Tous les contes de fées commencent par la fameuse phrase, Il était une fois. Mais rares sont ceux dans lesquels la méchante de l’histoire peut en être le personnage principal. Et mauvaise, Selma avait toujours appris à l’être. Après tout, dans sa famille, on l’était de mère en fille. Elle avait vu le jour au fin fond d’une sombre forêt isolée de Fort Fort Lointain, parmi un groupe de sorcières ricanantes, ayant pour habitude de réciter des incantations autour de marmites remplies de mixtures souvent répugnantes. Fille d’une sorcière noire, elle était la deuxième de sa famille. Izla était venue au monde quelques années plus tôt et son premier geste envers sa cadette fut une grimace de dégoût, ce qui symboliserait leur relation à venir. Car dès les premières années de leur existence, une profonde rivalité divisa les deux soeurs, motivée tant par l’orgueil de l’aînée que par la jalousie de la plus jeune. Car Izla était la favorite, la plus cruelle, la plus douée en magie noire. Selma en serait devenue verte d’envie si sa peau n’avait déjà été de cette couleur. Elle tenta tous les efforts possibles afin de supplanter son aînée, sans jamais y parvenir. Elle demeurait et demeurerait à jamais l’éternelle seconde. Encore aurait-elle pu le supporter si sa soeur n’avait pas elle-même participé au rabaissement dont elle se sentait sans cesse victime. Certes, Selma était une sorcière plutôt maladroite. Certes, elle enchaînait souvent les catastrophes, mais était-ce une raison pour être sans cesse mise de côté ?

Plus elle grandissait, plus il devenait clair qu’elle n’aurait jamais la place que, selon elle, elle méritait amplement. Elle décida alors d’aller chercher de l’estime, voire même un peu d’affection, chez d’autres êtres. Recherche qui tourna rapidement cours : elle était une sorcière noire et sa peau d’émeraude la faisait paraître pour un monstre, ne remplissant que davantage son coeur d’amertume. Les humains n’étaient définitivement que méprisables. En particulier les princes et princesses, ces créatures qu’elle voyait peu à peu connaître leur fin heureuse. Non pas qu’elle ait désiré être l’une d’entre eux et passer ses journées à mirer sa gracieuse beauté face à un miroir. Pourquoi étaient-ils aimés de tous et tout le monde, contrairement à elle qu’on ne pouvait voir sans hurler d’effroi ?
Cependant, son existence changea, le jour où elle croisa la route d’une exaspérante princesse décidée à rire de sa verte apparence. Profondément vexée, la petite sorcière transforma cette dernière en une répugnante grenouille. Récupérant ses possessions royales, dont de précieux souliers d’argent qui avait été offerts à la princesse par sa fée marraine. Les portant tout d’abord par coquetterie, elle réalisa fortuitement que ceux-ci étaient dotés de pouvoirs magiques. Il lui suffisait de simplement faire claquer ses talons afin de se trouver à l’endroit qu’elle désirait. Se gardant bien d’en parler à qui que ce fut, elle tâcha bien évidemment de les conserver pour elle seule, et surtout de ne jamais plus les quitter. Le moment viendrait où elle savait que celles-ci lui seraient utiles.  

Un événement plutôt remarquable se produisit un jour, voilà six ou sept ans auparavant. Seule dans la sombre demeure qu’elle occupait en compagnie de sa famille, elle eut l’immense surprise de constater la présence d’un misérable humain, tenant un objet qui lui appartenait entre les mains. Décidée à le punir de la manière la plus atroce qui soit, elle lui jeta un sort, le transformant non pas en vilain crapaud ou en affreux corbeau, mais en son esclave personnel. A compter de ce jour, il ne pourrait s’empêcher de venir à elle au moindre de ses appels, et bien évidement d’accomplir le moindre de ses désirs. Cependant, elle n’eut pas le temps d’utiliser cette prérogative à son encontre. Lorsque leur mère mourut, tuée par le contenu d’un verre d’eau, les deux soeurs s’allièrent pour la première fois de leur existence afin de crier vengeance.
Leur périple afin de retrouver le coupable les menèrent à une région quelque peu isolée du royaume, administrée par de bonnes sorcières. Profitant d’une situation géographique éloignée et de faibles défenses, elles prirent possession de deux parties conséquentes, mais à la toute dernière seconde, Izla spolia une fois de plus sa soeur, s’emparant de l’Ouest fructueux pour ne lui laisser qu’une misérable portion à l’Est. Ceci n’empêcha certainement pas Selma de réduire le peuple qui s’y trouvait en esclavage durant de nombreuses années. Car oui, elle connut enfin sa fin heureuse, celle où elle se sentait puissante et influente, tout en exerçant sa mauvaise nature.

Malheureusement, elle ne vécut pas heureuse pour toujours. Et ce fut une simple et misérable humaine qui détruisit à jamais toutes ses chances de bonheur. A jamais le prénom de Dorothy ferait grincer ses dents. Cette affreuse créature qui avait osé laisser tomber sa maison sur elle ! Elle ne demandait rien à personne pourtant. Elle marchait tranquillement dans sa forêt sans faire de mal à âme qui vive. Et d’un coup, dans le ciel, ce nuage massif était apparu. Lorsqu’elle avait compris qu’il ne s’agissait pas d’un nuage, mais d’un objet non identifié qui lui fonçait droit dessus, il était trop tard. Avant d’avoir eu le temps de dire « Nom d’un crapaud à pustules », elle se retrouva écrasée sous la bâtisse. Seuls ses pieds dépassaient, si bien que Dorothy eut la totale incorrection de lui dérober ses chaussures magiques ! Tous la crurent morte, que ce soit les sorcières de la région ou le peuple qu’elle avait réduit en esclavage. Mais il en fallait bien davantage pour exterminer une sorcière, en particulier sans eau. Lorsqu’elle parvint tant bien que mal à s’extirper du piège dans lequel elle avait été empêtrée, il était trop tard. Nul ne la craignait plus, et sa tête était même mise à prix. Elle n’eut d’autre choix que s’exiler dans des contrées plus peuplées de Fort Fort Lointain, où elle fut contrainte de... travailler, elle qui n’avait jamais rien fait d’utile de ses dix doigts ! Voilà qu’elle se trouva réduite à servir les autres en travaillant à la Pomme Empoisonnée, seul lieu qui voulut bien l’embaucher. Car elle avait beau avoir compris qu’il lui valait mieux dissimuler sa couleur verte, il n’en était pas moins évident qu’elle était une sorcière noire. Alors que les choses ne pouvaient pas être pires, elles finirent par le devenir lorsque Marraine la Fée prit le pouvoir. Une fée au pouvoir ? Catastrophe ! Décidément, le monde ne tournait plus rond, par la faute des humains une fois encore !