Mulan & Mowgli

on dit merci qui ?

Honnêtement, je pense pas exagérer en disant que je suis un ami du tonnerre. Déjà quand je vivais dans la jungle, j'épluchais des bananes pour Frère Gris parce qu'il en raffolait mais que la peau c'est franchement pas bon et que c'est drôlement chiant pour un loup de la retirer. J'allais souvent cueillir des fleurs à Mère Louve aussi et je grattais le dos de Baloo. Parce que quand j'apprécie les gens, j'ai besoin de le leur montrer et dans la jungle, l'affection ça s'exprime par des services qu'on rend comme ça sans rien demander en retour. Chez les hommes, j'ai l'impression qu'on fait passer ce genre de message en s'offrant des cadeaux. C'est un truc plutôt abstrait pour moi le principe de cadeau : on m'en a jamais fait quand je vivais dans la jungle et le premier que j'ai reçu de ma vie, c'est Clémence, la jolie fleuriste qui me l'a offert il y a une ou deux semaines.

Ça fait plusieurs semaines que je prépare la surprise du siècle. J'ai tâté le terrain, fais un peu de lèche par-ci par-là (j'étais vraiment motivé parce que c'est le genre de truc que je supporte pas de faire en général) et finalement je suis parvenu à mes fins. Du coup, c'est tout content que je me dirige vers Miel&Epices pour annoncer la bonne nouvelle à Mulan. Cette femme est sans hésiter la plus forte qu'il m'ait été donné de rencontrer dans ma vie. Iseut est forte elle aussi, mais pas de la même façon. Mulan, elle, est une femme à la loyauté et au courage qui dépasse l'entendement. J'ai beaucoup d'affection pour elle, vraiment déjà parce que j'ai l'impression de me retrouver un peu en elle : on a pas du tout le même caractère, mais nous sommes tous les deux loin de notre vrai chez nous et bien qu'elle le montre moins que moi, je me doute que le mal du pays la ronge tout autant que moi. De plus, nous partageons tous les deux cette envie de protéger les gens et ça, c'est définitivement quelque chose qui m'attire chez les autres.

J'entre dans la boutique et tout de suite, je la vois, installée derrière le comptoir de la boutique de confiserie. Franchement, c'est quoi ce gâchis ? Mulan c'est une guerrière, une stratège de génie, qu'est ce qu'elle vient faire à vendre des pauvres bonbons alors qu'elle pourrait sauver des vies ? Ça m'dépasse, franchement. Le sourire au lèvre, je m'approche de la caisse et pose directement devant mon amie l'enveloppe cachetée que je tiens dans la main depuis tout à l'heure. Puis je commence à réciter le petit discours que je me suis préparé dans ma tête sur le chemin pour avoir l'air encore plus classe :

« Mulan, j'ai trouvé quelque chose qui est fait pour toi. Quelque chose qui te permettra d'exposer toute l'étendu de ta génialitude au monde et surtout de prouver que les femelles... que les femmes sont des guerrières aussi capables, voir plus, que les mâles. »

Merde, j'avais prévu de pas dire femelle ! Iseut m'a déjà dit que ça plaît pas aux nanas mais je viens d'un milieu où pour se désigner, on utilise des mots comme ça donc ça a du mal à rentrer. Bon pas grave, de toute façon le principal est dit et j'en pense absolument tout. Quand j'étais petit, tous les louveteaux et même moi, on se faisait défoncer par Kalea, une petite louve qui avait notre age pourtant. Autant dire que devant elle, on mouftait pas, sinon on se recevait un méchant coup de patte dans le citron et on finissait KO en 2 minutes chrono. Frère Gris était fou amoureux d'elle mais il a jamais osé le lui avouer parce qu'il avait peur qu'elle le tabasse pour ça. Tout en agitant la lettre devant le nez de Mulan, je me demande si elle aussi a beaucoup de prétendants qui n'ont jamais eu les couilles de se déclarer. Après tout, c'est une super belle femme, faudrait être aveugle pour pas le voir...

Je cligne des yeux un p'tit coup et lui tends la lettre l'informant qu'elle a rendez-vous pour un entretien à la Tour d'Argent pour intégrer les chevaliers-flics comme moi. Je suis vraiment fier de moi parce qu'avec les derniers événements, les patrons avaient pas trop la tête à s'occuper du recrutement, mais j'ai réussi à convaincre l'un d'entre eux que Mulan valait vraiment le coup. Et je sais que je n'ai pas menti. Avec un immense sourire, je lui dis :

« Ma chère, voici ton pass pour devenir officiellement protectrice de la veuve et l'orphelin. On dit merci qui ? »

Mowgli & Mulan

merci qui, au juste ?

Une routine. Voilà ce qu'elle attendait et ce qu'elle subissait désormais. Elle détestait cela, Mulan. Se lever à la même heure, tous les matins, faire la même chose toute la journée et n'avoir même plus assez de force pour profiter de sa soirée. Deux semaines, désormais, qu'elle avait rangé ses armes, son avis politique et qu'elle se contentait de travailler, de se faire petite, de se faire oublier. Aujourd'hui encore, elle s'était levée à six heures, s'était rendue au magasin à sept heures et, toute la journée, elle la passa à pétrir la pâte, mettre au four, remplir les rayons, refaire des guimauves, accueillir le client, l'encaisser, dix schilings, merci bien, au revoir. Mais elle n'avait plus le choix, n'est-ce pas ? Sa vie basculait entre deux extrêmes : elle pouvait choisir entre se dévouer à une cause corps et âme, ou se tapir dans l'ombre. Elle avait testé les deux ; la première ne lui avait pas réussi. Il y avait eu cette expédition à Saay, qui lui avait fait tellement de bien... Sentir cet air familier, voir ces forêts, ces arbres, parcourir ces routes qu'elle connaissait tant ! Revoir Gretel, aussi.

Tut, tut, tut. Les guimauves sont cuites. Machinalement, Mulan se détache du plan de travail auquel elle s'était adossée, sort les guimauves et les laisse refroidir. En attendant, elle redescend à la boutique - personne, vérifie les stocks - remplis, la poussière - propre. Deux, trois tours du magasin, elle remonte, met les guimauves dans un bocal, redescend. Au comptoir, elle met ses guimauves fraichement cuites à côté d'autres confiseries du jour et prépare des petits paquets garnis. Trois guimauves, deux ogrillons verts, cinq langues de sorcières, un arbre magique. On plie le paquet, on noue le ruban. Trois guimauves...

La clochette retentit et brise cette machinerie humaine. Mowgli. Sa fraîcheur, son sourire, son optimisme. Automatiquement, Mulan se détend et un grand sourire apparaît sur son visage. « Mowgli ! » s'exclame-t-elle. Elle ne sait pas pourquoi, ni comment elle s'est attachée à cet homme si rapidement. Mais cela n'a pas d'importance, au final.
Son ami pose une enveloppe devant elle, qu'elle dévisage comme si elle contenait tout le malheur du monde. « Mulan, j'ai trouvé quelque chose qui est fait pour toi. Quelque chose qui te permettra d'exposer toute l'étendu de ta génialitude au monde et surtout de prouver que les femelles... que les femmes sont des guerrières aussi capables, voir plus, que les mâles. »
Son sourire s'élargit. Mowgli est bien le seul à penser cela de la jeune "femelle" ! Elle ne s'en offusque pas, mais ne cache pas qu'elle n'est toujours pas rassurée. Ce n'est pas qu'elle aime sa routine, mais elle s'y sent en sécurité. Elle a besoin de sécurité. « Et qu'est-ce que c'est ? Une invitation au concours du plus grand mangeur de langues de sorcières ? »

L'enveloppe semble la narguer, appelle à être ouverte. « Ma chère, voici ton pass pour devenir officiellement protectrice de la veuve et l'orphelin. On dit merci qui ? » Un froncement de sourcils, un plissement du nez. Avant de lui répondre, elle s'empare de l'enveloppe, l'ouvre et lit son contenu.

« Mulan Soleilevant,

Nous sommes heureux de vous annoncer que votre candidature a retenue toute notre attention. Nous vous proposons de nous rencontrer, ce mercredi, à la Tour d'Argent, afin de passer un entretien. En cas d'impossibilité, merci de nous faire parvenir une missive dans les plus brefs délais, incluant la raison et une date ultérieure.

Les chevaliers-flics sont toujours à la recherche de nouveaux talents. Ne manquez pas cette opportunité ! »

Devenir chevalier-flic ? Une candidature ? « Mowgli... Qu'est-ce que tu as fait ? » Elle remet la lettre dans l'enveloppe, la referme tant bien que mal et la pose sur le comptoir. « Je ne peux pas faire ça. Depuis tout ce qu'il s'est passé, ici, je ne peux plus. » Elle fait glisser l'enveloppe vers Mowgli, dans l'espoir qu'il s'exclame "D'accord" et change de sujet rapidement. « Désolée... Tu aurais dû m'en parler avant ! » s'exclame-t-elle, à mi-chemin entre la colère et la déception. Elle est déçue d'elle, en colère contre Mowgli. Elle ne touchera plus à une arme. Elle ne tuera plus pour une cause.

Un mort causé par ma main, c'est un mort de trop.

Mowgli & Mulan

merci qui, au juste ?

Alors là, je suis vraiment super surpris. J'étais persuadé que c'était une super idée moi ! Et puis merde, je veux pas que Mulan reste à moisir ici toute sa vie, il y a tellement plus en elle qu'une simple caissière dans une confiserie ! Je fronce les sourcils en voyant son visage se décomposer à la lecture de la lettre et je pige plus ou moins que j'ai merdé quelque part. Est ce que c'est parce qu'elle aurait préféré être direct dans la garde royale ? J'ai essayé de lui avoir un entretien là bas mais j'ai pas suffisamment de contacts aussi haut placés et surtout, j'essaie de pas trop m'approcher de toute cette sphère là : quand ça devient politique, vaut mieux pas que je m'y frotte, compte tenu de mes opinions... Une fois qu'elle a terminé sa lecture, elle remballe la lettre comme si c'était du papier brûlant et me la rend. D'abord elle s'excuse, puis j'ai l'impression qu'elle s'énerve. J'ai un petit mouvement de recule en voyant dans quel état mon cadeau l'a mis. Enfin un cadeau... Là pour le coup je suis pas sur qu'elle me dise « merci » en tout cas...

Mulan est l'une des femelles que j'ai le plus rapidement considéré comme étant une amie. D'une certaine façon, je pense que si j'avais eu une sœur humaine, j'aurai voulu qu'elle soit exactement comme elle : forte, indépendante, loyale... Je l'estime énormément et c'est pour ça que dans un premier temps, je me dis qu'il vaut peut être mieux que je laisse tomber l'idée de la pousser à rejoindre les chevaliers flics pour venir avec moi. J'ai pas envie qu'on se dispute et j'ai l'impression qu'il y a quelque chose qui l'a totalement chamboulée quand elle a lu la lettre. Je ne sais pas ce que c'est mais je n'aime pas l'idée de remuer le couteau dans la plaie.

Mais d'un autre côté, j'aime trop Mulan pour ne pas vouloir insister au moins un peu. Je regarde la lettre, puis mon amie et sort la missive de son enveloppe pour la lire à mon tour. Une fois que c'est fait, je la tourne pour que l'écriture soit dans son sens, puis je pointe du doigt une partie du message en la regardant droit dans les yeux pour donner le plus de poids possible à mes paroles :

« C'est qu'un entretien, en principe, y'a rien qui t'oblige à y aller Mulan ! Si tu décides de faire la morte et de le zapper, y'a pas de problème, personne t'en empêchera. Bon, moi je passerai pour un con devant mon patron et je devrai sûrement me taper les 15 milles prochaines rondes du matin pour lui avoir fait perdre son temps mais sinon on va pas aller te chercher par la peau du cul pour te trainer jusqu'à la Tour. »

Je jette un regard autour de moi et lui désigne d'un geste ample du bras la boutique.

« Mais regarde autour de toi ! Franchement, c'est ça ce que tu veux faire tout le reste de ta vie ? Des guimauves ? J'essaie pas de dénigrer ton boulot, mais putain Mulan, tu vaux tellement mieux que ça ! Ça me rend malade de me dire que tu pourrais protéger les gens de tous les fous qui traînent dehors et qu'au lieu de ça tu attends derrière un caisse toute ta journée. »

Je pousse un soupire et me passe une main dans les cheveux. Putain c'est difficile d'exprimer les choses en langage humain ! Iseut me répète tout le temps que je dois être plus subtile quand je parle mais c'est super dur... Je veux pas blesser Mulan en sous entendant sans le vouloir un truc pas sympa mais en même temps, je veux pas qu'elle gâche sa vie derrière son comptoir. Y'a le loup en moi qui hurle de rage parce qu'il voudrait que toute sa meute soit à la bonne place et Mulan, elle est pas à la bonne place. Mais je décide de l'ignorer au pris d'un super gros effort pour pas faire de mal à mon amie.

« Je t'ai dit que personne viendrait te chercher pour te trainer là bas et je te promets de jamais t'obliger à faire quoique ce soit parce que tu es quelqu'un d'important pour moi. Mais je veux juste que tu me dises : dans 10 ans, où est ce que tu t'imagines ? Même pas, dans 1 an ? Tu te vois réellement continuer à faire ça dans 1 an ? »

Au fond de moi, je sais que c'est super vicieux de lui demander un truc pareil, parce que moi je sais pas ce que je serai dans un an : est ce que d'ici là j'aurai retrouvé Frère Gris ? Si c'est le cas est ce que je serai encore en ville ou de retour dans la jungle ? J'ai plus qu'à prier maintenant pour que Mulan ait pas l'idée de me renvoyer la question parce que sinon, j'aurai l'air bien con.

Mowgli & Mulan

merci qui, au juste ?

Mulan connaissait Mowgli et ne pouvait pas lui en vouloir bien longtemps. Après tout, s'il avait fait cela, c'était pour l'aider, il n'y avait aucune motivation égoïste derrière ce geste. Mais elle s'était promis de ne plus toucher à une arme, de ne plus s'engager pour une cause à laquelle elle ne croit qu'à moitié ; de mener une vie bien sage, en somme. Evidemment, cela ne durerait pas, elle pouvait désormais difficilement aller à son travail, frustrée de devoir subir cette nouvelle routine.
Mowgli s'empare à son tour de la lettre et pointe du doigt le mot « entretien ». Il avait un point... Peut-être ne serait-elle pas prise, après tout ! Elle n'avait aucune référence à Fort Fort Lointain en matière de droit ou de combat. « Mais regarde autour de toi ! Franchement, c'est ça ce que tu veux faire tout le reste de ta vie ? » Non. Mais elle n'avait pas le choix. C'était un cas de conscience, pas un choix. C'était sa rédemption, sa punition.

Mowgli semble dans tous ses états, en colère contre ses choix. Elle peut le comprendre mais refuse de lui donner raison. Admettre ses torts, c'est refuser et enterrer les engagements pris il y a quelques temps seulement. Où se voit-elle dans 1 an ? « J'en sais rien. Je serais peut-être encore ici, Mowgli. Oui, ce n'est pas ce qui me convient, oui, je m'ennuie et j'ai un pincement au coeur en pensant à tout ce que j'ai laissé de côté. Mais ce boulot est sûr, je ne ferais aucune victime simplement en encaissant des guimauves et en rendant de la monnaie. J'ai besoin de cette sécurité-là, maintenant. » Personne ne sait réellement ce que Mulan a traversé, si ce n'est Alexei. Alexei qui, justement, travaille ici.

Elle pose ses deux mains sur le comptoir et s'y appuie, fatiguée par tout cela. « Peut-être que dans deux ans, j'enterrerais mes résolutions et demanderais à être chevalier-flic. Peut-être que non. Mowgli, je pense que je n'ai plus la force d'assumer ce rôle de guerrière, d'avoir ce poids de décider si oui ou non quelque chose est bien ou non, de savoir que j'ai le pouvoir de tuer quelqu'un... C'est épuisant. »
La lettre lui fait toujours de l'oeil et l'offre est très tentante, mais elle n'est pas prête. Elle a mis du temps avant d'admettre son échec cuisant au sein des rebelles, beaucoup plus de temps encore avant de ranger ses armes et d'entamer un autre tournant.

« Peut-être que tu ne comprendras pas mon point de vue mais... je ne peux pas passer l'entretien pour ça. Je ne suis pas prête à retrouver l'autorité, les armes et tout ce qui en découle. » Elle fait le tour du comptoir et vient se placer à côté de lui, une main sur son épaule. « C'est très gentil et je sais que tu t'es donné beaucoup de mal. Peut-être que je regretterais cette décision dans deux semaines ou dans deux ans, mais c'est mon combat, Mowgli. Je n'ai pas envie que tu t'encombres avec mes problèmes. » Sans réfléchir, Mulan enveloppe ses bras autour de son ami, de son frère, pour qui son estime ne cesse de grandir. « Mais merci » lui murmure-t-elle dans l'oreille.

Mowgli & Mulan

merci qui, au juste ?

L'impuissance, c'est sûrement ce que je déteste le plus au monde. Dieu merci, j'ai jamais eu à subir ça au plumard, mais là, entendre Mulan m'expliquer qu'elle n'est pas prête à reprendre les armes, ça me laisse un goût amer dans la bouche. Et en plus, je me sens vraiment impuissant pour le coup. Totalement même. A chaque phrase, chaque mot qu'elle dit, j'ai envie de protester, de lui dire qu'elle se trompe, que moi je suis le premier à croire en elle et que je sais, que j'ai l'intime conviction qu'elle fera une chevalier-flic merveilleuse. Elle a tellement à offrir, elle pourrait aider tellement de gens avec ses dons ! J'ai déjà vu de quoi elle était capable avec une épée dans les mains et franchement, ça m'a laissé baba. Le seul qui a déjà réussi à m'épater comme ça avec des talents d'escrimeur de ouf, c'est Lance. Quand Mulan me dit qu'elle a besoin de sécurité, je sais pas pourquoi mais j'ai le cœur qui se serre un peu dans ma poitrine. J'ai failli lui promettre qu'avec moi elle serait en sécurité mais j'ai compris que ce n'était pas de ce genre de sécurité dont elle parlait.

Je baisse la tête, super déçu. J'aurai tellement aimé que Mulan soit ma partenaire chez les chevaliers-flics ! Elle fait partie des personnes en qui j'ai une confiance absolue avec Lance, Cuchulainn et Iseut. Je lui confierai ma vie sans hésiter si il le fallait. C'est quelque chose que j'ai rarement ressenti dans la jungle, voir pas du tout : le monde sauvage n'est pas vraiment propice à la confiance, un petit rien peut transformer votre meilleur ami en créature vachement dangereuse. Je me souviens du jour où Baloo s'est fait piquer le museau par un frelon : la douleur l'a rendu complètement fêlé du casque et j'ai vraiment cru que j'allais y passer quand il s'est tourné vers moi, les yeux fous. Si Bagheera était pas arrivé pour m'emmener plus loin, j'pense que je serai plus que de la bouillie de Mowgli aujourd'hui. Enfin de la bouillie de Mowgli mélangée à de la crotte de Baloo, ce qui est pas franchement mieux. Mais les humains ne sont pas comme les animaux, c'est un truc que m'a appris Cucu. On peut faire confiance aux humains qui nous sont chers. Et Mulan est une personne en qui je sais que je peux avoir foi. C'est sûrement pour ça que ça me fait autant de mal de la voir vendeuse de guimauve quand elle pourrait être bien plus.

Finalement, elle se rapproche de moi et me fait un câlin en me remerciant. Je pousse un soupire triste mais réponds quand même à son étreinte. Je la serre fort contre moi et plonge mon nez dans ses cheveux tout noirs et lisses en fermant les yeux.

« Tu sais, je peux pas m'empêcher de dire, rien ne t'oblige à tuer quelqu'un chez les chevaliers-flics. Regarde, j'y suis depuis des mois et des mois et je n'ai jamais eu à tuer qui que ce soit ! »

Je m'écarte un peu d'elle pour pouvoir la regarde dans les yeux sans pour autant rompre notre câlin. Mais je vois bien à la tête qu'elle fait que je brasse de l'air et que je commence à être lourdingue. Alors je décide de capituler, même si ça me fait vraiment mal au cœur. Je pousse un nouveau soupire et dis :

« Ok, j'arrête pardon. Je vois bien que ta décision est déjà prise de toute façon. Mais je veux que tu te rentres une chose dans la tête. Nan, en fait deux : le premier, c'est que tu me gêneras jamais avec tes problèmes. Jamais jamais. Je serai toujours là pour toi. Et le deuxième, c'est que le jour ou tu seras prête à sauter le pas, que ce soit dans deux semaines, un mois ou 15 ans, j'arriverai toujours à t'avoir une place chez les chevaliers-flics ou autre part. »

Je jette un coup d’œil en direction de la lettre posée sur le comptoirs et la récupère en tendant le bras pour la plaquer contre la poitrine de Mulan. J'attrape sa main droite et la place de façon à ce qu'elle maintienne l'enveloppe collée contre elle avant d'ajouter :

« Et je veux que tu gardes ça. Je me fiche de savoir si tu viendras ou pas, considère juste ça comme... une promesse d'avenir. Une preuve qu'il y a tout un monde qui t'attend derrière les vitres de la boutique. Un monde qui aura toujours besoin de toi. Tu me promets de pas la jeter ? »

Je lui fais mes petits yeux de loup battu pour l'inciter à accepter et ajoute histoire de la faire plier à coup sur :

« En plus c'est le premier cadeau que j'ai fait dans ma vie, ça m'ferait trop du mal dans mon cœur si tu m'envoyais chier en me disant de récupérer l'enveloppe en plus. »

Mowgli & Mulan

merci qui, au juste ?

Regarder le visage déconfit de Mowgli lui tord le coeur, à la guerrière. Elle se déçoit de laisser tomber un ami à cause de son courage disparu. Ca fait comme un hématome ; il suffit d'appuyer pour avoir mal. Quand elle n'y pense pas, tout va bien ; la plaie n'existe plus. Mais il suffit d'une conversation, d'un souvenir, et la douleur repart, aussi vive qu'au premier jour. Elle est encore plus vive aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de refuser l'aide de Mowgli, de voir ses yeux se remplir d'incompréhension, ses épaules se voûter légèrement. Elle n'aurait aucun mal à décevoir un étranger, mais l'homme qui se tient en face d'elle est beaucoup plus que cela. C'est lorsqu'elle le regarde qu'elle admet être plus faible. C'est lorsqu'il affirme pouvoir la faire rentrer quand il veut, qu'elle l'admire. C'est lorsqu'il déclame son amitié, qu'elle l'aime réellement. Sa vie serait bien triste, sans ce petit brin de folie quotidien, d'énergie. Face à face, la lettre revient vers elle dans un geste tendre mais décidé. Enveloppe contre la poitrine, elle n'a d'autres choix que de garder ce précieux sésame.
Cela ne l'empêche pas de soupirer, Mulan, sous l'attitude insistante de Mowgli, ce chafouin qui sait manier les mots. Ce serait blasphématoire que de ne pas le faire ; après tout, elle doit lui donner l'impression qu'il devient un peu lourd. Ce n'est pas le seul à avoir le droit de la taquiner, non ? Mais tout humour se brise lorsque, de sa voix sincère, son ami avoue que cette lettre est le premier cadeau de sa vie.

« Oh, Mowgli... » dit-elle, tenant désormais la lettre au niveau de sa poitrine comme s'il s'agissait de la plus belle chose du monde. « J'apprécie vraiment tout ça, ne pense pas le contraire. Ce n'est juste pas le bon moment pour moi, tu comprends ? » Les yeux brillants, elle se dépêche de mettre la lettre dans un endroit sûr - la caisse - et de la conserver aussi longtemps que possible. « Faisons un pacte. Je te promets que, dès que ce boulot commence seulement à m'ennuyer, je viendrais t'embêter pour entrer dans les chevaliers-flics. Si je ne le fais pas, tu as le droit de me faire avaler un pot entier de coriandre. Ça te va ? »
Et puisqu'elle ne pouvait pas laisser son ami repartir les mains vides - elle n'avait pas vraiment envie de le laisser repartir tout court, les clients se faisaient rares aujourd'hui - elle lui apporta un petit paquet de cookies. « C'est moi qui les ai fait, tu m'en diras des nouvelles ! »

Peut-être voulait-elle prouver aussi qu'elle n'était pas inutile, ici. Que ses mains qui savaient manier l'épée savaient aussi manier la nourriture, que ses gestes précis l'étaient toujours autant. « En tout cas, si un jour tu t'ennuies, là-bas, sache qu'on aurait bien besoin d'une paire de mains en plus dans la cuisine ! »
Ils n'étaient plus que deux, après tout, Gretel étant partie on ne savait où. C'était une histoire différente, qu'elle devait régler aussi.
« A part ça Mowgli... Tu vas bien, toi ? Tu n'as pas arrêté de parler de moi, et j'ai oublié de te le demander » avoue-t-elle, un peu honteuse. Depuis quand se souciait-elle plus d'elle que des autres ?