Wolfran & Kaa

Nice to meet you

Cette nuit avait été un désastre complet. Le peu de clients de la Sirène Amputée n'avait prêté strictement aucune attention aux performances de Kaa. Au lieu de ça, une bande d'ivrognes c'était apparemment livré un concours afin de déterminer lequel d'entre eux pouvait être le plus insupportable. S'il n'en avait tenu qu'au jeune danseur, ils auraient tous gagné la médaille d'or, avec en prime un bonus pour lui avoir refilé un sacré mal de tête.

Alors qu'il marchait dans les rues sales de Ragtown sous une bruine matinale, Kaa pensait à son avenir à Fort Fort Lointain. Il y avait bientôt six mois qu'il avait rejoint la cité mais il travaillait toujours dans un bar/restaurant minable, avec une clientèle douteuse, et un salaire pas vraiment mirobolant. Néanmoins, si tout allait bien, d'ici quelques temps, il allait enfin pouvoir quitter ce quartier miteux grâce aux nombreuses connaissances bien placées qu'il avait rencontré. Mais même ça ne suffisait pas à lui remonter le moral.

Sans qu'il ne comprenne trop pourquoi, Kaa se sentait seul. Il n'avait pour ainsi dire jamais eu d'amis, ni même de connaissances autres que les personnes avec qui il faisait affaire. Bien entendu, du temps où il vivait dans la jungle, il n'avait pas eu l'occasion de nouer ce genre de liens avec ses voisins, mais l'idée d'avoir des amis ne l'avait pas non plus frôlé depuis qu'il était devenu humain. Jusqu'à maintenant, en tout cas.

Depuis quelques jours, cependant, l'envie lancinante d'avoir quelqu'un à qui parler s'était faite sentir de plus en plus.  Pour le jeune homme, qui n'avait pas d'autres ambitions que la danse et ses intérêts personnels, ce genre de sentiment était parfaitement incompréhensible. Une colère l'envahit rien que d'y penser. Il n'avait pas quitté sa jungle et affronté tant de défis pour être victime d'un pauvre sentiment humain.

Le fil de ses pensées fut interrompu par une pluie soudaine. Kaa attendit un long moment abrité sous un toit, trempé jusqu'à l'os et avec une horrible migraine. Au bord de la crise de nerf, le jeune homme se rendit compte qu'il était juste en face de La Cuillère d'Absinthe, la boutique de l’apothicaire de Ragtown. Tentant le tout pour le tout, il décida de rentrer dans la boutique dans l'espoir d'y trouver un remède contre son mal de tête carabiné.

Mis à part celui que Kaa présuma être l'apothicaire, il n'y avait strictement personne, chose parfaitement compréhensible en cette heure matinale. Aussi le danseur put chercher librement ce dont il avait besoin et trouva au bout de quelques minutes une potion qui devrait faire parfaitement l'affaire. Comme il avait hâte de retrouver son appartement sur Roméo Drive, il se dirigea vers la caisse en fouillant d'une main les poches de sa veste trempée. Ce n'est qu'une fois devant l'apothicaire qu'il se rendit compte qu'il n'avait absolument aucun schilling sur lui.

Exaspéré au plus haut point, Kaa frappa violemment le comptoir du poing et se pencha vers le vendeur, ses yeux plantés dans les siens pour mieux capter son attention :

« Je sais que vous ne me connaissais pas, et je sais aussi que je ne dois pas vous faire une très bonne impression, mais puisque je ne reviendrais probablement jamais dans votre boutique et que ma patience a des limites, voilà un résumé de la situation : J'ai passé ma nuit à danser pour un tas de vauriens incapables de parler sans hurler, je suis trempé et j'ai vraiment besoin que mon mal de tête cesse, alors il est hors de question que j'abandonne cette fiole parce que je n'ai pas d'argent sur moi. Ce qui va se passer, c'est que vous allez bien gentiment me laisser repartir sans payer et même oublier que je suis rentré dans votre boutique aujourd'hui. On ne s'est jamais vu et il ne s'est jamais rien passé ici. Kaa prit une longue inspiration et expira lentement avant de continuer : Je déteste ce que je suis en train de faire, et même si vous allez tout oublier d'ici quelques secondes, sachez quand même que je ne me sers jamais de mes dons pour voler qui que ce soit. J'ai beau ne pas être la personne la plus recommandable de cette ville, j'ai tout de même une certaine étique, mais dans ce cas précis, je n'ai pas le choix, et ça vaut mieux et pour vous et pour moi. »

Tout en parlant, Kaa avait laissé son hypnose prendre effet et dans quelques secondes, l'apothicaire le laisserait partir sans rien dire, et tout serait terminé. Il pourrait enfin rentrer chez lui et en finir avec cette satanée nuit. Mais alors que son hypnose s'achevait, le danseur remarqua que le jeune homme n'avait absolument pas l'air subjugué Pire encore, à l'inverse des humains pur souche qui ne se rendaient jamais compte des tentatives d'hypnoses du serpent, celui-là avait manifestement l'air de tout à fait réaliser ce qui venait de se passer. Brusquement, Kaa se redressa, comprenant qu'il venait peut-être de faire une énorme erreur. Le souffle coupé par la peur, il ne parvint qu'à murmurer ces mots :

« Mais qui êtes-vous ? »

Wolfran & Kaa

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Et une nuit passée à vérifier son stock, une! Wolfran devait le faire de temps en temps, pour être sûr de ne pas s'être voler trop de choses. C'est impressionnant le nombre de chose que les gens pouvaient emporter dans une boutique d'apothicaire...mais il était content cette fois, le fait qu'il fasse ses potions et préparations la nuit plutôt que dans la boutique durant la journée avait réduit les tentatives de vol. Le fait aussi que l'on commence à entendre que l'apothicaire de Ragtown avait bon coeur tendait à décourager les voleurs du dimanche. En tout et pour tout ce mois-ci, seules 4 fioles avaient disparues, et deux pots de plantes aromatiques. Un mois correct en somme. Lorsqu'il releva la tête de ses registres, le jeune homme remarqua l'heure. Par Merlin! Déjà le matin? Il allait devoir sauter l'étape sommeil et commencer à préparer les prescriptions de ses clients réguliers...eh bien c'est parti. Descendant de l'étage où se trouvait son logement pour accéder à sa boutique, le blond déverrouilla la porte d'entrée et tourna le petit panneau qui le disait fermé. Il avait des heures d'ouvertures, certes, mais vu qu'il était déjà en bas, autant ouvrir pour de possibles urgences. Il était là de toute façon.

Il préparait une des dernières prescriptions quand il entendit la porte s'ouvrir et se refermer. En voilà une bonne idée qu'il avait eue d'ouvrir plus tôt. Il releva la tête pour voir son client et allait la saluer quand il remarqua que ce dernier observait déjà ses rayons. Wolfran haussa les épaules et retourna à sa prescription.

Il la terminait à peine et entreprenait de la mettre dans un petit sachet papier quand son client mystère frappa du poing sur son comptoir, le faisant sursauter. Bon sang, il ne l'avait pas vu arriver au comptoir. Ouvrant la bouche avec l'intention de lui dire qu'être grossier n'était pas une façon de faire, il ne put énoncer une parole cependant, car l'autre enchaîna. Un discours rapide et pourtant mesuré dans ses intonations et sa prononciation. Les yeux bruns du sorcier ancrés à ceux bleus de son client, il sentait bien que quelque chose tentait de se frayer un chemin dans sa conscience, dans son esprit, mais pendant un moment ne sut pas quoi et il se demanda sincèrement s'il devait rire ou s'inquiéter de la santé mentale de l'homme en face de lui. Puis il il comprit. Pas complètement, mais aux vues de ce que l'autre lui disait et de ce qu'il sentait titiller son esprit, on essayait de le contrôler. Comment il ne saurait le dire mais c'était un fait. Seulement Wolfran ne se laissait pas faire et sentit comme une pointe de rancune envers l'homme qui tentait de le voler d'une telle manière. Puis à la réflexion, se dit qu'il ne devait pas savoir grand-chose sur lui; comment pouvait-il se douter que le sorcier serait plus enclin à lui donner un remède s'il lui expliquait la situation tranquillement plutôt que de tenter de le forcer?

Wolfran lui lança alors un regard convoyant ferme teinté d'une pointe de déception. Cela sembla faire l'effet d'une douche froide à son invité incongru et le blond n'eut pas le cœur à le tourmenter plus, surtout pas en entendant le ton de sa question. Il relâcha la tension dans ses épaules avec un sourire et prit la parole.

"Je ne suis qu'un humble apothicaire et ça mon ami..." il se saisit de la fiole et l'éloigna de l'homme "n'est probablement pas ce qui convient pour votre mal de tête. À moins que vous ne souhaitiez perdre la vue durant quelques heures..." un sourire amusé s'afficha sur les traits de l'apothicaire. Oh oui il s'amusait. Il ne devrait pas jouer avec les déboires des autres, mais pour le coup, c'était bien trop tentant. "Votre mal de crâne, ça vous fait quoi comme impression? Des coup de marteau? des pulsations régulières et précisément situées? On simplement comme si on avait passé votre cerveau au presse purée?"

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Le magasin en ruine. Des fioles explosées dans les moindres recoins. L'apothicaire sanglotant recroquevillé derrière son comptoir. Voilà ce qui traversa l'esprit de Kaa en entendant la réponse à sa question et la moquerie dans la voix de son interlocuteur. « Un humble apothicaire » ? Comme s'ils ne savaient pas tout les deux pertinemment qu'il était bien plus que ça. Jamais le danseur n'avait été humilié de sa vie, que ce soit en tant que serpent ou maintenant en tant qu'humain. Certes, les baragouinages des ivrognes qui composaient une grande partie de la clientèle de la Sirène Amputée n'étaient pas toujours très plaisants, mais jamais personne ne s'était attaqué à Kaa de la sorte, encore moins après une tentative d'hypnose.

Le jeune homme faillit frapper l'apothicaire à la main lorsqu'il lui prit la fiole, et lorsque ce dernier se moqua ouvertement de son choix de potion, il regretta de ne pas l'avoir fait. Des idées vengeresses se bousculaient dans la tête du danseur, toutes plus viles les unes que les autres, mais il n'eut pas le temps de se décider sur l'une d'entre elles car le vendeur reprit la parole pour lui demander la nature précise de son mal de tête.

C'était comme si Kaa avait soudainement perdu toute agressivité. Frappé d'un immense désarroi, il ne savait pas si la question était vraiment sérieuse. Son fiasco hypnotique, bien qu'ayant eu lieu la minute précédente, ne semblait pas le moins du monde avoir éveillé la curiosité de l'apothicaire. Il bafouilla que son mal de crâne lui faisait l'effet d'une cloche raisonnant en permanence dans sa tête, et que ça devait probablement être dû au capharnaüm dans lequel il avait travaillé une grande partie de la nuit. Toujours trempé de la tête au pied, Kaa éternua et ajouta donc qu'il lui faudrait quelque chose contre le rhume mais, trop gêné de ce qui venait de se passer, il fit volte-face et repartit fouiner dans les étagères de la boutique.

Sans vraiment regarder les fioles dont il se saisissait, il porta son attention sur l'apothicaire, qu'il n'avait pas prit le temps d'examiner plus tôt. C'était un jeune homme blond et mince qui n'avait pas l'air mauvais, mais Kaa savait bien que les apparences pouvaient parfois être trompeuses, surtout dans un monde où un simple bijou permet de se métamorphoser. Il y avait en ce garçon quelque chose d'étrange, qu'il n'arrivait pas à définir, comme si son aura naturelle était bien plus puissante qu'on ne l'aurait cru aux premiers abords...

Si le jeune homme était d'habitude extrêmement rancunier et cherchait sans relâche un moyen de se venger de ceux qui lui avaient causé du tord, intentionnellement ou non, cette fois-ci il n'arrivait pas à éprouver de sentiment négatifs à l'égard de sa nouvelle connaissance. En effet, la colère qui avait brusquement saisit Kaa avait laissé place à une grande curiosité, presque naïve. Contrairement à ses motivations habituelles, toujours reliées dans un sens ou dans l'autre à son intérêt personnel, le danseur ne voulait apprendre la vérité sur l'apothicaire que parce qu'il s'intéressait à lui en tant que personne et non parce qu'il comptait s'en servir d'une quelconque façon par la suite.

La folle idée que son envie de relation amicale avait quelque chose à voir la dedans lui traversa l'esprit, et il secoua la tête pour la chasser, le front appuyé contre l'une des étagères de la boutique. Pourtant, après avoir poussé un long soupire, il releva la tête et dit en regardant en direction de l'apothicaire : « Vous savez, ça doit vous paraître étrange de la bouche de quelqu'un qui a tenté de vous voler, mais je pensais sérieusement ce que je vous ai dit tout à l'heure : je n'aime vraiment pas avoir recours à mon hypnose de cette façon là... Disons que je n'ai pas l'habitude de passer de si mauvaise nuit, et que je me suis laissé emporté... ».

Kaa retourna lentement devant le comptoir, y posa ses coudes et appuya sa tête dans ses mains, fatigué par sa nuit et par les récents événements. « Mais entre vous et moi, je ne regrette pas de l'avoir fait. Sans ça, je ne me serais probablement jamais rendu compte de votre...différence, ajouta-t-il, le regard de nouveau rivé dans celui du jeune homme. Je n'ai pas croisé beaucoup de personnes uniques à Fort Fort Lointain, mais tout me pousse à croire que vous êtes l'une d'entre elles. Enfin... Je n'ai pas d'argent pour vous payer et après ma tentative de vol, je doute que vous me fassiez crédit,  alors à moins de vouloir partager un bout de votre histoire avec moi, je n'ai pas de raison de m'attarder ici. »

C'était le dernier coup de Kaa. Il n'avait vraiment pas la force de faire parler l'apothicaire, alors si ce dernier ne l'arrêtait pas avant qu'il ne sorte de sa boutique, le danseur serait contraint d'attendre une prochaine occasion d'en savoir plus sur le gérant de la Cuillère d'Absinthe.

Wolfran & Kaa

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L'apothicaire pourrait presque sentir la colère de l'autre homme comme des vagues envers lui. C'était son petit côté provocateur qui faisait cela. Ce n'était pas très présent et il ne s'en servait que peu, mais quand il le faisait, il le faisait bien et obtenait en général des réactions. Bon, il devait bien avouer que ce n'avais pas été totalement volontaire pour cette fois. En vérité il avait juste pointé qu'il risquait plus de se faire du mal que de se soigner mais c'était sorti de la mauvaise manière. Ce sont des choses qui arrivent, surtout quand on n’a pas dormi la nuit précédente. Pourtant, tout cela- la tentative de vol, l'agressivité qui émanait de son client - ne changeait pas le fait que Wolfran aiderait cet homme. Parce qu'il était comme ça et qu’il n'y a rien de mal à aider, surtout que ce n'est pas un remède contre le mal de crâne donné gratuitement qui allait le mettre sur la paille.

Il sembla prendre l'autre homme par surprise avec sa question. Obtenant cependant sa réponse, le blond partit à la recherche des ingrédients nécessaires pour son thé contre le mal de tête, et commença la préparation. Il gardait un œil sur son invité impromptu, juste au cas où. Il était peut-être trop gentil mais pas complètement naïf, merci bien. Il releva d'ailleurs la tête de son mélange quand un lourd soupir se fit entendre dans la boutique, pour voir l'autre homme le regarder. Wolfran l'écouta sagement, attentivement et sa question précédente - à savoir quelle magie il pouvait bien utiliser - trouva réponse. Oh...Cela faisait sens. L'apothicaire sembla perdu dans ses pensées une seconde puis haussa les épaules, acceptant silencieusement l'explication de son invité.

"On a tous des jours avec et des jours sans...c'est la vie. Personnellement j'ai passé la nuit dernière à faire mon inventaire alors..." comme pour prouver ses dires, un bâillement fit son chemin et le blond porta vite une main à sa bouche pour l'étouffer du mieux qu'il pouvait. "Pardonnez-moi."

Le thé était prêt (enfin, il fallait encore le faire infuser) et Wolfran allait demander au brun s'il voulait une saveur particulière dans son thé, quand il se tendit. Comment ça sa "différence"? Est-ce qu'il savait? Vraiment? Il tenta de trouver une réponse dans les yeux bleus de son interlocuteur mais rien ne transparut. La suite de ses paroles ne le réconfortait pas le moins du monde et il supposait l'homme trop fier pour accepter son aide gratuitement après s'être ridiculisé en tentant de l'hypnotiser. Il pouvait comprendre ce raisonnement. Il le regarda prendre le chemin de la sortie et hésita un instant. Est-ce que cela valait le coup de lui en parler? À cet inconnu qui avait tenté de le voler de la manière la plus inhabituel jusque-là? Peut-être faisait-il une erreur, mais il soupira et l'appela.

"Attendez! Premièrement vous ne devriez pas faire des suppositions sans connaître les gens, et deuxièmement je vous demanderais de bien vouloir tourner le panneau sur 'fermé'." Il fit une légère pause "Nous avons, visiblement, à parler et j'aimerais autant ne pas le faire devant des clients..."

Il faisait probablement une énorme erreur, qui sait, mais il n’allait pas tout dire toute de suite. Il ne savait pas pourquoi ce type voulait à tout prix savoir ce qu’il était. D’ailleurs c’était quoi cette question ? « Ce qu’il était » ? Mais il aurait lui aussi ses réponses. Il lui fit signe de le suivre et monta dans l’appartement au dessus de la boutique. Mettant de l’eau à chauffer, il alla s’asseoir dans un fauteuil et indiqua l’autre fauteuil à son invité.

"Pourquoi savoir ce que je suis vous intéresse tant ?"

Wolfran & Kaa

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Un sourire aurait dû se dessiner sur ses lèvres lorsque l'apothicaire l'avait arrêté avant qu'il sorte. Le genre de sourire qu'il avait à chaque fois qu'il obtenait ce qu'il désirait. Il ne connaissait pas d'autre sentiment que la fierté d'une victoire triomphante d'un désir satisfait. Mais au lieu de ça, un soulagement sincère le traversa sans la moindre sensation d'avoir triomphé, et il se contenta de tourner le signe accroché à la porte de la boutique et de suivre le jeune homme blond en silence à l'étage, là où il semblait vivre.

Kaa se laissa tomber dans le fauteuil que lui montrait l'apothicaire. Il se massa les tempes en fermant les yeux. S'il avait réussi à s'attirer l'attention du jeune homme, son mal de tête, lui, réussissait toujours à lui marteler la cervelle sans arrêt et l'empêchait de penser correctement. Malgré tout, il se concentra sur la question de son interlocuteur mais prit un certain temps pour répondre.

« Normalement, je vous aurais répondu que c'est pour comprendre pourquoi mon hypnose n'a pas fonctionné sur vous. Il eut un petit rire étouffé. A dire vrai, je n'aurais rien répondu du tout et je me serais arranger pour que vous ne vous rappeliez plus de notre rencontre. Mais aujourd'hui... »

Il s'arrêta et détourna son regard de l'apothicaire. Pourquoi diable se confiait-il à lui ? Jamais il n'avait eu besoin de se confier à personne. Il avait passé sa vie dans une jungle sans jamais parler à personne plus de cinq petites minutes, alors pourquoi fallait-il qu'il ressente un tel vide maintenant qu'il pouvait côtoyer du monde toute la journée ?

Pris de panique, il se sentit soudain extrêmement vulnérable, à la merci de l'apothicaire, pourtant si frêle et peu intimidant. Il n'avait pas ressenti ça depuis la fois où il avait rencontré Mowgli, la seule différence étant que cette fois-ci il avait choisi de se mettre en position de faiblesse.  Kaa se mura dans un silence qui s'éternisa. Ses yeux évitaient soigneusement ceux du jeune homme. Il entendit l'eau bouillir et reporta son attention dessus. Très las, il poussa un long soupire. Visiblement, l'autre n'avait pas l'intention de parler et semblait attendre la fin d'une phrase que Kaa lui-même ne savait comment formuler. Il serait bien plus simple de dire la vérité, tout simplement et le danseur était épuisé de tout garder pour lui en permanence, mais c'était tellement dur de se livrer à quelqu'un, surtout lorsque l'on ne connaissait cette personne que depuis quelques minutes.

Il reporta son regard dans celui de l'apothicaire toujours silencieux, et comprit qu'il n'avait de toute façon pas d'échappatoire : il était trop tard pour reculer maintenant. Il se racla la gorge et dit d'une voix solennelle : « Aujourd'hui je crois que j'ai juste envie de parler avec quelqu'un, sans savoir de quoi en particulier. Plutôt stupide, n'est-ce pas ? Je ne m'attends pas à ce que vous compreniez de toute façon je ne suis moi-même pas certain de comprendre. » Il se leva sans quitter son interlocuteur des yeux et se cramponna au dossier du fauteuil, comme pour s'assurer de ne pas tomber. Ses yeux s’agrandirent soudain et il ajouta vivement : « Je réalise que je suis là à vous raconter ma vie alors que je ne me suis même pas présenté ! Je m'appelle Kaa. Envoûtoeil. Je travaille à Ragtown comme danseur à la Sirène Amputée. »

En voyant le visage abasourdi de l'apothicaire, Kaa éclata d'un rire franc : il devait avoir l'air complètement fou à cet instant précis et ne s'était jamais senti aussi ridicule. Toutes les fibres de son corps lui hurlaient de se sauver de là et de ne plus jamais y mettre les pieds, mais il ne bougea pourtant pas, ses doigts s'enfonçant dans le dossier du fauteuil, tendu au maximum, attendant désespérément une réponse qui ne viendrait peut-être jamais.

Wolfran & Kaa

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Au moins, cette conversation avait le mérite d’être honnête. Wolfran laissa tout le temps du monde à son interlocuteur. De toute façon, vu qu’il dormait presque debout, il n’était pas dit qu’il soit franchement en état de l’interrompre de manière passionnée, même si le cœur lui en disait. Alors il l’écoutait, lui expliquer que le pourquoi son hypnose n’avait pas fonctionné était la cause de sa question incongrue. C’est une raison valable. S’il n’a jamais rencontré de sorcier blanc auparavant, il est normal qu’il se pose des questions. L’apothicaire en ferait de même dans son cas. Sauf que contrairement à son invité, il avait la réponse mais hésitait grandement à le lui donner. Il n’aimait pas reparler de ce qu’il était, parce qu’il ne l’était plus. Plus tout à fait du moins. Et bien que fondamentalement quelqu’un d’altruiste, le blond n’aimait pas cette sensation d’être une honte à sa famille, à sa race. Impuissant. Oui, c’était le mot qui convenait. Impuissant sans ses sorts et ses enchantement, avec pour seuls moyens sa connaissance des plantes et des remèdes. C’est déjà beaucoup lui diraient certains, et c’est vrai, mais pas quand on sait qu’on a les moyens de faire plus, d’aider plus, sans y avoir accès pour autant.

Le silence s’étira entre eux, Wolfran ne rajoutant rien, attendant la suite de la phrase entamée dont il doutait de voir arriver la suite un jour. A défaut, il se leva tant bien que mal du fauteuil pour aller mettre les herbes dans l’eau et attendre qu’elles aient suffisamment infusées pour le donner à son invité. A côté de cela, il sortit une boîte à biscuits – faits maison – et une autre tasse pour son propre thé. Un simple thé vert pour sa part, juste histoire de rester éveillé encore un peu. Il devrait vraiment prévoir de faire l’inventaire une veille du jour de fermeture hebdomadaire, ça lui faciliterait la vie…

Puis le silence se brisa et l’apothicaire reporta son attention sur l’autre homme. Une nouvelle démonstration d’honnêteté. Quelque chose que Wolfran appréciait et…Lui fit se dire que peut-être il lui devait le même respect. Il n’a pas caché ses intentions, ou ses raisons, alors pourquoi le blond ne pourrait-il pas lui dire sa nature ? Il ne le connaissait pas, certes, quoi que, un peu plus qu’il y a cinq minutes, mais et alors ? Des fois il faut savoir prendre des risques dans la vie. Il n’aurait jamais rencontré Nerissa s’il n’avait pas pris le risque de sortir de son idée de voyager pour aider et soigner les gens en allant aider ce Prince à accomplir sa quête. Il ouvrit la bouche pour parler quand l’autre homme se présenta. Kaa Envoutoeil. Pendant quelques secondes, le blond observa son invité, cligna des yeux deux ou trois fois avant que son cerveau ne semble refaire les connections nécessaire à la parole.

"Euh…je…Moi c’est Wolfran…Loupnoir. Je suis l’apothicaire de la Cuillère d’Absinthe…" ça sonnait tellement creux, mais pour le coup, il ne s’y était pas attendu.

Il avait tellement été obnubilé par les évènements en eux-mêmes que les règle de politesses les plus simples comme les présentations lui sont passé totalement au-dessus de la tête. Il servit le thé contre les maux de tête et son thé vert puis apporta le plateau avec les deux tasses et les biscuits et posa le tout sur la table basse adjacente aux deux fauteuils tendant la tasse désignée pour Kaa.

"Tenez, buvez cela, ça apaisera votre mal de tête." Il se rassit convenablement et attendit que l’autre ait décidé entre s’asseoir ou rester debout pour reprendre "Quant à ce que je suis…" il fit une nouvelle pause, hésitant une dernière fois durant de longues secondes, claquant des doigts de sa main droite en réfléchissant puis reprit après une grande inspiration "Je suis un sorcier blanc."

Voilà, c’était sorti. Il tenta immédiatement de faire passer l’anxiété qui accompagnait cette révélation par un biscuit, qu’il grignota à la manière d’un écureuil sans même s’en rendre compte. Il n’était que rarement anxieux, surtout vu son style de vie, mais cette fois-ci, il ne pouvait pas s’en empêcher. C’était parler de la chose qu’il cachait aux yeux de tous, par honte pure et simple. C’était quelque chose d’angoissant…

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Il était encore là. Contre toute attente, Kaa se trouvait toujours dans la pièce, ses mains toujours plantées dans le dossier du fauteuil. Il s'attendait à se faire jeter à la rue pour son comportement, à s'entendre dire de ne plus jamais remettre les pieds dans cette boutique et pourtant, il était encore là.
Le jeune homme l'avait dévisagé, semblant quelque peu surpris par ses paroles, mais s'était finalement présenté.

Wolfran Loupnoir. Voilà un nom que Kaa n'était pas près d'oublier. C'était la première fois qu'il apprenait le nom d'une personne de sa propre bouche. D'habitude, il connaissait le nom de ses interlocuteurs bien avant de les rencontrer, et uniquement parce qu'il ne s'intéressait qu'aux gens célèbres susceptibles de lui être utile. C'est pour cela qu'il s'était rangé du côté de Marraine, et qu'il connaissait sur le bout des doigts les noms et visages de toutes les personnes influantes de Fort Fort Lointain, comme Charmant ou Dragée, et même ceux des habitants des autres contrées, comme Alexandr Lerat ou Shahryar Fildor.  Wolfran était donc la toute première personne banale envers laquelle Kaa ressentait autre chose que de l'indifférence. Il n'était pas encore bien sûr de ce qu'il ressentait pour l'apothicaire. Mis à part sa moquerie plus tôt dans la boutique, il avait été courtois, voire même plutôt gentil et il montrait une détermination démesurée pour soigner son mal de tête ; et comme pour illustrer les pensées du danseur, Wolfran lui tendit une tasse de thé qu'il lui conseilla de boire.

Jamais personne n'avait porté la moindre attention à Kaa de cette façon et jamais personne n'avait tenté de l'aider d'une quelconque façon. Sa vie dans la jungle se résumait très simplement : serpenter perdu dans ses pensées et occasionnellement porter secours à ses voisins, qui se hâter ensuite de partir la queue entre les jambes. En fait, maintenant qu'il y pensait, sa vie actuelle à Fort Fort Lointain se résumait elle aussi plutôt simplement : en dehors de ses heures de travail à la Sirène Amputée, il passait son temps à fouiner en ville pour dénicher des informations sur les gens influents et sur les comportements humains. Autant dire que son cercle de relations se limitait strictement aux personnes dont il avait besoin. Car il n'y avait pas la place pour quelqu'un d'autre. Du moins, c'est ce que le jeune homme pensait jusqu'à aujourd'hui.

Il aurait continué à divaguer en sirotant son thé si Wolfran n'avait pas reprit la parole. Il ramena la discussion sur sa vraie nature, chose que Kaa avait totalement oublié, à sa grande surprise. Il ne se souvenait même plus que c'était la raison pour laquelle il se tenait là à cet instant précis, mais maintenant que son hôte en parlait, une curiosité nouvelle se fit sentir et le danseur reporta son attention sur son interlocuteur, mettant un terme au fil de ses pensées.

Wolfran s'était interrompu et claquait des doigts en réflechissant, ce qui dessina un sourire sincère sur le visage de Kaa, qui décida que le jeune homme était définitivement quelqu'un de bien. Il s’apprêtait à partager son sentiment quand Wolfran lâcha finalement ce qui fit l'effet d'une bombe au danseur : il était un sorcier blanc !

Un sorcier blanc. S'il n'en avait jamais rencontré, il avait entendu toutes sortes d'histoires à leur sujet depuis son arrivée en ville : contrairement aux sorciers noirs, ils incarnent ce qu'il y a de bon, voilà pour la courtoisie et la gentillesse de Wolfran, donc. Ils sont aussi reconnus pour être des guérisseurs hors pair, rien de bien surprenant au métier d'apothicaire de son hôte. Ca expliquait aussi pourquoi Kaa n'avait pas pu l'hypnotiser et surtout pourquoi il s'en était rendu compte, à l'inverse des humains.

Alors que le danseur s'émerveillait de sa découverte, il remarque que l'apothicaire, lui, ne semblait pas vraiment se réjouir. Il était ancré dans son fauteuil, grignotant frénétiquement un des biscuits qu'il avait apportait avec le thé. Kaa pouvait sentir l'anxiété qui émanait de Wolfran et curieusement, il sentit de l'inquiétude mêlée à de la compassion. Si ça avait été n'importe quelle autre personne lambda, n'importe quel autre jour, il aurait sûrement profité de son avantage et obtenu le plus d'informations possibles, voire même élaboré un plan pour se servir de cette personne. Mais ce matin, face à Wolfran, il n'eut envie de rien de tout ça. Au contraire, il posa lentement sa tasse, se rassit dans son fauteuil, pour faire directement face au jeune homme, attendit qu'il finisse son biscuit et dit d'une voix douce mais ferme :

« Je me trompe peut-être, mais il n'a pas l'air de particulièrement vous enchanter, ce sujet. Si j'ai touché à quelque chose de sensible, j'en suis désolé. Je comprendrais si vous souhaitiez que je vous laisse... »

Wolfran & Kaa

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Wolfran se sentit soulagé que Kaa accepte la tasse de thé sans questions. Au moins son envie de faire passer son mal de tête prévalait sur une méfiance que l'apothicaire n'avait aucunement le courage de combattre, même pour le bien d'un client, ou patient, ou quoi que ce soit qu'était Kaa à cet instant. Il n'avait pas dormi, venait de vivre une scène surréaliste (même par ses standards) et avait révélé sa nature à son invité. Autant dire que la journée commençait fort. Il y a des fois où le blond rêvait d'être encore sur les routes, trop éphémère dans les vies de quiconque pour attirer plus d'intérêt que pour ses compétences de guérisseur. Aujourd'hui en était un. Ou à défaut de repartir sur les routes, au moins fermer la boutique pour aller dormir quelques heures au moins. Parce que lui sans sommeil c'ét-

Le jeune homme releva des yeux surpris sur son interlocuteur. Vu son insistance à avoir une réponse sur sa nature, il aurait pensé qu'il aurait fait fi de son inconfort sur le sujet et aurait continué à chercher des réponses. Ça ne l'aurait pas étonné. L’apothicaire était déjà en train de se demander comment il allait faire pour contourner un maximum de questions. Lui révéler sa nature était une chose, lui avouer qu’à cause de sa propre bêtise naïve il avait perdu la seule chose qui lui permettait d’utiliser pleinement ses pouvoirs de sorcier blanc…C’était une autre paire de manche. Pourtant Kaa lui offrit de partir, de le laisser tranquille avec son inconfort. Si ce n'était pas ce qu'il souhaitait, il ne pouvait qu'apprécier le geste. Il sembla perdu dans ses pensées un instant, claquant de nouveau les doigts doucement, puis repris, après qu'un rire étouffé ait passé ses lèvres et un sourire orna son visage.

"Restez. Il pleut encore averse dehors. Il serait dommage que vous attrapiez la mort en marchant sous cette pluie. D'ailleurs..." il se leva, abandonnant son thé vert refroidissant, et alla vers la cheminé pour y allumer un feu.

Il devait faire attention avec le feu. Il était ce qui pouvait le plus aisément le détruire en dehors des armes humaines, et il avait, comme tous ceux de son espèce, une fascination pour ce dernier. Une fois allumé, il resta devant, laissant ses yeux danser sur le rythme des flammes, sa voix se faisant lointaine alors qu'il s'hypnotisait tout seul comme un idiot avec ce feu. Il secoua la tête pour se sortir de cette transe étrange qui semblait le prendre chaque fois qu’il était près d’un feu et se tourna un peu vers son invité.

"J'aurais pensé que vous seriez plus insistant sur ma nature...je suppose que je devrais suivre mes propres conseils et ne pas supposer des choses sur les gens sans les connaitre. Je devrais le savoir, vu mon âge."

Wolfran ne se rendait même pas compte que ce qu'il venait de dire ne devait pas faire grand sens quand on est pas familier avec les petits...plus, pour ainsi dire, d'être un sorcier blanc. Il se leva et retourna dans son fauteuil.

"Je vous aurais bien proposé d’aller vous changer pour ne pas rester dans ces vêtements trempés, mais je doute d’avoir quoi que ce soit qui vous aille…" Wolfran eu une petite grimace compatissante.

Kaa pensait que Wolfran aurait sauté sur une occasion de se débarrasser d'un gêneur indiscret comme lui, surtout vu son état après lui avoir révélé sa nature. Ainsi fut-il surpris lorsque son hôte lui proposa de rester. Même s'il savait désormais qu'il avait en face de lui un sorcier blanc, enclin à être aimable envers les autres, le danseur douta des raisons qui le poussaient à agir ainsi.  Il se demanda si ce n'était pas par pure courtoisie, ou bien une nouvelle preuve de professionnalisme lui évitant de nuire à sa santé.

Wolfran s'était levé pour allumer le feu, et Kaa l'observa en silence tandis que les premières flammes commencèrent à crépiter. Un moment passa, durant lequel l'apothicaire sembla hypnotiser par le feu qui dansait devant lui. La lueur que dégageaient les flammes donnait à son visage un air beaucoup plus mature et ce fut là que le danseur réalisa pleinement ce que la nature de Wolfran impliquait. Il l'avait sous-estimé. Il l'avait prit pour un simple apothicaire avenant, puis pour un jeune homme aimable mais distant. Il se rendait compte maintenant que Wolfran était un être qui ne pouvait pas se résumer aussi simplement. Il devait avoir bien plus d'expérience qu'il n'en avait l'air, et un passé complexe derrière lui. Kaa songea qu'il aimerait bien entendre son histoire, par simple curiosité et parce que Wolfran représentait davantage qu'un simple outil, contrairement à d'habitude.

Il ne le quitta pas des yeux lorsque le jeune homme blond se tourna et reprit la parole. L'invité esquissa un petit sourire quand son hôte lui avoua qu'il s'attendait à ce qu'il lui pose plus de question sur sa nature. Il ne manqua cependant pas l'allusion à l'âge de Wolfran : il y avait était donc plus âgé que ce qu'il n'y paraissait. Des tas de questions se bousculaient pour sortir de sa bouche, mais le danseur ne put se résoudre à les poser, jugeant que le moment était probablement mal choisi, et que le sorcier n’apprécierait de toute façon pas d'aborder le sujet plus en profondeur. Il pensa un court instant aller chercher ses réponses dans des livres lorsqu'il serait parti, mais décida que ce serait Wolfran, et personne d'autre, qui les lui donnerait en temps voulu.

Kaa laissa échapper un rire léger lorsque l'apothicaire grimaça en regardant ses vêtements trempés. Il avait complètement oublié sa mésaventure dans les rues de Ragtown.

« Ne vous en faites pas pour moi, je ne veux pas vous embêter plus que nécessaire, et puis je serais de nouveau trempé une fois dehors : je doute que la pluie cesse aujourd’hui, dit-il en  jetant un regard par la fenêtre comme pour appuyé ses dires. Une pluie torrentielle tombait sans relâche, et bien que le matin soit maintenant avancé, il faisait très sombre dehors. Encore une journée qu'il passerait allongé dans son lit, bien au chaud. Cette pensée lui arracha un bâillement qu'il ne put caché. En parlant de rentrer, je devraisvraiment vous laisser. J'ai eu une nuit difficile, et après les derniers événements, je doute que vous soyez aussi très en forme. »

Le danseur ne voulait pas partir. Il se sentait bien ici, et la compagnie de Wolfran avait un je-ne-sais-quoi d'apaisant. Mais même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu rester : il était sur scène ce soir, et il ne pouvait pas se permettre d'être épuisé. De plus, il avait besoin de temps pour digérer tout ce qui venait de se passer, et il ne se trompait sans doute pas en estimant qu'il en était de même pour Wolfran.

Il se leva du fauteuil et reprit :  « Je suis très reconnaissant pour votre hospitalité. Encore désolé pour mon comportement de tout à l'heure. Je tiens à vous payer pour le dérangement, et pour le thé bien sûr. Pour ce qui est de votre secret, dit le danseur en insistant sur le dernier mot, sachez que vous n'avez pas à vous en faire, je ne dirais rien à personne. Je suis très content que vous me l'ayez confié, mais je ne dirais rien à personne » Kaa lâcha son plus beau sourire et commença à se diriger vers la porte de l'appartement. Il se retourna, la main sur la poignet et ajouta « Si jamais vous passez par Roméo Drive un jour de pluie et que vous avez besoin d'un abri, j'habite au n°12. Et si vous vous aventurez à la Sirène Amputée, le premier verre et pour moi ! »

Voilà, c'était dit. Peut-être un peu maladroit, mais le jeune homme tenait vraiment à revoir Wolfran. Il espérait que ce dernier viendrait lui rendre visite de lui-même, mais il avait laissé sur le plateau de thé une de ses bagues, créant une occasion supplémentaire à l'apothicaire de venir, ou bien à lui de repasser par la Cuillère d'Absinthe, le cas échéant. Il saisit la poignée et s'engagea dans l'escalier menant à la boutique et vers la sortie, son mal de tête enfin envolé...