Il y avait fort longtemps, dans les contrées de Yasin, un cygne qui avait tant perdu son chemin, que même son GPS (Générateur de Plan de vols de Secours) ne trouvait d'issue de secours. Porté par des vents violents et glacés, le pauvre oiseau ne pu que se réfugier dans la demeure la plus improbable qu'il soit, pour ces êtres immaculés et cherchant la douce chaleur du soleil.
C'était pourtant dans cette demeure que le cygne avait pu se réchauffer, et rencontrer l'hôte qu'il n'avait jamais songé rencontré un jour : le comte Dracula.

Et si étonnant que cette histoire puisse paraître, c'était bien chez ce « vieil » ami que Gracieux – sous sa forme charnelisée – se rendait ce soir, cette fois chaudement couvert pour éviter le moindre souffle de vent glacial lui chatouiller la nuque.
Depuis l'arrivée de Dracula dans son manoir reculé de Fort Fort Lointain, ils n'avaient pas encore pu passer une soirée pour fêter dignement l'installation du comte, mais Gracieux comptait profiter pleinement de cette soirée et il avait prévu quelques plans de vols pour cet atypique ami, qu'il ne supportait plus de voir enfermé chaque jour. C'était, selon son référentiel animal et de publicitaire chez Leroyal, un signe de mauvaise santé, et rester dans le noir, selon lui, provoquait dépression, démoralisation, une misanthropie passagère, virant à la paranoïa.
Gracieux admettait volontiers pousser le drame trop loin, mais il se refusait à voir Dracula enfermé chaque jour dans son manoir. Lui qui ne pouvait passer aucune journée sans un petit essain autour de lui, occupé du matin jusqu'au soir, ne pouvait concevoir de rester cloîtré dans une sombre habitation, n'en poussant la porte que le soir venu. Il ne s'agissait pas d'une quelconque maladie qui défigurait Dracula, celui-ci n'ayant pas besoin de produits de beauté de chez Leroyal – quoiqu'un eu pâlot – ou le rendait antipathique, et Gracieux avait fait de cet enfermement un de ces petits mystères à soulever.
N'osant toutefois ennuyer son ami avec des lubies que lui-seul comprenait, Gracieux préférait suivre les habitudes du comte, le retrouvant dès que la lune pointait un œil curieux, une fois le soleil couché.

Le cygne s'était apprêté à sortir dans le froid de l'hiver, et emmitouflé dans son épais manteau, il descendit du taxi-charrette pour pousser la porte de l'habitation de Dracula. Il s'était longuement préparé à affronter la température glaciale de cette fin de journée, le vent s'étant doucement levé, mais il n'avait jamais repoussé une visite amicale pour une atroce chute de neige.
Il referma son manteau sur lui, et poussa enfin les grilles menant au manoir, le petit chemin éclairé par des torches réchauffant l'atmosphère parfois lugubre. Les ombres des arbres décharnés par l'hiver lui rappela le château du comte à Yasen, lorsqu'il y avait passé quelques jours. Mêmes formes fantomatiques, mêmes ombres, même ténèbres, et pourtant, à Fort Fort Lointain, tout ceci lui parut presque chaleureux même s'il ne put retenir un léger frisson.


-Ah ! Mon cher Dracula, lança-t-il chaleureusement lorsque le comte lui eut ouvert la porte ! Quel froid dehors, je me serais cru à Yasen si tu ne m'avais pas ouvert la porte !
Il ôta son manteau une fois la porte refermée, bénissant la chaleur de la demeure.
-Mais tu es bien pâle...Tu n'es toujours pas sorti, c'est ça ? Le cygne leva les yeux au ciel en soupirant. Bon. Ce soir nous allons au moins fêter dignement ton arrivée dans la capitale. Il sorti de son manteau une bouteille d'hydromel qu'il tendit à son hôte. Voilà de quoi commencer. Le meilleur de la capital, car je connais très bien un petit producteur de Champ Âne qui m'en a fourni quelques caisses… et ensuite, foi de Gracieux et de cygne et de tout ce que j'ai pu voir, je veux te faire connaître les endroits de la ville qu'il ne faut AB-SO-LU-MENT pas louper !
Il leva un doigt sentencieux, n'attendant aucune réplique de Dracula, mais il savait que tant qu'il s'agissait de rester dans une nuit sombre, l'idée plaisait à son comparse. Il occulta totalement pendant un moment le danger actuel qui pouvait planer sur la ville, et plus encore depuis qu'il avait réussi à se mettre quelques personnes officiellement à dos lors de l'Assemblée Royale. Avec un peu de chance, son bec était placardé dans les rues sordides de la ville, à destination de chaque rebelle du coin. Mais il préférait éluder cette partie « dangereuse » de la soirée, en se rassurant lui-même par ses capacités à se défendre bec et palmes s'il le fallait. Quant à l'insécurité générale de la ville, c'était presque ce soir un détail...ils sauraient aviser en tant et en heure : les rebelles n'allaient pas les empêcher de fêter dignement ces retrouvailles.

-Mais raconte-moi ce qui t'a poussé à venir par ici ? Trop froid ? Tu préfères un climat plus doux ? Gracieux eu un sourire amusé, mais il ne doutait pas un instant de mettre les deux palmes dans le plat en parlant de Yasen à Dracula. Ce oir n'était pas un soir à mauvais souvenirs; demain peut-être, mais tout de suite, il y avait de l'hydromel et quelques mois à passer en revue.

Gracieux & Dracula

Dracula finissait seulement de préparer son salon pour accueillir son hôte. Celui-ci ne devait d'ailleurs plus tarder - Heinrich était au lit, Dracula lui avait donné la soirée car, après tout, celui qu'il recevait ce soir était un ami. Ils s'étaient rencontrés à Yasen, alors que Gracieux avait décidé de s'octroyer la liberté de voler un instant. Cette liberté fut rapidement compromise lorsqu'il se retrouva à Yasen contre son gré et, puisque le destin le voulait, Gracieux finit par atterrir chez Dracula, qu'il accueillit et réchauffa. Le vampire avait été étonné de trouver en lui un compagnon fort agréable mais ne put que s'en réjouir.

Il était donc normal que, maintenant que Dracula avait déménagé à Fort Fort Lointain, Gracieux lui rende visite pour fêter cette nouvelle étape. Le vampire avait laissé le soin à Heinrich de nettoyer son manoir toute la journée, mais il avait pris en charge la préparation du salon et des boissons. Cela lui importait beaucoup et, ainsi, il était certain de l'accueillir comme il le devait. Enfin, tout était prêt et Dracula pouvait s'adonner à une de ses activités favorites : faire les cent pas devant la porte d'entrée, attendant vainement que quelqu'un toque. Il était certain que, bientôt, un creux se formerait à l'image de ses nombreux passages. Dracula n'attendait pas souvent quelqu'un, à vrai dire la plupart de ses hôtes s'invitaient chez lui ; c'était donc une occasion particulière que d'accueillir un ami.

Enfin, les coups retentirent. Dracula se tint droit, inspira un coup et fit les deux pas qui le séparaient de la porte. Les doigts sur la poignée, il ouvrit ce qui le séparait de Gracieux et lui fit face, sa bonne humeur évidente dansant sur son visage. « Bienvenue ! » dit-il, heureux de l'accueillir. Il le débarrassa de sa veste, écoutant d'une oreille distraite les constantes remarques sur son visage pâle et son besoin de sortir la journée. De sa main libre, il prit la bouteille d'hydromel amenée par son invité et le remercia.
Voilà une chose que Gracieux ne savait pas. Il n'avait jamais deviné la véritable nature de son hôte et n'avait pas l'air de se questionner réellement, malgré les horaires de rencontre singulières et son rythme de vie à l'écart de tout le monde. Ce n'est pas que Dracula n'avait pas envie de lui dire - au contraire, cela calmerait Gracieux quant à sa mission de le faire sortir - mais il ne savait pas comment lui dire après tout ce temps, ni comment celui-ci réagirait. Alors il préférait se taire, simplement.

La promesse de Gracieux de lui faire découvrir tous les endroits de la ville cette nuit ne déplaisaient pas à Dracula, qui n'avait eu le temps d'explorer toutes les rues. A vrai dire, le seul chemin qu'il connaissait désormais était celui menant à la boutique de Monsieur Scrooge ! Son ami leva le doigt, signifiant que le vampire ne pouvait discuter sa décision.
Le-dit vampire la dirigea vers le salon, où un feu était allumé dans la cheminée. Il posa la bouteille d'hydromel sur le bar, remplit deux verres et alla les poser sur la table basse, où il s'installa alors sur un canapé.
« Mais raconte-moi ce qui t'a poussé à venir par ici ? Trop froid ? Tu préfères un climat plus doux ? » Dracula s'autorisa un sourire avant de penser à Yasen et aux événements qui avaient précédé sa fuite. Il ne pouvait décemment pas parler de cela à Gracieux - ils n'étaient pas ici pour parler politique mais pour fêter la venue du vampire. « Il y a de ça. J'avais surtout envie de voir d'autres villes, d'autres contrées - Yasen est devenu lassant. » Ce n'était pas réellement un mensonge. Il occultait simplement tous les autres détails. « Et toi, que deviens-tu ? Cela fait longtemps maintenant que nous ne nous sommes pas vus. J'imagine que ta vie doit être passionnante ! »

Dracula prit une gorgée de son hydromel et ferma les yeux instant, savourant le liquide qui descendait le long de sa gorge. Il pensait au reste de sa soirée et se doutait que cela pourrait rapidement tourner à la catastrophe - la bonne catastrophe, celle qui vous fait rigoler le lendemain. Il avait hâte de sortir de ce manoir et de voir du monde. Dracula, ces derniers jours, s'était senti quelque peu seul. « Où allons-nous, après ? Je me dois de te prévenir : je peux rester debout toute la nuit. T'en sens-tu capable ? »

Gracieux & Dracula

Gracieux se montrait si souvent pointilleux sur les principes et les règles élémentaires de bienséances qu’il pouvait en devenir un hôte particulièrement agaçant, mais s’il y avait une personne avec qui il ne pouvait se draper dans cette facette de perfection, c’était bien Dracula. Le comte l’avait rencontré alors qu’il était dans une situation que nul, dans la capitale, ne devait apprendre, sans quoi il perdrait une dose de crédibilité. Face à Dracula, Gracieux laissait tomber un masque et avait souvent la sensation de retrouver cette insouciance dans laquelle il avait vécu chez le vieux qui l’avait recueilli.

Alors qu’il suivait son ami dans le salon, près du feu qui crépitait dans l’âtre, il réalisa que les personnes auprès de qui il restait le plus naturel étaient celles qui l’avaient sauvé, de quelque manière que ce soit. Il y avait une sorte de dette qu’il tenait à rembourser; pour le vieux, il y avait cette affaire entre eux. Pour Dracula, il n’avait encore pu déceler tout à fait ce qui convenait le mieux, mais il devinait que partager un peu d’hydromel n’était pas un mauvais début.

Il s’installa dans les confortables fauteuils de son hôte, prenant le verre tendu. Avec un peu de chance, son fournisseur officieux d’hydromel ne se serait pas trompé dans ses recommandations! Il hocha vaguement la tête lorsque Dracula lui donna la mince raison de son départ. Dans ce “Il y a de ça”, il sentit qu’il y avait en effet une autre partie, mais dont le comte ne souhaitait pas parler. Et pour Gracieux, ces signes étaient pour lui le début d’un voile à soulever. Non seulement par pure curiosité, mais surtout pour Dracula. La raison qu’il ne lui avait pas dévoilée était peut-être assez importante pour que Gracieux se sente investi de cette muette mission de l’aider. On ne quittait pas sa demeure sur un coup de tête! Le cygne détestait laisser un ami sur le côté d’un sentier, et dans ce “Il y a de ça”, il voulut en découvrir plus sur le reste, mais il savait que chaque chose se ferait en son temps.

« Et toi, que deviens-tu ? Cela fait longtemps maintenant que nous ne nous sommes pas vus. J'imagine que ta vie doit être passionnante ! »
Gracieux vu une gorgée d’hydromel - son vendeur ne s’était pas trompé - et leva les yeux au ciel dans un sourire.
« Leroyal est une véritable fourmilière! Je ne voudrais pas diriger tout ce petit monde, la publicité me suffit amplement. Je rencontre tous les jours tout ce qui m’a toujours plu, fit-il d’un air songeur. Des vêtements, de belles personnes, de la beauté pour faire rêver le peuple… Que demander de plus? Mais ce soir, reprit-il plus gaiement, ne parlons pas de travail, ni des choses qui fâchent, ce sont nos retrouvailles! »
Il leva son verre vers celui de Dracula pour trinquer.

« Où allons-nous, après ? Je me dois de te prévenir : je peux rester debout toute la nuit. T'en sens-tu capable ? »
Gracieux se mit à rire franchement.
« Moi? Pas capable de tenir une nuit entière! Peuh! Pari tenu! Je suis sûr de te coucher! »
Il vida son verre d’une traite et d’un air de défi, jetant un oeil fier à Dracula, se resservi, tendant la bouteille à son hôte. Si j’avais su, j’aurais du prendre une caisse entière…Mais bon...Parlons de la sortie...j’ai quelques idées! »
Il se refonça dans son fauteuil, buvant presque d’un trait son verre. Au moins, sa forme humaine avait cet atout là: il était parfaitement capable de voir un verre d’alcool sans risquer quoi que ce soit. Sous ses plumes, il avait toujours fui ces liqueurs, craignant les effets secondaires de types plumes qui poussent à l’envers.
« On peut essayer Ragtown, mais je pense que c’est une idée douteuse en ce moment. »Gracieux ne préféra pas expliquer l’assemblée royale et les tensions que la ville avait connu après le bal. Il n’avait pas osé mettre une palme dehors en deux semaine, par crainte de se faire prendre à partie par une foule hétéroclite (et sale), alors Ragtown semblait une vague et imaginative idée. Il ne voulait pas non plus croiser un chevalier-flic qui lui demanderait pourquoi le chef de pub de Leroyal se retrouvait dans ces bouges. « Ou sinon, il y a Rollywood Boulevard, plus calme et sécuritaire, »ajouta-t-il.

Mais l’orgueil d’un cygne est certainement ce qu’il y a de plus précieux après une plume immaculée, et alors qu’il terminait son verre, il réalisa qu’il devait certainement passer pour un timoré auprès de Dracula. Gracieux détestait par dessus tout que l’on puisse le percevoir comme un lâche peu courageux, et en reposant son verre, il s’entendit prononcer des mots qu’il ne cautionnait absolument pas.
« Mais Ragtown reste intéressant, ça serait dommage de rater ça! »
A peine avait-il terminé sa phrase qu’il se maudit. Il pouvait rajouter que Rollywood était aussi bien, mais le cygne, après un rapide calcul mental, réalisa que quoiqu’il dise, il passerait pour un frileux s’il repoussait l’idée de Ragtown.
« Enfin où qu’on aille, je vois que ton verre est plein, et cette idée est détestable! »Se relevant, Gracieux remplit allègrement le verre de Dracula, espérant qu’avec un peu de chance, au moment de sortir, le comte ai oublié ses propositions. Tant qu’il y a de l’hydromel, il y a de l’espoir.

Gracieux & Dracula

Il y avait cette simplicité avec Gracieux que Dracula ne pouvait qu'apprécier. Il pouvait se montrer insistant parfois, mais s'ils se voyaient, c'était toujours dans le but de passer un bon moment. Son ami semblait s'épanouir dans ce qu'il faisait ; après tout, cela n'étonnait pas le vampire, car il avait l'impression que Gracieux avait trouvé sa place à Leroyal. Ils trinquèrent à leur soirée et Dracula profita de quelques secondes pour savourer ce moment, assis avec un ami dans son salon, un verre d'hydromel à la main. Il le sirota à petites gorgées, savourant l'alcool qui descendait le long de sa gorge.
Il rigola lorsque le blond paria qu'il serait celui qui couchera le vampire - s'il savait ! Cela tourmentait d'ailleurs l'esprit de Dracula. Il était au courant du secret de son ami tandis que lui n'en savait rien. Cependant, il ne trouvait de moment propice pour lui révéler sa véritable nature. Cela attendrait, décida-t-il.

Vinrent ensuite les propositions de sortie. Dracula connaissait encore peu la ville et encore moins les affaires politiques du royaume. Lorsque la proposition de Ragtown fit surface, il acquiesça doucement. Cela lui semblait une bonne idée. Gracieux, lui semblait hésiter, avec raison, mais s'il lui avait proposé Ragtown, c'était bien que cela en valait la peine, non ?
Gracieux s'affaira à remplir son verre - à cette vitesse, la bouteille serait bientôt vide.

« Allons à Ragtown, alors. J'ai entendu dire qu'il y avait beaucoup à faire là-bas. Je n'ai encore jamais mis les pieds ni dans cette partie de la ville, ni à Rollywood Boulevard. » Il repensa soudain à ses affaires qui l'avaient amenées à Romeo Drive, à la rencontre de Monsieur Scrooge. « J'ai visité Romeo Drive, le jour dernier. J'ai beaucoup aimé cette artère commerçante ! Si tu n'arrives pas à te décider pour ce soir, nous pouvons faire Rollywood et Ragtown. Je dépêcherais une calèche pour nous. »

Le vampire jeta un regard à l'horloge accrochée au-dessus de sa cheminée. Il était déjà 22 heures ; le soleil se lèverait dans 8 heures. Le temps ne pressait pas encore, mais n'allait pas tarder. Il but son verre d'une gorgée, puis un deuxième, tout en remplissant celui de Gracieux entre-temps. « Il ne faudrait pas tarder à y aller. Ma seule condition est de revenir ici pour 6 heures, est-ce que cela t'ira ? Si tu n'es pas fatigué alors, nous pourrons continuer notre soirée ici. Quelques bouteilles doivent encore se cacher dans ma cave, je demanderais à Heinrich de les récupérer. » Il écrivit rapidement un mot à Heinrich, qu'il laissa en évidence sur la table basse. Il n'était pas sûr que Gracieux serait encore d'aplomb, ainsi le prévenait-il seulement de l'éventualité de sa mission.

Rien ne les obligeait à partir immédiatement, ainsi Dracula profita encore un peu de la chaleur de son manoir. « Dis-moi, sais-tu où je peux trouver des couturières, en ville ? Je sais que certaines travaillent pour le salon funéraire de Monsieur Scrooge, mais je ne sais pas si elles créent des vêtements. J'ai besoin de quelques manteaux. Il me faudrait cependant une couturière qui accepterait de travailler en soirée. » Après tout, Gracieux, par son métier, connaissait certainement la personne dont Dracula avait besoin.

Gracieux & Dracula

Ce que Gracieux appréciait chez Dracula, c’était tout le confort de son domicile, le feu de bois qui crépitait, ces fauteuils moëlleux…Enfoncé dans son siège, il dégustait l’hydromel en observant les flammes qui crépitaient dans l’âtre. Dracula savait recevoir, même sans faire d’effort particulier, et c’était certainement ce qui le poussait à sonner chez son ami. Pour un perfectionniste comme Becnoir, la demeure et le style de Dracula ne pouvait que lui plaire. Même son hôte était parfait jusqu’au bout de ses pointes de cheveux.
L’un des défauts que pouvaient donc déplorer Gracieux était que Dracula était régulièrement partant pour ses propositions, et que Ragtown le tentait. Il ne voulait pas rentrer dans des explications alambiquées au sujet de l’Assemblée Royale, de sa prise de position officielle, de ce chevalier-flic désagréable, et encore moins de sa crainte de voir la population les lyncher pour le simple fait d’être vêtu comme….comme il l’était quotidiennement, c’est-à-dire : beaucoup trop voyant.

Le cygne préféra siroter le quatrième – ou cinquième, qu’importe – verre d’hydromel que lui servit Dracula pour cacher une infime grimace lorsque son hôte rebondit sur l’idée de Ragtown.
-Ah mais Romeo Drive est beaucoup plus calme en effet, relança-t-il ! Leroyal a ses bureaux là-bas, passe me voir quand tu y retournera, on ira se boire un café en terrasse ! – Ou l’art de mettre les palmes dans le plat. Gracieux se gratta le bec, enfin le nez, réfléchissant à l’idée de Dracula. Il n’avait pas lâché Ragtown, il ne pouvait pas lui refuser ça…et en buvant un autre verre d’hydromel, il tenta de se convaincre que tous deux sauraient bien se défendre en cas de problème !

-Allez, va pour Ragtown et Rollywood ! On fera Rollywood en premier, histoire de ne pas arriver boueux si on se perd dans Ragtown.
-Il ne faudrait pas tarder à y aller. Ma seule condition est de revenir ici pour 6 heures, est-ce que cela t’ira ?
-6 heures ? c’est parfait, et au pire Alice s’occupera de la boutique, peut-être qu’elle arrivera à ne pas mettre le feu aux bureaux en attendant ! Heinrich est absolument parfait !
Gracieux, encore un verre en main, n’avait pas prêté une attention plus particulière aux lubies d’horaires de Dracula. Et quand on s’appelait Becnoir et qu’on se crispait dès qu’une feuille dépassait d’un dossier, on ne pouvait pas vraiment faire de leçon de manie.
-Ca nous laisse largement le temps de faire le tour de la ville avant que le soleil se lève ! Il y a une atmosphère différente, tu verras…

Il termina son verre d’un trait alors que Dracula laissait un petit mot à Heinrich pour leur retour. Mieux vaut prévenir que guérir, surtout s’ils étaient de sortie…
-Partons maintenant, alors, pour avoir le temps de trouver l’endroit idéal ! Sans non plus presser son hôte, il reposa son verre et se leva, supprimant quelques plis de sa veste. Pour les couturières, reprit-il, j’ai longtemps travaillé avec une qui est formidable, mais à l’extérieur de la ville, et en fin de journée, en général, elle dort, mais peut-être qu’elle pourrait faire ça pour moi ! La jeune femme dont parlait Gracieux était celle grâce à qui il était là. La fille de celui qui l’avait recueilli, celle qui lui avait fait connaître tout de la mode, du bon goût, de la beauté de la création…Il la gardait bien précieusement pour lui et donnait rarement son nom aux habitants de la capitale, conservant ce petit jardin secret, mais pour Dracula, il aurait fait cet effort ! Je lui enverrai un canard et te dirai sa réponse. Je crois qu’il y en a aussi dans Romeo Drive ou même Ragtown, on pourra toujours voir ce qu’ils font de bizarre là-bas. Le cygne afficha un sourire narquois en imaginant la mode en vogue dans Ragtown. Enfin…ce qu’on pouvait appeler « mode ». Il termina ce qu’il restait au fond du verre et s’apprêta enfin. Si nous devons rentrer tôt, allons-y, donc !  


Dans le taxi-calèche qui les emmenait en ville, Gracieux tâchait de se rappeler comment se balader dans Ragtown tout en évitant les coins sordides du genre la Sirène Amputée. C’était bien le dernier endroit de la terre où il souhaitait mettre les pieds, non seulement pour ne pas les salir, mais surtout pour préserver le minimum d’honneur qu’il tenait à conserver. L’autre raison pour laquelle il n’était pas enchanté d’aller dans Ragtown était Dracula. Il connaissait son ami, mais peut-être pas assez dans ce genre de situation géographique. Il l’avait connu chez lui, dans un environnement qu’il maîtrisait, auprès de personnes qu’il connaissait - même s’il s’agissait de ses deux sœurs – et  auprès de qui il pouvait être lui-même. Romeo Drive était assez sécurisante, Rollywood ne se prêtait pas à la crainte, mais Ragtown…un repère de coupe-gorge !  Il n’avait aucune envie de voir son ami se faire maltraiter, ou devoir user de quelques forces particulière pour se défaire de voleurs.
Fort Fort Lointain avait cette étrange particularité de masquer les véritables identités de ceux que l’on croisait. Rien ne disait à Gracieux que Dracula n’était pas de cette sorte de chauve-souris ne sortant que la nuit !

-Bon. Alors Ragtown est quand même un repère mal famé…on ne sait jamais sur qui on tombe, et je ne voudrais vraiment pas qu’il arrive quelque chose, commença Gracieux dans le taxi-calèche, masquant son manque d’assurance sur le sujet. Ces voleurs ont des techniques à eux, ça peut être dangereux, en quelques mots…
Jusqu’au dernier moment, Gracieux repoussait l’idée. Si Dracula ne lâchait pas l’idée, il serait presque certain d’avoir affaire à un téméraire inconscient.
Le taxi-calèche avait déjà passé les portes de la ville et s’enfonçait parmi les habitations, jusqu’à la patte d’oie qui marquait leur choix : Ragtown ou Rollywood !

Gracieux & Dracula

Dracula ne put s'empêcher de grimacer lorsque Gracieux lui lança une invitation à boire un café en terrasse. S'il devait mourir un jour, ce ne serait définitivement pas l'endroit qu'il choisirait. Son ami cependant ignorait tout de sa condition, ainsi il ne lui en tint pas rigueur et se contenta d'un hochement de tête - une réponse sans en être une. Enfin, il fut temps de se mettre en route. Gracieux lui affirma que cela leur laissait le temps de faire leurs affaires avant que le soleil ne se lève, ce que Dracula espérait. Il oubliait parfois que certaines personnes travaillaient durant la journée. Ce n'était pas une notion qu'il connaissait très bien ou un univers qu'il fréquentait, ainsi s'en étonnait-il toujours, alors qu'il était l'exception dans ce cas.

Il posa son verre et s'apprêta, en écoutant Gracieux lui parler de sa couturière. Si son ami le la lui recommandait, c'était certainement qu'elle en valait la peine. « J'aimerais beaucoup la rencontrer ; tiens-moi au courant si elle accepte de travailler à mes horaires assez peu conventionnels ! ». Les horaires peu conventionnels de Dracula justement n'étaient généralement plus un problème dès lors qu'il mettait l'argent. S'il avait appris une chose, c'était que l'argent faisait plier bien des décisions en sa faveur ! La preuve en était avec Ebenezer, qui n'aurait certainement pas ouvert son établissement à un gueux en quête d'un cercueil premier prix. Mais il ne s'en plaignait pas, au contraire ! Cela facilitait largement sa vie extraordinaire.

Le trajet dans la calèche s'effectua assez rapidement. En passant les portes de la ville, son hôte d'une nuit signifia sa préférence pour Rollywood. En écoutant ses mots, Dracula comprit enfin son inconfort face à la possibilité d'aller passer la soirée dans Ragtown et s'en voulut de ne pas avoir compris plus tôt. « Allons à Rollywood, dans ce cas. Je ne tiens pas à passer ma soirée à vérifier que j'ai encore toutes mes possessions ! ». Signifiant son attention au cocher, il reprit place sur la banquette et sentit le besoin de s'excuser. C'était après tout important de comprendre les intentions cachées de son hôte - Gracieux avait été d'une extrême courtoisie en lui offrant un choix. « Je ne savais pas que Ragtown était aussi mal famé. Je ne suis pas encore très à l'aise avec cette ville, comme tu le sais je ne suis pas encore beaucoup sorti de chez moi. Le déménagement nécessitait du temps. » Le réel problème était qu'il ne connaissait pas grand monde sur Fort Fort Lointain - ses sorties s'étaient résumées à des sorties de nécessité, tâches qu'il avait dut accomplir en vitesse, car les magasins fermaient tôt, ici. Aucune ville n'était faite pour un vampire - il ne serait jamais assez heureux d'avoir Heinrich à ses côtés.
« Merci de me l'avoir signifié. Je pense que nous serons mieux à Rollywood ! » Là était la manière que Dracula avait de s'excuser. Il ne voulait pas faire penser à son hôte qu'il l'obligeait à choisir une destination, ce qui n'était pas le cas mais beaucoup culpabilisent pour un rien.

La calèche s'arrêta et le cocher tapa trois coups sur le bois, leur signifiant qu'ils pouvaient descendre. Il avait connu manières plus appropriées mais il ne s'en offusqua pas. Il ouvrit sa portière, descendit et la tint ouverte pour Gracieux. A peine avaient-ils posé le pied par terre que la calèche partit dans une traînée de poussière. Dracula secoua la tête et prit enfin le temps de regarder aux alentours. Il n'était jamais venu ici - la plupart de ses sorties s'étaient concentrées sur l'artère commerçante.
« Eh bien, par où allons-nous commencer ? » Peu de gens étaient déjà de sortie, et Dracula profita du calme ambiant pour se rassurer. Il ne restait plus qu'à espérer que l'endroit dans lequel ils allaient passer la soirée ne comportait aucun miroir - sinon, Gracieux se poserait certainement des questions.

Quoique, le connaissant, il ne s'offusquerait pas de n'avoir le miroir que pour lui. « Je t'annonce que la première tournée est pour moi ! » Nul besoin de se leurrer et de n'annoncer qu'une tournée - cela était bien parti pour durer la nuit entière.

Gracieux & Dracula

Expliquer le soulagement de Gracieux lorsque Dracula décida d'aller à Rollywood serait inutile. Le cygne se rengorgea silencieusement, fier d'avoir pu subrepticement glisser ses propres envies. Après tout, n'était-ce pas lui qui connaissait le mieux la ville ? Par cette simple position, Gracieux se sentait en bien meilleure posture pour décider du lieu….tout en laissant le « choix » à son ami.
«- Je ne savais pas que Ragtown était aussi mal famé. Je ne suis pas encore très à l'aise avec cette ville, comme tu le sais je ne suis pas encore beaucoup sorti de chez moi. Le déménagement nécessitait du temps.
-Je t'aurai de toute façon suivi si tu avais décidé d'y perdre tes plumes, »lâcha Gracieux dans un rire poli, avouant la moitié de ce qu'il pensait réellement : il l'aurait en effet lâchement abandonné dans les rues si Dracula avait décidé d'outrepasser son maigre conseil. Dans certains cas, mieux valait prendre son courage à deux palmes et fuir. « Rollywood est plus côté, nous trouverons des endroits plus sympathiques et surtout, plus sécuritaires. » Il n'ajouta rien quant aux excuses couvées de Dracula, mais l'attention de son hôte l'avait un tantinet rasséréné. Bien que l'aventure ai toujours eu une petite place dans sa vie de volatile, il préférait la garder loin de lui lorsqu'elle allait de pair avec « danger » et il n'avait encore aucune idée des capacités de Dracula face à une horde de gueux.

Les trois coups cognés les firent tous deux descendre du taxi-calèche, et malgré la bougonnerie du cocher, Gracieux lui tendit quelques piécettes avant que l'autre ne reparte en les étouffant.
« -Ces fonctionnaires ne respectent même plus les clients, ronchonna le cygne en s'époussetant. Bon !
-Eh bien, par où allons-nous commencer ?
-Je pense que nous avons quelques choix...alors là-bas, il y a Clef du Champs, tenu par l'ancienne chèvre d'un certain Seguin. Pas très sympathique et jamais là, surtout. Il y a aussi Angelica, un salon de thé tenu par une mégère, le Nostradamus, mais le propriétaire passe beaucoup de temps à parler du temps qu'il fera demain, et le Palais des Glaces, ils servent les meilleurs sorbets de toute la ville. »
Pendant que Gracieux se remémorait les endroits où passer un peu de temps, ils passaient devant les boutiques qui fermaient leurs portes, les restaurants qui se remplissaient doucement, ou se vidaient pour d'autres. Peu de monde était encore sorti, et l'on captait dans les rues une certaine tension, depuis les derniers événements.
-« Je t'annonce que la première tournée est pour moi !, » lança Dracula alors que Gracieux venait de trouver le Café de la Place, café typiquement étrange.
-Et la deuxième sera pour moi, alors ! Et je sais maintenant où je vais t'emmener ! » Ils continuèrent le long de la rue et Gracieux poussa la porte du Harold's, restaurant chic et sobre, du nom de l'ancien roi de Fort Fort Lointain. Le propriétaire avait eu la permission de conserver le nom de son pub, au nom de son ancienneté dans la ville. Le café chic prospérait et attirait chaque soir de nombreux clients venus goûter aux spécialités du patron.

« -Tu verras, ça sera parfait, s'assura-t-il en suivant le serveur qui les installa. Je viens souvent, » ajouta-t-il d'un ton de confidence. Il espérait également que le propriétaire lui fasse un geste de reconnaissance...après tout, n'était-il pas l'un de ses plus fidèles clients ? Il afficha un large sourire lorsqu'il reconnu la silhouette du patron s'approcher d'eux et se pencher vers leur table.
« -Est-ce que tout est bien, messieurs ? Monsieur, fit-il vers Gracieux qui l'accueilli avec un large sourire, pour vous, je vous offre à tous deux notre boisson du soir ! Je ne vous dit rien de sa composition, la recette est spéciale et secrète, évidemment ! »


Quelques minutes plus tard, deux petits carafons arrivèrent, remplis d'un liquide blanchâtre.
« -Qu'y-a-t-il dedans, demanda Gracieux sans conviction ?
-Goûtez, et si vous trouvez, je vous offre les suivants !
-Eh bien mon cher ami, je crois que 6h du matin ne suffira pas, lança Gracieux vers Dracula, en levant on premier verre ! Un verre que je trouve avant toi les trucs étranges qu'il a mis dans nos pichets. » D'un geste, il s'enfila une première gorgée avant de manquer de s'étouffer. L'alcool lui brûla l’œsophage, les poumons, l'estomac, avant de faire le chemin inverse et de redescendre immédiatement, laissant un goût étrange de sucre et de fruit au fond de la gorge. Il manqua de recracher le tout sur la table et toussota.
« -Au moins il ne s'est pas moqué de nous ! Rappelle-moi d'écrire tout de suite que je dois t'emmener voir ma couturière dans peu de temps, car je doute d'avoir encore toutes mes plumes ce soir ! »

Il ne manquerait plus qu'il croise Alice, Odette ou pire, Beausourire, et que sa réputation soit anéantie pendant de nombreux mois, s'il terminait cette carafe d'alcool venu de plus loin que Saay ou Afshin.
« -Et surtout, ne me pose pas de questions étrange, je serais capable d'y répondre, » reprit-il avant de reprendre une deuxième gorgée d'eau de lave, de feu ou tout ce qui pouvait brûler sur ces terres.

Gracieux & Dracula

Rollywood s'étendait devant leurs yeux et Dracula était bien obligé de s'en remettre à Gracieux. Après avoir renvoyé le cocher malpoli, le blond indiqua plusieurs possibilités pour la soirée. Dracula était assez excité à l'idée de passer sa première nuit en dehors de son manoir - cela ne lui était encore jamais arrivé depuis son arrivée à Fort Fort Lointain. L'énumération des endroits que proposaient Rollywood ne disait rien à Dracula, ainsi laissa-t-il le choix à Gracieux tout en offrant sa première tournée. « Et la deuxième sera pour moi, alors ! Et je sais maintenant où je vais t'emmener ! » L'engouement de son ami était contagieux et il accepta avec plaisir. « Je te suis ! ».
Un peu plus loin dans la rue, ils arrivèrent devant une bâtisse arborant fièrement le nom de « Harold's ». Gracieux poussa la porte d'un air décidé et Dracula entra à sa suite, examinant rapidement les lieux. Il s'attendait à quelque chose de plus vétuste mais il se rappela que Gracieux l'avait aiguillé vers la meilleure partie de la ville. La salle était décorée d'un goût certain. Le fait que le jeune homme connaisse l'endroit rassurait également le vampire et, lentement, il commença à se sentir à l'aise.

Une fois assis, un homme s'approcha de leur table. « Est-ce que tout est bien, messieurs ? Monsieur » dit-il en saluant Gracieux. « pour vous, je vous offre à tous deux notre boisson du soir ! Je ne vous dit rien de sa composition, la recette est spéciale et secrète, évidemment ! » L'homme s'éloigna quelques secondes et Dracula en profita pour glisser son contentement à son ami. « Voilà un choix judicieux ! Et puis, se voir offrir les premières boissons... je ne pourrais jamais m'en plaindre ! ».
Rapidement, l'homme revint avec des boissons à l'aspect blanchâtre. Tout aussi peu rassuré que son ami, il accepta rapidement le jeu que l'homme leur proposait, plus qu'heureux de la perspective de se voir offrir une autre tournée.
« Eh bien mon cher ami, je crois que 6h du matin ne suffira pas ! » Gracieux leva son verre et les deux hommes trinquèrent. « Un verre que je trouve avant toi les trucs étranges qu'il a mis dans nos pichets ! »
Dracula sourit, assez certain de son flair. « Adjugé ! » Le vampire ne se fit pas prier et but une gorgée de ce breuvage mystère. Une légère sensation de brûlure se fit ressentir. La boisson était fortement sucrée et fruitée, mais il décelait quelque chose de plus, qu'il ne pouvait pas encore nommer.

« Au moins il ne s'est pas moqué de nous ! » Dracula acquiesça. « Rappelle-moi d'écrire tout de suite que je dois t'emmener voir ma couturière dans peu de temps, car je doute d'avoir encore toutes mes plumes ce soir ! » Il rigola et but une autre gorgée de son verre. « Je ne suis moi-même pas sûr d'avoir encore tous mes esprits à la fin de cette soirée ! »
Son ami lui demanda de ne pas lui poser de questions étranges et, en rigolant, s'accorda une nouvelle gorgée. Dracula perdit un peu de son humeur - son secret flottait toujours, prêt à s'abattre à n'importe quel instant.

Il s'autorisa quelques secondes pour dévisager plus en détail la décoration, cherchant des yeux les miroirs. Un miroir lui faisait face mais, Gracieux s'étant assis en face de lui, il ne pourrait le voir. Il fallait seulement espérer qu'il n'ait pas envie de se retourner. « Pas de questions étranges, c'est noté. Quoique, faut-il encore que je m'en souvienne d'ici deux-trois verres ! »
Un peu soulagé, Dracula termina son verre d'une gorgée. Ils étaient là pour boire après tout, non ? Et si l'on comptait les promesses de tournée, il leur en restait au moins trois ! Il tentait toujours de définir les ingrédients de la boisson - un goût en particulier l'interpellait, mais il ne pouvait toujours pas mettre le doigt dessus.
« J'ai peur que nous devenions ivre morts avant même d'avoir découvert ce que cette boisson contenait ! » Il fit tourner son verre dans sa main, inspectant le liquide. Non, vraiment, il y avait quelque chose qui le bloquait. Dracula refusait généralement les boissons mystères, par peur que quelqu'un ait l'idée de faire un cocktail à l'ail mais, soyons honnête, cela n'arrivait jamais. « Dis-moi, as-tu eu d'autres mésaventures depuis celle de Yasen ? Je suppose qu'il n'est pas facile de... prendre la liberté que tu avais avant. » Dracula ne savait pas vraiment s'il pouvait clairement énoncer la transformation de Gracieux en cygne, ainsi s'en garda-t-il. Il ne se faisait pas encore clairement aux règles du royaume.

Gracieux & Dracula

Cygne, Gracieux pensait que les hommes avaient d'étranges coutumes, notamment celle de boire ce qu'ils nommaient « alcool » et d'en perdre une raison claire et nette. Il n'avait d'ailleurs jamais compris quel intérêt il pouvait y avoir à consommer ce qui faisait perdre la raison au point de ne pas marcher droit, d'oublier son nom ou son adresse.
Mais ça, c'était avant le Charnel. Car il fallait l'avouer, il avait prit ce pli qu'avaient les Hommes : celui de goûter aux menus plaisirs et au jeu de la gourmandise, il n'était pas le dernier.
Aussi, face au verre mystère – qui avait certainement brûlé son gosier au 2ème degré – il ne pouvait accepter de perdre les paris, et dès que la dernière gorgée fut avalée, il fit un signe discret au serveur pour une nouvelle tournée.

 «  Ivres morts, reprit-il dans un rire ? Pas avant d'avoir trouvé au moins UN ingrédient ! J'ai assez goûté aux alcools frelatés qu'on m'envoie pour deviner de l'herbe cachée dedans ! » 
Il haussa les épaules en tentant d'attraper la dernière petite goutte retenue sur le bord du verre, sans se rendre compte un instant de ce qu'il venait de lancer. De tout son entourage à Fort Fort Lointain, il n'y avait que quelques clients indésirables qui n'avaient aucun intérêt à le faire chanter, son secrétaire et Sinbad Septmers, qui étaient dans ses petits papiers de son affaires de poste illégale. Tout le reste était bien loin de la capitale, et surtout, il se méfiait des langues pendues, des indiscrets et des opportunistes qui auraient tout intérêt à le balancer aux chevaliers-flics.
En d'autres termes, Dracula ne faisait pas partie de ceux à qui Gracieux souhaitait se confier sur ce sujet, mais sous le coup de quelques bouteilles et d'un alcool qui valait au moins une autre bouteille,  il ne s'inquiéta de rien.

Heureusement, le cygne n'avait pas épilogué sur le sujet et la discussion dériva, pas si éloigné de ce à quoi il voulait échapper, finalement.
« Dis-moi, as-tu eu d'autres mésaventures depuis celle de Yasen ? Je suppose qu'il n'est pas facile de... prendre la liberté que tu avais avant. » 
Des mésaeventures ? Le cygne en avait eu quelques-unes, mais étonnament, prêter serment à Marraine et à son fils lui avait apporté une certaine sérénité.
 « Depuis Yasen ? Je pense que j'ai failli mourir de froid en revenant, et depuis j'évite comme je le peux. Et si tu appelles mésaventures le fait de devoir gérer notre roi en studio pour Leroyal, j'en vis assez souvent ! » Il failli ajouter un « hélas » qui aurait trahi le fond de sa pensée, mais Gracieux n'avait pas bu assez d'alcool. Mais lorsqu'on connaissait l'attention particulière que le prince portait à sa personne, ce « hélas » devenait très naturel.

Le serveur leur apporta une nouvelle tournée de verres, et prenant le sien, Gracieux le leva à hauteur d'yeux.
 « Bon ! J'ai une petite idée sur le premier ingrédient, voyons le second ! » 
L'alcool le brûla tout autant que le premier, et il se retint de tousser, manquant de s'étouffer en avalant d'un coup le shot de liqueur. Il reprit contenance d'une parfaite manière, toussotant légèrement, et reprenant même une petite gorgée pour faire passer le tout. Grave erreur, car il sentit un voile flou sur ses yeux, qui s'estompa aussitôt.
 « Tu m'as demandé quoi, déjà ? Ah oui ! En effet, c'est plus compliqué avec ce Charnel,  répondit-il en jouant avec la chaîne autour de son cou.  Je te l'ai peut-être pas déjà dis, mais quand à leroyal on croit que je suis chez Harper's, et quand chez Harper's on me pense chez Leroyal, j'en profite un peu. Tu ne peux pas imaginer ce que c'est, de ne plus pouvoir voler librement, sans craindre d'être repéré un jour ou l'autre. »

Il appuya son menton sur sa main, lâchant un petit soupir avant de boire une nouvelle petite gorgée.
 « Mais toi, dis-moi tout…. Je sais qu'on a dit « pas de question étrange » ou je ne sais quoi », mais je te vois peu du côté de Romeo Drive, pourtant il y a des coins sympas...Je retrouve souvent cette couturière que je dois te présenter, d'ailleurs ! Et …. il prit un air de conspirateur...personne en vue, en ce moment ? En dehors de tes sœurs, tu ne m'as jamais parlé d'une femme… ! »
Il leva son verre dans un regard équivoque, cherchant une réponse dans le regard de son ami. Ce soir, c'était soirées confidences ! Sauf que Gracieux ne savait pas encore une chose : c'est qu'un cygne ne tenait pas forcément très bien l'alcool.

Gracieux & Dracula

Le vampire avait du mal à s'habituer à ce beuvrage, dont il n'arrivait décidémment pas à en deviner les ingrédients. Il s'autorisa à grimacer lorsque Gracieux appela le serveur pour commander une deuxième tournée, tiraillé entre son envie de deviner et son envie de ne pas finir sur la table. Dracula tenait un peu mieux l'alcool que la moyenne mais, tout de même, il n'était pas inhumain ! Le cygne semblait y être sensible également et cela rassurait le vampire - au moins, ils seraient sur un pied d'égalité toute la soirée. Et avec un peu de chance, ils ne se souviendraient plus de rien le lendemain. Il était dangereux, souvent, de s'engager dans des petites beuveries lorsque l'esprit d'un homme n'était pas au clair. Les langues se déliaient facilement et pouvaient apporter leur lots de secrets. Le plus simple moyen d'éviter cela était donc de boire jusqu'à l'ivresse, tous les deux, et de se réveiller en ayant tout oublié.
Le seul problème était que Dracula ne savait pas vraiment de quoi il avait besoin pour atteindre l'ivresse. Ce n'était pas un jeu qui l'avait attiré - il n'en avait jamais eu l'occasion, de toute façon. Il passait la plupart de son temps seul et, lorsqu'il prenait place dans son salon le soir avec Heinrich, c'était pour un verre d'hydromel avant que son majordome n'aille se coucher. Boire seul ne l'attirait pas du tout - il serait capable de se transformer en chauve-souris et de s'aventurer on ne sait où.

Dracula enviait la liberté de Gracieux, ou plutôt l'option de liberté qu'il avait. Le vampire n'était pas enchaîné à sa maison mais il avait des contraintes, au risque de perdre la vie. Celle qui l'accablait le plus était évidemment le fait de ne jamais pouvoir profiter de la lumière de jour. Il se rappelait parfois de ce qu'il en était, avant sa malédiction, mais cela faisait plus de deux siècles, maintenant. Les sensations dont il pensait avoir le souvenir n'étaient certainement qu'imagination. « Tu ne peux pas imaginer ce que c'est, de ne plus pouvoir voler librement, sans craindre d'être repéré un jour ou l'autre. » Dracula acquiesça simplement. Il ne pouvait pas imaginer, non ; il se permettait parfois de se transformer en chauve-souris mais, cela n'étant pas sa véritable nature, ce n'était pas des plus agréable.

« ...personne en vue, en ce moment ? En dehors de tes sœurs, tu ne m'as jamais parlé d'une femme… ! » Dracula se redressa automatiquement, perdant de son humeur joviale. Ah, les femmes ! Ce grand sujet de discussion, qu'il n'abordait jamais. Il prit une gorgée de l'infâme boisson et joua quelques secondes avec son verre, la tête pleine de ses souvenirs, des visages de Lucy et Mina, de la traque qui en avait résultée. Il inspira doucement, cherchant des mots, des mensonges, des omissions. « Je crains être condamné à vieillir seul, mais cela m'importe peu. Je n'envie pas ceux qui ont à coeur de plaire à leurs femmes ; j'ai bien assez de contraintes à moi seul pour m'en imposer une nouvelle. » Tout cela était faux, évidemment.

Il rêvait d'une femme avec laquelle il pourrait passer ses nuits à discuter longuement, ses journées à dormir, partager sa bibliothèque, ses poches de sang. Mais il ne pourrait jamais avoir cela ; ou pour quelques temps seulement. Dernier vampire de sa race, son contrat avec Yasen l'empêchait de transformer un être humain, ce qu'il comprenait évidemment. S'il tombait amoureux, il était destiné à voir sa femme vieillir et mourir. « Je pense être maudit. » lâcha-t-il. C'était une façon de parler, évidemment, mais c'était surtout la plus grande de ses vérités. « Je ne suis simplement pas de ceux qui ont le droit de vivre toutes ces belles choses. Je vis ces histoires fascinantes par mes livres et cela me suffit, pour le moment. » Cela devait lui suffire. Il n'en avait pas le choix.

« Et toi ? Termineras-tu ta vie de la même façon, ou comptes-tu te trouver quelqu'un ? » Il savait que son ami était un peu... Précieux, voire exigeant. Il serait certainement plus facile de trouver une insomniaque pour Dracula qu'une femme qui conviendrait à Gracieux.
Une commotion se fit entendre, de l'une des tables, et Dracula tourna la tête pour inspecter deux hommes qui ne semblaient pas s'entendre. En se retournant vers Gracieux, il déclara « Je crains que depuis cette histoire d'anarchie, il n'y ait plus réellement de lieu sûr, que ce soit à Ragtown ou à Roméo Drive. » Il ne savait pas si ces deux hommes étaient liés à l'anarchie. Il savait seulement que l'ambiance s'en ressentait et que, désormais, tous ceux attablés lançaient des oeillades à la table qui avait osé déranger leur quiétude. Et d'un signe de la main, Dracula recommanda une tournée. Il était déterminé, après tout, à trouver les ingrédients de son breuvage.

Gracieux & Dracula

Gracieux n'aurait pas imaginé qu'une simple question puisse rendre son compagnon aussi mélancolique. Ou alors était-ce un effet de son imagination alcoolisée, mais Dracula sembla un moment moins présent autour de leur table, comme si quelques souvenirs l'envahissaient.
Il y avait alors deux choix, lors de ce type de situation. Le premier était de poser son verre, de compatir, de soutenir son ami et d'écouter ses plaintes ou ses questionnements. Le second était d'occulter ce sentiment de malaise passager et de continuer à boire, hochant simplement la tête tout en espérant pouvoir retrouver le chemin du retour.

Ce fut évidemment la seconde option de notre cygne, qui sirota son verre, songeant qu'il avait touché là un point trop sensible.
-Condamné à vieillir seul ? Allons donc, comme tu es pessimiste mon vieux ! Tu est encore frais et rose comme un enfant ! La plus terrible des sorcières voudrait même s'emparer du secret de ton teint d'oisillon pour s'en faire un élixir de jouvence!
Il tendit une main et tapota affectueusement le bras de Dracula avant de lever un doigt accusateur.
-Qu'est-ce que tu racontes ? Maudit ? Toi ? Et que doivent dire tous ceux qui sont dans mon état ? L'affaire me convient plus ou moins, mais plus souvent moins que plus, fit-il, comme si sa phrase était parfaitement compréhensible.

Il comprenait toutefois parfaitement ce que voulait dire Dracula, mais les soupirs de son amis avaient toutefois fait naître quelques interrogations chez le cygne. Jusqu'alors, Gracieux avait vu Dracula comme un homme...peut-être immunisé contre le vieillissement, mais un homme fait de chair et de sang, et non un animal, une chose, un être sous emprise du Charnel. Se pouvait-il que Dracula soit autre chose que ce qu'il apparaissait être ? C'était impossible ! Il était bien trop humain ! Le Charnel changeait les formes, et non l'esprit...lui-même était bien plus cygne qu'homme, et il ne s'en cachait pas. Mais Dracula…. !

Et toi, reprit son ami ? Termineras-tu ta vie de la même façon, ou comptes-tu te trouver quelqu'un ?
La question fit revenir Gracieux sur la table. Les vapeurs d'alcool lui réussissaient peu et pendant un moment, il s'était imaginé Dracula avec une improbable tête de chien.
-Moi ? Oh…. Derrière ce « oh » se cachait une vaste réflexion sur l'avenir du cygne. Il restait un animal – et quel animal ! - et ne pouvait se défaire de son instinct, de sa nature. C'était écrit, et même inscrit en lui. Les cygnes n'ont pas les habitudes d'autres animaux, et nous restons seuls jusqu'à ce que nous trouvions l'âme sœur. Il but une nouvelle gorgée de la tournée du jour, manquant à nouveau de s'étouffer. Et puis je suis invivable ! Sérieusement… réfléchis ! Je ne supporte pas que quelqu'un touche à mes affaires, qu'on dérange mes habitudes, qu'on me dise comment m'habiller, quoi manger, quoi faire… Celle que je trouverais sera inventée de toute pièce par je-ne-sais-quelle sorcière ou fée étrange ! Il ponctua sa phrase d'un rire, imaginant le calvaire d'une pauvre femme à ses côtés.
-J'ai déjà une secrétaire et un assistant qui meurt sous mes demandes… je ne peux pas faire subir ça à quelqu'un d'autre. Mais trêve de discussions moroses, il nous faut savoir ce que…

Il ne pu finir sa phrase, une altercation semblait démarrer de l'autre côté de la salle. Terminant son verre, il hocha la tête vers Dracula.
-Tant qu'ils ne viennent pas interdire notre petite soirée, tout va bien ! Commandons une autre tournée, cela nous fera oublier un moment ces ennuis politiques ! Depuis la disparition de Marraine, les affaires dans Romeo Drive n'étaient plus aussi calme. L'anarchie avait pris le pas sur le semblant de calme qu'il y avait auparavant, et les rebelles donnaient l'impression de ne plus rien contrôler...quant aux chevaliers-flics, ils paraissaient débordés. Jusque-là, Gracieux avait eu de la chance.

Le serveur arriva bien vite pour les resservir, et l'énergie revenant, Gracieux lança fièrement au garçon le premier ingrédient qu'il avait trouvé.
-Si ça n'est pas du gingembre vert d'Afshin, je veux bien être déplumé !
-C'est bien ça monsieur ! Bonne chance pour la suite !
-Bon ! C'est déjà un début ! Gracieux retint un premier hoquet et bu une première gorgée de la nouvelle tournée. Sans qu'il ne fut prévenu, il sentit ses paupières un peu plus lourdes, et surtout, les mots semblaient refuser de lui obéir lorsqu'il tenta de continuer la conversation.
-Et le broplème des femmes, mon cher Cradula, c'est qu'elles pensent toujours avoir sairon ! C'es agazant...agaçant. Mon ancienne segrétaire, Lidell, m'égoutait...écoutait… jamais ! Insupportable gamine, tient ! Il leva les yeux au ciel, attrapant un verre d'eau salvateur qu'il termina d'un trait, se rafraîchissant les esprits. Et puis il faut les comprendre, ça prend trop de temps, soupira-t-il. Mais allons, regarde, les deux gaillards viennent vers nous !

En effet, les deux acteurs de l'altercation avaient repoussé leurs chaises et s'approchaient d'eux, la mine loin de celle qu'affichaient les clients de l'endroit.
-Eh vous deux ! Vous êtes du côté du roi, n'est-ce pas ? Et de la reine ? Des gens sapés comme vous, c'est forcément pour eux…
Gracieux déglutit sa nouvelle gorgée difficilement, certainement une gorgée de trop. A voir la tête des deux, il n'avait pas spécialement envie de leur raconter sa vie, et il doutait qu'il fut l'inverse pour Dracula. Il tourna un œil vers celui-ci.
-Je suis commerçant, je vends, j'achète, je ne fais pas de distinction, répondit-il simplement, un peu empâté par l'alcool. Il n'en dit pas plus, tenant fermement à son cou et ses plumes.
-Tu vends surtout au château, nan, répliqua l'autre, menaçant ?
Le cygne se contenta de hausser les épaules, sans quitter Dracula des yeux. Le regard lancé était surtout une sorte d'appel à l'aide embrumé : dans son état normal, il aurait largement pu se défendre, mais ce soir, le cocktail surprise du chef le rendait légèrement moins…...agile, et surtout, maîtrisant moins bien ses gestes.

-J'espère que tu te sens mieux que moi, car je commence à avoir la tête sur un manège, dit-il d'une petite voix à Dracula !