Il était une fois, au coeur de la contrée de Saay, une guerre sanglante qui déchirait une région entière. Le paysage n’avait plus rien d’une carte postale asiatique, les cris déchiraient le ciel, les combats faisaient tomber les arbres. Les populations adverses clamaient des terres, y déversaient le sang de leurs ennemis, alimentant ainsi la fureur et la haine qui se propageaient rapidement. La force de l’affrontement était égal des deux côtés, la rage de vaincre était une motivation commune. La guerre dura douze longues années ; douze années de souffrance, de pertes, de deuil, de combats acharnés. A chaque guerre sa légende ; on murmurait alors qu’une femme, déguisée en homme avait rejoint l’armée du général Tuoba Lintrépide. Cependant, ce n’était pas une légende mais un scandale évité, simplement. Et si l’armée avait réussi à protéger ce secret, c’était seulement parce que, disait-on, elle était plus forte et plus adroite que les hommes, plus solide et plus meurtrière qu’un soldat.

Ce n’est pas une légende, donc, puisque cette histoire est la mienne. Mulan Soleilevant, enfant unique de Xu, mon père, et Zhang, ma mère. Mon cher père, ancien officier, m’a appris à me battre dès l’instant où mes bras étaient assez forts pour porter un bâton. Ma mère, de l’autre côté, s’assurait de mon éducation, priant pour que je trouve un mari rapidement et évite le déshonneur sur la famille. Je finirais par décevoir ma mère et faire le bonheur de mon père. Je n’étais pas la plus belle fille du village, la plus intelligente, la plus douée, non, mais j’étais certainement la plus téméraire.
J’avais 18 ans alors lorsque la guerre éclata. De hâte, les guerriers venaient mobiliser les hommes dans les villages et des familles étaient séparées, déchirées. La mienne n’échappa pas au mauvais coup du sort. La guerre était inutile, c’était une histoire de terre mais surtout, une histoire de sang. Il n’y avait pas de raison particulière, sinon l’ennui et la soif de pouvoir. Je refusais que mon père ne risque sa vie pour une cause aussi futile que celle-ci. Mes responsabilités s’imposèrent alors à moi : je me devais de protéger mon père en tant que fille, je me devais de protéger mes voisins, mes amis en tant que citoyen mais, surtout, je me devais de protéger les villages entiers qui étaient impliqués dans une guerre que personne n’avait demandé, en tant que soldat. Grâce à l’enseignement de mon père, je savais que j’étais prête à emprunter le chemin non-conventionnel mais ô combien convoité qui se présentait à moi. Les discussions suivant ma décision furent longues, mouvementées mais mon père comprit rapidement qu’aucun autre choix n’était possible. Le jour requis, je me présentais donc au camp, les cheveux coupés, la poitrine bandée et l’uniforme sur le dos.
Mulan Soleilevant n’était plus. Dès l’instant où j’avais revêtit l’uniforme, je devins un homme. J’emprunta le nom de Hou-Chi et me fit rapidement une place.

Douze ans durant, je me mis corps et âme dans la défense de ma tribu, de ma famille. Huit ans durant, mon secret fut protégé. Malheureusement, celui-ci fut découvert mais pas menacé. J’étais devenue trop importante au sein de la troupe, ayant même gravi quelques échelons au fil des expéditions. C’était à leur tour de me protéger. Si les hauts responsables n’y voyaient aucun inconvénient, l’attitude de mes camarades changea radicalement. Mes huit années de dur labeur ne signifiaient plus rien à leurs yeux, ils retenaient seulement ce que j’avais moi-même renié : j’étais une femme. Je redoublais alors d’effort, tentant de prouver ma valeur alors que leurs avis étaient forgés. J’étais la première à arriver sur le champ de bataille, la dernière à en partir. Je ma battais avec courage, vigueur et force, mais c’était une cause perdue. Résignée, je décidais d’aller au bout de ce que j’avais entrepris.

Le coup de grâce fut donné lorsque mon général, Tuoba Lintrépide, demanda ma main. Si je le refusais, je savais que toute protection serait perdue et que les traitements s’empireraient. Si j’acceptais, je me condamnais à une vie malheureuse, une vie que je n’avais pas choisi. Mon choix resta secret jusqu’à la fin de la guerre qui se termina quatre années plus tard et, lorsque notre victoire fut sonnée par le gong, je pris mes affaires et m’en alla, simplement. Sans un regard en arrière, sans même savoir si mes efforts avaient fait une quelconque différence. J’avais épargné ce fardeau à mon père, j’avais évité une douleur à ma mère et surtout, j’en étais sortie vivante. Après un dernier passage chez mes parents, je sentis qu’il était temps pour moi de partir, de quitter Saay, de manière définitive. J’étais devenue un conte que l’on raconte aux enfants, une histoire, un triste schéma mis en oeuvre par une jeune fille, causant de la peine à ses parents. Tout cela était faux, mais l’histoire était écrite. A dos de mon fidèle destrier, Tianma, je parcourus les contrées avant de poser mes bagages ici, à Fort Fort Lointain.

Je ne sais pas de quoi sera fait mon futur mais je sais où je veux aller. Ma plus grande qualité est ma force de combat, je me dois de trouver un endroit où je pourrais la mettre au profit de la population. Au gré des conversations avec les habitants, j’ai découvert à qui parler afin de rejoindre l’armée de Marraine la Bonne fée. Il me faut trouver une nouvelle place dans cette ville, un nouveau rôle à jouer. La légende de Mulan ne peut rester sans fin. Et cette nuit, alors que je regarde par la fenêtre de la chambre miteuse que j’ai louée, je ne peux m’empêcher de me répéter les derniers mots que j’ai entendu de mon père.