"-Maaaaaaaaaaaan, on a reçu une lettre de Nannyyyyyyyyy !
-D'accord, d'accooord Lenny, arrête de crier, j'ai compris. Donnes-moi cette lettre et mets la table.
Je soupire. Je déteste les corvées. En traînant les pieds, je rejoinds ma mère dans notre minuscule cuisine, la main tenant la lettre tendue devant moi. Ma mère glousse, attrape la lettre et me pose une pile d'assiettes et des couverts entre les bras. Je sais que je ne peux pas éviter cette corvée. Je ne suis pas flemmarde, loin de là, mais faire ce genre de choses, je déteste !

Alors que je mets la table (ça ne dure pas trop longtemps, nous ne sommes que deux à la maison), je jette un coup d'oeil à ma mère. Et je me fige. Elle est inquiète, c'est évident. Alors, j'installe la dernière fourchette, et m'approche de ma mère.
-Man, qu'est-ce qu'il se passe ?
Un silence s'installe, et j'ai l'impression qu'elle ne compte pas me répondre. Alors j'insiste, encore et encore, pendant trois bonnes minutes, avant qu'elle ne laisse tomber.
-C'est Nanny. Elle va très mal, et elle se sent seule en plus.
-Je n'ai qu'à aller la voir, elle sera ravie, j'en suis certaine !
Ma mère hésite, elle cogite, ce qui prend encore une dizaine de minutes, mais elle finit par accepter. Aujourd'hui, je me demande encore comment une mère peut laisser son enfant seule dans une forêt, où il est connu que des loups se promènent.
Alors nous nous mettons à table et, le lendemain matin, je pars dans la forêt, pour rejoindre Nanny dans sa jolie maison, au coeur de la forêt."

Parfois, j'ai envie de remonter le temps, pour m'empêcher de sortir. Même si l'histoire de ce jour-ci s'est bien terminé, c'est la base de tout. Donc, au début, je marchais avec mon panier, mon petit pot de beurre et ma gallette, sautillais en riant au milieu des papillons, bref, agissais comme une petite fille. Je ne voyais pas la journée passer, et la nuit me tomba dessus sans même que je m'en rende compte, pendant que je cueillais un bouquet pour Nanny. Et la peur s'empara de moi. Si je n'avais pas perdu de temps, je serai déjà chez Nanny. Alors, les larmes aux yeux, je m'étendais dans le massif de fleurs, et essayais de trouver le sommeil.

Nanny n'est pas directement ma grand-mère. C'était la nounou de ma mère, et elle l'a adopté après la mort de ses parents. Et après ma naissance, je n'avais que Nanny en tant que grand-mère, et comme nounou. Et je l'aime comme une grand-mère.

Bien sûr, j'aurais pu dormir dans ce massif, et me réveiller le lendemain matin pour pouvoir rejoindre Nanny. Mais le destin en avait décidé autrement. Je ne trouvais pas le sommeil, j'avais peur. Peur du noir, peur des animaux, peur de la solitude. Je me suis donc relevée, ai rabattu mon capuchon rouge sur mes boucles rousses et j'ai commencé à marcher. Encore une fois, tout aurait pu être différent. Mais ma route a croisé celle du loup. Trop heureuse de croiser un être vivant, en apparence innofensive, et qui parlait en plus, je ne me suis pas doutée du danger. Je l'ai suivi, il disait connaître le chemin jusque chez Nanny. Nous avons longuement parlé. Et qu'importe si c'était un loup. Il a voulu faire un jeu, et j'ai accepté, en enfant digne de ce nom. Nous nous sommes séparés, à une intersection, et dès qu'il disparut de mon champ de vision, je me suis précipitée joyeusement, en sautillant, balançant mon panier d'avant en arrière et tenant mon capuchon de ma main libre. L'aube pointait à l'horizon, les oiseaux gazouillaient et les papillons voletaient autour de moi. J'étais déjà rapide et agile à l'époque, et tout aussi orgueilleuse, j'étais certaine de gagner le pari contre le beau loup gris.

Et, pendant que je perdais davantage de temps, en caressant les animaux, le loup arrivait à la maison de Nanny (je lui avais donné l'adresse), pénétrais à l'intérieur et avalais Nanny. Il enfilait les vêtements de Nanny, se couchait dans son lit, prêt à me berner à mon tour.

Une bonne demi-heure plus tard, je débarquais à la porte de Nanny. Je me fis facilement avoir par le loup, et terminais, tout comme ma tendre Nanny, dans son ventre. Alors, bien sûr, le chasseur (mon idole et sauveur) joua un sale tour au loup, ce qui nous libéra. Je dû laisser Nanny à un repos bien mérité, mon parcours n'avait servi à rien.
Le chasseur se chargea de me raccompagner, et il m'offrit même sa broche. Depuis ce jour, je regardais cette homme et ses fils sortir tous les matins, à l'aube, de l'admiration dans les yeux, en espérant devenir comme lui : un héro.



"Je me sens seule. Probablement parce que je suis seule. Je reste prostrée dans un coin de notre cabane, en position foetale, les yeux dans le vague, à me balancer d'avant en arrière. Je suis encore couverte de son sang. Ce liquide écarlate, collant, qui s'infiltre entre les lattes du plancher.  Et je craque. Mes larmes se mêlent à son sang, et je dois faire peur à voir. Mais je m'en foue. Mon univers vient de s'effondrer. Je ne ressens plus rien, et je ne pense que plus jamais je ne pourrais rire."

Ce soir-là, en rentrant d'une longue course, je ne me doutais pas de l'horreur qui s'était déroulée dans mon foyer. En fin de soirée, ma mère récupérait le linge qui séchait dans notre jardin. Apparemment, il se serait faufiler en silence dans son dos, et l'aurait suivi à l'intérieur. Il lui a sauté dessus, a commencé à la dévorer. Et si notre sauveur n'était pas rentré de la chasse à ce moment-là, le loup aurait mangé ma mère. Il l'a fait fuir, mais le mal était fais. Elle perdit la vie entre ses bras. Et comme un lâche, le chasseur me déçu.

Trop effrayé de se faire accuser du meurtre de ma mère, il prit la fuite cette nuit-là, en emmenant toutes ses affaires, et ses fils. Je n'eus droit à des réponses qu'un an après, à la réception de la lettre que l'homme que j'avais tant admiré m'avait envoyé. Jusque là, je me doutais qu'elle avait été dévorée par un loup, mais je ne pensais pas qu'il se trouvait là. Il perdit tout estime pour moi. Après cet horrible jour, je quittais ce caractère de jeune fille que je possédais jusqu'alors, et devenais Le Petit Chaperon Rouge, la meilleure chasseuse du coin. Enfin, je l'étais, selon moi. Je voulais être une meilleure chasseuse du seul père que j'avais jamais eu, et qui m'avait déçu. Comme tous les hommes qui avaient croisé ma route par la suite.



Je rends parfois visite à Nanny, elle est vieille, mais en excellente santé. Je suis donc une chasseuse solitaire, et vit grâce à mes prises, que je vends. Je vis encore dans notre petite maison, seule bien sûr. Je n'ai jamais été amoureuse, n'ai aucun amis. Je ne suis plus, et ne serais plus jamais, la petite fille de dix ans qui jouait dans le massif de fleurs.