois aller lui parler. Mais il est vraiment intimidant. Il a remarqué que je le fixais, et ça n'a pas l'air de lui plaire. Maintenant, soit je pars en courant et ça a l'air louche, soit je vais lui parler. Je me sens obligée de saisir l'occasion. "C'est ta dernière chance de te venger. Et de retrouver Potté." Je prends une grande inspiration.

"Excusez-moi, j'ai cru comprendre que vous étiez le capitaine de The Queen's Dust ?"

Ma voix tremble au moins autant que mes mains. Je ne suis pas douée pour faire la conversation. Encore moins pour monter un complot. Et qui me dit qu'il va m'aider ? Il va sûrement m'envoyer voir ailleurs.

"J'ai besoin de vous. Et vous pouvez avoir besoin de moi. Si toutefois vous voulez avoir une revanche sur Sinbad Septemers. Ce que je désire également."

Espérons que jouer cartes sur table ne vas pas me desservir.

Nemo ne sait même pas comment il est encore possible que Sinbad soit capitaine. Ses escapades étaient des échecs ; comment un équipage entier pouvait lui accorder sa confiance ? Même lui n'enverrait pas son plus piètre matelot sur L'Ecorchée. Même le nom n'inspire aucune once de confiance, ce bateau est capable de couler même à quai. Il est dans un tout aussi mauvais état que son capitaine. Et cette tension, à chaque arrivée au port... Son affrontement avec lui est inévitable. Sa rancoeur est au point, elle cuit depuis plusieurs années maintenant. Il sait ce qu'il a à faire.
Adossé au mur branlant de la taverne à la fréquentation douteuse, il tente de s'imaginer comment leur rencontre se déroulera. Mal, c'est certain. Il entend la porte s'ouvrir et voit une femme encapuchonnée sortir de la Sirène Amputée. Les femmes qui boivent ici sont soit des filles de joie, soit des filles désespérées. Nemo pencherait plutôt pour la seconde option. De plus, son regard est fixé sur lui et ça à tendance à l'énerver. Si elle a quelque chose à lui dire, qu'elle vienne le voir bon sang ! Il ne la connaît même pas. Nemo a tendance à se souvenir de chaque visage qu'il croise, d'autant plus si ceux-ci lui veulent du mal.
Tiens, elle parle ! "Excusez-moi, j'ai cru comprendre que vous étiez le capitaine de The Queen's Dust ?" Nemo la dévisage un instant. Si elle vend ses services, sa rencontre sera vaine. Il ne fait que hocher de la tête, il n'a aucune envie de lui parler pour le moment. De plus, elle est toute tremblante. Est-il aussi intimidant que ça ? "J'ai besoin de vous. Et vous pouvez avoir besoin de moi. Si toutefois vous voulez avoir une revanche sur Sinbad Septemers. Ce que je désire également." Il regarde autour de lui, s'assurant que personne ne puisse être témoin de leur petite conversation. Cette femme est risible. Vraiment. Combien de temps survivrait-elle face au Capitaine Septmers ? « Ah, vraiment ? » Il rigole - un rire court, froid. « Et comment pourrais-je avoir besoin de vous ? Que pouvez-vous donc apporter sur un navire ? Vous allez vous tenir sur le devant du bateau et cracher sur ceux qui passent ? » Une femme n'est bonne qu'aux tâches ingrates ; son équipage a bien trop de boulot pour leur demander de tenir le bateau. Il la dévisage encore une fois. Un couteau à sa ceinture ? Assez pour faire peur aux criminels pathétiques mais qui croit-elle vraiment intimider avec ça ? Sait-elle seulement s'en servir ?
Il ouvre la porte de la taverne et lui fait un geste, l'incitant à rentrer. « Si vous tenez vraiment à me convaincre, allons à l'intérieur, non ? Ou vous préférez peut-être que l'on reste ici, dans le froid, à écouter vos histoires pathétiques de Sinbad qui vous a quoi, allez... Engrossé ? Volé quelque chose ? Que diable ce capitaine a-t-il donc pu faire pour s'attirer les foudres d'une femme ? » Il hausse un sourcil. Cette femme n'a aucune crédibilité à ses yeux. Mais pourquoi ne pas écouter un autre fameux conte du capitaine tant aimé !

Nemo & Gretel

Un femme brisée est une femme dangereuse

L'air du soir me fait du bien. Mes joues ne sont plus aussi brûlantes, ma tête tourne moins. je commence peu à peu à reprendre mes esprits. Je réalise que je suis toujours devant ce capitaine trop fier qui me regarde d'un air dédaigneux. A croire que les marins un peu gradés sont tous atteint du syndrome de l'orgueil et de l'arrogance. Ils ne valent pas mieux les uns que les autres. Mais qu'importe. Pour avoir ma revanche sur l'un, il va me falloir l'aide de l'autre.
Mais je n'ai pas réellement réalisé dans quel pétrin je venais de me fourrer. Si ce capitaine m'accepte, Hansel et Potté penseront que je les ai trahis. Je risque de m'attirer leurs foudres à jamais, et peut-être d'atteindre cette fois un point de non retour. Mais leur ennemi est ma dernière chance d'agir pour leur prouver que je ne les laisserai pas m'abandonner. Il est ma dernière possibilité de montrer que je suis prête à redevenir celle que j'étais.

« Ah, vraiment ? Et comment pourrais-je avoir besoin de vous ? Que pouvez-vous donc apporter sur un navire ? Vous allez vous tenir sur le devant du bateau et cracher sur ceux qui passent ? »

Evidemment, il fallait s'y attendre. Bien que j'ai entendu qu'il était le seul capitaine à accepter des femmes à bord de son navire, il n'en reste pas moins une raclure de marin, sexiste et mauvais. Il y a trop en jeu pour que je prenne la mouche ce soir. Plus tard, je trouverai le moyen de lui faire ravaler son toupet et de ne pas me prendre pour une simple gamine en manque d'adrénaline. Je le laisse parler cette fois, mais il ne faut pas qu'il s'y habitue.

« Si vous tenez vraiment à me convaincre, allons à l'intérieur, non ? Ou vous préférez peut-être que l'on reste ici, dans le froid, à écouter vos histoires pathétiques de Sinbad qui vous a quoi, allez... Engrossé ? Volé quelque chose ? Que diable ce capitaine a-t-il donc pu faire pour s'attirer les foudres d'une femme ? »

Au moins c'est une bonne chose pour moi : il est décidé à me laisser parler. Je le dépasse pour m'engouffrer à nouveau dans cette taverne humide et mal fréquentée. Je prends une grande inspiration, et me dirige vers la table à laquelle j'étais assise quelques minutes plus tôt. J'attends qu'il y ai pris place, puis je commence.

"Je suis navrée, Monsieur, de devoir vous décevoir. Mais mes motivations contre cette enflure de Septmers n'est pas due à une quelconque aventure stupide ou à un manque de vigilance de ma part. Je l'exècre bien plus que je ne pourrais jamais détester quelqu'un dans ce monde. J'ignore la nature de votre différend avec lui, mais je pense que vous désirez sa mort au moins autant que je la désire."

Je me tais le temps que la serveuse s'arrête à notre table pour y donner un coup de chiffon inutile et de nous demander ce que nous désirions boire. Une fois éloignée, je reprend mon discours. Je prie pour être convaincante. Il est mon dernier espoir.

"Mes projets à son égard sont motivés par l'injustice de son comportement à mon propos. Il ne m'a jamais aimée, et ce désamour est réciproque. Il a toujours eu une certaine attirance pour mon frère et l'a enrôlé dans son équipage, au nom d'une vaine mission et de déboires inutiles. Il l'a amené à n'avoir que de la haine pour la régente et à l'utiliser comme un pantin pour arriver à ses fins. Il était la seule famille qui me restait, et à cause d'un idéal stupide, voilà mon frère qui vit chaque jour avec sa mort aux trousses. Et je ne suis pas décidée à le laisser réaliser ses desseins. Pas sans intervenir."

La serveuse intervient encore une fois pour nous apporter notre commande. Je vois par ses coups d'oeil à la table que notre conversation paraît suspecte. Je baisse alors mon capuchon et décide de continuer à parler à visage découvert. Elle s'éloigne alors en voyant que je la fixe avec insistance.

"Sinbad n'accepte aucune femme à son bord. Je ne peux donc rester aux côtés de mon petit frère, et le protéger comme je l'ai toujours fait. Je ne supporte pas de les savoir en mer sans que je puisse avoir de leurs nouvelles..." Je m'égare. Mon esprit est soudain passé d'Hansel à Potté sans que je m'en rende compte - amalgame dû à l'alcool ? Je ne saurais le dire. Parce qu'évidemment, une de mes motivations principales pour ce que je quémande aujourd'hui est de pouvoir rester près de Potté... Je ne me le pardonnerai jamais s'il lui arrivait quelque chose... J'essaye de reprendre une contenance, me rendant compte que je venais de laisser plusieurs secondes de silence.

"Etant donné qu'il ne quitte que rarement son rafiot, j'aurai besoin d'une période d'observation sur un bateau pour savoir comment je pourrais m'y introduire un jour qu'il sera au port et en finir avec cette ordure. Il m'a tout pris, vous comprenez ? Et je ne suis pas du genre à me laisser faire. Je pourrais vous être utile sur le navire. Je sais me battre si besoin, même si je suppose que vous pensez que la place d'une femme est en cuisine. Je sais évidemment cuisiner, et je suis gérante d'une confiserie. J'ai besoin de vous, et je sais que vous pouvez avoir besoin de moi. Vous êtes mon seul moyen d'arriver à mes fins."

A ce moment, j'espère qu'il voudra me tester. Mais pour l'instant, j'attends sa décision comme un condamné attend la lame du bourreau.

Une fois à l'intérieur de la taverne, Nemo laisse la jeune femme s'asseoir avant de la rejoindre. Il est bien curieux d'entendre son histoire ; ça lui fera une histoire de plus pour nourrir son équipage. Elle commence à lui conter ce qu'elle lui avait promis, sans omettre de le traiter d'enflure et de souhaiter sa mort. Il hausse un sourcil face à ses termes et, une fois leur table nettoyée, pose un coude sur sa table. Pour l'instant, son histoire est risible. Elle souhaite sa mort ; sait-elle au moins qu'elle n'a aucune chance face à Sinbad ? En continuant son histoire, Nemo apprend que cette haine repose sur des raisons familiales : le marin a enrôlé son frère et voilà qu'elle se retrouve seule. Oh, il ne retient pas son sourire cette fois. A la place de son frère, Nemo lui aurait rapidement rappelé qu'elle n'a rien à dire concernant ses actions et que son choix est le sien.
Les boissons arrivent et Nemo sirote doucement la sienne. La jeune femme baisse son capuchon et continue son récit. « Sinbad n'accepte aucune femme à son bord. Je ne peux donc rester aux côtés de mon petit frère, et le protéger comme je l'ai toujours fait. Je ne supporte pas de les savoir en mer sans que je puisse avoir de leurs nouvelles...» Nemo rigole franchement à ces paroles mais ne répond toujours pas. Il veut entendre la fin du récit avant de se prononcer. Apparemment, le capitaine ne lui aurait pas pris qu'une personne... Le conte touche apparemment à sa fin puisqu'elle prend le temps de lui exposer son plan : vouloir s'introduire sur le bateau de Sinbad. « Je pourrais vous être utile sur le navire. Je sais me battre si besoin, même si je suppose que vous pensez que la place d'une femme est en cuisine. Je sais évidemment cuisiner, et je suis gérante d'une confiserie. J'ai besoin de vous, et je sais que vous pouvez avoir besoin de moi. Vous êtes mon seul moyen d'arriver à mes fins. »
Nemo prend un instant avant de répondre, sirotant sa boisson doucement. « Ah vraiment, vous pensez m'être utile ? J'ai actuellement un équipage de 30 personnes dont deux femmes qui sont, comme vous l'avez deviné, en cuisine. Mes marins travaillent pour la garde royale et ont par conséquent tous suivi une formation. Et vous ? Gérante d'une confiserie ? En quoi êtes-vous une arme que je pourrais utiliser sur mon bateau ? » Il prend une gorgée de sa boisson et laisse le temps à la jeune femme de digérer tout ce qu'il vient de dire. Quel culot de supposer que Nemo a besoin d'elle. S'il la prend sur son bateau, ce serait plus par pitié qu'autre chose. « Votre seul désir de vengeance est motivé par votre frère, qui a consciemment décidé de faire ce qu'il veut de sa vie. Laissez-moi penser que cela est pathétique. Que voulez-vous y changer ? Votre amant, je suppose, se trouve également sur ce bateau. Bien, c'est un marin dévoué. Vraiment, vous me laissez perplexe. Pensez-vous vraiment que vous, frêle comme vous êtes, possédant un couteau que vous savez à peine manier, pouvez faire tomber Sinbad, récupérer votre frère et votre amant et vous en sortir sans une égratignure ? » Nemo délaissa sa boisson et posa ses deux mains sur la table, se levant un peu de sa chaise et se rapprochant d'elle. « Vous ne valez rien face à Sinbad. Si vous espérez monter sur mon bateau, il vous faudra ravaler vos grands airs. Vous subirez les harcèlements constants de mon équipage - une nouvelle femme sur un bateau va sûrement leur faire tourner la tête - et vous serez rabaissée plus bas que terre. Je ne suis même pas sûre que vous surviviez à mon équipage et vous espérez vous venger de Sinbad ? » Nemo reprit place sur chaise, récupéra sa boisson, haussa un sourcil et la dévisagea. Vraiment, il était perplexe.

Nemo & Gretel

Un femme brisée est une femme dangereuse

Il est évident que le destin n'a pas décidé de rendre ma tache très aisée. Cet arrogant capitaine a décidé de me rabaisser plus bas que terre, et le sang commence à bouillonner dans mes veines. J'ai extrêmement chaud. Je sens mes membres vibrer malgré moi et le coeur battre dans mes tempes.
« Ah vraiment, vous pensez m'être utile ? J'ai actuellement un équipage de 30 personnes dont deux femmes qui sont, comme vous l'avez deviné, en cuisine. Mes marins travaillent pour la garde royale et ont par conséquent tous suivi une formation. Et vous ? Gérante d'une confiserie ? En quoi êtes-vous une arme que je pourrais utiliser sur mon bateau ? Votre seul désir de vengeance est motivé par votre frère, qui a consciemment décidé de faire ce qu'il veut de sa vie. Laissez-moi penser que cela est pathétique. Que voulez-vous y changer ? Votre amant, je suppose, se trouve également sur ce bateau. Bien, c'est un marin dévoué. Vraiment, vous me laissez perplexe. Pensez-vous vraiment que vous, frêle comme vous êtes, possédant un couteau que vous savez à peine manier, pouvez faire tomber Sinbad, récupérer votre frère et votre amant et vous en sortir sans une égratignure ? Vous ne valez rien face à Sinbad. Si vous espérez monter sur mon bateau, il vous faudra ravaler vos grands airs. Vous subirez les harcèlements constants de mon équipage - une nouvelle femme sur un bateau va sûrement leur faire tourner la tête - et vous serez rabaissée plus bas que terre. Je ne suis même pas sûre que vous surviviez à mon équipage et vous espérez vous venger de Sinbad ? »

Je le laisse terminer sa litanie, les poings serrés sur mes genoux pour contenir ma rage. De quel droit ose-t-il me parler ainsi ? Il n'a rien de plus que n'importe quel homme, contrairement à ce qu'il semble penser. J'ai décidé de ne pas me laisser faire, et je ne dérogerais certainement pas au mantra que je me répète sans cesse depuis que... Potté est parti.
C'est un fait avéré. Il est parti, il n'est plus là. Et il ne reviendra certainement jamais.
"Je ne serai plus là quand tu reviendras, Potté." Ce sont mes mots. Mes propres mots. Pas ceux de quelqu'un d'autre. Donc c'est de ma faute. Et celle de personne d'autre. Répare tes erreurs à présent, Gretel. Si tu ne veux pas finir comme ces pauvres cygnes, qui se laissent mourir de chagrin à la mort de leur conjoint.
"Votre amant, je suppose, se trouve également sur ce bateau." Mon... amant ? L'homme que j'aime ? Je pense que l'on peut sûrement appeler ainsi une personne pour laquelle on est prêt à trahir les idéaux dans le but de la récupérer.
Si c'est vraiment ce que tu veux, Gretel, alors tu n'as pas d'autre choix que d'encaisser. Est-ce que c'est vraiment ce que je veux ? Avoir une chance de me retrouver dans ses bras une dernière fois. Lui dire que nous ne sommes pas au terme de ce que nous avons à vivre. Lui dire simplement... Mais lui dire quoi ? A nouveau que je l'aime ? Cela ne l'a pas empêché de partir, de me laisser, comme tant d'autres avant lui.
"Tu es une personne seule, Gretel. Mais ton problème, c'est que tu as peur de cette solitude qui pourtant te définie mieux que n'importe quel autre mot. Si c'est vraiment ce que tu veux, Gretel, alors tu n'as pas d'autre choix que d'encaisser." Alors c'est ce que je fais. J'encaisse. Sans mot dire. Je sais à présent à qui j'ai à faire, et tant que ma destinée reposera dans ses mains, je ne peux rien faire d'autre que m'en remettre à lui et faire profil bas. Je sais maintenant que je ne dois pas répliquer. Il me faut agir comme une proie qui capitule devant son agresseur.
Lentement, je baisse la tête pour regarder la table. Mes poings tremblants, je les place des deux côtés de la table, et je me penche encore un peu en signe de soumission. Tu as gagné.
"Je sais bien tout cela. Je sais que je suis pathétique et inexpérimentée. J'ai évidemment pensé à tout ce que vous venez de me dire. Vous êtes ma seule solution, la seule option qui se présente à moi. Je ferai tout ce que vous m'ordonnerez, si toutefois cela relève de la décence et de mes compétences. J'ai besoin de vous."

La sincérité est tout ce qui me reste. Et je ne suis pas quelqu'un de faux. Je lui livre tout de moi, je veux qu'il comprenne que je suis quelqu'un de confiance. Et surtout, que je n'hésite pas à tout mettre en oeuvre pour obtenir ce que je désire. Je suis une orgueilleuse, je ne suis pas en mesure de le nier. Mais j'espère avoir assez de coeur pour mettre de côté cette fierté étouffante lorsqu'il s'agit de ceux que j'aime. Alors c'est l'obéissance ou la perte de ma santé mentale.Je relève alors la tête pour planter mes yeux dans les siens.
"S'il vous plaît... mon Capitaine."

Nemo inspecte la femme qui se trouve devant lui. Elle n'est pas très grande, pas très forte et pas très intelligente, apparemment. Qui aurait l'idée d'aborder un capitaine comme si on parlait à un simple matelot ? S'il y a des hiérarchies en place, c'est pour une raison en particulier. Le seul point admirable, et encore, est sa ténacité. Mais à quoi bon prendre une femme comme elle sur son bateau ? Le capitaine la remet rapidement à sa place. A la fin de sa tirade, il doute qu'elle voudra continuer à solliciter son aide. Mais lorsqu'elle se remet à parler, Nemo se retient de souffler d'ennui. Elle ne s'arrêtera donc jamais ? « Je sais bien tout cela. Je sais que je suis pathétique et inexpérimentée. J'ai évidemment pensé à tout ce que vous venez de me dire. Vous êtes ma seule solution, la seule option qui se présente à moi. Je ferai tout ce que vous m'ordonnerez, si toutefois cela relève de la décence et de mes compétences. J'ai besoin de vous. »

Ah, pathétique, ça elle l'est. Inexpérimentée, il ne peut pas juger cela pour le moment. "Si toutefois cela relève de la décence"? Qu'implique-t-elle ? Que Nemo embauche des femmes pour autre chose que leurs compétences en cuisine ? Le capitaine retient son souffle et compte jusqu'à 10, afin de se calmer. Cette petite est pathétique et, de plus, stupide. Elle débite des mots sans s'en rendre compte et, si elle se trouvait devant un autre homme que Nemo, elle ne s'en serait pas sortie indemne. Soudain, elle relève la tête et plante ses yeux dans les miens.  « S'il vous plaît... mon Capitaine. » Nemo rigole franchement. Elle ne manque vraiment pas de culot ! « Oh, vous n'avez pas encore gagné le droit de m'appeler par ce titre. » Il s'adosse complètement à sa chaise et croises ses bras. « Vous ne m'avez convaincu de rien, si ce n'est de votre bravoure inutile, voire de votre stupidité. Mais soit, vous voulez partir en mer, affronter mes marins et vous faire une place sur mon bateau ? Si vous montez dessus, sachez que vous ne pourrez pas le quitter en cours de route. Ma prochaine expédition dure quatre mois. » Enfin, elle ne durera que deux semaines mais il peut tester sa motivation, de cette manière.

Nemo se lève, balance quelques schillings sur sa table et commence à s'avancer vers la table où sont assis ses marins. En arrivant à côté de la jeune femme, il se penche et murmure « Nous partons dans deux jours. » Il rejoint ensuite son équipage, commande une bière et replonge dans la conversation. Il ne voulait pas passer sa soirée à tenter d'être convaincu par une femme, il était là pour distraire ses hommes avant tout.

Nemo & Gretel

Un femme brisée est une femme dangereuse

« Vous ne m'avez convaincu de rien, si ce n'est de votre bravoure inutile, voire de votre stupidité. Mais soit, vous voulez partir en mer, affronter mes marins et vous faire une place sur mon bateau ? Si vous montez dessus, sachez que vous ne pourrez pas le quitter en cours de route. Ma prochaine expédition dure quatre mois. Nous partons dans deux jours. »

Tu es ridicule, Gretel. Ridicule et pathétique. Si Potté ou Hansel te voyaient dans cet état, aucun des deux ne regretterais de t'avoir laissée.
C'est comme si je venais de me réveiller d'une longue léthargie. Je viens d'ouvrir les yeux et je me rends compte que le monde n'est plus celui dans lequel j'ai grandi. Nemo est la réalité d'aujourd'hui, celle qui ne fait preuve d'aucune clémence, d'aucune pitié, d'aucun état d'âme. D'aucune empathie.
Aujourd'hui, c'est chacun pour soit, et si l'on veut obtenir quelque chose de quelqu'un d'autre, on n'y parvient qu'en suppliant et en montrant à cette personne qu'elle nous est supérieure. Je me suis moi-même enfermée dans une routine affligeante, qui ne côtoyait pourtant ni l'égoïsme, ni la cruauté. L'absence de mal était palpable, et bien que la vie n'était pas trépidante, je me sentais en sécurité.

Je viens de passer une épée au travers d'un miroir. Je viens de briser cette vie calme et paisible, loin de la difficulté et du malaise ambiant de la communauté. Il était temps, tu ne crois pas ?. Oui, il était temps.
Je ne sais pas si j'ai fait le bon choix. J'ignore même s'il existe un bon et un mauvais choix, mais j'en ai fait un. Aujourd'hui, je choisis de vivre, de ressentir encore quelque chose. Je choisis la peur et la douleur, parce qu'il n'y a qu'en les sentant près de moi que je sais que je suis encore vivante. Je ne sais même pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose. D'être encore vivante. Peut-être cela arrangerait Potté et Hansel que je ne sois plus de ce monde. Ils feraient leur deuil plus rapidement qu'un battement de cil, et ils pourraient vivre leur vie en ne pensant plus que quelqu'un désapprouve leurs choix. Peut-être cela leur rendrait service. Mais certainement pas à moi. Je ne suis pas lâche au point de me donner la mort, et si je dois mourir en mer, autant que ce soit en faisant quelque chose d'utile. Ce n'est pas la mort ni la gloire que je recherche. Je cherche simplement à les comprendre, et à les retrouver.

Je regarde le capitaine s'éloigner vivement de moi pour rejoindre son équipage. Je ne sais absolument pas ce qui l'a décidé à me prendre, car je doute qu'il soit homme à céder aux supplications aussi rapidement. Quoi qu'il en soit, j'ai tout de même réussi - non sans mal - à obtenir ce que je désirais. Et je n'arrive pas à savoir si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Pour être honnête, je ne sais plus distinguer le bon et le mauvais.
Je m'emmitoufle à nouveau dans ma cape en prenant soin d'abaisser mon capuchon jusqu'à mi-visage. Je traverse la taverne à la musique trop forte, aux effluves d'alcools trop prononcées et à la fréquentation trop malfamée. En refermant la porte derrière moi, je me sens un peu plus légère. L'air du soir me lacère les joues, mais je me sens bien, plus apaisée. Je prend le chemin de Roméo Drive, et je sais que j'ai beaucoup de choses à préparer, à présent. Je me hâte un peu plus à chaque pas, de la buée sortant de ma bouche assez nettement pour cette saison. J'ai deux jours, pour mettre mes affaires en ordre.

Quatre mois ? Si c'est la vérité, alors c'est plus que ce que j'aurai jamais espéré.