Il était une fois…
Dans un royaume Fort Fort Lointain, un vieil homme était pauvre, très pauvre. Il devint si pauvre qu’il ne pouvait plus nourrir son fils unique. Un jour, son fils lui dit : « Père, il est inutile que je reste ici. Je suis un fardeau pour vous. Je vais quitter la maison et essayer de gagner ma vie. » (De mauvaises langues feraient remarquer, à ce stade, qu’un homme adulte devrait déjà gagner sa vie plutôt que de compter sur son père.)
Le père lui donna sa bénédiction, et ils se séparèrent la mort dans l’âme.
De l’autre côté de la mer, un seigneur était en guerre contre son voisin. Le jeune homme s’engagea dans son armée et se retrouva au front, au premier rang pour une grande bataille. Le danger était abominable, les soldats mourraient autour du jeune homme. Quand le général de l’armée fut tué à son tour, les survivants voulaient s’enfuir, mais le jeune homme prit la place du général – absolument pas gêné, le type – et s’écria : « Nous ne sommes pas encore vaincus ! Suivez-moi ! »
Les soldats le suivirent et très vite, ils mirent l’armée en déroute. En apprenant le rôle joué par le jeune homme dans la victoire, le seigneur lui donna un poste bien payé et lui accorda de prestigieux honneurs. En outre, le seigneur avait une fille très belle… et c’est là que les choses se compliquent.
La fille était très belle, mais elle avait une obsession (un petit peu) particulière : elle avait fait le serment d’épouser uniquement un homme qui promettrait se laisser enterrer vivant avec elle si elle venait à mourir en premier.
Là, n’importe quel type doté ne serait-ce que d’une moitié de cerveau se serait dit qu’il fallait prendre ses jambes à son cou et que la fille avait un sérieux grain. Mais le jeune homme, nous l’avons déjà vu, était un peu limité question cervelet. Et c’est là, chers amis, le début de la fin des haricots.
Le jeune imbécile était complètement hypnotisé par la beauté de la demoiselle, et promis donc de se faire enterrer vivant avec elle. Tout le monde donna son contentement, hourra, et ils furent mariés. À ce stade, tout aurait encore pu se dérouler normalement… Sauf que non. Je vous la fais en résumé : l’Idiot et sa donzelle folle vécurent quelques années dans la félicité la plus totale quand paf, pastèque, l’heureuse épouse trépassa de la mort qui tue. L’Idiot tint sa promesse – notez qu’à défaut d’intelligent, il était loyal – et se prépara à mourir dans le caveau de sa dulcinée. Quand soudain ! Un serpent sortit d’un recoin du tombeau et s’approcha de la trépassée pour lui grignoter les orteils. L’Idiot, n’écoutant que son courage, découpa le serpent en morceaux.
C’est alors qu’il assista à quelque chose d’incroyable : un second serpent sortit du mur, tenant trois feuilles dans sa gueule. Le second serpent déposa chacune des feuilles sur les blessures du premier serpent et celui-ci ressuscita instantanément. Le brave jeune homme, fasciné, s’empara des feuilles et les posa sur le cœur et la bouche de sa défunte femme, laquelle sentit son cœur se remettre à battre et rouvrit les yeux. Elle était vivaaaaante… à notre plus grand regret. Mais nous allons y venir.

Les époux sortirent du caveau et retournèrent chez eux, où ils furent accueillis avec liesse.
Quelques semaines plus tard, le jeune homme s’aperçut que sa femme avait changé depuis son décès. Elle était plus réfléchie, plus calme, plus sombre… et il faut bien le dire, un peu plus distante. A croire que le fait de mourir l’avait aigrie. (A moins qu’elle ne soit furieuse contre son mari pour l’avoir ressuscitée, allez savoir). Toujours est-il que la dame était de fort mauvaise humeur et que son époux décida de la divertir en lui faisant voir du pays : ils décidèrent donc de rendre visite au père du jeune homme – qui n’était plus si jeune – à Fort Fort Lointain.

Et c’est là que notre héros entre en scène.

Jusqu’ici, notre héros avait eu une vie relativement tranquille. Orphelin vers l’âge de dix ans, il s’était engagé sur un navire et au moment où débute notre histoire, il était le capitaine de son propre navire, effectuant des missions marchandes et à l’occasion, du transport de passagers.
Or, il se trouva que par un beau jour d’été, alors que les fleurs fleurissaient et que les clafoutis clafoutaient, un couple engagea notre héros pour une traversée jusqu’à Fort Fort Lointain. A cet instant, chers amis, les ennuis commencèrent.

Le brave jeune homme, qui n’était plus si brave ni si jeune, était d’une humeur massacrante depuis son retour du caveau. Il était de plus en plus anxieux à l’idée de retrouver son père et inquiet à l’idée de ce qu’il allait bien pouvoir devenir. Sa femme, qui avait toujours été un peu capricieuse, était sans aucun doute en train de se transformer en reine des garces.
Maintenant, mettez-vous un peu à la place de notre héros. Il avait toujours bien aimé les femmes – et elles le lui rendaient généralement bien. La femme qui arriva sur son bateau était très, très belle, et extraordinairement charismatique. Pour être tout à fait honnête, il y avait une raison si son stupide mari avait accepté de l’épouser en dépit de sa folie : elle savait se montrer extrêmement charmante et convaincante. Évidemment, elle ne tarda pas à remarquer que notre héros était bien plus beau et plus intéressant que son benêt de mari. Ce qui devait arriver arriva, sans que ledit benêt ne remarque quoi que ce soit (preuve qu’il était véritablement stupide). Mais bientôt, la démoniaque femelle réalisa qu’avoir une aventure et changer de pays ne lui suffirait pas et elle commença à rêver d’un monde où elle serait débarrassée de son abruti de mari. Elle mentit sans vergogne au héros, lui faisant croire que vivre sur les mers était quelque chose dont elle rêvait pour de bon. Elle mentit tant et si bien qu’il finit par accepter de coopérer.
Une nuit, les deux pénétrèrent dans la cabine du benêt. Il dormait et ronflait profondément, si bien qu’il ne sentit même pas qu’ils s’emparaient de ses pieds et ses bras et le jetaient par-dessus bord. Il se réveilla dans l’eau salée, toussant et crachotant, prêt à se noyer. Une fois le mari disparu, notre héros et sa dulcinée n’avaient plus qu’à vivre heureux pour toujours.

En temps normal, le conte se serait terminé ainsi, avec un fin vaisseau filant vers le soleil levant.
Mais le serviteur du benêt avait vu sa maîtresse et le capitaine jeter le corps de son maître. Comme il lui était très attaché (un peu trop, si vous voulez mon avis ; et la femme du benêt le savait aussi), il mit une chaloupe à l’eau et navigua vers son maître. Il retrouva son corps, flottant à la dérive, et le ressuscita grâce aux trois feuilles du serpent. Les deux ramèrent alors en direction de leur maison, qui était moins loin que Fort Fort Lointain (ce qui est normal, vu que Fort Fort Lointain est, et bien, fort fort lointain).
Quand ils arrivèrent, le seigneur s’inquiéta : où était passé le navire ? Qu’était-il advenu de sa fille ? Si elle était morte, pourquoi n’étaient-ils pas tous dans son tombeau ? L’Idiot raconta alors au seigneur comment il avait été abusé, en ajoutant quelques détails macabres et absolument faux.
La mort dans l’âme, le seigneur convint qu’il fallait punir sa fille et notre héros, le capitaine. Malheureusement, il ne les avait pas sous la main : il fit alors appel à une sorcière de passage, qui lança une malédiction si puissante qu’elle traversa l’océan.
Et c’est ainsi que notre héros et sa maîtresse se retrouvèrent au cœur d’une tempête si terrible que le navire se brisa. Ils croyaient leur dernière heure arrivée : mais quand l’eau s’engouffra dans leurs poumons, ils sentirent des branchies leur pousser. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire « Fort Fort Lointain », ils étaient transformés en poissons parlants.

Sept longues années passèrent. Les jours de Finn passaient généralement entre recherche de nourriture, fuite devant les requins et les pêcheurs et marmonnements incessants sur l’inconstance des femmes, leur fourberie et le danger qu’il y avait à fréquenter la magie. Il avait regagné les côtes de Fort Fort Lointain, observant avec amertume et regrets la vie à la surface, ne valant guère mieux que la Petite Sirène.
Il parlait, cependant, et ses conversations avec les goélands, sirènes et autres créatures fréquentant le littoral finirent par l’informer d’une rumeur. À la surface, les choses changeaient.

La suite fut assez simple ; il avait déjà exécuté des plans plus dangereux. La nouvelle loi bannissait les animaux parlants, les transformant en humains. Il était un animal parlant et voulait être redevenir humain. La fiole de Charnel glissait contre son corps écailleux, mais hors de l’eau, il pouvait survivre pendant les quelques secondes nécessaires à l’action de la potion. Suffisamment, en tout cas, pour redevenir le séduisant navigateur qu’il était avant toute cette histoire… Enfin, séduisant sans aucun vêtement et navigateur sans bateau, mais chaque chose en son temps.