⊱ семейная тайна ⊰
Ce fut l’hiver le plus rude du monde. Aucune fleur ne poussait plus à Yasen, pas même les racines des arbres, endormies, recouvertes d’un épais manteau de neige. L’eau des lacs s’était figée dans le temps, assoupie dans une éternelle pureté. La cité de St Pet-du-Bourg était ensevelie d’un voile gelé et les maisons, seulement aussi blanches que les nuages qui tapissaient le ciel. Une enfant était endormie dans son lit, et par delà la fenêtre, les flocons dégringolant se reflétaient sur la peau opaline de Dragée. Ses lèvres roses de poupée se mouvaient à leur gré, sûrement spectatrices de doux rêves sucrés qu’imaginait la nouvelle-née, derrière ses paupières éteintes. Cette nuit-là, rien ne laissait présager qu’un traité de paix allait être brisé. Pourtant, dans les méandres les plus profonds, les plus sombres d’une trahison accomplie, la vengeance allait tomber, saignant sur son passage plusieurs vies. Des bottes longues, noires, trottinaient sur les tapis, évitant le parquet qui les dévoileraient. Des armes, petites et fines s’immiscèrent dans la chambre du Duc Plumosucre, pour lui trancher la gorge, vivement, silencieusement, le plongeant dans un sommeil éternel après qu’il ait poussé quelques râles cauchemardesques. Puis, ils partirent comme ils étaient venus, leur tâche aboutie. Ces mercenaires n’avaient jadis jamais pénétré le palais de gourmandises, mais leurs ombres demeureraient à jamais ancrées en ses murs, comme des échos, murmures de douleur blasphèmes. L’enfant, endormie dans son lit, ne connaitrait jamais son père. Quant à sa femme, la Duchesse, son cri à son réveil devant la macabre découverte résonnerait sans fin jusque dans le monastère, où elle irait prier et pleurer, jusqu’au terme de sa vie. Nul personne du peuple n’apprendra jamais la vérité, le secret régnant sur cette contrée. Seulement quelques conseillés. Car le Roi de Yasen ne dévoilerait pas l’adultère de sa femme avec le Duc, qui était une ignominie pour le royaume. La Reine connaîtra une sentence pire que toute autre, puisque l’enfant à naître, le bâtard, sera écarté du trône lorsque le Roi trépassera. Dragée, intimement liée au scandale et purgée de toute faute, grandit dans le palais aux côtés de sa mère la Duchesse et leurs domestiques. On lui apprit les rudiments de la musique, des arts et des lettres. Elle dansait le ballet, telle une étoile, poussée par ses jeunes ailes de fée. « Tu seras demoiselle à la cour mon trésor, aux côtés du Roi légitime, Alexandr. » La Duchesse considérait que le frère du Roi mort, le régent actuel, devrait prendre la relève, et non le fils bâtard de la Reine. Avide de vengeance, elle n’avait pas manqué de conter la vraie histoire à sa fille, autour du meurtre de son père. « Et un jour, tu seras reine. » Mais l’horrible chagrin qui habitait la Duchesse l’emporta dans la maladie, et Dragée devint la Duchesse du palais de gourmandises à son tour, à seulement onze ans, un titre qu’elle aurait décemment attendu plus longtemps si on ne lui avait pas enlevé ses parents. Son éducation continua dans les bonnes grâces, on disait d’elle qu’elle était une noble lady, qui plus est, une fée. Une enfant raffinée, talentueuse qui serait forcément très courtisée. Mais la façade qu’elle affichait cachait plus profondément sa cruauté, nourrie par le malheur et le désespoir de son passé. Cupide, avide de revanche, Dragée souriait pour mieux frapper. Quelqu’un le fit avant elle. Un complot, imaginé par le frère arriviste du Roi, mené à bien dans le secret. Le prince disparut lorsqu’il avait dix ans. Et bien qu’elle aurait aimé être à l’origine de sa disgrâce, la conscience de la Duchesse fut tout de même soulagée. L’enfant avait reçu la punition qu’il méritait, et la Reine devait en être affligée. Dragée allait désormais vivre en paix, car sa famille et leur honneur, étaient vengés.  

⊱ Принц куклы ⊰
La Duchesse était très appréciée à Yasen, adulée, respectée. Quiconque se voyait attribuer ses faveurs se pensait immédiatement béni par le ciel, car outre ses talents en arts, elle avait de la magie en elle. De la bonne magie, de celle qui vous soignait les plaies les plus profondes, qui décuplait vos sens et vous permettait de flotter dans les airs. Il y avait tant de bonnes gens qui espéraient, qui demandaient à ce qu’elle devienne la marraine de leur nouveau-né. Mais Dragée refusait  chaque fois poliment, s’accordant le soin de choisir elle-même l’enfant qu’elle protégerait à jamais. La Duchesse était demoiselle à la cour, elle et ses comparses divertissaient la Reine du mieux qu’elle le pouvait, mais celle-ci demeurait dans sa dépression, ce qui avait le don de ravir Dragée intérieurement. Être aussi près de celle qui avait causé malheur et déshonneur sur sa famille, pour ainsi la contempler souffrir et se morfondre, était le plus beau cadeau qu’on pouvait lui faire. Mais alors qu’elle était celle qui en jubilait le plus, elle jouait celle qui s’en inquiétait le plus. Ainsi, Dragée organisait des tas de pièces de théâtres et de bals pour divertir la Reine et le régent. Ce soir-là, dans la période de noël, elle avait orchestré un splendide bal costumé au palais royal, pour lequel elle avait invité tous les nobles de St Pet du Bourg. « C’est un délice ma chère. Pour peu, on croirait que je suis déjà le roi. » Alexandr, le régent, baisa délicatement la main de Dragée. Elle sourit avec fierté, droite et fière dans sa posture, l’oeil espiègle. « Mais vous l’êtes majesté. » Le régent répondit par un simple sourire qui parlait plus qu’il ne le fallait, avant de s’éloigner pour retrouver le trône, fatigué de danser. La Duchesse se vit invitée par un comte et accepta de valser, mais son intérêt était bien ailleurs. Du coin de l’oeil, elle scrutait ses invités. Ils dansaient, riaient, s’empiffraient. Ce bal était à l’évidence un nouveau succès et Dragée ne doutait pas que des alliances ou amourettes s’y formeraient. Elle ne manqua pas de regarder vers le trône, pour y découvrir une Reine tout autant déprimée qu’avant, refusant de danser et même de manger. Satisfaite, elle reporta enfin son attention sur son cavalier, béat d’admiration devant elle. Pauvre garçon, s’il savait ce qu’elle pensait derrière ses sourires, il s’en irait à toute hâte. Car en réalité, elle se fichait de ses prétendants et du reste du monde, elle les vomissaient. Son corps était là, étreint par celui de son partenaire, mais son esprit vagabondait entre les flocons de Yasen, leur danse folle dans le vent semblable à une mélodie de carillons. Alors son attention se porta sur un homme présent dans l’assemblée, accompagné d’une belle partenaire de danse. Ils ne portaient pas de masque, semblaient très complices, et Dragée ne pensait les avoir jamais vu. Pourtant, il lui rappelait quelqu’un, cet homme. Ses traits reflétaient un souvenir, elle n’était pas insensible à son apparence. C’est alors qu’elle comprit, quand son regard se porta sur Alexandr et son visage déformé par la peur, et la rage. Elle comprit que le bâtard était là, présent autour d’eux. Ce n’était pas son fantôme, c’était bien lui, fait de chair et d’os. Cassenoisette. Son coeur s’alourdit dans sa poitrine et quand elle vit le sorcier rat lever son sceptre, elle stoppa sa danse, sachant que quelque chose allait se passer, et que pour rien au monde elle ne devrait le manquer. Un léger éclair, un nuage de fumée verdâtre et la magie fit effet. Niki fut soulevé dans les airs et changé en marionnette de bois. Un cri fit écho dans la salle, celui d’un homme prêt à tout pour être Roi, et les gardes s’emparèrent du morceau de bois devant les yeux ébahis de la brunette, humides de tristesse. Un nouveau secret planait désormais sur Yasen, un maléfice qu’elle ne devrait jamais, en aucun cas, briser.

⊱ колдун мыши ⊰
« Vous m’avez fait demander sire ? » Dragée s’avança dans la pièce, écoutant la porte se refermer derrière elle par les gardes. Stoïque, le menton haut, ses yeux balayaient pourtant les alentours, se rassurant qu’il n’y ait pas de curieux qui pourraient rapporter ce qui se dirait entre elle et Alexandr. Le régent contourna son bureau, posant le livre qu’il tenait sur une pile de documents. « Je vais te transférer à la cour de Fort Fort Lointain, la reine t’a expressément demandée. » Puisqu’il parlait désormais librement sans utiliser les formes et le vouvoiement, elle comprit qu’ils n’étaient pas espionnés. La Duchesse se détendit pour s’avancer en caressant du bout de ses longs doigts fins les étagères de livres. Flattée par cette annonce, elle ne put cacher sa joie d’un sourire délicat. Elle avait toujours rêvé de découvrir la chaleur de la capitale et d’y siéger à la cour, auprès de la grande et suprême Marraine la Bonne fée. C’était un rêve de petite fille qui se réalisait, qu’elle avait grandement et amplement mérité. Se mouvant gracieusement, Dragée prit place sur le fauteuil en face du bureau, siège sur lequel seuls le régent et la Reine s’asseyaient. Elle croisa ses jambes, détendit ses bras le long du bois et fixa Alexandr de ses pupilles taquines. « Ne vais-je pas te manquer ? » Le défiant du regard, la Duchesse dessina un sourire espiègle sur ses joues. Jouant de ses charmes, elle gonfla sa poitrine et leva le menton, sans le quitter des yeux. Elle ne connaissait pas homme plus séduisant qu’Alexandr dans toute la contrée. Il possédait cette prestance, digne des plus grands. Une carrure de colosse athlétique prêt à soulever des montagnes et vaincre des batailles. Un charme à en faire tourner la tête, à en envoûter, des femmes. Mais elle n’oubliait pas, qu’il était un rat. « Ce n’est pas la question. Tu dois absolument t’y rendre, on m’a rapporté que le Casse-Noisette y avait fait exil. » Dragée distingua derrière sa barbe mal rasé des joues rosies par la gêne. Amusée, elle fit néanmoins une moue boudeuse, tripotant et jouant avec ses perles de collier. Un soupir s’échappa d’entre ses lèvres sucrées. « Et que dois-je faire ? J’ai déjà refusé de lui rendre son apparence, il n’a aucune confiance en moi. » Alexandr n’était pas sans savoir que Niki était venu au palais de gourmandises, supplier la fée pour qu’elle lui rende son corps de chair. Chacun d’eux voulait sa perte, mais aucun ne savait comment s’y prendre pour le moment, et le temps s’amenuisait. « Tu vas regagner sa confiance, et nous le ferrons tomber, pour de bon cette fois. » La Duchesse sourit, le regard perdu sur le bois du bureau, pensant à ce qui l’attendait. Une nouvelle vie, une nouvelle Reine. Elle organiserait des banquets, des pièces et des bals somptueux pour elle. Elle pourra se balader dans les jardins sans les manteaux de fourrures, mais avec si peu de tissu pour laisser la chaleur pénétrer sa peau. Elle aurait de nouveaux vêtements, de nouveaux bijoux, de nouveaux prétendants. « Et comment ? » demanda-t-elle alors, sans perdre la face. Le regard de nouveau porté sur son Roi, la Duchesse affichait une mine curieuse, avide de savoir quel nouveau plan il avait concocté. Mais Alexandr réagit à sa manière, lassé de cette conversation sur laquelle il n’avait aucun contrôle, de cette question sur laquelle il hésitait, sans aucun pouvoir. Son visage se métamorphosa en grimace de haine et son poing vint frapper contre le bureau, faisant trembler les livres, et Dragée. « Je ne sais pas ! Mais j’ai le sentiment que tout va changer. » Elle tenta de récupérer une respiration souple, craintive de l’énerver plus encore, et se leva délicatement du fauteuil pour aller lui caresser le bras, murmurant à son oreille. « Me rejoindras-tu ? » Dégageant son souffle sucré, elle balança ses cheveux pour que leur odeur de menthe arrive aux narines du régent et le berce de tranquillité. Son attirance et sa fascination pour elle n’était plus un secret pour personne. Calmé, son front libéré de rides enragées, il se rabattit face à elle, le regard baissé vers sa poitrine. « Je n’abandonnerai pas ma reine, sois en certaine. » Son visage se rapprocha lentement de celui de celle qu'il considérait déjà comme sa reine pour inhumer son odeur, divaguant jusqu’à ses lèvres pour espérer les embrasser. Mais la Duchesse ne lui en laissa pas le temps. « J’attendrai. » siffla-t-elle devant son nez, aguicheuse, avant de s’en aller.

⊱ очень очень далекой ⊰
La vie à la cour de Fort Fort Lointain était telle que Dragée l’avait imaginée, pleine de strass et de paillettes, de tapis rouges, et tellement plus moderne. La vie rêvée. Le froid était si loin d’elle désormais qu’elle ne savait pas quand elle reverrait son palais à Yasen, à dire vrai, elle ne désirait pas rentrer de si tôt. Le peuple gelé n’avait pas idée du bonheur que c’était d’être ici, à la capitale. Une vraie bouffée d’air chaud. « Encore ? Dragée tu vas gonfler à t’empiffrer comme ça. » La Duchesse rechigna d’un regard accusateur envers la demoiselle, finissant de dévorer son macaron framboise chocolat. Fort heureusement, le soleil tapant sur sa peau et la bonne odeur des fleurs du jardin l’envahissaient de bonne humeur, et rien ne pourrait altérer cela, pas même la compagnie de baudruches dénuées de bon sens. « Oh non, ne t’en fais pas pour moi, inquiète toi plutôt pour toi Grazie, tu as vu ta tête ce matin ? » Un sourire des plus artificiels se dessina sur son visage de poupée, avec toute la fausse bonté qui l’habitait. Les fées n’aimaient pas la critique, c’était bien connu. En revanche, elles ne se lassaient pas des flatteries. « Cessez les filles, vous êtes toutes deux magnifiques. Oh, voilà le prince qui arrive ! » Les demoiselles se levèrent de leurs chaises pour épousseter leurs robes des miettes de pâtisseries et rehaussèrent leurs coiffures. « Bonjour mesdames, vous êtes toutes en beauté aujourd’hui. » Charmant fit un clin d’oeil approbateur, comme s’il était satisfait de ce qu’il voyait, en souriant toutes dents blanches sorties, éblouissant ces bonnes dames. Dragée sourit à son tour, d’une toute autre manière, plus aguicheuse, les lèvres plissées en moue séductrice. Il était vrai que Charmant était très bel homme, qui plus est, très prisé. Mais son choix ne s’était porté sur aucune dame pour l’instant. Enfin, ça, personne ne le savait. Puisqu’il avait posé toute sa confiance en Dragée pour qu’elle fasse semblant d’être l’heureuse élue de son coeur, ce qu’elle avait accepté sans hésiter très longtemps, juste le temps de le faire languir. Mais à dire vrai, les intentions de Dragée allaient en bon sens depuis qu’elle avait quitté Yasen. Charmant et Marraine avaient une confiance aveugle en elle et la garderaient bien à leur cour pour toujours. Marraine n’attendait qu’une chose, leurs fiançailles, mais Charmant et Dragée se complaisaient très bien dans cette fausse idylle sans aller plus loin. Elle s’approcha du prince et prit son bras, prête pour la ballade matinale, adressant un bref regard victorieux aux demoiselles qui restaient en retrait. Lorsqu’ils furent suffisamment éloignés dans les jardins, Dragée s’adressa à lui. « J’ai donné une interview il y a quelques jours, la journaliste disait qu’on ne nous voyait que très peu ensemble. Je suis sûre que les paparazzis ne vont pas arrêter de nous suivre en ville, il faudra se montrer plus vigilants. » Elle s’arrêta un moment pour le lâcher et s’approcher d’un bosquet. Elle arracha une rose à ses branches épineuses, sans faire attention au jardinier qui lui lançait un regard réprobateur à l’autre bout du jardin. Gracieuse, elle sentit la rose en fermant les yeux, savourant chacun de ces petits moments qui lui étaient maintenant permis de vivre, pensant à Alexandr qui ne savait pas ce qu’il manquait. « Plus vigilants ou plus démonstratifs ; un rendez-vous arrangé dans un endroit chic et bondé devrait suffire à les apaiser pour un temps. Est dire que même un paysan dispose de plus d'intimité que les royaux. » La Duchesse émit un gloussement consentant. Elle comme lui n’avaient pas à se cacher de cela, puisqu’au fond, les deux aimaient particulièrement attirer l’attention. Ravie, elle acquiesça et posa la tête sur l’épaule du Prince, continuant d’avancer à ses côtés. « C’est une excellente idée. »