Tout commence toujours de la même manière.
Le bonheur. La joie. Le sentiment que quelqu'un vous aime et vous protège. Ce sentiment si merveilleux qui fait du mot « doute » quelque chose qui s'évapore, qui perd son essence et qui n'a jamais existé. Les yeux d'une personne que vous aimez, qui est là pour vous, et qui ne cesse de vous répéter que vous êtes tout pour lui. C'est ainsi que tout commence. Dans les bras de mon père.
Ses yeux d'un bleu azur bien ancrés dans les miens. Les rides sur les contours de ses yeux qui se plissent, n'indiquant rien d'autre que le grand sourire qui se dessine plus bas dans son visage et qui prend la moitié de sa face, faisant quasiment disparaître son visage aquilin.
Je sentais la puissance de ses bras immenses m'envelopper contre son torse musclé. La chaleur de son corps plein de vie m'entoure comme un cocon, un nid douillet et rassurant.
Rassurant. C'est un mot que je ne connais plus.


Cette histoire, c'est l'histoire d'une souffrance.
Non pas le genre d'histoire qui, une fois racontée, vous laisse un court souvenir désagréable rapidement chassé par la chaleureuse pensée que « Tout est fini maintenant. ». Cette histoire est de celle qui laisse un trou brûlant dans la poitrine. Pas une cicatrice, non. Un trou. Une cavité profonde qui se rappelle à vous chaque fois que votre pensée décide de devenir un peu plus noire, sans néanmoins savoir que ce qu'elle risque de réveiller est pire que tout.

Ce qui pourrait s'apparenter à un conte pour enfants, moralisateur, qui fait peur, et tout ce que vous voulez, est en réalité l'histoire de ma vie. Lorsqu'on entend un conte, on n'en retient que ce qui pourrait nous arriver. Personne ne se met jamais à la place des victimes, quand bien même elles sont portées aux nues et qualifiées de héros.
J'échangerais volontiers tous les lauriers que cette histoire m'a apporté contre un retour en arrière.

Tout le monde connaît la trahison. En général, cela arrive quand on accorde notre confiance à quelqu'un en manquant de discernement, et que cette personne ne cherche qu'à se servir de vous pour arriver à ses fins, piétinant ouvertement cette stupide confiance que vous lui aviez donnée, bien emballée dans un écrin en lui demandant d'en prendre le plus grand soin. C'est douloureux, je sais.
Mais lorsque cette trahison vient de l'intérieur, de ce que vous avez de plus cher au monde, alors ce n'est pas seulement une trahison, ou une souffrance. Cela s'apparente à une petite mort.

Mon père et ma mère étaient les deux personnes les plus aimantes et bonnes que je connaissais. Ils sont également ceux qui m'ont fait perdre foi en le genre humain.
Au commencement, ils étaient prospères, et nous ne manquions de rien. Ils clamaient à qui voulait l'entendre que nous étions les plus beaux, les plus gentils, et les plus loquaces, que Dieu leur avait accordé le paradis en leur accordant leurs enfants : moi et Hansel, mon petit frère. Nous étions la prunelle de leurs yeux, leurs trésors les plus précieux. Nous y croyions.
Lorsque les temps devinrent durs, Hansel me rassurait en me disant que nos parents trouveraient une solution, qu'ils se serreraient la ceinture et privilégieront nos repas plutôt que les leurs.
Quand deux parents aimants agissent comme ça depuis le premier jour de votre vie, le jour où ils vous abandonnent dans une forêt pour faute de vivre est le pire de votre vie. Vous mourez. Intérieurement, certes, mais vous mourez.

L'amour que vous leur portiez se transforme en colère. La colère se transforme en haine. La haine se transforme en dégoût. Et lorsqu’arrive le désir de vengeance, vous avez atteint le point de non retour. Votre abjection pour ces êtres devient telle qu'elle remplace votre volonté. Elle contrôle vos membres.
Je ne me souviens plus de ce qui est arrivé lorsque nous sommes sortis de la forêt. Je me souviens avoir eu peur. Je me souviens surtout m'avoir vu avancer jusqu'à mon ancienne chaumière, Aerien à la main. Je me souviens avoir entendu des cris, puis des sifflements très courts et rapides. Je me souviens ne pas avoir raté ma cible.

Je n'ai pas tué mes parents. Je ne l'aurais pas pu. Mes flèches se sont enfoncées dans les sacs de grains. Au vu de la quantité, nous aurions pu tenir deux hivers. Tous les quatre. Le soulèvement de mon cœur, les nausées que cette vue me donna me fit faire demi tour avant d'avoir pu parler. Mais ils étaient prévenus.


Après la souffrance, la peur est le sentiment le plus insupportable que j'ai ressenti.
La peur de perdre Hansel grandissait de jour en jour. La peur de tenter quelque chose contre cette sorcière de mon propre chef, puis d'échouer, et d'aggraver la situation pour mon frère était celle qui me dominait le plus. La tête, c'était lui, pas moi. Je ne savais pas quoi faire. Je brûlais de demander conseil à Hansel. Mais malheureusement – ou heureusement pour nous – la sorcière était aveugle, pas sourde.

Les années passent.
La haine reste. Comme un mauvais goût dans la bouche qui refuse de partir, peu importe le nombre de pastilles à la menthe que vous prendrez.
Je ne suis qu'amertume et dégoût. Une peur s'efface pour laisser place à une autre. En poussant cette sorcière dans le four, sa bouche des enfers à elle, j'avais cru sauver Hansel pour de bon, que toute cette histoire était terminée et que nous connaîtrions notre « Heureux pour Toujours », ici, à Fort Fort Lointain, dans la boutique.
Mais cette tête de mule s'est mis dans la caboche de retrouver les « vrais » roi et reine de la contrée.
Si rien de tout cela n'était arrivé, si je n'avais pas faillit perdre mon frère une fois déjà, j'en aurai été. Vraiment. Mais je considère qu'il est normal de ne pas tenter sa vie à nouveau.
Il est les neurones, je suis l'arc et la flèche. Il sait où viser, je tire. Il espère la mort, je la lui livre sur un plateau d'argent. Mais par la barbe de Merlin, s'il est aussi intelligent, pourquoi encore une fois risquer sa vie ?

Est-il inconscient ou suis-je... trop peureuse ?