Frederic possédait tout ce qu’il fallait pour mener une existence banale. (quoiqu’assez riche)

Dernier fils de nobles respectables, il était éduqué de la même manière que de nombreux bourgeois du Royaume. Tout petit déjà, on lui inculquait l’art de monter à Cheval, d’user de son cerveau pour résoudre des problèmes de maths et tout ce qui devait s’en suivre. Le petit Tombeleau s’entendait bien avec ses six frères aînés, tous s’entraidaient, s’amusaient…
En bref, une famille « presque normale ».

Soulignons le presque. Une tâche venait quand même assombrir le tableau parfait, la tristesse notable du père concernant l’absence d’une petite fille à ses côtés.
Cette obsession ternissait l’amour qu’il portait à ses garçons, si bien qu’ils finirent par le ressentir, même Frederic, qui n’avait pourtant que 8 ans. Pierre, le plus âgé de la bande en venait même à déserter certains repas, ne supportant plus la pression que son paternel mettait sur les épaules de leur chère mère.
Pourtant, contre toute attente, elle réussit à tomber enceinte une huitième fois et à accoucher d’une fille, Yaola. Eric Tombeleau n’arrivait pas à cacher sa joie, c’était devenu un autre homme. Ses yeux avaient radicalement changés de couleur, il vivait enfin.
Les Sept frères quant à eux, ne surent s’il fallait être soulagés ou non de cette naissance. Certes, maintenant ils n’avaient plus à supporter la mauvaise humeur habituelle de leur père mais… Après ? Ce nouvel enfant avait l’air si fragile, si chétif qu’on aurait dit qu’il allait s’éteindre dans l’heure.

Frederic avait secrètement peur que ce soit le cas. Etrangement, c’était celui qui s’accommodait le plus de l’arrivée de la petite.
Peut-être était-ce parce qu’il n’avait jamais connu la joie d’avoir quelqu’un « après » lui, mais il appréciait le fait aider sa mère à gérer les crises de Yaola, de lui raconter des histoires de Pirates et d’Ogres, bien qu’elle soit encore trop jeune pour comprendre tous les aboutissants des aventures qu’il pouvait déballer le soir avant qu’elle n’aille se coucher.
Les autres frères, Pierre, Thibault, Dorian, Olaf, Marc et Hughes ne s’approchaient pas vraiment de la chambre de la cadette et pour cause, sa santé se détériorait de jour en jour. La petite blonde ne parvenait pas à gagner assez de forces.

Apeurés, les parents Tombeleau cherchèrent tous les moyens pour sauver leur enfant. Ils appelèrent divers guérisseurs, en vain.
Une sorcière Blanche fit alors son apparition à la porte du domaine Tombeleau. Toute étincelante dans ses habits blancs, Frederic s’en souvenait encore. Une crinière dorée surplombait ses épaules nues et elle semblait illuminer ceux qui se trouvaient près d’elle, rien qu’en marchant.

« J’ai peut être une solution concernant vos maux. » avait-elle scandé de sa voix puissante. « Une source miraculeuse se trouve dans l’est du pays, envoyez-y vos meilleurs hommes avec une cruche. Qu’ils reviennent avec la cruche remplie de cette eau bénite et votre enfant sera sauvé. » Elle avait ensuite marqué un temps de pause avant de se retourner, sans demander son reste.
Pourtant, plus loin elle s'était stoppée et avait simplement annoncé « N’envoyez pas vos fils. Sinon, vous perdrez un autre de vos bébés. »

Les époux Tombeleau étaient restés pantois face à l’apparition. Jamais ils n’avaient eût la chance (ou non ?) de rencontrer une sorcière auparavant. Quelle qu’elle soit.
Peneloppe était d’avis d’envoyer une troupe de soldats à la source, mais son mari la coupa net. Employant divers mots peu recommandables à l’intention de la sorcière, il décida ensuite d’envoyer ses fils récupérer l’eau curative.

« Je n’ai cure de ce que cette femme raconte. Si cette source existe, je préfère savoir nos fils sur le coup. Il n’y a pas réellement de dangers de ce côté-là du pays. »

Sans demander leurs restes, les héritiers s’étaient alors préparés pour y aller. Ils préféraient également être dans le feu de l’action. Fred, lui, ne pensait qu’à une seule chose… Sauver sa sœur. Son jeune âge importait peu.

Mais quand bien même, l’avertissement de la sorcière avait raisonné à ses oreilles comme un glas macabre.

D’un accord commun, ils avaient décidé d’attribuer la cruche à Dorian. Ce n’était pas l’aîné, mais le plus sage des sept.
Mais aussi le moins rapide.

Arrivés à la source, Dorian avait enfin put remplir à ras bord le saint graal. Histoire de vérifier la véracité des paroles de la sorcière, Frederic avait plongé son pied droit qu’il avait volontairement entaillé pour voir les effets de cette prétendue eau.
Ça ne s’était pas fait attendre. En dix secondes, la plaie s’était refermé, comme par « magie ».

Les Sept frères avait alors hurlé de joie. Thibault avait arraché la cruche des mains de Dorian et s’était mit à courir avec, dans l’optique de rentrer plus rapidement chez eux. Alarmé, Marc avait couru à sa suite, en lui sommant de faire attention, il lui avait piqué à son tour la cruche. Et ce manège s’était répété pendant au moins une demi-heure, chaque frère se précipitant pour tenir le récipient.

Au moment même où Frederic avait pu l’avoir entre ses bras, ses six frères réunis s’étaient jetés sur lui. Ni une ni deux, la cruche s‘était écrasée à terre, laissant le liquide divin s’écouler lentement.

Plus loin, au même moment on entendait le père impatient maudire ses enfants et souhaiter les voir se transformer en Corbeaux.

Des battements d’ailes se firent entendre juste après…




Un froid, froid qui transperce toute la peau, comme des millions de petits poignards qui seraient venu se loger dans vos veines, qui ne souhaitent qu’une seule chose… Votre mort. Puis une chaleur fulgurante, grandissante, qui d’abord vous fait du bien après cet état de léthargie. Mais c’est chaud. Trop chaud. Ça brûle.
Frederic se mit à trembler et se laissa tomber à terre, tout autour, ses frères suivaient son exemple, la même expression de douleur figeant leurs visages. Tous se contorsionnaient en hurlant de douleur.

« C’est… C’est chaud ! C’est horrible ! » s’écriait Olaf qui se recroquevillait à terre. « Par la barbe de Merlin ! Qu’est-ce que c’est que cette sorcellerie ! »

Le cadet tourna la tête vers son aîné, mais aucune réponse ne put s’échapper de ses lèvres sèches. Un pic de douleur traversa ensuite son dos et il se cambra, il ne pouvait plus respirer, il ne pouvait plus voir clair. Que se passait-il ? Même ses neurones semblaient hermétiques à toute réflexion, ça se floutait. La minute d’après, tout n’était que tourbillon de plumes noires, délirait-il ? Avaient-ils tous été drogués ?
Il devait…. Dormir.
Il devait… Devenir Oiseau. Il dev… Croââ.



« Et ça s’est fini comment ? Enfin, j’veux dire… Parce que t’es plus trop un Corbeau là. » s’impatientait une cliente de la Taverne.

Frederic soupira et ramena ses boucles cuivrés derrière son crâne. Celles-ci se faisaient un malin plaisir à toujours lui revenir en pleine face, cachant son regard blasé.
Ca faisait une heure qu’il discutait avec la donselle, bien qu’elle ait paru aux premiers abords de charmante compagnie, il devait maintenant admettre qu’elle l’ennuyait fortement. Pourquoi toutes ces questions sur son passé ? Il était maintenant serveur dans une taverne de la capitale, n’était-ce pas suffisant ?
Non. De nombreuses clientes étaient avares d’histoires concernant les serveurs, mensonge pour draguer ou bien curiosité mal placée, Fred ne saurait le dire.

« J’ai vécu ensuite en tant que Corbeau pendant… Purée, plus de dix ans ? La vache, j’pensais pas que c’était aussi long. Après avoir eu envie de tous se suicider avec mes frères, on a appris à vivre comme des volatiles. » il se stoppa et repris un peu d’Hydromel. Tant pis pour son patron, il dirait que la demoiselle lui en avait commandé un autre. L’alcool lui déliait toujours « partiellement » la langue. « C’était difficile au début mais j’ai commencé à m’y faire, on a commencé à s’y faire. Et j’aimais ça. La sensation… De voler ? L’air que tu te reçois en plein bec… Enfin, face te concernant. Bref. Tu connaîtras jamais ça, mais c’tait magique. » il reprit une gorgée tandis que la rouquine continuait. « Ca m’explique pas comment t’es redevenu humain, tu portes le char… » « Non. » la coupa-t-il d’un trait.

Face au regard interloquée de la belle, il roula des yeux et plongea bouche la première sur l’Hydromel. Non, il ne continuerait pas à lui raconter sa vie. Non, il ne lui dirait pas que dix ans plus tard, Yaola, qui en fin de compte avait survécu sans l’eau bénite les avait trouvé. Il ne lui dirait pas non plus que l’enchantement avait été levé à partir du moment où elle s’était montré face à eux avec des tuniques cousues mains. Des tuniques faites en orties.
Diantre, elle avait dû sacrément en baver pour coudre ça.

Il ne raconterait pas le moment de gêne qui s’en était suivi, les frères se découvrant plus humains que jamais, Frederic découvrant un corps qui le… Dégoutait après autant de temps passé en oiseau. Il ne raconterait pas les interrogations concernant le sortilège levé, sur comment même de BASE ils avaient pu être maudits sans qu’une sorcière ne se montre. Tant de mystères autour de cette histoire.

Il ne dirait pas non plus comment ils étaient rentrés chez eux, comment leurs parents les avaient accueillis comme des Rois. Comment il avait mal vécu ce retour si brusque à la vie normale. Comment il avait été brisé par ses frères qui, du jour au lendemain, s’accommodaient sans peine à ce mode de vie alors que lui ne voulait plus que recevoir une nouvelle malédiction pour épouser le ciel de ses ailes. Encore une fois.
Comment il avait perdu la complicité de ses frères… Pour retrouver celle de sa sœur. Cette même sœur, si douce et candide qu’elle lui avait sommé de partir s’il ne se sentait pas chez lui.

Mais où, se sentait-il réellement chez lui ?

« Faut que j’prenne l’air. » annonça-t-il d’un trait.

Titubant légèrement (« maudit alcool ! ») il se dirigea non sans peine vers la sortie de la Taverne. L’air froid lui fouetta le visage « Par les chaussettes de Fiona. » maugréa-t-il avait de s’adosser contre le mur, blanc comme un linge.

Voilà maintenant trois mois qu’il arpentait la capitale (lorsqu’il n’était pas en train de « travailler » comme serveur) dans une quête d’identité bien tardive. Il avait trouvé un but, une motivation dans sa haine naissante pour la monarchie actuelle, mais en creusant, il ne s’était pas trouvé lui. Un rebelle ? Un ancien corbeau ? Un noble ? Qui était le bon vieux Freddie ? Lui-même ne le savait pas. Et il avait l’impression qu’il ne pourrait le découvrir que lorsqu’il aura compris pourquoi  et comment il avait été maudit.

… Pour être retransformé peut être ?