Les sandales en paille pleine de sable se désagrégeaient au fil des pas. Quelle torture de courir pour sa vie sous un astre solaire à son point culminant. Il n'avait absolument pas le choix. Situation confirmée par un très rapide regard par-dessus son épaule pour observer deux brutes, le sabre brandit dans le vide. Ils étaient lents. Si lents. Kale survolait le sable avec son pas léger, si bien qu'il ne marquait presque pas le sol de ses empruntes. Un gamin survolté. Un gamin fier de lui. Il les narguait. Qu'ils étaient stupides. Gras. Et susceptibles, oh que oui. Kale avait simplement énoncé une vérité absolue sur l'apparence de ces gardes aux ventres rebondis. Le sincère, ou même le juste, c'était son surnom dans le petit village. Qu'on le disait vexant, mal élevé. Le garçonnet ne voyait pas le problème dans la vérité. C'était une aide de sa part. Peut-être allaient-ils maintenant se préoccuper un peu plus des villageois plutôt que de se remplir  gratuitement la bedaine avec les fruits de son père. Un vol, un abus de pouvoir, c'était déjà insupportable pour le jeune bambin des sables. Alors, la mangue ne quitta pas l'étale, cette fois-ci. Si petit qu'il était, Kale s'était faufilé entre les jambes du garde corrompu pour lui flanquer une belle leçon de vie et de méfiance quant aux petits gaillards dans son genre. S'en suivit un « attrape-moi, limace. » et la course poursuite débuta. Il n'était pas fatigué, à l'heure actuelle. Même après vingt minutes avec deux adultes aux trousses. Il courait tout le temps. Il s'imaginait partir à l'aventure. Il grimpait sur le toit des taudis comme s'il escaladait la plus abrupte des montagnes. Il imaginait les étendues d'eau à perte de vue, comme des étang infini, ces mers que lui décrivaient sa mère avant de s'endormir, tout en lui tissant ses vêtements du lendemain, avec son habileté reconnu. Ce n'était qu'une autre aventure, plus réelle, certes, mais Kale s'amusait tout autant. Il se faufilait entre les villageois, sautait sur les caisses de marchandises et au détour d'un virage, il finissait par semer les assaillants en se cachant dans une jarre. Souffle coupé. La sueur déferlait sur sa joue comme une rivière déchaînée. Son cœur palpitant. Son sourire éclatant. Cette peur qui lui nouait les entrailles. Il adorait cela. Peut-être un peu trop téméraire mais il n'agissait ainsi qu'à de rares occasions, souhaitant s'offrir une correction de la part des adultes le moins souvent possible. Six minutes plus tard, les doigts se pressaient sur le couvercle en terre cuite de l'abri de fortune et deux iris noires se dévoilèrent à la lumière du soleil. Voie libre, il fit tomber le couvercle à terre et se hissa hors de la jarre, non sans mal. Pieds à nouveau ensablés, guetteur acharné, il reprit son chemin, délicatement. Enfin, presque.
Synchronisé avec son bourreau dans la douleur. Une collision qu'il aurait volontiers évité si l'autre n'avait pas déboulé dans son angle-mort à toute vitesse - comprenez dans son dos - On venait de lui rentrer dedans. L'arrière de sa tête violemment heurter par un... front ? Il remercia les dieux lorsqu'il pivota les talons pour observer cet autre garçon, cloué au sol, la main sur le front. Ce dernier ne resta muet guère longtemps.
Kale répondit le plus simplement du monde.
Qu'il pointa du doigt. Air nonchalant sur le visage. L'inconnu au front anormalement dur - le crâne de Kale s'en souviendrait encore longtemps - fût interloqué. D'un regard à notre vengeur non-masqué, puis à la jarre, il se demandait certainement le contexte qui avait amené un garçon à sortir d'un vase en terre-cuite.
dit Kale tout en tendant la main. Mine boudeuse pour son vis-à-vis qui accepta tout de même l'aide pour se relever.
Les lèvres de l'inconnu mises en avant dans un simple but d'afficher son agacement quant à la situation se muèrent en un sourire carnassier. Le fils du vendeur de fruit local profita de son changement d'humeur pour l’examiner quelques secondes - un jeu de devinette qu'il se plaisait à exercer sur les nouvelles têtes - Le résultat fût sans appel ; il était mal vêtu, des guenilles couvrant à peine sa peau - dans un pays aussi chaud, ce n'est pas bien grave - la crasse s'était invité sur son visage et les cheveux accueillaient plus de grains de sable qu'il n'y en avait dans le désert, et tout ça, à l'instar de Kale. Un autre enfant pauvre, alors ? Fin observateur pour un garçon de huit ans, qu'il était le petit sincère. Les salutations n'étaient pas au rendez-vous puisqu'un sifflement distinct brisa l'humeur joviale.
Il s'écrièrent tous deux, au même moment, avec le même visage d'aventuriers piégés. Les regards se croisèrent. Et sans aucune explications, le sourire se dessina naturellement sur la face de Kale puis sur celle de son nouveau complice. Ce jour-là, ils partirent du même côté, sans même savoir le prénom de l'autre. L'instinct, le destin. Dans sa sagesse, Kale se disait que c'était pour échapper aux gardes en prenant l'autre comme appât, au cas où. En réalité, alors qu'ils couraient côte à côté, le jeune garçon avait l'impression de se voir dans un miroir. Un poil plus petit et plus frêle, certes, qu'il se rassurait mais il avait enfin rencontré quelqu'un comme lui.
Ils subirent main dans la main le courroux des gardes, quelques jours après. Kale découvrait alors que la tête en acier avait volé une babiole au marché. Sinbad, quant à lui, découvrait que Kale était un justicier dans l'âme avec les mêmes envies - suicidaires - que lui.

Une amitié naissait.
De l'aventure, des étoiles dans les yeux.
La promesse d'un trésor caché.
Le rêve d'une vie ailleurs.