"En garde marin d'eau douce !" "Tu n'as aucune chance avec ta force de pétoncle, barbe à papa." Et les épées de bois se croisent encore et encore dans un lourd fracas. "Mais laissez moi jouer." Braille Parfait en sautillant sur place. "Va voir ailleurs si j'y suis" lui rétorque Éclair. Et voilà qu'une fois de plus cela se finit en bataille de poing entre les garçons , spectacle auquel Noix de coco ne peut résister de participer. Un peu plus loin Crêpe Suzette pleurniche. "Mais rends-moi ma poupée, Cacahuète rends-moi ma poupée. Je vais le dire à maman !" "Pfff si tu veux ta malouba Stacy ne tu n'as qu'à aller la chercher." Et un vol planait pour Stacy qui atterrit dans les mains de Banane qui la renvoie à l'expéditeur et vice-versa forçant Crêpe Suzette à sauter sur place pour tenter de l'attraper. Et c'est dans ce joyeux charivari qui n'est à mon grand désespoir pas si extraordinaire que ça, mais qui se trouve finalement être une scène des plus courantes que je fais mon apparition. "WOOOOOOOOH, C'EST QUOI CE TOUT CE BROUHAHA. NON MAIS JE VOUS ABANDONNE 30 SECONDES POUR ALLER PRENDRE UN VERRE DE L'EAU ET VOUS TROUVEZ LE MOYEN DE ME RETOURNER LA CHAUMIÈRE. VOUS ALLEZ FINIR PAR ME TUER VOUS LE SAVEZ CA ? COCO ET COMPAGNIE ON ME FILE LES ÉPÉES C'EST CONFISQUÉ JUSQU’À NOUVEL ORDRE. ET BANANE ET CACAHUÈTE ON REND LE POUPÉE À SUZETTE." Je les fixe admirant leurs visages béats face à ma gueulante. "Hop hop hop action réaction les monstres." Je tape dans les mains pour les faire réagir et chacun s'exécute. Les épées en main je les enferme à clef dans le coffre à jouets pour avoir la paix. "Bon vu l'heure je veux tout le monde au lit, on enfile son pyjama et plus vite que ça. Les filles je vous veux toutes en rang devant moi avec vos rubans, il est l'heure de se faire natter les cheveux." C'est dans le silence le plus rare et agréable du monde que je natte chacune de mes trésors. "À le lit et pas dans le même sinon vous n'allez pas dormir." Je me penche au-dessus des six lits alignés dans la chambre pour embrasser et border tous mes anges ou plutôt démons sans exception. "Extinction de les feux" Je me courbe face à la chandelle presque entièrement consumée pour l'éteindre d'un souffle. Je m'apprête à passer le pas de la porte quand j'entends leurs douces voix me réclamer en chœur une histoire pour les bercer. "Bien, mais je veux le silence." Je me pose dans le rocking-chair laissant la chambre bercée dans la pénombre de la nuit et je débute l'histoire à voix basse. Ne connaissant aucun conte pour enfants, j'entreprends de raconter la seule histoire que je connaisse, la mienne.

"Il était une fois, dans une contrée lointaine et extérieur à ce royaume, un pays sans régent, un pays craint de tous car là résidaient les terribles dragons, terreurs de les contes et de les légendes. Aucun dragon ne restait ici bien longtemps pour tant, car ce lieu n'était que la zone d'accouplement de ces bêtes mythologiques. Le reste du temps, un dragon s'occupait à garder une princesse ou un trésor. Parmi les dragons présents se trouvait le célèbre Brisigr, le dragon aux écailles plus rouges et scintillantes que des rubis, et dont la réputation le précédait dans le monde des hommes. Son nom il le tient de brasier, car il était tristement célèbre de les hommes pour ces tempêtes ardentes qu'il avait déversées sur eux, réduisant à néant populations et villages. À côté de lui se tenait une dragonne plus blanche que neige. Et dont la carrure était des plus imposantes. En effet chez les dragons un réel dimorphisme sexuel existe, faisant des dragonnes des créatures jusqu'à deux fois plus massives que les mâles. Et cela bien évidemment pour assurer la protection des petits. Cette dragonne non plus ne déméritait pas de célébrité. Les hommes lui donnèrent nombres noms si bien qu'il est impossible de savoir lequel est véritablement le sien. Elle est cependant l’héroïne de la légende de la princesse centenaire. Vous savez cette princesse morte à cent ans encore enfermée dans sa tour tellement le dragon la défendant était invincible. Enfin c'est de l'union de ces deux terreurs que naquit un œuf rouge et blanc aux motifs des sucres d'orge. Il resta ainsi clos dans un nid au-dessus d'un volcan durant une année entière. Et après tout ce temps un dragonnet ou plutôt une dragonnette et heureusement vu la couleur rose bonbon de ces écailles. Et c'est vrai qu'un tel accoutrement eut beaucoup de mal à terroriser au début. Mais les années passèrent et la dragonette se transforma en une imposante dragonne, certes rose, mais terrifiante. D'autant plus qu'avec ses parents pour professeurs, elle ne pouvait pas aller à meilleure école. Elle découvrit alors sa signature, n'aimant guère le goût de la chair humaine elle signait son oeuvre en carbonisant la personne pour ne laisser que des ossements noircis. Enfin bon après des années à vadrouiller et à se perfectionner en création de terreur, elle fut enfin attitrée à une princesse, et à un trésor surtout. Et oui les dragons ne protègent que des trésors, donc pour obtenir l'aide d'un dragon pour défendre une princesse, bah il faut placer de l'or et pas qu'un petit pas, mais un véritable monceau. Et c'est ainsi que la valeureuse dragonne obtenue sa première et sa dernière mission." Je me redresse et j'entreprends de filer pour laisser mes anges dormir mais manque de bol aucun des six monstres ne ferme les yeux, et ils réclament déjà une autre histoire. Je m'affale à nouveau sur le rocking-chair suppliant le bon Dieu de les endormir afin d'assurer mon repos de la journée.

"Bien reprenons alors. Où en étais-je ?" "Au dragon gardant la princesse." "Dragonne ma chérie pas dragon." Heureusement que le noir règne dans la pièce car ma tête ne doit pas être belle à voir, en même temps fichtre quoi je suis pas un mâle. "Enfin bon, donc, je disais, la dragonne était en charge de la surveillance de la princesse et du trésor. Mais veiller jour et nuit était loin d'être du plaisir comme elle avait pu se l'imaginer. C'était même du plus mortel de les ennuis. Et pendant les longues heures de désespoir elle se remémorait les bons moments. Les longues balades aériennes qu'elle avait l'habitude de faire et le sentiment du vent glissant entre ses écailles. Ou les baignades rafraîchissantes et cette sensation que l'on ressent en étant humide. Ou même encore ces longues heures de chasse à traquer le gibier à travers les bois, et pour que ça soit plus excitant elle traquait des trolls, espèce suffisamment forte pour lui assurer un minimum de combat. Mais finalement c'était toujours la même rengaine et continuel retour à sa lassitude et avec elle la triste réalité de cette vie morne qu'elle serait condamnée à vivre pour de longues années encore. Elle occupait ses journées à la sieste ou à déambuler, ou plutôt errer dans le château. Et les seuls pauvres pèlerins suffisamment sots pour avoir traversé les douves, ne suffirent point à la distraire, et bien au contraire ils contribuèrent à son ennui chronique. Ils étaient bien trop chétifs et trop peu équipés pour prétendre juste effleurer une de ses écailles. Et elle n'eut qu'à cracher suffisamment de flammes pour réchauffer un bébé, pour qu'ils finirent en cendres. Oui l'ennui était là, fidèle et haï compagnon. Mais par chance pour elle rien de cela n'était voué à durer. Et ce fut plus rapidement qu'il n'y paraît qu'un beau jour un ogre et son fidèle destrier poussèrent le pas de la porte. Ce ne fut pas leur bruit qui alerta la dragonne, car à ce niveau ils furent plutôt discrets, mais la puanteur de l'ogre était telle qu'elle ne pouvait passer à côté. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour battre des cils elle se dressait devant eux, grande et imposante, et surtout avec le gosier rougeoyant de flammes ne présageant rien de bon pour l'avenir des deux aventuriers. Mais l'Âne arriva in extremis à faire un coup de maître, il séduisit la dragonne. Et ce le plus simplement du monde, en remarquant qu'elle était une dragonne, une jolie dragonne. Et il n'en fallut pas plus pour réchauffer le cœur de ce monstre brûlant. Il avait fait attention à elle et avait remarqué ce qu'aucun autre n'avait vu. Et elle avait l'impression de ne pas l'effrayer ce qui au fond était un grand bonheur d'avoir trouvé quelqu'un qui ne fuit pas en hurlant en posant les yeux sur vous. Elle l’emmena alors dans son antre, le papouillant à grands coups de langue. Elle était heureuse et avait littéralement oublié l'ogre qui réussit à se frayer un chemin jusqu'à, la princesse. Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, la dragonne comprit, bien qu'un peu tard, que tout cela n'était qu'un odieux stratagème et qu'elle avait été bernée. Et une fois de plus le proverbe "l'amour rend aveugle" s'était vérifié. Elle fit alors retentir le plus bruyant des rugissements et se lança dans une course-poursuite contre les envahisseurs. Mais ils avaient été plus malins qu'elle faisant de ce château sa prison plus officielle. Elle se retrouvait captive de ces chaînes et ce pour un long moment. Elle mit des jours à sortir d'un tel pétrin et ce ne fut pas sans se blesser. Et c'est dans le but de soigner ces blessures qu'elle se rendit à la rivière. Mais même une fois guérie, la blessure était loin d'être refermée. En plus d'être devenue la risée de tout le règne dragonnien et avoir déshonoré son pedigree ; Elle avait le cœur en miettes. Une de ces blessures irréparable que seul un chagrin d'amour peut causer. Elle avait été trahie par l'amour de sa vie. Mais ironie du sort voilà qu'à ce moment même l'Âne de ces rêves, ou plutôt de ces cauchemars en l’occurrence, se trouvait à moins d'un mètre d'elle. Elle aurait pu le carboniser et ainsi réparait l'affront qu'il lui avait fait subir, mais l'histoire se conclut autrement. Et après une longue discussion placée sous un miracle en ce qui concerne la compréhension du langage de l'autre, les deux commencèrent une idylle. Et rien de mieux pour fêter cela que de mettre un terme au mariage arrangé d'une princesse en détresse. Et une fois le mariage brisé, un autre fut célébré. Des fleurs à moitié broutées par l'Âne en guise de bouquet et deux ogres pour témoins. Une cérémonie étrange mais au combien pittoresque. Et les deux moitiés d'un tout finirent heureuses et eurent six enfants." Je termine mon histoire un sourire triomphant sur le visage. Plus aucun marmot n'a la moindre paupière entrouverte et le calme de la nuit berce la demeure. Je referme alors la porte délicatement encore songeuse de mon histoire. Tout me semble être hier et cette époque est pourtant si lointaine. Nos heures de bonheur à l'Âne et moi sont révolues. Il y a bien longtemps qu'il ne m'a plus coursé à travers les champs, que nous n'avions pas échangés de longues heures de rires. Tout ceci à basculé durant LE jour, ce fameux jour gravé dans les mémoires de chacun. Un jour funestes pour les uns et festifs pour les autres. Marraine montait sur le trône et la famille royale au complet disparaissaient de la circulation. Plus de Fiona, plus de Shrek, l'Âne se retrouvait abandonné par ses meilleurs amis, même Potté finit par le laisser tomber. Et moi pendant ce temps j'étais allongée au fond d'une grotte, à haleter, à gémir. Personne ne pouvait m'approcher sans subir mes grognements ou mes flammes. On dit qu'une femme enceinte a ses humeurs, et bien une dragonne c'est pareil mais en fois quinze. Puis avec six marmots, il faut encore multiplier par six. Et moi qui espérais pondre des œufs et être débarrassée. Il faut croire que le gène de l'oviparité ça vient du mâle. Du coup je suppose qu'une ânesse avec un dragon ça pond des œufs. Celui que je supportais le moins durant tout ce temps ce fut quand même l'Âne, il faut dire qu'avec sa manie de toujours parler et sa voix si ... spéciale. Enfin bref tout ça pour en venir au fait que j'étais clouée au sol durant toute la prise de pouvoir. Bien que pour certains cette prise de pouvoir signait déjà le pire, pour moi il n'était pas encore arrivé. Ce fut le Charnel mis en place peu de temps après qui me causa bien des problèmes. Pour l'Âne tout se passa sans le moindre accroc. Excepté la douleur qu'il avait à devoir abandonner son image, pour lui sa vie ne changeait en rien. Il parlait depuis toujours, et il savait déjà comment être un bipède. De plus il n'avait eu aucun mal à s'intégrer à la société, il avait suffisamment traîné avec tout ce petit monde pour savoir les codes. Pour ma part ce fut une autre paire de manches, J'étais une nouvelle fois clouée au sol. Impossible pour moi de me lever ou de marcher, et pour tant il le fallait. Mais ma jambe bien que robuste refusait de me maintenir, c'était trop de douleurs, trop de souffrances. Je me retrouvais au même stade que mes enfants, à devoir tout réapprendre. Et encore la marche n'était que le sommet de l'iceberg. Il me fallut un mois pour marcher mais plus du triple pour parler. Et encore mon langage reste perfectible, et par moments mes enfants parlent mieux que moi. Le langage ce fut vraiment dur, oublier mes grognements pour apprendre des mots. Chaque mot sa définition. Un calvaire qui me parut sans fin et que je n'aurais jamais surmonté sans l'Âne. Je lui dois beaucoup dont de m'avoir épaulé et surtout subit durant cette période. Mais depuis le changement de pouvoir nous n'avons été malheureusement que véritablement soudé durant ces mois. Une fois parfaitement formée à découvrir le monde, j'ai pu échanger avec le peuple, constater les dégâts et me forger une opinion. Une opinion qui n'est malheureusement pas celle de l'Âne, peut être bien trop réaliste pour un homme aussi naïf. Et c'est, avec les enfants, le seul sujet de nos disputes. Notre désaccord total sur la situation. Il est pour le retour des ogres, et au fond moi aussi je le suis. Sauf que j'ai sans doute plus la tête sur les épaules que lui et je sais bien qu'ils ne risquent pas de repointer le bout de leurs nez d'aussi tôt. Puis s'il veut tant leur retour qu'il prenne ces bourses à deux mains et se bouge. Mais le plus gros de nos désaccords sur la politique c'est mon souhait de voir la fée revenir. Je la déteste pourtant, certainement plus que lui ne peut la haïr. Mais un royaume sans souverain c'est voué à sombrer, et c'est le début de ce spectacle auquel nous assistons depuis les bombes. Alors ce n'était peut-être pas rose avec la grosse ailée mais au moins mes enfants étaient en sécurités. Ma famille était en sécurité. Et pour moi c'est l'essentiel.