« Est-ce qu'on est perdu? » Tu observes l'horizon, les yeux plissés, avant de laisser ta douce voix s'élever en réponse à ton camarade du jour. « Absolument pas mon ami! Je sais exactement où nous allons! » Pas le moins du monde. Tu es perdu, et ce, depuis un certain temps maintenant et pas seulement ici si tu veux mon avis, dans ta vie en général en fait. Les heures défilaient et tu ne reconnaissais absolument rien, tu avais l'impression de tomber dans un puits sans fond, tu désespérais de trouver le chemin de la sortie de cette immense forêt. On t'avait pourtant prévenue qu'elle était dense et dangereuse, mais tu n'en avais fait qu'à ta tête, tu avais embarqué ce pauvre malheureux, lui aussi désireux de partir à l'aventure, fuyant au passage des responsabilités dont il ne voulait pas et vous vous étiez engouffré dans ce sombre lieu sans plus de préparations. Alors oui, tu avais trouvé sur le chemin de jolies petites fleurs à vendre, mais encore faudrait-il que tu sortes de cet endroit un jour pour en obtenir les fruits! Tu es comme ça, incapable de résister à la tentation d'une grande aventure, dès que tu entends parler d'un pays lointain, d'une légende un peu bizarre ou d'un lieu-dit très dangereux, ton âme d'aventurière du dimanche prend le dessus sur ta raison et sans réflexion aucune tu fonces, tête baissée, ne te souciant guerre de ta sécurité. En fait, il est fort probable que tu te penses invincible, la mort te semble assez abstraite, comme si elle ne pouvait pas te toucher, ni toucher qui que ce soit dans ton entourage. Tu n'es pourtant pas immortelle, mais ton côté enfant te pousse parfois à le croire, à imaginer qu'aucun danger n'est assez grand pour venir à bout de toi, que rien ne peut t'arriver, pas parce que tu es la plus douée des jeunes femmes de cette contrée, mais simplement parce que c'est ainsi, une sorte de vérité absolue qui ne fait que te mettre davantage dans de sales draps. Il faut dire que depuis le temps que tu tombes dans les pires mésaventures, tu t'en es toujours sortie, depuis ce jour où tu as suivi cet étrange vieillard dans cette contrée lointaine, tout te semble évident pour toi. Tu t'en souviens comme si c'était hier de ta première aventure. Tu vivais comme n'importe quelle jeune bourgeoise de ton âge, ton père était un homme aimant, mais tu n'appréciais pas tant que ça toutes les règles et les conventions en vigueur dans votre petit monde de pauvres riches. Il fallait être poli, bienséante, accepter tout ce qu'on t'ordonnait sans jamais te laisser vraiment le choix, tu devais être le parfait petit modèle, et parfois tu l'étais, tu te forçais à être courtoise avec tout le monde pour prouver que tu n'étais pas qu'une petite fille rêveuse avec pas grand-chose dans la tête. C'est l'image que tu donnais, tu passais ton temps la tête dans les nuages, en rêvant d'une vie loin de celle qui était la tienne, ta maladresse n'arrangeait rien, on te prenait pour une imbécile, une pauvre petite blondinette incapable de faire quoi que ce soit dans sa vie. En réalité, tu t'ennuyais, tout simplement. Tu avais cette sensation de ne pas être à ta place, de vivre dans un monde qui n'était pas le tien, alors tu laissais ton imagination te libérer de cette emprise qu'ils avaient sur toi, jusqu'à cet étrange jour. Le jour où tout changea dans ta petite existence trop tranquille.

Tu voyageais avec ta famille pour rendre visite à une tante, ta sœur te lisait un livre des plus inintéressants et sur le chemin, lors d'un arrêt des plus banals, ton regard a croisé ce vieillard étrange, à la barbe et à la chevelure blanche, au chapeau trop grand tout comme ses oreilles, c'est d'ailleurs le détail qui te marqua le plus. Il ne cessait de courir dans tous les sens en montrant sa montre à qui le voulait et en répétant qu'il était en retard. Un fou de plus, pour les tiens, mais tu ne pus t'empêcher d'être incroyablement attiré par cet être si instable et singulier, ta curiosité te dictait de le suivre, cherchant une occasion de fuir tout ça et c'est ce que tu as fait. Tu as tout abandonné, sans crier gare, tu l'as suivi, durant de longues minutes à travers une forêt aussi dense que celle dans laquelle tu es perdu aujourd'hui, puis tu as trébuché, tu t'es senti partir et lorsque tu ouvris les yeux à nouveau, tu étais bien loin du carrosse de ta famille, bien loin de cette route si sure, perdu au milieu de nulle part, même cet homme aux grandes oreilles n'était plus là. Tu marchas des heures durant, sans vraiment savoir où aller, et c'est à ce moment-là que le monde prit une tournure des plus étranges... Arrivé dans une maison abandonnée, tu y trouvas un flacon sur lequel était noté « bois-moi » … Inutile de dire que tu as bu évidemment, pourquoi, la question reste entière, en tout cas, tout s'enchaina très vite après ça, peut-être était-ce une espèce de drogue hallucinogène, ou simplement de l'alcool, tu n'es sur de rien à ce sujet, quoi qu'il en soit, tu rencontras d'étranges personnages, tu eus la sensation d'être tantôt immense, tantôt ridiculement petite, puis tu tombas lamentablement dans une rivière déchainée, qui te conduit bien malgré toi près d'une sorte de taverne, c'est ce que tu pensas en apercevant le doux de nom de ce lieu « Le boudoir de la duchesse », si seulement tu avais su.

« Alice? Tu m'entends? » Perdu dans tes souvenirs, c'est la voix de cet inutile compagnon qui te sort de tes songes. Tu te tournes vers lui, tout en observant à nouveau les alentours, tu ne sais toujours pas où vous êtes. « Oui, je réfléchissais à la route que l'on doit prendre... Par les sandales de Merlin, je n'ai aucun souvenir de ce lieu... » Tu soupires face au regard incrédule de ton camarade, qui semble toujours croire à l'idée que tu puisses les sortir de là, ce qui prouve que sa naïveté est encore plus grande que la tienne, autant dire que c'était assez mal parti pour vous deux. Vous continuez d'avancer, silencieusement, pendant tu ne sais combien de temps. Tu désespères au fil des minutes qui s'écoulent, ne pouvant t'empêcher de te dire que cette fois tu ne sortiras pas de ce pétrin si facilement, tu promets, vainement et sans réellement y croire, de ne plus foncer sans réfléchir si jamais tu t'en sors et de toute évidence une force cosmique semble entendre ta prière puisque des hennissements de chevaux et des voix s'élèvent non loin. Un sourire apparaît sur ton visage, vous vous approchez de la source de tout ce raffut, mais ton ami stoppe ton impétuosité en te retenant par l'épaule. « Ses hommes n'ont pas vraiment l'air digne de confiance Alice... » Tu observes ses hommes, c'est vrai, ils sont barbus, mal fagotés, un rire des plus diaboliques s'échappe même de l'un d'entre eux, sans parler de ses épées rouillées qu'ils portent à la ceinture, preuve qu'ils s'en servent à outrance et une odeur des plus désagréable hante l'air autour d'eux. Mais à part ses futiles détails, ils ont tous l'air d'être de parfaits gentlemans. « Il ne faut pas se fier aux apparences cher ami, même le plus horrible des ogres peut s'avérer être le plus charmant des princes. Je suis sûre qu'ils sont tout à fait honnêtes. » Ce que tu sembles oublier, c'est que l'inverse est aussi souvent possible, que le prince le plus doux peut s'avérer des plus hargneux. Tu n'en as que faire, tu sors de ton fourré, forçant la main à ton compagnon, souriante, courtoise, comme toujours. « Bonjour Messires... » C'est à ce moment-là que tu remarques l'homme au sol, amoché de toute part, suppliant pour sa vie, les yeux remplis d'une terreur que tu n'as que trop l'habitude de voir chez les autres depuis quelque temps. Dans les tiens? Non, jamais, tu es trop inconsciente pour avoir peur, pas de la même façon que les autres en tout cas, ton imagination te donnant toujours la sensation d'avoir la solution à tout pour préserver ta vie, serais-tu un peu narcissique et égocentrique?... Sans perdre ton charmant sourire, tu tournes la tête vers ton ami, avant de lancer, comme s’il s'agissait d'une bonne blague. « ...et tu apprendras que bien souvent, j'ai tort. » au moins, tu l'admettais. Bien sûr, les « charmants damoiseaux » ne perdent pas une seconde de plus, attrapant leurs épées dans l'espoir de vous capturer, ou que sais-je encore, mais une idée te vient, comme souvent dans ses cas là, comme doper par la sensation de danger. Tu attrapes une fiole remplie d'un étrange liquide violet que tu brandis devant toi comme s’il s'agissait du saint Graal. « N'approchez pas! Cette potion m'a été donnée, par une très... vieille sorcière, si je la laisse tomber, elle explosera et transformera tous les hommes présents ici en poney recouvert de pustules, infertiles et impuissants... Désolé mon ami. » rajoute-tu à la fin en regardant ton camarade apeuré, lui-même étant un homme. Il fait d'ailleurs un pas en arrière, l'air inquiet, ne donnant que plus de poids à tes paroles. « Reculez, je vous prie. » Toujours aussi polis, même dans les pires situations, les bonnes manières sont ancrées en toi au même titre que ta curiosité maladive. Rapidement ton ami sans nom, aide le pauvre malheureux à se relever et à grimper sur l'un des chevaux, il le suit très rapidement et tu comptes en faire de même. Malheureusement, comme tu commences à le comprendre depuis le temps, rien ne se passe jamais comme tu le prévois dans ta petite tête de rêveuse insatisfaite. Résultat, tu manques de trébucher, laissant tomber lamentablement la fiole sur une pierre, tout le monde retient son souffle, toi y compris, certains ferment les yeux en l'observant chuter, inquiet, elle s'écrase alors et... rien. Oui, rien ne se passe, la fiole explose en mille morceaux, laissant un parfum fleuri embrumé l'air, mais rien de plus. « hé bien ma foi, j'aurais essayé... » dis-tu en souriant. Tout le monde reste figé quelques secondes face à ton mensonge, les hors-la-loi affichent alors leurs plus mauvaises mines et tu préfères ne pas attendre que ça se dégrade, sautant sur le cheval le plus proche et fuyant sans attendre, les cheveux au vent, rieuse.

Tu aimes le danger dans tes aventures pseudo héroïque, ça met du piquant à tes voyages, tu t'ennuierais sans doute s’il ne se passait jamais rien de ce genre. C'est pour ça que tu penses si souvent à ton premier voyage, à ta première véritable aventure, tu as risqué ta vie tant de fois dans cette contrée lointaine, vestiges des terres de Lord Farquaad, dans laquelle ne vit que des sorcières et autres rebuts de la société. Évidemment, à cette époque, tu ignorais totalement qu'il s'agissait d'un tel endroit, tu n'as pas imaginé une seule seconde qu'autant de créatures viles et vilaines se trouvaient en ce pays des plus singuliers. Alors, lorsque tu es sortie de cette rivière sauvage, trempée, et que tu as vu cette taverne si chaleureuse de l'extérieur, tu n'as pas hésité, tu y es entrée, sans te douter un seul instant dans quoi tu t'embarquais. Des filles courtement vêtues un peu partout, une odeur nauséabonde se mélangeant à celle de ses demoiselles, de l'alcool à profusion et une dispute violente entre deux femmes, ça n'avait plus rien de sympathique et même ta naïveté légendaire le remarqua très vite... La tenancière de l'endroit semblait se disputer violemment avec une cuisinière, tout en berçant un bébé... enfin, bercer, c'est assez relatif comme termes, car la première chose que tu remarquas, en dehors du fait de manquer de te prendre une assiette en pleine figure, c'est la brutalité avec laquelle cette odieuse femme berçait l'enfant. Tu arquas un sourcil face à cette scène surréaliste, tentant de t'imposer pour demander de l'aide, mais personne ne semblait faire attention à toi, ou en tout cas, personne ne voulait te répondre. Ce n'est qu'après moult crie que l'une des femmes, la gérante, décida de remarquer ta présence, mais apparemment, à ses yeux, tu n'étais rien d'autre qu'un détritus à mettre dehors, tout comme ce bébé. Tu ignores encore pourquoi aujourd'hui, même si tu la soupçonnes de l'avoir juste fait pour se moquer de toi, toutefois, cette sorcière te donna l'enfant, sans crier gare, t'ordonnant de quitter les lieux avec lui. Tu ne comprenais pas, mais tu décidas de ne pas insister, et puis peut-être qu'avec un bébé les dangers seraient moindres? Tu n'eus jamais de réponse à cette épineuse question, puisque à peine quelques mètres plus loin, le pauvre nourrisson se transforma en cochon. Je crois que ce fut le plus gros choc de ta vie. Voir un être humain transformé en animal, ainsi, sans plus de cérémonie, ce n'est pas vraiment commun et la suite le fut encore moins. À peine t'étais-tu remis de tes émotions qu'un chat décida de te parler. Des enfants qu'on transforme en cochons, un chat qui parle... y a pas à dire, cette contrée était la plus merveilleuse des contrées. Ce chat n'était pas le Chat Potté, comme tu en aurais rêvé, car ses aventures, à l'époque, étaient déjà aussi célèbres que Shrek lui-même, non, il s'agissait de Cheshire, quelqu'un qui aller devenir indéniablement important pour toi . Même si le bougre décida de s'amuser avec ta vie ce jour-là. Sur le moment, tu ne l'as pas compris, évidemment, ce n'est que plus tard que tu te rendis compte qu'il ne t'avait pas vraiment indiqué la sortie de ce lieu si particulier, mais qu'au fil du chemin, il te conduisait vers l'antre de la bête, si on peut dire.

Malgré tout, d'une certaine façon, grâce à lui, tu pus continuer ton aventure inattendue aux confins de ce royaume si anarchique, personnes ne semblaient vraiment gouverner cet endroit, il n'avait été créer que pour obliger les indésirables à quitter la cité de Lord Farquaad sans faire de dégâts, un cadeau empoisonné sous la forme d'une contrée à gouverner et à dompter. Pas de lois. Pas de leader, hormis peut-être cette femme dont tu entendis très vite parler, notamment en prenant un thé étrange avec des inconnus tout aussi particuliers. Un chapelier aux allures loufoques, ce vieillard aux oreilles presque aussi grand que celui d'un lapin que tu avais suivi jusqu'ici, sans parler de cet autre personnage indomptable et dont tu ne préférais même pas connaître le nom. Tous semblaient perdus dans leur propre monde, essayant de les faire cohabiter sans vraiment y parvenir. Quand l'un dit rouge, l'autre dit bleu, et le dernier pense pomme. Autant dire qu'il n'y avait aucune logique dans tout ce qui se passait à cette table, hormis la douceur du thé qu'ils t'ont offert et que, bien sûr, tu n'as pas refusé, pourquoi le faire n'est-ce pas? Tu n'étais qu'une jeune fille sans défense, seule, perdue au milieu d'un royaume inconnu, tu venais d'échapper à plusieurs reprises à la mort, mais pourquoi dire non à l'invitation d'une bande de joyeux lurons tout droit sortie d'un asile pour perturbé mental. Une personne normale aurait fui, toi, tu as demandé un peu plus de sucre dans ton thé, avec une lichette de lait évidemment. Tu ignores pourquoi, mais tu étais fasciné par leur discussion sans fin et sans queue ni tête, tu les écoutais, tu participais même, sans comprendre un traitre mot de ce que tu racontais. Et pourtant, personne ne commentait, tu pouvais dire n'importe quoi, tu pouvais avoir l'air aussi folle que la plus folle des reines, que personne ne contestait tes faits et gestes. Peut-être est-ce pour ça que tu aimais tant ce monde, ou tout du moins, certaines personnes rencontrées dans ce monde. Tu les appréciais, ses gens, rejetés pour leur folie ou leur hypothétique monstruosité, comme toi tu fus mise à l'écart pour ton côté rêveur et indomptable, loin des carcans de la société. Tu étais une adolescente en mal de tout, en mal d'amour, en mal de reconnaissance, ne trouvant plus sa place dans une famille qui avait tant changé. Ta mère était morte, ton père remarié, toi, tu étais la cinquième roue du carrosse, malgré une réelle affection pour eux. Ils ne comprenaient pas ton acharnement à vouloir être différente, à ne pas accepter la normalité. Beaucoup voyaient ça comme la révolte d'une jeune fille de seize ans, en plein tourment, mais qui grandira très vite, d'autres, comme de la simple folie. Toi, enfant trop gâté et en même temps si rejeté, tu ne voulais qu'une chose : faire ce qui te rendait heureuse, vivre la vie que tu aurais choisi et non pas celle qu'on t'imposait. Tu ne voulais pas grandir, eux, te poussais à le faire trop vite. C'est surement pour cela que tu as fait trainer les choses dans ce monde, que tu as accepté chaque invitation, même les plus farfelues, que tu as encouragé toutes les discussions, même les plus illogiques. Tu aurais pu quitter ce lieu en quelques jours, tu as décidé d'y rester des semaines, peut-être même des mois, la notion du temps paraît si abstraite quand on côtoie à folie et la liberté de si près. Alors ici, parmi ses parias, tu te sentais bien, tu te sentais toi-même. Bien sûr, toute chose à une fin, à un moment donné, tu n'eus d'autres choix de t'en aller, en fait, tu voulais à tout prix retourner chez toi et en même temps, découvrir qui était cette Dame de Coeur que tout le monde semblait craindre. Tu as donc continué ta route... perdu entre l'envie de sortir d'ici et celle de découvrir encore d'autres personnes si unique et libre.

Ta curiosité te poussa encore plus loin dans cette étrange région, tu croisas encore bon nombre d'étrangeté, même si honnêtement, tu ne fus pas certaine que tout soit réel, te demandant plus d'une fois si le thé de ton ami n'avait pas été mélangé à autre chose. En tout cas, ta persévérance fut en quelque sorte récompensée, tu tombas enfin sur la demeure de la Dame de Coeur, celle qui se montrait le plus dominant ici, elle n'avait aucun réel titre au fond, mais beaucoup en avait peur et suivait aveuglément sa folie. Car folie, tu ne vois pas d'autres mots pour décrire ses actions. Des gens qui tentent de peindre en rouge tout ce qui leur passe sous la main, y compris les fleurs, des gardes aux allures de valets de coeur et surtout ses cris effrayants provenant de la cour, dans laquelle ils décapitaient joyeusement n'importent qui pour n'importe quelle raison. Oui oui, c'était apparemment la coutume locale imposée par cette cruelle femme à la beauté étrange, elle voulait tout diriger, au point que la moindre petite infraction était punie de la pire des façons qui soit. Un voleur de banane était apparemment récompensé de la même façon que le pire des meurtriers, il n'y avait pas de demi-mesure avec elle, simplement une anarchie follement contrôlée.

Dans cette demeure loin de refléter la richesse qu'elle tentait d'imposer, tu fis la connaissance de bien des gens, la Dame de Coeur elle-même te salua, et tu ne tentas pas de la contredire ou de faire quoi que ce soit qui aurait pu la froisser. Pas assez folle pour risquer ta tête. Tu eus même la chance de participer à l'un de ses procès, dont le seul juge était elle-même. Tu aurais pu rester discrète à partir de là, mais ce fut sans compter sur ta maladresse légendaire... ou plutôt ta malchance pour le coup. Tu ne fus pas vraiment responsable de la suite, pour une fois. Et pour cause, à ce procès des plus grotesques, certaines de tes connaissances décidèrent de réapparaitre et le vieillard toujours en retard t'appela comme témoin. « Hein? » Voilà la seule chose que tu pus répondre. Tu ne savais même pas de quoi ce procès parlait, tu ignorais jusqu'à qui était accusé ici, tu étais là simplement parce que la Dame de Coeur t'avait croisé et que tout le monde était invité à y assister. Toi, tu voulais juste regarder et tu n'avais de toute façon rien à dire! Toutefois, on ne dit pas à non à la Dame de Coeur, pas ici, alors tu n'eus d'autres choix que d'avancer au milieu de cette si sombre salle d'audience, dans laquelle le rouge et le noir prédominait, pour ne pas dire envahissaient tout l'espace.

Par chance, tu n'eus le temps de ne répondre à aucune question, à dire vrai, tu n'arrivas même pas jusqu'au banc des témoins, puisque tu trébuchas, encore, lamentablement, peut-être trop stressé et apeuré par tout ça, ou encore sous l'effet d'une quelconque drogue, en tout cas, par la force des choses, le banc des jurys se brisa après un enchainement de maladresse de ta part, telle la chute de dominos dont tu aurais été la première pièce, la plus importante. Ta vie semblait ainsi écrite, tu étais le premier domino qui chute et fait tomber tous les autres, inévitablement. Inutile de vous dire que la taulière des lieux n'a pas apprécié qu'on vienne bousculer son petit univers, prenant cette maladresse pour une espèce d'insulte de ta part. « Qu'on lui coupe la tête! » Tu affichas de gros yeux, totalement abasourdis par ce verdict des plus inconvenants. « Attendez, on peut en discuter avant? » bien sûr que non, personne ne discute les ordres de cette femme, peut-être sorcière, ou simplement folle alliée, difficile à dire, en tout cas, on ne te laissa pas le temps de faire un pas. La sentence était tombée et cette femme se prenant pour la reine de cet endroit si lugubre voulait ta tête sur un plateau d'argent. Tu voulais bien vivre de grandes aventures, mais mourir, comme ça, alors que tu commençais tout juste à connaitre les joies de la liberté, ce n'était pas franchement ce dont tu aurais rêvé. Tu as essayé de négocier, de mentir, de raconter des tas histoires farfelues pour sauver ta peau, mais rien n'y fit, tu fus conduite devant le bourreau et là... Eh bien, il se passa quelque chose d'assez inattendu. Le bourreau et ce Sire de Coeur commencèrent à se disputer vivement sur des sujets divers et variés, notamment sur la façon de couper une tête... leur dispute continua, encore et encore, durant de longues minutes, encore plus quand Cheshire fit son apparition, provoquant encore davantage ses deux hommes, alors que toi, tu affichais un sourire amusé. Ils se battaient pour savoir comment couper la tête de ce chat... alors qu'il n'avait pas de corps. Une question bien compliquée, pour laquelle tu décidas de ne pas attendre de réponse. Discrètement, tu quittas les lieux sans attendre, lançant un dernier regard à ce chat qui t'avait tant de fois sauvé la vie et qui, entre nous, allait te manquer. C'est la pensée qui te traversa l'esprit à cet instant, même si quelque chose en toi te disait que vous vous reverriez un jour ou l'autre...

Ce que tu retiens de cette aventure, c'est qu'il faut savoir compter sur les autres pour s'en sortir. Sans Cheshire tu serais surement une simple victime parmi les autres, tu aurais passé ta vie dans un cachot en attendant que ses deux hommes trouvent un terrain d'entente, tout le monde aurait oublié ton nom et tu n'aurais pas pu vivre toutes ses aventures extraordinaires que tu te donnes pour mission de vivre. Cette contrée lointaine et anarchique fut le début de tout pour toi, c'est grâce, ou à cause d'elle, que tu as décidé de ne pas revenir auprès de ta famille, que tu es devenue une sorte de vagabonde, errant de contrée en contrée dans l'espoir de rendre sa vie palpitante. Tu fais ça depuis des années, tu as grandi avec cette liberté que tu chérissais tant, te moquant du reste, vivant simplement pour toi, à ta façon. Tu es peut-être un peu égoïste au fond, tu ne penses qu'à ta vie, tu ne penses qu'à la palpitation que tu ressens lorsque tu voyages, le reste ne semble avoir qu'un rôle secondaire dans ton existence. Tu ne l'avoue pas, mais plus le temps passe, plus tu comprends que tu serais peut-être prête à franchir certaines lignes simplement pour faire ce que tu as envie de faire, simplement pour avoir la vie dont tu as toujours rêvé, une vie pleine de surprises, loin de l'ennui et de la tranquillité que t'offrait ta famille, à laquelle tu penses pourtant parfois avec un pincement au cœur. Tu es perdu sur le fil qui sépare le bien du mal et il y a fort à parier que tu penches davantage vers le mauvais un jour ou l'autre...