Dans une seigneurie dans le nord de Fort Fort Lointain, vivait un heureux seigneur, sage et aimable, marié à une magnifique femme dont il avait une fille. Mieux encore, les impôts n'existaient pas, puisque la richesse se basait sur un âne, oui un âne, mais magique, dont le crottin n'était que pierreries et pièces d'or à foison. En somme tout était parfait, un vrai conte de fées. Cela aurait pu continuer ainsi, mais comme tout conte, il y a toujours malheur et les pauvres épouses sont souvent sacrifiées sur l'autel du rebondissement. La belle épouse tomba gravement malade, au point de ne plus se lever de son grand lit, d'être pâle comme la mort, et de ne plus avoir assez de force pour parler longtemps. Tout le monde pleurait déjà cette magnifique femme, si douce, si agréable et charitable, son mari en premier lieu, fou d'elle depuis le première jour où il a posé son regard sur elle. Il la veillait jour et nuit, la main dans la sienne, à espérer une guérison miraculeuse. Mais que pouvait-on contre la mort ? Mais ni la faculté, ni les charlatans à la mode n'y parvinrent. Les fées, les magiciennes et les sorcières furent invitées à la sauver, mais personne ne peut tromper la faucheuse … Faute de guérison, les adieux furent de bon ton. Ce fut là que la belle dame eut une dernière requête envers son époux : « Mon cher et tendre, ne me pleurez pas, notre vie fut si belle ensemble. Quand vous vous remarierez ... » « Non, madame, jamais je n'y songerais. » « Je le sais, mais l’État exige un successeur, et je ne vous ai donné qu'une fille. Jurez sur tout l'amour que vous avez pour moi, que vous vous marierez lorsque vous aurez trouvé une femme … plus belle et mieux faite que moi. » Le seigneur refusa tout d'abord, mais finit par céder, le cœur remplit de tristesse et les larmes roulant sur ses joues. Là seulement, les yeux de l'épouse tant chérie se fermèrent et elle quitta ce monde sereine. C'est ainsi qu'une longue période de deuil commença pour l'homme et ses sujets.

Seulement voilà, l’État en effet réclamait un héritier, et cela n'arrive pas seul. Après de nombreuses réticences, le seigneur consentit enfin à rechercher une femme digne de l'épouser. Devenir la femme d'un homme riche, encore bel homme, et vivre dans un beau château richement décoré ? C'était un parti recherché par qui voulait bien se marier ! Les conseillers partirent chercher la prochaine femme mais ni dans le royaume, en ville ou campagne, ni par-delà les frontières, on ne trouva grâce aux yeux du souverain. Les portraits s'enchaînèrent mais il y avait toujours un défaut : un nez trop long, un air idiot, une bouche trop étroite ou un énorme front. Elles représentait l'ennui, la laideur, l'hypocrisie, la froideur, rien de tout cela ne l'intéressait. Un conseiller hésita et tendit un dernier portrait où le visage de la jeune demoiselle inspira le veuf « Quelle beauté ! Quelle douceur et pureté et cette grâce ! Qui est ce ? » « Votre fille, monseigneur. »

L'homme fut étonné ! Il faut dire qu'un homme occupé comme lui dans son deuil n'avait pas vu sa fille grandir, lui l'imaginait encore petite fille. Pauline était une jeune femme grande, fine, élancée, avec de longs cheveux bruns et des yeux noisettes malicieux, sans oublier un sourire doux et communicatif. Il est vrai qu'elle ressemblait de par beaucoup à sa maman dans sa beauté, mais aussi dans ses qualités. Excellente musicienne et chanteuse, elle était la coqueluche du château, un vrai souffle frais. Mais se marier avec sa fille, était-ce sensé ? Non assurément pas, ce n'était peut être même pas légal, mais que valait la loi face à une promesse basé sur un amour ? Pourtant, sans réfléchir davantage, enhardi d'un amour certain et fier de tenir sa promesse, il s'en alla voir sa fille, toute occupée à jouer de la musique. « Père ! Qu'il me plaît à vous voir ! » s'exclama t'elle. « Vous ai-je manqué, ma chère Pauline ? Quelle beauté êtes vous devenue. » « Oui depuis la mort de ma mère, vous m'avez tenue éloignée … » « Alors nous allons changer cela. Je vous aime ma fille et je veux vous épouser. » Ce n'était pas vraiment ce qu'une fille attendait comme parole. Surprise, elle s'arrêta de jouer et ses grands yeux ronds ne réalisèrent pas ses paroles, mais quand il les réitéra, ce fut de trop, et la jeune femme courut s'enfermer dans sa chambre pour pleurer à ce sort qui ne lui convenait guère.

Le lendemain, Pauline courut voir sa marraine, une fée magnifique dont la cachette se trouvait être une grotte de nacre et de corail, richement décorée, où elle trônait avec sensualité, semblant attendre sa filleule dont les yeux pleins de larmes l'attendrirent. Cette dernière n'eut pas besoin de parler, elle ne le pouvait pas, sa gorge serrée par ses sanglots. « Je sais ce qui vous cause votre chagrin, et vous pèse, n'ayez crainte. » Elle prit dans les bras la jeune femme pour la réconforter, puis la fit asseoir à ses côtés, toussota et se mit à chanter « Mon enfant, on épouse jamais ses parents, vous aimez votre père, je comprends ... » « Ah non, pas de chanson ! Je ne suis pas une princesse stupide qui n'entend que par les rimes ! » Ah, le caractère tempétueux de Pauline refaisait surface. C'est vrai qu'on le mentionne peu car en général, la demoiselle essayait de garder son éducation intact, notamment au souvenir de sa maman, mais rester dans le château, et surtout de prendre bien soin de la garder à l'écart de son père lui avait forgé le caractère ! En privé, si l'envie de dire suce-cannelle lui prenait pour une raison ou une autre, elle le faisait de bon cœur ! Et comme elle n'avait aucune envie d'entendre chanter sa marraine … Bref, la fée se leva, à la recherche d'un plan. « Il faut que l'impossible entre en jeu, qu'il n'arrive pas à vous donner quelque chose que vous désirez par dessus tout, tel un cadeau de mariage miraculeux ! Vous auriez bien besoin de vêtement … oh je sais, une robe couleur du Temps ! »

« Une robe couleur du Temps ? C'est une condition ? » demanda le père. « Un caprice plutôt. » Aussitôt demandée, aussitôt commandée, le seigneur courut voir les meilleurs tailleurs pour lui confectionner une robe couleur du Temps, chose compliquée et terriblement coûteuse ! Mais l'amour, du moins ce qu'on pense en être, favorise les miracles et au matin du deuxième jour, Pauline vit arriver les serviteurs portant une magnifique robe, du plus beau des azurs et aux nuages cendrés. Un exploit, mais aussi une monstruosité pour celle qui ne voulait point se marier. La fée, présente dans sa petite taille, eut une autre idée « Demandez lui une autre, plus brillante, moins commune ... ».

« Une robe couleur de Lune ? » « Oui mon père, celle ci est bien ordinaire. » Qu'il en soit ainsi ! Les tailleurs n'ont pas eu le temps de se reposer qu'ils durent déjà reprendre le travail ! Et voici qu'en quatre jours une robe argent, somptueuse à en faire pâlir l'astre lui-même fut fini ! Étincelante et somptueuse, on ne pouvait trouver mieux ! Lasse de ne pouvoir résister, Pauline faillit consentir à se laisser épouser, mais c'était sans compter sur sa marraine qui la fit parler à sa place « Je ne me contenterais d'une robe encore plus brillante, et de la couleur du soleil. » Encore une fois, la demande fut exécutée à force de fils d'or et de diamants qu'à n'en pas douter, cela éblouissait une pièce entière, comme si le soleil lui-même pénétrait dans la pièce ! En dernier recours, et toujours sur les conseils de la marraine, Pauline alla demander la peau de l'âne, celui là même qui faisait la fortune de la région, toutes deux persuadées que le futur époux n'irait pas sacrifier sa fortune par amour. C'était bien mal le connaître, et sans aucune hésitation, fit tuer la bête et amena la peau dans la chambre de la belle … Que faire ? Pour la marraine, pas question d'abandonner – ni de se marier avec un type sans fortune – et il fallait à présent fuir. Pauline revêtit la peau d'âne et sa bienfaitrice, d'un coup de baguette magique, fit apparaître un coffre « Ceci est une cassette où vous mettrez tous vos habits, votre miroir, votre toilette, vos diamants et vos rubis. Je vous donne aussi, ma baguette. En frappant la terre avec cette baguette, votre cassette apparaîtra en tout lieu, quand vous en aurez besoin. »

Et c'est ainsi que fille de seigneur, déguisée en souillon, quitta le château du côté des domestiques à la nuit tombée, méconnaissable avec sa peau sur le dos. Elle parcourut de longs kilomètres, apprenant ici et là le désarroi de son père et qu'on la recherchait ! Mais méconnaissable, la demoiselle partit à l'aventure, ou du moins à la mésaventure, à la recherche d'un abri et d'un travail. Mais avec cette peau repoussante, personne n'en voulait ! Jusqu'à présent n'en voulait, jusqu'à ce village où la Vielle, comme elle se faisait gentiment appelée, cherchait une souillon pour nettoyer ses torchons et l'auge à cochons. Seulement, être une souillon crasseuse faisait d'elle la moquerie des autres employés, qui ne se privaient pas de la railler. Mais un soir où l'un d'eux voulut lui tirer sa peau alors qu'elle rentrait dans sa maison, Pauline n'en put plus et lui balança un bon marron en plein sur le nez. Hé oui, on pouvait être une souillon et savoir se battre ! Heureusement qu'il y avait le dimanche pour se reposer, et c'était là où la jeune femme enlevait cette peau, et s'amusait à porter ses belles robes et se motiver pour la semaine à venir. La vie continua son cours jusqu'au jour où un serviteur tout de rouge vêtu vint cogner à sa porte : le prince voulait un gâteau d'elle. Un prince ? Celui qui était passé il y a quelques jours au village ? Il ne l'avait même pas regardée ! Enfin, on ne disait pas non à un homme de sa lignée. En effet, ce prince un peu trop curieux avait regardé, par hasard d'après lui, au travers du trou de la serrure et avait vu une magnifique demoiselle aux habits d'or et de diamants, il en était tombé sous le charme ! Et depuis, mourrait d'amour pour elle et son seul caprice fut d'avoir un gâteau de celle qu'on appelait Po Dâne, cette souillon du village voisin.


Alors que le serviteur attendit dans le carrosse le temps de cuisiner, Pauline décida qu'il serait plus confortable de confectionner son gâteau avec sa robe couleur de Lune. Maintenant que cuisiner ? Elle ouvrit un livre de recettes pour savoir ce qu'un prince pourrait aimer « Le savarin aux pommes … le chenonceau au rhum … le délice à la noix, la galette des rois … Ah, le cake d'amour. » Satisfaite de son choix, elle se mit à la préparation de ce gâteau simple et délicieux, peu sucré mais avec un arrière goût de miel. Et en guise de surprise, elle déposa une bague au milieu de la pâte, comme un signe de promesse. Oui, c'est assez idiot de ne se baser que sur le physique pour une relation, mais si un beau garçon bien né voulait d'elle, on ne pouvait pas dire non ! Ce serait bien mieux que de rester à nettoyer l'auge aux cochons toute sa vie. Remettant sa peau pour sortir, Pauline tendit le présent au serviteur tout juste réveillé de sa sieste et les regarda partir.

L'histoire aurait pu bien se terminer, la bague en signe d'amour, le prince à la recherche de sa belle et un beau mariage dans sa robe couleur de Soleil … Mais non, faut pas déconner. Le prince apprécia le bon gâteau mais ne s'attendit pas à la surprise et manqua de s'étouffer avec ! Il en échappa de peu, merci au serviteur à la bonne technique pour le faire recracher … Et voici qu'un mandat d'arrêt sévit contre Po Dâne, la souillon de la vieille. Sans plus tarder, la demoiselle prit ses jambes à son cou pour fuir loin d'ici ! Elle alla de village en village, cherchant une place de souillon ou de pâtissière, puisqu'elle s'était prise de passion pour la cuisine, bien sûr, elle ne glisse plus rien dans les gâteaux, sauf les galettes des rois mais les gens s'y attendent, peu de risques d'étouffements !

Au gré de ses péripéties, voici que Pauline arrive à Fort Fort Lointain ! Loin de tout, il est peut être temps de se construire une nouvelle vie, et peut être d'ailleurs d'arrêter de porter cette vilaine peau, il était temps. La voici donc dans son nouveau job, pâtissière à Muffin Man où on l'entend parfois chanter dans son coin. Elle pousse l'excentricité à travailler en grande robe, c'est tout de suite plus propre et sympathique d'amalgamer en paillettes. Pauline redevient enfin propre et jolie, la peau n'est plus qu'une décoration, et autant dire que ça fait du bien ! Merci sa gentille marraine de lui avoir passé sa baguette et que la jeune femme puisse avoir ses tenues en toute circonstance. Bon, il faut quand même continuer à rester discrète, on ne sait jamais, son père et le prince la recherchent toujours, le premier veut toujours du mariage incestueux, le second a la paranoïa exacerbée, persuadé d'avoir échappé à un assassinat !

Cela ne l'empêche pas d'enfin vivre comme il se doit, d'être plus libre de ses mouvements, au point qu'il y a parfois du relâchement dans son langage. Que ça fait du bien d'être libre, ni traitée de souillon, pouvoir sortir, avoir une vie sociale décente et de s'amuser un peu !  Dernièrement, elle a reçu un pli de sa chère marraine qui lui demande de s'excuser de son absence, et lui donne l'adresse « de quelqu'un qui te voudra du bien, ma chérie. » Sans doute une autre fée qui servira de suppléante, en espérant que celle-ci ne chante pas …