tell me would you kill to save a life
tell me would you kill to prove you're right
crash, crash, burn, let it all burn
this hurricane's chasing us all underground.
~ hurricane, @thirty seconds to mars.
✰ ✰ ✰Elle a le sourire aux lèvres, la gamine, lorsqu'elle quitte la demeure familiale – une vieille baraque aux poutres apparentent qui leur suffit amplement pour trois personnes.
Sourire de brigand scotché sur le visage de la petite canaille.
C'est comme ça qu'elle l'appelle Sobralia, profitant sûrement avec amusement de l'ignorance de la signification de ce mot que possède sa petite sœur pour la qualifier ainsi. Sobralia, elle l'a même pas remarquée lorsqu'elle s'est discrètement éclipsée.
Quant à Maman, ça fait déjà longtemps qu'elle est partie faire ses affaires. Elle ne reviendra pas avant le début de soirée. Elle part souvent d'ailleurs, Maman.
Tous les jours, en fait.
Au même endroit, mêmes heures. Elia pense que ça lui fait du bien – en fait c'est l'aînée qui lui a soufflé à l'oreille ces paroles que la petite tête brune boit comme de l'eau de source. Maman a des problèmes qu'elle peut oublier quelques heures quand elle est à cet endroit.
Elia, ça fait longtemps qu'elle ne lui en veut plus d'être méchante à la maison. Plus depuis que la plus grande lui a expliquée tout ça en lui faisant promettre de garder cela pour elle. Elle se sent grande la petite depuis qu'elle dissimule ce secret.
Également à cet instant même où elle s'en va comme une voleuse de chez elle.
Elle n'a pas peur cette tête brûlée, encore moins lorsqu'il s'agit de rejoindre son amie – une blondinette rencontrée au hasard. La seule personne qui ne soit pas partie en courant en la voyant.
Ça lui a fait bizarre la première fois. Elle est habituée à voir les gens s'écarter lorsqu'ils la voient. Elia pense que c'est Mr. Brutus qui leur fait peur. Il est très intimidant. Beaucoup moins lorsqu'elle vient passer une main sur son ventre et qu'il se met à ronronner.
Cette fois pourtant, l'inquiétude peut se lire dans le regard de la brune lorsqu'elle se trouve désormais non loin du point de rendez-vous habituel.
Elle n'est pas venue la dernière fois.
Elia l'avait attendue pourtant, songeant un instant à un léger retard, avant d'être contrainte de rentrer chez elle avant que Maman ne rentre.
Elle n'est pas rancunière Elia, ne lui en veut aucunement. Elle ne se pose pas de question, songe seulement qu'il s'agissait d'un simple empêchement. Ça arrive souvent ce genre de chose.
Alors, Mr. Brutus au creux de ses bras – malgré les miaulements répétitifs et les vaines tentatives de ce dernier à s'échapper, elle vient s'asseoir et observe les lieux autour d'elle.
Il fait beau aujourd'hui, peut-être pourront-elles se rendre dans la forêt pour s'y amuser si elle n'arrive pas trop tard, Elia ne voulant pas risquer de se perdre à la tombée de la nuit. Elle a peur du noir, un peu, comme toutes les gamines de son âge.
Le temps semble s'écouler lentement, surtout à cet instant où l'ennuie de l'enfant est à son paroxysme.
Peut-être qu'elle ne viendra pas aujourd'hui non plus, la petite blonde.
Sa gorge se serre à cette pensée. Il faut dire qu'elle l'aime bien sa copine.
Un soupire s'échappe de ses lèvres alors qu'elle pense qu'il faudrait peut-être rentrer avant que Maman ne remarque son absence. C'est qu'elle n'a pas envie de se faire disputer. Alors elle se lève à contre cœur, observant le félin toujours installé contre sa poitrine. «
Il est l'heure de rentrer Mr. Brutus, dépêchons-nous ! » Ses lèvres se pincent face à la déception qui l'envahit et au manque de cette présence qui lui avait fait le plus grand bien. Cependant, elle ne désespère pas, se dit même qu'elle reviendra demain. Même heure, même endroit. Encore et encore.
Après tout, c'est juste un simple empêchement.
Ça arrive souvent ce genre de chose.
∴«
Je refuse. »
Une brève phrase. Deux mots. Trois syllabes. Assez pour provoquer la colère. Celle qu'elle peut lire dans le regard de sa mère qui se trouve non loin d'elle.
Elle a pas peur, Elia. Aucunement. Même lorsqu'elle peut sentir le regard meurtrier que sa génitrice lui lance et qui la traverse de toute part. Non. Elle reste ferme, campée sur ses décisions.
Elle n'a plus dix ans, Elia. L'âge de la soumission aveugle à l'égard de l'autorité parentale n'est plus. Et le regret de cette belle époque, elle peut le lire sans mal dans les prunelles de la plus âgée.
«
Comment peux-tu - » que sa mère commence. Vaine tentative d'intimidation, cette même qui aurait pu marcher il y a quelques années encore.
Plus maintenant.
Plus jamais.
«
Comment ? » Elle ne la laisse pas finir, la coupe dans sa tirade de remontrances qui ne servira à rien si ce n'est leur faire perdre du temps à toutes les deux. «
En me cassant de cette baraque, c'est aussi simple que ça. » Elle ne mâche pas ses mots – les mots beaux, elle les réserve pour les belles personnes.
Elle craint plus personne, Elia. Elle se sent pousser des ailes, l'adrénaline de la désobéissance coule dans ses veines. Ça lui fait du bien, la ferait presque sourire si elle n'était pas aussi respectueuse à l'égard de ses aînées.
La magie noire. Un sujet qui avait toujours su créer des tensions au sein de sa famille. Tous ses membres, de près ou de loin touchant à cette sorcellerie qui leur valait cette réputation qui leur collait à la peau.
Cette réputation qu'elle avait voulu laver.
Une étiquette qu'on ne lui retirerait jamais.
«
Toute sorcière noire de ce nom se doit de savoir maîtriser cet art, tu ne peux pas rejeter éternellement cette magie. » L'intonation est douce, trop pour être naturelle. Les mots semblent avoir été stratégiquement choisis. Comme un texte apprit et répété de nombreuses fois avant la confrontation.
«
Je ne rejette rien, je refuse d'utiliser cette magie dans n'importe quelle circonstance. Une nuance que tu ne sembles toujours pas avoir comprise. »
Les esprits s'échauffent, lentement.
Bientôt, il ne restera plus rien.
«
Mais quel genre de sorcière es-tu ? Tu n'es pas ma fille, pas celle que j'ai élevée et - » «
Celle que tu as quoi ? » le ton est monté d'un cran, brusquement. Un, deux, trois pas. Elle s'avance vers elle avec assurance.
C'est l'heure de vérité.
«
Celle que tu as élevée ? » Elle tousse, fait mine de s'étouffer. «
Excuses-moi, je crois que j'ai mal entendu. » Le rire qu'elle laisse échapper transpire l'ironie, le même sentiment que laisse transparaître le sourire qui s'affiche sur ses lèvres. «
Je pense qu'on n'a pas la même notion de l'éducation. Passer sa journée à aller picoler comme un trou dans l'auberge du village, j'appelle pas ça éduquer ses filles ! » Son visage est déformé par la rancune, ses prunelles lancent des éclairs.
Elle aimerait bien qu'ils la réduisent en poussière.
La mère semble en avoir le souffle coupé, les yeux écarquillés par l'étonnement de ces vérités crachés sans la moindre douceur à son visage.
«
Tu vas finir seule, toute seule ! » Elle n'a pas pu s'empêcher de hurler cette fois. Hurler pour évacuer. Évacuer tout ce qu'il lui pèse sur le cœur depuis longtemps.
Évacuer pour oublier. Tourner la page.
Tout recommencer.
«
Je comprends pourquoi papa t'a quitté. T'es qu'une pauvre... » Son visage se décompose en une grimace. Malgré toute la haine qu'elle peut ressentir à son égard le mot ne sort pas.
Elle a toujours été trop respectueuse, Elia.
Respectueuse même après s'être fait traîner dans la boue.
Le lien du sang, sûrement. Il n'y a jamais eu que ça entre elles. Un lien aucunement choisis, désiré.
Aussi, lorsque la claque part, elle ne cherche pas à l'éviter. Elle l'attendait presque celle-là.
Elle est allée trop loin, sans aucun doute. Aucune culpabilité ne vient l'envahir pourtant.
Il n'y a aucun mal à dire la vérité.
Le silence règne alors quelques secondes entre elles, seuls les regards s'affrontent. Mais elle n'a plus envie de se battre, Elia.
Pas lorsque ça n'en vaut pas la peine.
«
Eh bien je crois qu'on s'est tout dit. » Une dernière phrase prononcée à l'égard de sa mère avant de quitter les lieux. Comme un adieu silencieux. Partir comme elle aurait déjà dû le faire il y a longtemps déjà.
Les excuses, jamais elles ne viendront. Les retrouvailles non plus, sans doute. Se quitter pour respirer, enfin.
Respirer.
Vivre, aussi.∴Ça aurait pu être une belle journée.
Pas ce genre de jour inoubliable, non. Une journée ordinaire, presque banale. Mais une journée agréable. Elia aurait bien aimé qu'il s'agisse d'un de ces jours-là. Non forcément ancrée dans les mémoires, seulement dans le cœur.
Ça avait bien commencé.
Un seul regard, une légère grimace apparaissant durant quelques instants sur le visage de son aînée avait suffi à la brune pour comprendre que quelque chose n'allait pas. Elle savait Sobralia de nature calme et confiante, une belle qualité dont elle semblait dénuée désormais.
«
Qui y a-t-il ? C'est mon gâteau qui te fait cet effet là ? » Elle sourit, l'innocente. Elle fait de l'humour pour détendre l'atmosphère qui se fait très vide lourde. Ses sourcils se froncent finalement, alertée par ce comportement inhabituel avant que l'inquiétude ne vienne la submergée. Mécanisme pervers qui ressert lentement son étreinte sur sa proie. «
Sobralia ? Tu es sûre que ça - » coupée par un vif geste de main de son aînée, elle ne peut que la questionner silencieusement du regard. «
Elia, promets-moi de bien m'écouter s'il te plaît. » Qu'elle prononce en faisant preuve d'un calme olympiens, son ton se faisant d'une douceur sans égale. Une douceur à l'allure douteuse. Tout autant que le masque à la mine rassurante que la plus âgée tâche encore de porter alors dont la peur submergeant son regard à peu de mal à décrédibiliser.
La plus jeune est bien ignorante de la situation qui menace à chaque seconde d'exploser contre son visage de porcelaine, aveuglée par une naïveté presque attendrissante. Elle n'est juste pas prête. Pas prête pour concevoir ça.
Pour vivre ça. Personne ne devrait l'être.
Encore bien loin de la réalité, elle lève sa main à son tour pour la faire taire à son tour. «
Je t'arrête tout de suite. Si c'est encore mère qui désire me voir, tu connais déjà ma réponse. » Son ton à elle est plus dur, emplit d’amertume à l'égard de cette figure maternelle qui n'avait pas eu le moindre remords à l'abandonner.
Une douleur encore bien encrée dans sa chaire, marquée au fer rouge. Elle n'était pas prête pour ça non plus, à pardonner.
Plus jamais elle ne pourrait pardonner.
«
Écoute-moi ! » Agressive cette fois-ci, elle observe sa sœur se lever lentement. Prête elle, à se donner, si cela peut aider sa sœur à s'en sortir. «
Tu vas calmement te lever et te cacher dans ma chambre. Personne n'est au courant que tu es ici, tu auras peut-être une chance de... » Elle se coupe d'elle-même cette fois-ci, la voix tremblante.
Personne n'est prêt pour mourir.
«
Une chance de quoi ? Il se passe quoi à la fin ? » L'incompréhension se mêle à la colère, la peur aussi y met son grain de sel. Sobralia reste silencieuse quelques secondes avant de sursauter suite à plusieurs coups contre la porte. «
Il y a quelqu'un ? Ouvrez ! » Elia fronce les sourcils, intrigué. De qui pouvait-il bien s'agir pour mettre son aîné dans un tel état. «
Attends, je vais m'en occuper moi... » Qu'elle commence en s'avançant vers la porte, déterminer à régler ses comptes avec cet inconnu qui semble effrayer sa sœur. Sans aucun doute la seule membre de sa famille à laquelle elle tient. Celle-ci l'en empêche cependant, la faisant taire en plaquant brusquement sa main sur ses lèvres. «
Tais-toi et va dans ma chambre ! Tu as compris ? Je t'interdis d'en sortir ! » Le ton est dur dans ce murmure qui lui semble presque inaudible. Elle se veut autoritaire dans ces derniers instants.
C'est réussi.
Bien vite, Elia se résigne à s’éclipser dans la pièce voisine alors qu'elle aperçoit une dernière fois sa sœur lui sourire tendrement, se voulant rassurante. La peur au ventre, comme si doucement elle commençait à comprendre ce qui se déroulait face à elle. Juste derrière cette porte. Son seul rempart. Contre quoi ? L'affreuse réalité ? La mort ?
Silencieuse, elle ne discerne que très peu les propos que sa sœur et l'inconnu tiennent. Une discussion bien courte qu'un cri vient briser. Strident. Douloureux. Celui de sa sœur. Les yeux d'Elia s'écarquillent lorsqu'elle le reconnaît, ce tintement de voix. Un cri, un seul, recouvert bien vite dans silence funeste. Elle n'a plus peur Elia.
Ce n'est plus une enfant. Depuis longtemps.
L'innocence n'a plus sa place dans son être. Elle lui est arrachée, piétinée. Davantage lorsqu'une odeur nauséabonde lui arrive avant qu'elle ne puisse observer un tas de poussière. Sa sœur. Morte. Réduit en cendres. Quelques secondes lui suffisent pour réagir alors que l'étonnement du tueur de sorcière semble faire place à la crainte. Une seconde sorcière n'était sûrement pas dans le plan. Un hurlement tout d'abord, non de peur mais de rage cette fois-ci.
Il n'avait pas le droit.
Ils n'avaient pas le droit. Pas le droit de lui arracher sa sœur.
Les insultes fusent avant que les coups ne partent. Jamais on n'avait pu la voir ainsi. Aussi hideuse et violente, déterminée à tuer à son tour. Il n'aurait pas qu'une seule victime aujourd'hui, elle se l'était promis.
«
Je vais te tuer sale vermine ! TE TUER ! » Elle hurle à en faire saigner les tympans tandis que son sang lui tape violemment dans ces derniers. Faisant preuve d'une incroyable force face à la rage qui la submerge, elle repousse brusquement le meurtrier contre un mur. Sa main se lève vers lui alors que des murmures lui viennent, naturellement presque.
Presque. La magie noire. Celle qu'elle avait juré de jamais utiliser.
Il ne lui avait pas laissé le choix.
«
Attendez ! On... On me l'a ordonné ! » L'homme, espèce lâche lorsqu'il s'agit de sauver sa peau. «
Je vous en prie j'ai des enfants... Je - » «
Et moi j'avais une sœur ! Tu sais, celle que tu viens de tuer devant mes yeux espèce d'ordure ! » son ton ne faiblit pas, au contraire, il semble s'amplifier.
Il n'en ressortira pas de cette mission.
Elle est encore la seule en avoir conscience. Lui au contraire semble toujours espérer.
«
Son nom. Je veux son nom. » Faisant preuve de fermeté, elle s'approche de quelques pas vers lui. «
Seulement si vous me promettez de - » «
SON NOM ! » la terre semble trembler sous leur pied alors que la brune bouillonne de l'intérieur.
Bientôt, elle ne tardera pas à exploser, elle le sait.
Ça va exploser en elle. Comme un événement inévitable. Celui qu'elle avait toujours tant redouté.
«
Denougatine... Hansel Denougatine ! » L'entente de ce nom est à la fois apaisant et insupportable. Elle est rassurée d'avoir un nom, enragée à l'encontre de la personne le portant.
Cette fois, elle ne peut plus attendre. Elle laisse sa rage foudroyante s'exprimer alors que l'homme face à elle est réduit à néant, lui. Pas le moindre corps pour pleurer sur sa perte. Pleurer quoi, d'ailleurs ? Un père ? Un frère ? Un mari ? Un tueur pour elle.
Ce qu'elle était désormais, les mains souillées par la mort.
Celle qu'elle n'avait plus peur de reproduire maintenant. Celle qu'elle avait hâte de nourrir. Un seul but. Un seul objectif qu'elle ne perdrait pas d'horizon. Un nom.
Denougatine.
Ça aurait pu être une belle journée, oui.