La petite fille tenait fermement la main de sa mère, alors que celle-ci l'entraînait devant la vitrine d'une boutique. Tandis que sa maman était en train d'admirer des robes qu'elle ne pourrait jamais s'offrir de toute manière, l'enfant regardait les gens passer dans la rue. C'est alors qu'elle vit une dame se détacher de la foule et un détail de son physique l'interpella. C'était une femme à barbe. La petite fille sourit d'un air moqueur en voyant cette chose qu'elle n'avait jamais vu auparavant et qui semblait l'amuser. « Maman, pourquoi cette dame a une barbe ? » demanda-t-elle en tirant sur le bras de sa mère. Celle-ci se retourna et son visage se crispa à la vue de l'individu que lui pointait du doigt sa fille. « Ne la regarde plus ! » lui ordonna sa mère, bien que la jeune enfant ne savait pourquoi.

Cette femme à barbe avait un nom : Doris Doucebarbe. Qui était-elle ? Certains le savaient, d'autres non. Mais très peu de personnes, si ce n'est pas du tout, connaissaient la raison de cette barbe sur son visage. Doris avait subi les moqueries depuis qu'elle avait cette apparence. Si passer d'un physique à celui-là l'avait anéanti, elle s'était relevée et avait appris à vivre comme cela. Si tout le monde continuait de la pointer du doigt, elle les ignorait. Le temps l'avait renforcé et ce physique, qui lui avait fait du tort, était devenu sa force. Elle avançait la tête haute, gardant sa dignité et cette petite fille qui l'a zyeuté discrètement ne saurait peut-être jamais le courage dont elle faisait preuve pour vivre ainsi.

Doris quitta les rues de Far Far Lointain pour s'aventurer dans une sinistre forêt qui cachait une taverne en son cœur dénommé La Pomme Empoisonnée. La jeune femme y était barmaid depuis de longues années, bien avant le règne de Marraine la Bonne Fée, qu'elle prenait un malin plaisir à appeler la « Grosse Fée », puisque ce n'était un secret pour personne que la nouvelle souveraine se goinfrait de chocolat alors qu'elle tâchait de suivre un régime. Doris poussa la porte de cette taverne qui était réputée pour être fréquentée par une clientèle jugée indésirable. Tout comme elle d'ailleurs. Cependant, Doris s'y était toujours sentit chez elle. A vrai dire, c'était sa maison et ces gens étaient devenus sa famille. Ici, elle n'était pas jugée, personne ne l'était d'ailleurs. Elle pouvait être qui elle était et par ailleurs, elle était très appréciée ici. Depuis qu'elle travaillait ici, elle était devenue un des emblèmes de cette taverne. Si elle servait un peu de tout, allant du lait à l'alcool le plus fort, elle était surtout réputée pour ses fameux cocktails dont elle seule avait le secret.

Elle fit un signe de tête à sa sœur, qui l'avait exceptionnellement remplacée durant sa petite course, mais se dirigea dans un premier dans sa chambre. Après avoir fermée soigneusement la porte, Doris retira son manteau et ses vêtements pour opter pour une robe violette à paillettes. Elle s'assit ensuite sur le lit pour mettre de nouveaux talons. Doris alla ensuite s'admirer dans le miroir et un sourire satisfait se dessina sur son visage à la fois virile et coquet. Ses yeux roulèrent vers son visage, celui qu'elle avait autrefois adoré et détesté. Comment en était elle arrivée ainsi, c'était ce que beaucoup voudrait savoir.

Elle et sa sœur, Maybel, avaient pour mère Lady Trémaine, que les gens aimaient surnommer la marâtre. Celle-ci c'était remarié à un riche homme qui avait une fille unique dénommée Cendrillon. Les deux sœurs et leur mère étaient jalouses de cette enfant, douce de nature et dont la beauté était à envier. Doris était très belle, mais elle avait un complexe d'infériorité à côté de sa belle-sœur, ce qui la poussait à être horrible avec elle. Le père de Cendrillon mourut un jour et c'est ainsi qu'elle devint le souillon de la famille. Un jour, alors qu'elles étaient plus âgées, le roi donnait un bal dans son château et c'était l'occasion pour Doris et Maybel de trouver ce prince charmant dont elles avaient toujours rêvé. Si elles avaient tout fait pour pas que Cendrillon ne viennent, car à coup sûr elle leur aurait piqué leur prince la chipie, elles n'avaient pas envisagée qu'une marraine la bonne fée lui viendrait en aide, la transformant en belle princesse jusqu'aux douze coups de minuit. Le prince s'était épris d'elle et dès sa disparition, il la chercha à travers tout le royaume, avec pour seul indice un petit soulier de verre. Si Doris savait que ce n'était pas elle, la venu d'un représentant du roi avec la pantoufle ne l'empêcha pas de l'essayer avec sa sœur, d'autant plus que leur mère avait enfermée Cendrillon au grenier. Mais aucun des pieds de Doris et Maybel ne purent entrer dans la pantoufle. Leur mère leur ordonna alors de se couper le talon et un orteil, chose qu'elles firent. Malgré la marre de sang, elles voulaient à tout prix épouser leur prince. Au même moment, Cendrillon, qui s'était libérée, vint essayer à son tour la pantoufle et comme par magie, celle-ci lui allait comme un gant. C'est ainsi qu'une belle vie commença pour Cendrillon et que le cauchemar ne faisait que commencer pour Doris.

Tout commença lorsque les deux sœurs, privés inutilement d'un de leur talon et orteil, décidèrent de se rendre chez une sorcière afin que celle-ci puisse le leur rendre, mais malgré la puissance du sort, celui-ci leur rendit bel et bien leurs parties de pied manquante, mais les transforma également en homme et ce, de manière irréversible. Doris était paniquée autant que sa sœur. Elle n'en croyait pas ses yeux, elle était un homme et plus une femme. Elle se regarda dans une glace et aperçut avec horreur cette barbe en train de lui pousser sur le menton. Les deux pauvres femmes trouvèrent refuge chez leur mère, mais celle-ci les chassa de la maison. Elles errèrent en ville, mais les gens se moquaient d'elles et Doris le vivait très mal. Trop honteuse pour se montrer, elles se cachèrent dans la forêt jusqu'à tomber sur la Pomme Empoisonnée, une taverne perdue au milieu de nulle part, fréquentée par des malfrats, rejeté comme elle par la société. C'est ainsi qu'un nouveau départ commencèrent pour elle. Doris devint barmaid le jour et sa sœur la remplaçait la nuit. Si à présent elle avait un nouveau toit sur sa tête, la jeune femme ne s'aimait plus physiquement, se trouvait moche et son rêve de se trouver un prince charmant, qui serait de préférence un riche gentilhomme, était fichue. Elle tenta d'inverser le mauvais sort, mais aucune fée compétente ne pu réussir à lui redonner son ancienne apparence.

Il lui fallut longtemps avant que finalement, les clients habituels de la Pomme Empoisonnée lui fasse comprendre qu'elle était belle comme elle était et qu'elle ne devait plus avoir honte d'elle, parce que c'était ce qu'elle était maintenant. Doris apprit à vivre avec cette nouvelle apparence et petit à petit, elle reprit confiance en elle, acceptant le fait que ce n'était pas parce qu'elle était un homme qu'elle devait abandonner pour autant sa féminité. Elle porta à nouveau des jolies robes et des talons, se maquillait tous les matins, et apprit à faire face aux moqueries.

Doris sourit en voyant celle qu'elle était devenue. Sa vie avait connu des hauts et des bas, mais elle avait tant bien que mal réussie à remonter la pente.
Elle retourna au bar et passa derrière le comptoir, chose qui ne déplut pas à sa sœur qui partie aussitôt. Toute pomponnée, Doris prit une chope de bière et entreprit de la nettoyer avec un torchon. C'est alors qu'un homme pénétra dans la taverne et vint s'asseoir au comptoir. Doris esquissa un sourire en coin en apercevant le nouvel arrivant. « Toujours la même chose Potté ? » demanda-t-elle à son ami qui semblait dépité. Ce dernier hocha de la tête, mais elle était déjà en train de lui préparer son grand verre de lait qu'elle fit glisser ensuite jusqu'à lui. « Des nouvelles ? » questionna la jeune femme comme à son habitude, en observant son ami qui se contenta de sourire. Elle pouffa, comprenant le message qui était : rien de nouveau. Elle soupira, puis retourna à ses affaires. Il fut un temps où Shrek était encore là et où il était assis derrière ce comptoir-même, en train de se lamenter. Elle sourit face à se souvenir, comme s'il était la chose la plus précieuse qu'elle avait. « Mais il n'est plus là... » pensa-t-elle en se rappelant qu'à présent, c'était la Grosse Fée qui gouvernait Far Far Lointain.