Les gens veulent connaître mon histoire, afin de tenter de comprendre comment j’en suis arrivé là, pourquoi j’agis de la sorte même envers mes propres congénères. C’est vrai, je ne suis pas votre chat de gouttière habituel. Je ne suis pas un chat de gouttière tout court. J’ai été recueilli, élevé et aimé (ce que ça peut me faire rire jaune) par une maitresse attentionnée et affectueuse, pour qui j’étais un atout sans pareil (attendez-moi, je vais vomir). Oh, j’allais oublier un léger détail : je suis un chat parlant et magique, soit dit en passant. Parlant, je comprends que ça ne vous choque pas, mais magique…Je vois que ça vous intrigue. Laissez-moi éclairer votre lanterne…

Je viens de la Contrée aux Merveilles, un territoire où l’on fait croire aux habitants qu’ils sont indépendants, libres, mais qui en réalité tiens plus de la partie en friche d’un territoire agricole, où les rebus de la société (du moins une partie) ont fondé leur petit royaume à eux. Une pâle copie, certes, mais tout de même. La réalité était que l’on résidait sur le territoire de Lord Farquaad, nous étions, pour ainsi dire, le premier essai du Lord pour éliminer les éléments indésirables de sa précieuse cité. Ce ne fut pas si mal comme vie. Pour ma part, j’ai été pris en charge par la Duchesse. Autant vous le dire tout de suite, elle n’était pas duchesse, ni ne possédait le moindre titre de noblesse. Cependant elle était la Madame de la maison close locale, habilement appelée « Le boudoir de la Duchesse ». Il semblait donc logique qu’elle prenne ce nom. Je crois que, en fait, je n’ai jamais connu son vrai nom ; pour moi, elle était et sera à jamais la Duchesse.

Si elle n’était que tenancière de bordel, passe encore ; mais non ! Elle était, en plus de cela, une sorcière noire. Oui, oui, avec la peau verte, les vêtements noirs et tout ce qui va avec. Incluant donc les sorts, charmes, potions et autres joyeuseté. Vous le sentez venir le côté magique maintenant ? L’une des premières choses que la Duchesse ait faites après m’avoir adopté fut de me lancer un sort qui me permettait de disparaitre et réapparaitre à volonté. A l’époque, son but était de faire de moi un espion à sa solde. Pendant que j’apprenais à me servir de ma nouvelle capacité, la Duchesse était aux petits soins pour moi. Pas un jour ne passait sans que je ne bénéficie de mon quart d’heure (minimum) de câlins, de mon bol de lait matinal et d’un excellent coussin pour dormir. Sans parler des petits plus qu’elle considérait comme acquis ; tels que le terrain dans lequel je pouvais me dépenser ou simplement piquer un petit somme sous le soleil qui me chauffait le pelage. Des grands arbres dans lesquels je pouvais me réfugier si jamais j’en avais besoin…bref, c’était la belle vie.

Puis ça s’est transformé en routine, les câlins se faisant plus rares et la Duchesse finissant par me porter, globalement, moins d’attention. Je m’y étais attendu ; une fois que l’on a passé le stade du chaton, les humains sont moins attentionnés envers nous, les chats. C’est un fait avéré. Je ne me plaignais par pourtant. Après tout, même si la Duchesse me donnait moins d’attention, il restait les filles de la maison. Je ne m’en étais pas vraiment rendu compte avant, mais lorsque j’ai un peu trop trainé au niveau des cuisines et que la cuisinière m’a chassé en me lançant du poivre (en grande quantité sinon ce n’est pas drôle) dessus, détruisant au passage certaines de mes capacités olfactives, je ne pouvais pas réfuter que les filles ont été aux petits soins avec moi durant un temps, pour me réconforter, vous voyez. A partir de ce moment, j’ai compris que je n’avais qu’à faire mon numéro de charme pour obtenir des caresses de la leur part.

Puis vint Alice. Douce Alice…On voyait bien qu’elle était un peu perdue ; elle n’avait même pas compris où elle était tombée…En même temps, elle était arrivée par les cuisines et en pleine journée. Ca n’est pas si étonnant quand on y réfléchissait. En tout cas, elle arriva en plein pendant une dispute entre la cuisinière et la Duchesse, manquant de se recevoir une assiette volante. Je me suis discrètement éclipsé, allant m’installer dans un des arbres non loin de la maison et me rendis invisible jusqu’à voir la nouvelle arrivante. Par ailleurs, vous vous souvenez du plan de la Duchesse pour moi ? Devenir son espion etc… ? Totalement envolé par la fenêtre de son esprit ; et moi, sans cible, comment pourrais-je faire quelque chose de correct ? Alors ce projet est tombé aux oubliettes, tout comme son souvenir de m’avoir ensorcelé…Ce qui n’était pas plus mal, je m’amusais beaucoup à faire tourner en bourrique les autres habitants de la Contrée, comme le Chapelier, le Lièvre ou encore la Dame de Cœur. Mais revenons à ma chère Alice ; elle finit par sortir de la cuisine, saine et sauve (ce qui était une bonne chose), et emportant avec elle un bébé. Ah…elle allait avoir une drôle de surprise dans 3…2…1…Et la voilà qui déposait l’ancien bébé transformé en cochon au sol, perplexe. C’était le sort réservé aux enfants des filles de la maison si elles souhaitaient rester dans la Maison bien qu’enceinte. J’apparus alors, sur cette branche d’arbre, comme sortit de nulle part. Elle eut une réaction qui me surprit : si elle était étonnée de me voir là, elle fut aussi rassurée, ça se lisait sur son visage. On discute un moment, puis le lui indiquais un chemin pour se diriger vers les limites de la Contrée aux Merveilles et donc la rapprocher de la civilisation qu’elle connaissait (du moins, je le supposais). Il était évident qu’elle n’avait pas sa place ici, et la chose sage à faire aurais été de l’emmener directement à la frontière, sauf qu’elle était si sceptique et crédule à la fois…Je n’ai pas pu m’empêcher de m’amuser un peu à ses dépens. Ca ne devait pas être grand-chose, juste lui faire rencontrer la Dame de Cœur. Comment aurais-je pu deviner qu’elle prendrait Alice en grippe, au point d’ordonner qu’on lui coupe la tête (même si, de ce point de vue-là, elle ne risquait rien, la reine condamnait beaucoup, mais la mésentente entre le Sire de Cœur et le Bourreau était telle qu’il n’y avait jamais d’exécution). Je suis quand même intervenu, créant une énième dispute entre le Sire et le Bourreau et elle en a profité pour filer. En même temps, demander à un bourreau de couper la tête à un animal qui n’a pas de corps…Ca n’a ni queue ni tête ! Enfin, au final, elle trouva le chemin qui menait hors de la Contrée ; si elle a trouvé le chemin de chez elle par la suite était une autre histoire dans laquelle je n’ai pas eu de rôle. Les tribulations liées à sa présence et l’excitation ambiante ont cessées avec son départ. Très vite la – relative – paix habituelle reprit sa place légitime dans la contrée. Pendant quelques semaines, je fus morose ; Alice ne m’avais pas dit au revoir (ce dont je ne lui tenais pas spécialement rigueur mais tout de même) et en plus, elle me manquait. Même si je ne l’avouais pas.

Cette paix fut cependant très rapidement interrompue par Lord Farquaad. Visiblement, après quelques années il s’est rendu compte que tenter de faire partir pacifiquement et volontairement les animaux parlants et autres créatures magiques de sa Cité ne fonctionnait pas, alors il est passé à des méthodes plus…radicales. En sommes : il a lancé la traque aux créatures, le paiement contre délation…C’est ce qui m’est arrivé. Quand je vous dis qu’elle a oublié ce pour quoi elle m’avait ensorcelé…en tout cas elle me vendit aux troupes de Lord Farquaad. Pendant plusieurs jours, je restais dans mon coin, ruminant mon chagrin et ma rancune envers la Duchesse. Et un évènement me fis comprendre qu’il fallait que je fuie et très vite. Plusieurs gardes ont emmené la Maman Ours (il y avait aussi Papa Ours et Bébé Ours), ça je l’ai vu d’un œil un peu distrait, encore plongé dans ma rancune. Cependant, quand après trois jours, elle n’était toujours pas revenue, je me suis dit qu’il y avait anguille sous roche. En m’y penchant de plus près, je remarquai vite que plusieurs d’entre nous disparaissaient, pour ne jamais revenir. Il était temps de s’éclipser…Je disparus de ma cage…sans en bouger. Puis j’attendis qu’une opportunité se présente. Ce fut long, plusieurs jours avant qu’un des animaux de ma cage ne soit emporté mais dès que ce fut le cas, j’en profitai et me faufilai, invisible, hors de la cage et courus aussi vite et loin que je le pouvais…

Ce fut le début d’une cavale terrible. Je ne savais pas où aller à partir de là. Je n’avais jamais quitté la Contrée avant toute cette histoire et je me sentais perdu. Je vagabondais dans les bois, tentant de ne pas me faire dévorer par une quelconque bête. Dans les villages et autres patelins que je croisais, je tentais de trouver des bonnes âmes pour me nourrir et m’offrir le logis pendant quelques temps. Je voulais retrouver un foyer fixe, où je pourrais être aimé, câliné. Je pouvais même chasser les souris avec succès. Le fait que je parle ne semblait pas trop déranger, à condition que je ne me fasse pas remarquer en dehors de la maison, seulement, dès qu’ils découvraient mon autre… « Don », ils prenaient tous peur et me chassaient sans ménagement. Ils voyaient ce que j’étais, le familier d’une sorcière noire, une chose vicieuse et perverse, là pour mener le désordre et le chaos. Alors que…je ne voulais qu’un foyer. Sauf qu’au bout d’un moment, j’ai compris le message. Alors comme ça je ne suis bon qu’à être le familier d’une sorcière noire ? Je ne peux pas avoir ma chance en tant que chat parlant domestique pour famille bien ? Eh bien soit ! Je vais embrasser ce que je suis, pleinement, mais ne venez pas pleurer par la suite messieurs, dames…

A partir du moment où j’ai compris que faire mon gentil, m’appliquer à garder en moi cette façon d’être que beaucoup décriaient n’avait aucun impact sur comment les gens me voyais, j’ai arrêté d’y prêter attention et me suis conduit comme tous s’attendaient que je le fasse. Et vous voulez savoir ? Je ne m’en porte pas plus mal. Pas besoin de faire semblant d’être gentil et attentionné pendant des heures, voire des jours, pour obtenir à manger. Je me servais, grâce à mon don. Je manipulais quiconque me semblait une bonne cible pour ce dont j’avais besoin, quel que soit ce besoin. Bref, la vie allait bon train, sans être merveilleuse, parce que je devais toujours être au crochet de quelqu’un, d’un fichu humain, à cause de ma forme animale…Et je n’allais pas me mettre à faire dans le mercenariat comme ce sac à puce de Potté. BAH ! On entendait déjà parler de lui à l’époque où Shrek n’était qu’un ogre parmi tant d’autres, mais depuis que ce derniers est connu pour avoir épousé la princesse de Fort Fort Lointain, et avoir fait en sorte de recevoir l’aide de Potté…Ce rouquin de mes deux fait de plus ne plus parler de lui. Il m’horripile, m’agace et me donne envie de rendre ma souris du déjeuner. Quoi qu’il en soit, je commençais à en avoir marre de cette situation. Je voulais un chez moi, je voulais pouvoir manger, je voulais…Une liberté plus aisée.

Ce fut un souhait exaucé quand Marraine la Bonne Fée prit le pouvoir (prends-ça Potté !) et a commencé à prendre des mesures intéressantes. Dès que j’ai entendu parler de ce Charnel N°5, je n’ai pas hésité et ait mis les voiles en direction de Fort Fort Lointain. Ça m’a pris un peu de temps, mais dès que je suis arrivé à la capitale, j’ai pu obtenir et Charnel et…Depuis je suis libre ! Plus besoin d’humain pour me faire à manger, plus besoin de me prendre la tête pour trouver un endroit où dormir…Le rêve. Pendant les premières semaines après ma transformation, je pris le temps d’apprendre à manier ce corps étrange et bien moins maniable que celui d’un chat. Néanmoins, je l’aimais bien. Il reflétait bien ce que j’étais et mes yeux…Le même bleu. J’en étais très heureux. Finalement, je pus apprendre à manier de quoi faire des photos et suis devenu paparazzi. Ce n’est pas très reluisant, mais avec mes dons et mon amour pour le chaos…Quoi de mieux que de faire exploser quelques scandales ici et là ?

En tout cas, ça fait maintenant six mois que je vis à Fort Fort Lointain et bien que loin de mener une vie de château…Je vis ma vie, sans personne pour me contrôler…Encore plus maintenant que les extrémistes s’en sont donné à cœur joie pour mettre le bordel dans la ville. Cette effluve de chaos qui émane de la ville à présent…Quelque chose que je ne pensais pas retrouver dans cette belle ville polissée de Fort Fort Lointain. Je ne m’en réjouis que plus.