Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Une nuit sans sommeil. Une très longue nuit sans sommeil, voilà ce qui a suivi le départ de Cheshire. Je ne me souviens pas combien de temps exactement je suis resté assis sur le sol de la cuisine, à fixer les éclats de porcelaine brisée, restes de la tasse que j'ai moi-même lancé contre la porte. Tout ce dont je me souviens, c'est que je me suis levé pour attraper de quoi me faire un bandage assez rudimentaire mais suffisant pour couvrir les lacérations du chat de gouttière. J'ai du jeter le pantalon que je portais, aussi, parce qu'il était couvert du sang qui avait coulé directement dessus. Je crois qu'il est quelque part sur le sol de la salle de bain. Ou peut-être pas, qui ça intéresse de toute façon ?

La seule chose sur laquelle je peux me concentrer, c'est Wolfran. Les mots de Cheshire, aussi vils soient-ils, sont vrais d'un bout à l'autre. S'il veut m'atteindre, ce n'est pas en s'en prenant directement à moi qu'il aura le meilleur résultat. C'est en attaquant ce qui m'est cher, et par une ironie du sort, il a fallu qu'il tombe sur l'une des rares fois où Wolfran était chez moi, comme servi sur un plateau d'argent pour ses jeux de déséquilibré... Après m'être bandé, je me suis couché sur le canapé, incapable de rassembler les forces nécessaires pour aller jusque dans la chambre. Et ce n'est pas comme si j'allais dormir de toute façon : la seule raison pour laquelle je ne suis pas habillé et en route pour la Cuillère d'Absinthe, c'est parce que je ne peux pas aller voir Wolfran à une heure pareille. Je dois attendre l'heure d'ouverture, pour ne pas le déranger.

Je n'ai jamais été très doué pour attendre, mais cette-nuit là, chaque seconde me paraît durer une heure. Je me fixe sur le tic tac que fait l'horloge, tentant de ne pas trop penser aux menaces proférées par le chat. Effort vain, bien entendu, d'autant que la douleur des griffures me ramène constamment à ce qui s'est passé ce soir. Je ne peux m'empêcher de me sentir coupable maintenant. J'aurais dû réfléchir, penser aux conséquences, à ce que ce fou à lier est capable de faire pour prendre sa revanche. C'est à moi d'empêcher qu'il arrive quoi que ce soit à Wolfran, coûte que coûte.

D'une façon ou d'une autre, l'horloge affiche huit heure du matin sans que je sois devenu complètement fou. Je me lève, soudain galvanisé par l'envie de voir l'apothicaire, et m'habille à la hâte : une chemise blanche, celle que je portais la veille, et un pantalon attrapé à la volée. Moi qui suis toujours très attentif aux vêtements que je porte, aujourd'hui sera l'exception qui confirme la règle. Avec une vigueur renouvelée, je me dirige vers la Cuillère d'Absinthe, ignorant la douleur qui fuse à travers mon corps comme une secousse à chaque pas que je fais. Sur le chemin, je réfléchis à une excuse pour aller le voir si tôt. Il ne doit surtout pas s'inquiéter, ni se douter de quoi que ce soit. Je peux presque sentir les engrenages s'échauffer : je travaille tôt, aujourd'hui, prétexter un mal de tête assez violent pour m'obliger à aller chercher un remède avant d'aller à la Sirène Amputée pourrait marcher. Oui, ça doit marcher, je n'ai pas d'autre choix.

Lorsque j'arrive devant la boutique du jeune homme, le signe "Ouvert" n'est pas encore retourné, puisque l'horaire d'ouverture est fixée à 10 heure, mais je sais que Wolfran est déjà à l'intérieur, en train de préparer ses prescriptions. Lorsque je pousse la porte, mon regard tombe directement sur lui, au fond de la boutique. A première vue, il va bien, et je ne peux m'empêcher de sourire à l'idée. Mais les pas que je fais pour aller le saluer et la douleur qui les accompagne me rappellent vite pourquoi je suis là, et mon sourire s'efface.

"Bonjour, Wolfran, je sais qu'il est encore très tôt et je suis vraiment désolé de te déranger, mais j'aurais besoin d'un petit remède : j'ai un mal de tête terrible et je commence les représentations très tôt, j'ai absolument besoin de me débarrasser de ça avant de commencer." Oui, bien sûr, et si tu pouvais rajouter un baume conter les plaies ouvertes, ce serait pas mal. "Je suis ton premier client ? Enfin, je veux dire, ta première visite de la journée ?" A ce point, je le suis plus sûr de savoir si ce que je ressens est de la douleur ou simplement l'angoisse de découvrir si oui ou non Cheshire est déjà passé à l'action.

Je porte nonchalamment ma main au niveau de mon ventre, comme pour faire disparaître la douleur - ou quoi que ce soit d'autre - qui me prend aux trippes. Je manque de grimacer lorsque ma main entre en contact avec ma chemise poisseuse. Je n'ose regarder de peur d'attirer l'attention du jeune homme sur ce qui me semble être une tâche de sang qui a traversé mon bandage de fortune. J'affiche un nouveau sourire, pas vraiment convainquant, tout en fixant Wolfran dans les yeux, priant pour que la tâche ne soit pas étendue et qu'il ne remarque rien.

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

C’est amusant comme le temps change les gens. Wolfran, par exemple, qui avait été si prompte à voyager avec enthousiasme il y a quelques années, maintenant il était une personne avec ses petites habitudes, qui est bien content de pouvoir les suivre ces dites habitudes. Qui l’eut cru ? Le fait d’avoir sa propre boutique, d’avoir des connaissances sur place, d’avoir quelque chose qui vous retient à ce endroit ; c’est peut-être cela qui a créé ce changement auquel même lui ne s’attendait pas. Probablement que la dernière raison est la plus forte dans son esprit, surtout dernièrement. Malgré l’heure matinale, il ne peut s’empêcher de repenser à la veille, avec un petit sourire…heureux. Ce qu’il s’était passé avec Kaa était une chose qui lui avait réellement manqué, sans en avoir conscience. Pouvoir partager sans avoir besoin de réfléchir à deux fois sur ce qu’il pouvait dire ou non. Sur comment le dire…avoir quelqu’un en qui il pouvait avoir toute confiance…

C’est donc avec le cœur léger et un sourire aux lèvres qu’il entreprit ses gestes quotidiens avant l’ouverture de la boutique. Une douche, son petit déjeuner (léger malgré ce qu’il faudrait), puis il descendit à la boutique, sans retourner le panneau fermé, mais en déverrouillant la porte. Wolfran sait très bien que, malgré ses heures d’ouvertures affichées ouvertement sur la porte d’entrée, il y a toujours des gens qui viennent plus tôt, en espérant qu’il puisse les aider avant qu’ils ne parlent au travail, ou bien ne rentrent chez eux après une longue nuit de travail. Durant ces quelques heures avant l’ouverture, il préparait les prescriptions pour les clients réguliers. Arthrose, allergies, démangeaisons chroniques etc…Il préparait chaque sachet avec une précision et une minutie née de l’habitude, malgré son esprit distrait.

Il eut d’ailleurs un léger sursaut en entendant la clochette tinter. Il regarda machinalement l’horloge au-dessus du comptoir ; huit heure quinze. Un sourcil haussé, il observa qui entrait et reconnu Kaa. Un sourire doux s’afficha immédiatement sur son visage et il posa le sachet qu’il était en train de faire, portant toute son attention au brun. Brun qui ne semblait pas avoir franchement dormi la nuit d’avant à en juger par son air fatigué. Il aurait tout le temps de lui demander pourquoi plus tard. Il n’allait commencer par lui poser des questions tout de suite. En revanche, Kaa lui annonça le pourquoi de sa visite tout de suite. Le blond eut un léger rire. Oh, il ne se moquait pas, mais la coïncidence était amusante ; la raison de sa première visite à la boutique était la même. Sauf qu’ils ne se connaissaient pas à l’époque.

"Bonjour Kaa. Je vais te chercher ce qu’il te faut."

Il se leva de derrière son comptoir, et alla chercher le même médicament qu’il lui avait fourni la dernière fois. La question de son ami le prit un peu de court et il eut un moment de ralentissement dans ses mouvements alors qu’il la procédait dans son esprit, essayant de savoir pourquoi il pouvait lui poser cette question, il haussa finalement les épaules et répondit à Kaa alors qu’il atteignait l’étagère désirée.

"A cette heure-ci, même les plus lève-tôt ne sont pas encore sortis de chez eux. Donc oui, tu es mon premier visiteur de la journée. Ca fait plaisir de te voir d’ailleurs."

Il redescendit et se tourna, le médicament à la main et un sourire aux lèvres, avant de se stopper net quand il arriva face à Kaa. Il était difficile de rater du rouge sur une chemise, surtout blanche. Le blond a dû pâlir (si cela était possible), et il s’avança d’un pas vif, ne touchant pas Kaa pour autant. Il ne voulait pas risquer d’aggraver la situation sans le vouloir.

"Bon sang Kaa, qu’est-ce qui t’es arrivé ?!" il tendit une main et toucha doucement celle du brun qui lui cachait l’étendue des dégâts "Fais-moi voir, s’il te plaît Kaa…"

Il ne voulait pas le braquer, mais il refusait de le laisser comme ça…

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Si seulement tout pouvait être simple dans la vie... Aujourd'hui plus que n'importe quel autre jour, j'aurais vraiment voulu une bonne grosse dose de simplicité : entrer à la Cuillère d'Absinthe, demander mon médicament, dont j'allais finalement avoir besoin à en juger par le tambourinement à l'arrière de mon crâne, vérifier que Cheshire n'est pas passer à l'oeuvre sans éveiller les soupçons du jeune homme, et ressortir en m'assurant qu'il est en sécurité pour l'instant pour finir par passer au travail prétextant une excuse pour ne pas monter sur scène aujourd'hui. Si seulement...

C'est pas passé loin, d'ailleurs ! Wolfran est parti cherché le remède nécessaire, et a confirmé que personne n'est venu lui rendre visite aujourd'hui, à mon plus grand soulagement. Si Cheshire pensait vraiment ses menaces, ce dont je ne doute absolument pas, il n'est pas encore prêt à passer à l'action. Ou peut-être est-il en train de se demander s'il est très sage de s'en prendre à moi une nouvelle fois. Après tout, je ne suis pas le seul à avoir été salement amoché par notre rencontre : les blessures physiques guérissent, mais je doute qu'il se remette si facilement de son voyage psychique. Je lâche un soupire désabusé. Je le connais assez bien pour savoir qu'il ne me lâchera plus, maintenant. J'ai fait l'erreur de craquer et de rentrer totalement dans son petit jeu et si ça m'a fait le plus grand bien sur le coup, je vais rapidement m'en mordre les doigts...

Alors qu'elle devrait me faire chaud au coeur, la remarque de Wolfran me fais baisser la tête, déprimé. En temps normal, le fait qu'il soit content de me voir m'aurait donné un sourire à toute épreuve et une bonne humeur que même mon ivrogne de patron ne pourrait pas saper. Mais je suis loin d'être dans une situation normale, et si je devais l'oublier, la douleur qui me broie le ventre serait la pour me le rappeler. Aussi je ne peux m'empêcher de me sentir coupable, me maudissant intérieurement une fois de plus d'avoir céder à la colère la nuit dernière. Wolfran est heureux de me voir et pourtant, qui sait ce qui pourrait lui arriver par ma faute... J'affiche cependant un sourire pour qu'il ne se doute pas de quelque chose, étant donné qu'il ne semble pas avoir remarqué quoi que ce soit. Peut-être que je dramatise trop, finalement ?

Je comprends bien vite que j'ai tord, et que cette journée n'aura rien de simple, lorsqu'il se stoppe net devant moi et que son sourire s'efface pour laisser place à un regard inquiet. Je jette un coup d'oeil, pour voir ce qui m'a trahit et trouver une excuse convenable comme "Oh, ça ? Juste une griffure en m'accrochant à un clou ce matin" mais je m'aperçois bien vite qu'il va me falloir trouver mieux que ça. En effet, ce qui n'était qu'une petit tâche sur ma chemise, blanche évidemment parce que je suis stupide, s'est maintenant transformé en véritable arabesque rouge. Le sang s'est propagé sur toute la partie gauche de mon ventre, et maintenant que j'y fais attention, une sensation humide sur mon flanc droit m'indique qu je vais avoir droit à un nouveau motif sur le côté droit, voir sur mon pantalon, si l'impression de me vider totalement est aussi grave que ce que je sens.

Il faut absolument que je trouve une excuse le plus rapidement possible et que je sorte de là avant que Wolfran puisse m'examiner de plus près : je ne suis pas sûr qu'un combat avec un fou furieux qui veut maintenant sa peau est une chose qui le rassurerait beaucoup, surtout si je finis par me vider de tout mon sang sur le plancher de son échoppe avant même qu'il ne soit l'heure d'ouvrir la boutique. Tant bien que mal, je bafouille une excuse médiocre tout en tentant de me tenir aussi droit que possible sur mes jambes désormais flagellantes. "C'est rien, Wolfran, ne t'en fais pas pour ça ! Je me suis ouvert hier après ton départ en cuisinant, et j'ai réouvert la plaie ce matin en m'entraînant à la danse pour tout à l'heure. C'est idiot, hein ? Mais c'est beaucoup moins grave que ça en a l'air ! Le bout de bandage que j'ai mis doit laisser passer un peu de sang, c'est tout !" C'est minable, et même moi je n'y crois pas, d'autant que je n'arrête pas d'émettre des gémissements étouffés qu'il m'est impossible de réprimer plus longtemps.

C'est bizarre, je ne suis pas du genre à paniquer, mais c'est la seconde fois depuis que j'ai rencontré le jeune homme que ça m'arrive ! La première, c'était le jour de notre rencontre, quand je me suis aperçu qu'il n'était strictement pas sensible à mon hypnose. Mais la situation s'est détendu et nous sommes devenu plus proches que je ne l'aurais imaginé. Ors, là, je suis certain que la situation ne va pas s'arranger et après m'être excusé pour le dérangement, je fais mine de me diriger vers la sortie, priant pour ne pas aggraver mon cas et surtout pour que Wolfran ne cherche pas plus loin que l'excuse que je lui ai servi...

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Ce qu'il pouvait être têtu quand il voulait ce Kaa! Le blond fit en sorte de respirer doucement, afin de conserver son calme et sa raison. L'inquiétude qu'il ressentait envers le serpent avait tendance à assombrir sa raison et à lui donner des pensées injustes. Le brun commençait à bien le connaître, et Wolfran ne doutait pas qu'il avait vite compris que le loup était du genre protecteur, surtout avec ses amis...or Kaa était, en plus, un ami particulièrement cher. Alors évidemment que l'apothicaire s'inquiétait pour lui! Comment faire autrement? Cependant, Kaa n'y mettait pas du sien. Il lui mentait, ça se sentait. Et le loup se sentit blessé. Il pensait que le brun lui faisait suffisamment confiance pour lui dire ce qui lui était réellement arriver, mais ce ne semblait pas être le cas.

Il fronça les sourcils un instant, avant d'afficher un air résigné. Oui, il lui mentait, mais le lui pointer du doigt et l'accabler jusqu'à ce qu'il se décide à lui dire la vérité n'était pas la chose à faire maintenant. Cela ne ferait que le braquer et l'énerver, pour finalement, le faire fuir. Alors qu'il était déjà en train de tenter une fuite vers l'entrée de la boutique, il valait mieix oublier cette idée. Mais s'il allait fermer les yeux sur le mensonge éhonté qu'il venait de lui servir, il n'allait tout de même pas le laisser partir sans l'avoir soigné. Ça il le refusait catégoriquement! Aussi le devança-t-il jusqu'à la porte où il fit barrage entre Kaa et la dite porte.

"Kaa, laisses-moi au moins te soigner, s'il te plaît..." il lui lança un regard suppliant "Sortir avec une telle tâche attirera l'attention, et en plus, sans être correctement soignées, tes blessures pourraient s'infecter et crois-moi, ce n'est pas agréable du tout. Ca te clouerait au lit pendant des semaines. Alors, laisses-moi te soigner. Après je te laisse tranquille..."

Si c'est ce que tu veux, rajouta une petite voix dans sa tête. Il avait encore le goût amer de se dire que Kaa lui cachait quelque chose et commençait à se demander s'il ne s'était pas un peu emballé avec cette nouvelle amitié...il se poserait toutes ces questions plus tard, quand le brun ne serait plus là, quand il sera seul avec ses pensées et ses prescriptions. Mais pour le moment, l'important c'était de soigner Kaa et lui prêter une chemise propre afin de ne pas affoler la population locale.

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Et on continue sur la lancée de la journée tout sauf simple. Non seulement, Wolfran s'est aperçu de la tâche qui n'est de toute façon plus très discrète au point ou on en est, mais en plus de ça, il refuse de me laisser sortir dans un tel état ce qui, bien que parfaitement logique, va à l'encontre de ce que j'avais l'intention de faire en venant ici en premier lieu. Moi qui ne voulait en aucun cas inquiéter l'apothicaire, il semblerait que j'ai réussi à faire exactement l'inverse, et plus encore : Wolfran est loin d'être idiot, et même si, par gentillesse naturelle ou pour ne pas aggraver la situation, il fait mine de croire à mon mensonge, je peux sentir qu'il n'en est rien. Mais jusqu'à quel point doute-t-il, ça reste une autre histoire.

Même si je n'ai aucune envie de rester là, à me vider de mon sang sur le sol de la Cuillère d'Absinthe face à un Wolfran inquiet, je ne peux pas me résoudre à le quitter maintenant qu'il est au courant de mon état, ce serait idiot puisque le mal est fait et en plus il s'inquiéterait non seulement de ma blessure mais en plus de savoir si je suis toujours en vie ou en train d'agoniser dans un caniveau trois rues plus loin. Parce que mine de rien, je ne suis moi-même pas certain de pouvoir retourner chez moi et encore moins de pouvoir me soigner correctement.

Je me détourne donc avec une grimace de douleur de la porte d'entrée, et me laisse tomber sur un tabouret. Je sens un liquide chaud couler le long de ma cuisse droite, ce qui me confirme que la plaie sur mon flanc droit s'est également réouverte et saigne abondamment, comme si j'avais besoin d'une autre tuile en plus du reste... Lentement, je déboutonne ma chemise, prenant gare à ne pas faire de geste brusque et dévoile enfin mon pansement de fortune. Si on peut toujours qualifié ça d'un pansement : en effet, le bout de tissu que j'avais enroulé plusieurs fois sur mes plaies ressemble plus à un boyau extérieur dégoulinant de sang, et pendant un instant, je me demande si ce n'est pas réellement le cas, avant de reprendre mes esprits.

La perte de sang est probablement en train de provoquer des effets plus sérieux chez moi que ce à quoi je m'attendais, et ça ne va pas en s'améliorant : après ma vision délirante, je manque tourner de l’œil en voyant ce qui se cache sous le-dit bandage. Je ne suis d'ordinaire pas facilement impressionné, dans tous les sens du terme, et j'ai souvent vu des situations pires que celle-ci dans la jungle d'où je viens, mais je ne sais pas si c'est le fait de voir ma chaire à vif d'aussi près ou si c'est parce que je suis le premier concerné par la blessure, toujours est-il que je suis obligé de détourner le regard pour ne pas m'évanouir ou rendre le peu que j'ai dans l'estomac à ce moment.

A la place, je tente un trait d'humour désespéré, parce que c'est la seule façon pour moi d'alléger la situation sans céder à la panique : "Pas mal, pour un couteau de cuisine hein ?". Je choisis de me concentrer sur quelque chose, et le premier sujet qui me vient à l'esprit, c'est l'enchaînement de ratés que j'accumule ses derniers temps : je ne suis toujours pas la star que j'espérais être en arrivant à Fort Fort Lointain, à la place, je suis coincé dans un bar miteux, avec le salaire qui va avec, et le peu de reconnaissance que j'obtiens ne me permettra jamais de me hisser au sommet. Ensuite évidemment vient Cheshire, qui n'est pas sorti de ma vie mais qui en plus a réussi à e faire sortir de mes gonds en commettant une erreur que je risque de payer très cher, c'est probablement ce que je regrette le plus, à choisir... Même mes plans qui sont d'ordinaire si parfaitement élaborés qu'ils n'échouent jamais vont de travers : je n'ai même pas été capable de m'assurer que le jeune homme était sain et sauf sans le mettre dans une position difficile... Même ma rencontre avec lui, quand on y repense, tient à une erreur de ma part.

Mais c'est la seule chose que je ne veux pas changer. C'est la seule de mes erreurs que je ne considérerait jamais comme telle, parce que j'y ai gagné ce qui est désormais le plus important dans ma vie...

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Quand Kaa se détourne de la porte pour se laisser tomber sur un tabouret, Wolfran esquisse un faible sourire. Ce n’était pas un sourire de victoire, mais un de soulagement de savoir qu’il pourrait aider son ami et non pas le laisser partir et s’inquiéter de son état jusqu’à ne plus en pouvoir et fermer la boutique pour le suivre et s’assurer qu’il va bien, et le soigner malgré tout parce qu’il aurait fini par le soigner, il voulait simplement le plus tôt, afin de s’assurer qu’il n’attrape pas la mort entre les deux à cause d’une négligence de sa part. Cependant, le peu de soulagement qu’il a pu ressentir est largement obscurci par l’inquiétude qui le ronge. Tant qu’il ne sait pas ce qu’a son ami, il ne pourrait pas être complètement soulagé. Même en sachant, il ne serait totalement et intrinsèquement soulagé quand il le saurait soigné, dans un lit, en train de dormir pour récupérer de toute cette perte de sang. Bon sang, il en avait vu des blessés, il avait eu peur pour des gens, le mari de Nerissa notamment, qui a failli mourir toutes ces années auparavant, mais jamais n’avait-il eu aussi peur de perdre quelqu’un comme il a peur pour Kaa maintenant. C’était étrange et probablement stupide, mais Wolfran avait comme l’intuition que s’il n’était plus, sa vie ne serait plus la même, il y aurait un vide qui ne pourraient jamais se refermer…

Et là, il n’y a pas de quoi se sentir soulagé, quand on voit le pseudo-bandage qu’on lui montre. Tant de sang…Une fois le bandage de fortune retiré avec le plus grand soin et autant de délicatesse possible, Wolfran se mord la langue pour retenir une exclamation d’horreur. S’il avait pu douter de la véracité des dires de Kaa avant, maintenant, il savait avec certitude qu’il mentait…Et il sentit une amertume remonter dans sa gorge, vicieuse, insidieuse et il fait en sorte de la ravaler. Ce n’était pas le moment de faire l’enfant. Il devait soigner Kaa. Tout d’abord, nettoyer la plaie. Après un regard presque affolé au serpent, lorsque ce dernier tenta de l’humour, comme disant « Ne plaisante pas avec ce genre de choses », il se releva de là où il se trouvait agenouiller devant le brun et alla chercher une bassine d’eau et des linges propres, ainsi qu’une trousse et quelques fioles et pot. Il en fit d’ailleurs tomber un et se contenta de donner des petits coups de pieds dedans pour le déplacer, ne voulant pas perdre de temps. Il commença à nettoyer la plaie, en silence, concentré sur sa tâche, bien qu’observant à intervalles réguliers le visage de Kaa, vérifiant s’il perdait connaissance ou non. Il se dit, alors, que lui parler serait probablement le meilleur moyen pour ne pas qu’il ne s’endorme.

"Pourquoi tu n’es pas venu me voir tout de suite quand tu t’es blessé ? Tu sais que je t’aurais ouvert, sans même hésiter une seconde…" puis il se reprit, se disant qu’il sonnait un peu trop moralisateur…"Pardon. Je m’inquiète pour toi, c’est tout. Je dis des choses idiotes quand je suis inquiet…"

Il sentit ses joues chauffer et il baissa rapidement la tête vers ses produits et objets, prenant un autre bout de linge pour sécher les contours de la plaie. Il y voyait mieux maintenant et ce n’était pas beau à voir. Des lacérations, peu profondes, mais bel et bien là, régulières aussi bien dans leur forme que dans leurs écarts entres elles. Définitivement pas un couteau de cuisine. Bon sang, que s’était-il passé après son départ ? Il ne posa pas la question, sachant pertinemment que Kaa ne répondrait pas et se concentra sur ce qu’il avait à faire.

"Tu vas avoir besoin de suture. Ne bouge pas."

Comme s’il allait d’un coup se lever et courir en plein Ragtown à moitié nu…Mais il fallait qu’il se distrait un peu de la pensée qui tournait en boucle dans son esprit « Je suis passé si près de le perdre ». Il prit l’onguent anesthésiant et l’appliqua sur les contours de la plaie, attendant ensuite une bonne minute avant de préparer le fil et l’aiguille. Quand il commença, il trouva l’ambiance pesante, mais ne savait pas quoi dire.

"Parles-moi Kaa. Dis-moi…" il hésita presque à le lui demander, là, parce qu’il voulait savoir "Ce que tu veux…Racontes-moi ton travail, tes amis, la dernière chanson qui t’es resté dans la tête plus d’une heure…Ce que tu veux, mais parles-moi…"

Cette demande ne voulait rien dire, mais il avait besoin de l’entendre parler, de le savoir toujours conscient et là, présent auprès de lui.

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Je ne peux retenir un ricanement idiot en voyant le regard que me lance Wolfran après ma tentative humoristique : je dois vraiment être désespérant à regarder et même à écouter, si j'ai droit à un tel regard. Mais ce n'est pas une surprise, en définitive, je sais que j'ai complètement raté mon coup. Tout ce qu'il me reste à faire, maintenant, c'est de sortir de la vie de Wolfran, ou du moins de redescendre du petit nuage sur lequel je suis quand je pense à lui. Comment ai-je pu penser que je pourrais me faire un ami digne de ce nom ? Si ce n'est pas l'autre qui fuit, c'est moi qui finit par tout gâcher d'une manière ou d'une autre. Ça m'apprendra, je n'ai plus qu'à... Qu'à...

Pendant une seconde, j'ai l'impression de m'enfoncer sans arrêt dans une sorte de matelas mou, qui me coupe du monde. La réalité s'efface, je perds le fil de mes pensées et pourtant, ce n'est pas déplaisant. La part de logique en moi en déduit que je suis en train de perdre connaissance, mais elle est si infime que je n'ai pas très envie de l'écouter. Non, la voix que j'ai envie d'entendre ce manifeste quand le jeune homme, penché sur ma plaie avec un assortiment de matériel, confesse son inquiétude à mon égard. Je relève ma tête qui pendait en arrière pour mieux voir l'apothicaire et sourie niaisement. J'ouvre et je ferme la bouche plusieurs fois, certain de vouloir dire quelque chose, mais incapable de me concentré assez longtemps pour formuler une phrase intelligible. Il faut dire que les points blancs qui envahissent ma vision ne me facilite pas vraiment la tâche...

Je ne parviens pas à répondre parce que maintenant c'est Wolfran lui-même qui me distrait en appliquant de l'onguent sur mes plaies. Je ne peux pas ressentir réellement ce qu'il fait, ou du moins je crois que je ne peux pas le ressentir je ne suis plus vraiment ce qui se passe, mais l'idée d'être aussi proche de lui maintenant me ravit. Fixé sur les mains du jeune homme je sens cependant mes paupières se fermer, et suis une fois de plus ramener à la réalité par la voix de l'apothicaire. Je ne comprends pas vraiment ce qu'il me dit, je crois qu'il me parle de mes amis de travail et de musique de tête, mais à vrai dire, je n'écoute pas vraiment parce que j'ai enfin trouvé la réponse à sa première question que je cherchais depuis tout à l'heure.

"Je ne peux pas venir te voir, Wolfran. Il ne faut pas qu'il sache ! J'ai pas le droit de t'embarquer dans les folies de ce dégénéré... Il te prend pour cible parce que..." Les points lumineux sont de retour, et je dois m'interrompre parce que j'ai de nouveau oublié ce que je voulais dire. "Je l'ai attaqué, tu sais ? Il m'a poussé à bout. Ce chat de gouttière, ventripotente créature qui se délecte du malheur des autres. Mais il m'a eu. La prochaine fois, je le tue. Je ne le laisserai pas t'atteindre. Je ne peux pas le laisser te faire du mal. Pas toi..." Mes paupières sont trop lourdes, et j'ai de nouveau l'impression de m'enfoncer dans le matelas, pourtant j'arrive encore à prononcer des mots. Ou peut-être est-ce seulement dans ma tête ? "Tu es la seule personne qui compte, je ne dois pas le laisser te faire du mal pour m'atteindre. Je dois... m'éloigner de toi. Et de lui. Si je me tiens tranquille il nous oubliera peut-être. Peut-être ? Je ne dois pas te perdre... Je... du mal..."

J'ai fini par sombrer, totalement coupé de la réalité. Qu'est ce que je fais là déjà ?

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Les secondes d'attente qui s'étirent entre le moment où Wolfran a parlé et celui où Kaa y répond semblent interminables pour le blond qui n'a qu'une seule envie; entendre de nouveau sa voix, être sûr qu'il est encore en vie, conscient, avec lui. Il ne peut pas relever la tête, pas tout de suite, alors qu'il est en train de faire les points de sutures nécessaire pour soigner le serpent de manière correcte. Puis il parle enfin et pendant les premières secondes, il n'écoute pas vraiment les mots, uniquement sa voix. Mais bien vite les mots le rattrapent et ce ne sont que plus de questions qui s'illuminent dans son esprit. De qui parle-t-il? De quoi parle-t-il? Etc...

Pourtant, ce qui reste le plus dans son esprit (et il a conscience à quel point cela est narcissique et totalement égoïste), c'est la façon dont Kaa parle de Wolfran. Comme quoi il est quelqu'un d'important. Il s'arrête dans ses mouvements un instant, surpris autant que choqué par cet aveu fiévreux. Il est certain que dans son état normal, jamais le brun n'aurait admis une chose pareille. Sauf qu'il n'est pas dans son état normal; il est blessé, affaibli, très certainement fiévreux. Et tout bon apothicaire que se respecte sait à quel point la fièvre peut vous faire délirer et dire des choses que vous n'auriez jamais dites en d'autres circonstances. La situation actuelle ne fait pas exception. Wolfran ne peut, cependant, s'empêcher de rougir un peu à ces paroles. Jamais quelqu'un ne lui avait dit de telles choses, jamais il n'avait été aussi important aux yeux de quelqu'un...il reprit son travail de suture avec un regain de zèle, se dépêchant.

Il du cependant faire une nouvelle pose quand il sentit le serpent commencer à piquer du nez vers l'avant. Relevant la tête, il remarque qu'il a perdu conscience. Bon sang! Ni une ni deux, Wolfran termine son ouvrage et refait un rapide bandage afin de pouvoir déplacer Kaa jusqu'à la chambre au-dessus de la boutique. Le chemin n'est pas facile, avec le brun qui ne bouge pas (et avec raison), mais le loup finit par y arriver après de longues minutes et dépose le danseur dans le lit, l'installant le plus confortablement possible. Il défit le bandage afin de revenir à ses soins. Au moins, maintenant qu’il dormait, il pouvait finir de le soigner sans qu’il ne se plaigne. Ce qui ne l’empêcha pas de se dépêcher ; plus vite il aurait terminé, plus vite il pourrait réveiller Kaa pour vérifier que tout allait bien autrement. Qu’il n’avait d’autres blessures, lésions ou…il ne savait trop quoi. Il finit donc ses soins, rebanda la blessure, et alla chercher les sels. Seulement, revenant dans la chambre, il le vit là, allongé, endormi (et il était sûr qu’il ne faisait que dormir, vu la façon dont sa poitrine se soulevait et s’abaissait de manière calme et sereine), et il les posa simplement sur la table de chevet. Il attendrait quelques heures avant de le réveiller, s’il ne s’était pas réveillé entre temps. Pour le moment, il s’assit simplement sur le lit, l’observant doucement.

Sa température était un peu élevée, mais rien de bien méchant. Wolfran repensa, maintenant qu’il était un peu plus au calme, à ce qu’avait dit Kaa juste avant de perdre connaissance. Il ne put empêcher un sourire tendre de s’afficher sur son visage. Il avait au moins une certitude, le brun tenait à lui. Et…Maintenant qu’il prenait le temps d’y réfléchir, à la lumière de ces nouvelles informations, lui aussi tenait à Kaa, plus qu’il n’avait bien voulu l’admettre jusque-là. Maintenant, le fait qu’à cause de quelqu’un, un chat, un animal parlant sans aucun doute, le serpent voulait s’éloigner, pour le protéger. Cette notion lui fit peur, mais plus parce qu’il avait peur que Kaa en s’éloigne que pour sa propre sécurité. Enfin, tant qu’il serait endormi, il ne pourrait pas faire grand-chose de plus à ce sujet.

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

J'aurais pensé que perdre connaissance était un peu comme dormir d'un sommeil sans rêve, mais maintenant que j'en fais l'expérience, je me rends compte que j'avais affreusement tord. C'est exactement l'inverse d'un sommeil calme. Je suis dans un cauchemar. Un cauchemar bien trop vrai à mon goût. C'est un mélange de forme, de scènes indistinctes qui se succèdent avec des couleurs bien trop vives. Sans son, aussi étrange que cela puisse paraître, et cela n'aide en rien à supporter le calvaire, c'est en fait bien pire. J'assiste à des scènes muettes, toutes plus horribles les unes que les autres : Cheshire qui me lacère, une étincelle de folie dans le regard, Mowgli insensible à mon hypnose alors que je n'avais pas repensé à lui depuis un long moment, et imbriqué dans tout ça, Wolfran, ou plutôt son visage triste sans que je ne puisse comprendre pourquoi. Je tente de faire quelque chose à chaque nouvelle scène, mais rien n'y fait, j'ai l'impression d'être enchaîné à l'intérieur de mon propre corps, et j'ai envie de hurler.

Lorsque je me réveille, en revanche, je ne bondis pas du lit, ni même ne pousse un cri. Mes yeux s'ouvrent machinalement, sans hésitation ni précipitation. La luminosité de la pièce inconnue chasse comme un sort les images qui ont hanté mon sommeil forcé, et en quelques secondes, je ne me souviens même pas de ce dont j'ai rêvé, sinon que ça n'avait rien d'agréable. Je reste immobile, craignant quelque chose sans saisir tout à fait de quoi il s'agit. J'essaie de comprendre où je me trouve, mais le plafond ne m'est pas d'un grand secours. Je suis dans un lit, de toute évidence, mais je ne me rappelle pas y être arrivé. Toujours sans bouger, je me force à respirer calmement, en repensant à tout ce qui s'est passé.

Je me souviens de Cheshire et même si je l'avais oublié, la douleur lancinante qui semble irradier de mon corps se chargerait de me le rappeler. Pourtant, la sensation est bien moindre comparé à ce dont je me souviens. Je sais avec certitude que je suis sorti de chez moi à la hâte, sans avoir dormi, pour aller quelque part. Où, exactement ?  Je ferme les yeux, la lumière m'empêchant de me concentrer, et avant que je puisse m'en rendre compte, je sombre à nouveau dans le sommeil, cette fois vide de tout rêve. Lorsque je rouvre les yeux, un froissement de couverture me fait tourner la tête : Wolfran se tient près de moi, assis sur le lit, me regardant. Le voir me rend étrangement triste, et avant de lui parler, je me remémore le comment du pourquoi je suis dans ce qui est manifestement son lit. Mes souvenirs sont en lambeaux maintenant, et je ne parviens qu'à me rappeler que je me dirigeais vers son magasin, et j'y suis parvenu de toute évidence. L'angoisse de la menace que représente Cheshire pour lui désormais revient peu à peu, et je ne peux m'empêcher de penser que je devrais m'éloigner au plus vite.

Mon regard se fixe dans le sien lorsque je lui parle d'une voix étranglée, les mots restant bloqués dans ma gorge. "Wolfran, je suis... Je suis désolé... Je..." Il ne peut pas comprendre ses excuses, parce que je ne parle pas du fait de m'être imposé chez lui. Je parle de quelque chose de bien plus profond, que j'ai du mal à comprendre. Je parle de ce que je ressens pour lui, mais surtout du mal que je pourrais lui faire subir. Je porte une main mal assurée jusqu'à mon visage, pour cacher mes yeux. D'un geste, j'essuie le début de larme que je sentais s'accumuler et me sermonne intérieurement. Je n'ai pas le droit de craquer maintenant. Je n'en aurais jamais le droit. "Je ne me souviens absolument de rien de ce qui s'est passé, je suis désolé. Je ferais bien de partir, je n'aurais même pas dû venir t'embêter avec mes problèmes, je vais te laisser à tes affaires, tu dois être assez occupé avec la boutique." C'est le signal pour moi de m'en aller, et pourtant, je ne fais aucun geste. Je continue de le regarder fixement, sans savoir ce que j'attends...

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Finalement, le blond ne réveilla pas Kaa du tout, il le laissa dormir tout ce qu’il avait besoin de dormir. Il allait régulièrement vérifier son état, cependant, histoire d’être certain que son état de s’aggravait pas. Heureusement que Nina était à la boutique aujourd’hui, ainsi il pouvait s’absenter quelques minutes sans risquer de manquer un client bêtement. Wolfran n’avait cependant pas parlé de leur invité surprise ; il ne voulait pas que quelqu’un le sache, gardant jalousement cette information pour lui. Il a toujours été quelqu’un de protecteur, mais avec Kaa…Ca s’était décuplé, et mêlé à une jalousie qui lui était encore si peu familière, il voulait garder tout cela pour lui, ces sentiments naissants, précieux, fragiles...

Quand il remonta dans la chambre après la fermeture de la boutique, le loup s’assit sur le lit, l’observant un instant. Il devrait le laisser tranquille, aller lire quelque part en attendant qu’il ne se réveille. En même temps, il avait envie de passer une main dans ses cheveux, de lui montrer qu’il était là, s’assurer qu’il était toujours là, bien qu’il l’ait sous les yeux à présent. Il n’eut le temps de rien faire de tout cela, car son ami se réveille et Wolfran se tend, attendant ses premières réactions. Car il sait à quel point il peut être…perturbant, de se souvenir avoir avoué certaines choses quand on n’avait plus vraiment aucun contrôle sur soi. Il espérait juste…Il espérait simplement qu’il ne réfute pas. Il s’y préparait, car c’était toujours une éventualité, mais il espérait de tout son être qu’au moins, il ne réfuterait pas. Ce qui se passa fut tout autre : si au départ Wolfran craignit l’hypothèse qui se présentait à lui avec les excuses du brun, la suite lui fit ouvrir de grands yeux ; il n’avait aucun souvenir de ce qu’il s’était passé quelques heures plus tôt. Il…Ne s’était pas attendu à cela et il se retrouva dans une position bien maladroite.

Devait-il lui raconter ce qu’il s’était passé, ce qui s’était dit entre eux ? Ou bien ne rien dire, et garder pour lui cette connaissance, qu’il savait vraie, et qui lui apportait plus de baume au cœur que tous les chocolats chauds du monde ? Son choix fut vite fait, au final. Kaa voulait partir de la boutique, voulait s’éloigner, pour le protéger, probablement. Alors Wolfran fit ce qui lui semblait juste. Il se rapprocha de Kaa et rajusta la couverture sur lui.

"Ne t’inquiètes pas. La boutique a fermé il y a quelques minutes. Tu ne me dérange pas Kaa. Au contraire, je suis content que tu sois venu à moi pour ça." Il désigna les bandages qu’il avait refait "Quant à ce qu’il s’est passé, tu es arrivé à la boutique, mal en point. Je t’ai soigné et tu as perdu connaissance. Tu as dormi une grande partie de la journée. J’ai envoyé mon assistante à la Sirène Amputée faire porter un message de ma part disant que tu ne pourras pas danser ce soir. Désolé d’avoir pris cette liberté, mais à moins que tu ne veuilles rouvrir tes blessures, danser ce soir me semble compromis."

Son sourire restait doux, tranquille, rassurant. Pourtant il y avait une légère douleur sourde au fond de lui, celle qui venait de la connaissance de ce que pouvait ressentir Kaa et ne rien pouvoir faire dessus, pas s’il ne se souvenait même pas lui en avoir parlé…

"Tu veux quelque chose ? Un truc à manger ? A boire ?"

Il ne se retint plus et passa une main douce dans les cheveux du brun, un geste qui se voulait à la fois réconfortant et rassurant.

Wolfran & Kaa

Je serai là pour veiller sur toi

Voilà exactement ce que j'attendais : qu'il me retienne. Qu'il trouve un moyen pour me faire rester près de lui, encore quelques instants. Je ne le quitte pas du regard lorsqu'il rajuste la couette sur moi, et écoute avec attention tout ce qu'il a à me dire. Je n'ai aucune excuse, aucun moyen de prendre la fuite. La boutique est fermée, mon patron est prévenu de mon incapacité à venir dans son bar miteux, mais par dessus tout, l'apothicaire insiste sur le fait qu'il est heureux que je sois avec lui. Qu'est-ce que je peux rétorquer à ça ? J'oblitère totalement sa question lorsque ses doigts se perdent dans mes cheveux. C'est le geste qu'il ne fallait pas, le geste de trop.

Ou plutôt, c'est le geste qu'il fallait. C'est le geste qui me fait réaliser que ce que je pensais  faire m'est impossible. Jamais je ne pourrais m'éloigner de lui comme je l'avais prévu. Je le veux pourtant, parce que c'est la chose la plus censée à faire si je tiens à sa sécurité. Et c'est ce qui m'importe par dessus tout. Mais je ne le peux pas. Parce que ça me ferait bien trop de mal. Et parce que je crois qu'à lui aussi. Oh, comme j'aimerai que ce le soit pour lui aussi. Alors je n'ai pas d'autre choix que de rester à ses côtés, dans l'ombre, à guetter le moindre signe de danger de la part de l'autre dégénéré. Mais surtout, surtout, Wolfran ne doit jamais savoir ce qui s'est passé. Parce que ça ne l'avancerait à rien. Il s’inquiéterait plus qu'autre chose, et je ne veux pas. Ce sera mon plus lourd secret désormais, mais c'est un fardeau léger en comparaison avec l'autre perspective qui m'attendait, celle de la fuite.

Je demande à Wolfran de me faire un thé bien sucré, pour me donner un peu de contenance, mais parce que je sens que j'en ai cruellement besoin : ce n'est pas tous les jours que je me fais ouvrir le ventre, et c'est une bonne chose, parce que ça vous laisse complètement à plat. Je ne vois pas le temps défiler, nous parlons comme de bons amis, et je me demande si c'est ce que nous sommes maintenant. Je n'ai jamais eu beaucoup de contactes amicaux avec qui que ce soit, mais je suis à peu près certain que je ne suis pas supposé me sentir si proche de quelqu'un si rapidement. Tant pis, pour une fois, je vais laisser de côté ce qui est normal ou ce qui ne l'est pas, parce que j'ai envie d'en profiter un maximum avant un retour à la réalité qui promet d'être brutal et douloureux...

Deux heures se sont écoulées depuis que je me suis réveillé, et je décide qu'il est vraiment temps pour moi de quitter les lieux. Je sais que Wolfran n'est probablement pas incommodé par ma présence, mais je ne peux pas me permettre de rester plus longtemps si je veux avoir une chance de le protéger correctement. Et puis, j'ai beau me dire que le jeune homme en face de moi m'apprécie un minimum, peut-être que son attitude amicale n'est rien d'autre qu'une gentillesse polie, alors il ne faut pas que j'en abuse. Après de nombreux remerciements et une dernière poignée de main, je sors de la Cuillère d'Absinthe dans la fraîcheur de la nuit. Je marche d'un pas mal assuré vers mon appartement et en passant sous la fenêtre encore éclairée de Wolfran, je lutte pour ne pas me retourner, pour garder une contenance, par peur qu'une trop grande attention ne le mette mal à l'aise ou provoque des soupçons. Et pourtant, en cet instant, rien ne me ferait plus chaud au coeur que de le voir me regarder par cette même fenêtre...