Petite Anne est née dans un monde merveilleux où son père était grand, fort et riche et où sa mère était belle, douce et aimante. Elle avait tout ce qu’elle voulait et passait son temps à danser, jouer, manger des gâteaux et rigoler aux ragots de ses servantes. Elle tomba amoureuse une fois, deux fois, cinq fois, dix fois, sans trop savoir comment, pourquoi, et puis c’était qui déjà le septième ? Elle ne sait plus trop. Trop passionnelle la petite Anne. Petite gamine un peu trop seule, un peu trop protégée, un peu trop choyée, elle ne voyait pourtant que peu ses illustres parents, sûrement trop occupés à vivre le grand amour.
Un de ses plus grands plaisirs, c’était d’aller voir l’âne de son papa. Un joli petit âne gris, tout gentil, qui lui racontait des histoires, qui lui racontait ce qu’il voyait, qui lui parlait de son papa que lui voyait si souvent. La gamine s’en moquait bien, à l’époque, que l’âne puisse chier de l’or. L’or était trop courant pour elle, trop peu précieux. Elle préférait profiter de ses blagues, de sa maladresse, et de ses grandes oreilles toute douce. Une fois, vers huit ans, elle a affirmé que, plus tard, et bah elle épouserait l’âne de son papa. Bien sûr, trois mois plus tard elle était fascinée par son cousin Julien.

Adolescente, Anne devint clairement insupportable. Capricieuse, niaise, brisant trop souvent le coeur de jeunes garçons dont elle se lassait, elle semblait déjà s’enfermer dans une innocente volontaire, et on disait qu’elle se moquait du monde à vouloir faire croire à tout le monde qu’elle était aussi bête. Le malheur étant qu’elle était, véritablement, bête. Quand on la voyait de plus en plus comme une gamine manipulatrice et caractérielle, elle n’était qu’une enfant avec un corps un peu trop grand et joli, uniquement intéressée par la pureté des sentiments, principale victime de son caractère volage. Seul son petit âne comprenait véritablement ce qu’elle affrontait, bien qu’il se moquai souvent d’elle, de son innocence, de sa crédulité et de ses rêves de gamine. Mais tout allait encore bien, car Anne avait encore son papa et sa maman.
Son papa et sa maman ont disparu alors que ses dix-neuf ans approchaient. Sa mère, prise par la maladie, décéda brusquement, plongeant son mari dans le désespoir, qui se cloîtra durant de longs mois sans prendre la peine de donner une quelconque nouvelle à sa fille. Une fille qui, complètement déroutée par le soudain malheur qui tombait sur sa famille, cria beaucoup, pleura encore plus, et passa même une nuit auprès de l’âne de son père, dans l’espoir ridicule que celui-ci viendrait le voir. Elle savait depuis longtemps que ses plus grandes chances de croiser son père résidaient dans l’écurie.

Le jour où elle revit son père, beaucoup de choses avaient changé. Brisé par le deuil, il ne voyait visiblement en elle que le fantôme de sa mère, en plus jeune, en plus douce, encore délicieusement vierge. Il la demanda brusquement en mariage, créant le doute, le désarroi, l’incroyable trouble chez sa fille. Elle l’aimait son père, elle l’aimait beaucoup mais pas comme ça, vraiment pas comme ça.
Désespérée, elle demanda conseil à son âne. “Demande-lui une robe couleur du temps en échange de ta main, cela devrait le calmer.” Deux jours plus tard, une magnifique robe couleur de temps lui était présenté. “Demande-lui une robe couleur de lune, ça lui fera une belle jambe !” Quatre jours plus tard, la dite robe était dans sa chambre, et son père se fait de plus en plus pressant. “Bon, ok ok, cette fois, on arrête les conneries. Demande-lui une robe couleur de soleil.” Une semaine plus tard elle portait la robe la plus lumineuse qu’on aurait pu imaginer, et son père lui vola un baiser, lui arrachant des larmes.
Elle pleurait donc dans l’écurie, désespérée, prête à devoir obéir à son père, quand elle entendit de nouveau la voix douce l’âne : “Demande-lui ma peau, Anne. Demande-lui de me sacrifier pour avoir ta main.” Elle regarda avec horreur son si cher ami, et refusa niet de faire une telle proposition. “Ne t’inquiète pas Anne, il ne le fera jamais, je le connais. Il m’aime trop, et tu le sais. Cela lui fera comprendre ce qu’il demande.” Anne est bête, et elle le sait. Elle sait aussi que l’âne est intelligent. Alors, généreusement, elle obéit.

Ici, nous noterons toute la beauté du sort de cette chère Anne. En effet, par sa demande, elle sema le trouble dans le coeur de son père, mais sans le contraindre à abandonner son projet. Heureusement pour cette histoire, il fallu que le père mette deux jours avant de se résoudre à accomplir le projet. Hors, le matin même, notre très chère Marrainne ordonna à tous les animaux parlants de porter son terrible Charnel N°5. Avant que le père ne puisse dire ouf, l’âne était devenu humain, et la surprise fit arrêter son geste.
La suite, on a pas trop trop compris. Le père alla parler à sa fille, qui pleura (oui encore), en apprenant comment son si bel âne avait failli mourir. Puis après une crise de colère du père, il fut décidé que le mariage aurait lieu malgré tout, et qu’il n’était plus l’heure aux enfantillages. Puis il y eu Anne dans l’écurie, qui pleura (oui oui, encore), en racontant tout cela à son âne devenu humain (mais cela ne sembla rien faire changer au comportement de la gamine envers lui). Finalement, son éternel conseiller lui fit comprendre qu’il n’y avait plus le choix : il fallait partir. Ils fugeraient à deux et, grâce aux pièces d’or qu’il produisait, ils arriveraient à se reconstruire.
Son âne n’avait jamais tort, et Anne avait trop pleuré pour que son cerveau puisse véritablement fonctionner. Alors, ni une ni deux, elle avait empaqueté ses robes, mis ses bijoux dans un coffre et zou, on quittait la campagne natale pour rejoindre la capitale. L’objectif était de se perdre dans la foule jusqu’à ce que le père ne se calme.

Cela fait bientôt un mois qu’ils sont là, parmi vous, à se cacher difficilement. Et le père ne se calme toujours pas.