Iseut & Jack

we know how it goes, when you’re lonely outside with the ones you know

La journée avait commencé comme celles qui promettent d'être longues et paisibles. Celles dont Jack se passerait bien. Il a beau aimer son coin de terre et sa petite ferme, y a rien à faire, notre homme a tendance à ne pas tenir en place. Vu les derniers événements ayant ébranlé Fort Fort Lointain, un peu de calme ne fait pas de mal, certes. Mais justement. Jack n'aime pas ça. Le calme après la tempête, c'est aussi celui qui vient avant. Quelque chose d'autre se prépare sûrement quelque part. Et le fermier aimerait bien savoir quoi. Ce n'est pas en prenant soin de ses bêtes et de ses champs qu'il découvrira quoi. Mais les obligations sont les obligations.

Jack s'est levé de bonne heure comme toujours. Il fait sa ronde, salut les employés déjà présents, les aide à sortir les bêtes. Il veille sur tout son petit monde avec bienveillance. Et une certaine pointe de fierté. Les poings contre les hanches, il contemple ce qu'il a bâti. Y a pas à dire, ça lui fait plaisir de voir ça. Mais il a tôt fait de finir de rêvasser et repart bosser. L'Orée des Champs - la bonne vieille ferme de Jack - a cet étrange privilège de sembler à part. Comme si elle avait été épargné du monde assombri au-delà de ces frontières. Plantegraine donnerait sa vie pour préserver cela.

Dans une journée typique comme celle-ci, il n'est pas rare de voir apparaître un étranger à la ferme. Quand une silhouette se profile au loin, le premier réflexe de notre Jack est de mettre la main sur son arbalète. Aux aguets, il observe alors l'inconnu approcher. Cette fois-ci, ils sont deux. Et la particularité d'un des deux bonhommes lui fait lâcher l'arme ; rien d'alarmant, ce ne sont rien d'autre que deux bons clients. Plantegraine redoute toujours le jour où ses convictions rebelles leur attireront trop de problèmes à lui, sa mère, sa ferme et son oie.

« Mais c'est que ça roule toujours bien pour vous.»

Jack a beaucoup d'humour. Pas forcément son entourage. En tout cas, il n'est pas rare que le fermier lâche une plaisanterie qui fasse grincer les dents alors que lui s’esclaffe. Dans notre cas, le vieil homme en chaise roulante se dressant devant lui a pris l'habitude et a abandonné l'idée de se vexer. Plantegraine ne fait pas dans la dentelle. Non. Il préfère la terre. Et s'il y a bien quelque chose qu'on ne peut pas lui reprocher, c'est la qualité de ses produits. Et ce n'est pas le vieux Saay qui en lui ferait la remarque. Au fil du temps, il est même devenu l'un des plus fidèles clients.

« Ca fait un bout de temps qu'on s'est plus vus. Vous seriez pas allez ailleurs quand même ?»

La question n'est qu'à moitié sérieuse - mais elle le reste tout de même. Parce que mine de rien, on ne plaisante pas trop au sujet de la fidélité des clients. Le vieil homme et le plus jeune l'accompagnant rient un peu, tandis que Jack leur fait l'inventaire de ses dernières récoltes. Il aime leur parler à ces deux-là ; aux têtes qu'il connaît, Plantegraine fait confiance. En tout cas, il lâche son arbalète et c'est déjà beaucoup dire quand on parle de lui. Mais leurs conversations restent de l'ordre général, ils ne causent jamais de rien de très personnel. Alors Jack est un peu surpris - mais surtout très intrigué - quand le vieux lui pose une question toute particulière.

« Dîtes-moi, Jack...» Le principal concerné à toute son attention. « Vous devez avoir pas mal de connaissances, de contact, vous connaissez un paquet de gens, pas vrai ?» Le fermier reste méfiant, plisse les yeux, craignant soudainement qu'on lui tende un piège. Ses muscles se tendent, ses mâchoires se serrent. « Vous ne connaîtriez pas une bergère ?»

Dans un premier temps, Jack ne sait quoi répondre. Ses paupières clignent quelques fois avant qu'il ne hausse les épaules. Une bergère. Tout ce suspens pour une bergère. Le fermier est un peu déconcerté. Mais après tout, cela vaut peut-être mieux. Durant un instant, il s'était attendu à une embuscade des royalistes - à vrai dire il ne s'agit que de l'un des nombreux scénarios catastrophes qu'il venait de s'imaginer.

« Nah. Non, j'en connais pas de bergère. Aucune. Faut dire, j'fais pas vraiment dans le mouton, donc bon...» Lâche-t-il en se grattant distraitement la barbe. Le vieil homme, un peu déçu, rumine dans sa barbe quelques paroles inaudibles pour Jack avant de le saluer et de partir. Mais dans l'esprit de Jack, ça bouillonne sévère. Il a l'impression de louper quelque chose au sein de sa réflexion. Quelque chose de vraiment important.

C'est seulement quelques jours plus tard que l'esprit du fermier s'éclaire soudainement. Qui, dans ses connaissances, possèdent des moutons ? Il y a bien Bill, mais il n'a rien d'une bergère. Il a plutôt l'allure d'un ogre avec son front plat et son énorme bedaine. Non, la seule demoiselle accompagnée d'un mouton qu'il connaisse, elle se trouve désormais sous ses yeux. Iseut est apparue dans son champ de vision, c'est l'illumination savante qu'il lui fallait. Jack joue des coudes pour la rejoindre et une fois à son niveau, lâche un « Salut beauté.» tout en lui offrant un sourire ravageur.  « Tu t'es perdue ?» Plantegraine prend un air faussement macho avant de tout abandonner dans un éclat de rire. Sans transition, il attaque sur ce qui l'intéresse vraiment. « T'aurais pas été bergère ? Genre, avant. J'me disais, avec Guarin tout ça, t'aurais pu.» Jack jette un coup d'oeil à l'animal qui a rapidement été rejoint par sa propre bête de compagnie, Léopoldine. Ces deux-là ne se lâchent plus. Le regard avide de savoir du fermier se repose ensuite sur le visage d'Iseut, Jack croisant les bras en attendant la réponse avec grande attention. Le temps d'une journée, il se transforme en détective privé.

   

Jack & Iseut

Ghost to a ghost

Ragtown s'était largement repeuplé depuis le retour sur le trône de l'Usurpatrice. A l'image de toute la Capitale, quand on y réfléchissait. Les émules du nain honnis, son apothéose toute en feux d'artifices, avaient eu raison de la bravoure de la plupart des citoyens et comment les en blâmer ? Ceux qui étaient restés n'avaient que deux prétexte : combattre dans l'ombre ou ils ne pouvaient tout simplement pas aller ailleurs. Durant ce temps de latence obscur et effrayant, Iseut, encore sous le coup de la mort d'Olga, ne savait pas de quel côté de la barrière elle se plaçait. Elle n'avait pas lutté contre grand-chose et à l'instar de bien d'autres, la perspective de prendre les routes pour un ailleurs inconnu la décourageait d'avance. A vrai dire, elle n'avait pensé ni à l'un ni à l'autre, se contentant de mettre un pied devant l'autre. Avec le recul, elle jugeait qu'après tous ces événements, c'était déjà bien.

Néanmoins, quels que furent ses sentiments à l'égard de Tracassin - autant dire qu'ils étaient plus que mauvais - et bien qu'elle se fut plutôt bien remise, elle voyait les changements récents d'un oeil tout aussi sceptiques. Si Potté ne l'avait pas retenu le jour du discours de Marraine, elle aurait sans doute grimpé jusqu'au balcon afin de serrer son petit cou de vieille peau entre ses mains. Tandis que la plèbe affluait aux portes de la Capitale les jours suivants, soulagée d'avoir retrouvé leur régente - là encore, quels que furent leurs pensées à son encontre -, la bergère observait leur ballet insouciant dans les rues, un goût âpre aux lèvres. Elle n'avait pu s'empêcher de se faire la remarque que décidément, quoi qu'on fasse, certains n'apprenaient jamais rien. Le pire était sûrement les horreurs qu'elle entendait au détour d'une avenue, marchands et cancaniers crachant sur le dos de l'ogre et de sa femme, convaincus par les dires de celle qu'on nommait désormais la "Sauveuse". Opportunistes et stupides, en plus de ça. Garder la foi en la cause qu'elle défendait lui paraissait de plus en plus difficile et au rythme où allait son jugement sévère, elle ne tarderait pas à agir comme Potté : soit agir pour le bien des méritants et non de tous.

Au moins ici, à la Griffe Marine, elle n'avait nul besoin d'espérer en la moindre chose. Si Ragtown avait retrouvé son effervescence, ce n'était rien comparaison de son antre de l'illégal. Pirates, bonimenteurs et commerçants peu scrupuleux avaient retrouvé les berges de Fort Fort Lointain, ravis que les vents aient tourné en leur faveur d'antan. La blonde, capuche rabattue sur ses épaules, sa chevelure reconnaissable entre toutes désormais, se promenait d'étals en tapis à même le sol, un Guarin adulte et imposant sur ses talons. Et l'épée à portée de main, naturellement. Le fait qu'elle soit maintenant à l'aise dans cette partie officieuse de la ville ne la rendait pas téméraire ou inconsciente pour autant.

" Pierre de lune cent pour cent de notre belle astre, ma dame ! " affirma le marchand alors qu'elle tournait la gemme entre ses doigts, son oeil aiguisé jaugeant de sa véritable valeur. Un sourire étira le coin de ses lèvres. " Bien sûr ! Et moi je suis la Grande Mère en personne ! " railla-t-elle avant de reposer la pierre. Le commerçant allait protester et elle l'interrompit d'un geste : " C'est une vulgaire pierre volcanique des Contrées du Couchant, comme le montre le manque d'aspérités. Gardez-la pour quelqu'un qui se laissera enjôler par votre charme, messire. " L'homme se renfrogna et elle crut même qu'il allait dégainer la dague qu'il dissimulait sous son pourpoint lorsqu'une voix se mêla à leur dispute. « Salut beauté.»  Son interlocuteur ravisa aussitôt son geste face à la carrure qui surgissait aux côtés de la joaillère. Le sourire de cette dernière creusa ses joues.  « Tu t'es perdue ?» Elle jeta une oeillade torve au marchand. " Pas encore, même si messire ci-présent s'y est essayé. " répliqua-t-elle avec bonne humeur tandis qu'elle entrainait Jack un peu plus loin. " Que me vaut cette apparition soudaine ? " s'enquit-elle, son regard oscillant entre l'étal suivant et Plantegraine.  « T'aurais pas été bergère ? Genre, avant. J'me disais, avec Guarin tout ça, t'aurais pu.» La blonde se figea, dévisageant son compagnon d'une mine où se mêlait la curiosité et la perplexité. Ayant entendu son nom, le mouton en profita pour bêler joyeusement. " Tu en as de drôles de questions, dis-moi. Te serais-tu reconverti en chevalier-flic sans m'en avoir rien dit ? " se moqua-t-elle gentiment. " Disons que oui, j'étais une bergère. Du moins, j'en suis une sous ma forme originelle. Une bergère de porcelaine. " Pour appuyer ses dires, elle caressa machinalement le Charnel autour de son cou. " Mais je n'en ai jamais fait mon métier. Guarin me suffit amplement. Pourquoi ? Tu cherches à étendre les activités de ta ferme ? "

Le ton de sa voix était léger. Elle n'avait jamais cherché à dissimuler sa véritable nature et pour cause : bien des gens l'avaient connu comme santon avant qu'elle ne se fasse femme. De la même manière, elle devait avouer que son intérêt avait été plus qu'éveillé. C'était la première fois que Jack l'alpaguait de la sorte sur un sujet aussi peu commun.

Iseut & Jack

we know how it goes, when you’re lonely outside with the ones you know

Jack est à l’aise ici. A vrai dire, il y a peu d’endroit où il ne l’est pas. Sa carrure lui évite la majorité des ennuis et ceux qui restent sont écartés par son expérience et sa grande gueule. Il se déplace dans ce monde sans jamais craindre ce qui se dresse devant lui. Bien sûr, les derniers événements l’ont touché, bien plus qu’il ne le laisse paraître pour être franc. Mais Jack est comme cela ; il est de ceux qui avancent envers et contre tout. Malgré les lourdes chaînes des erreurs passées, des regrets et des sentiments noirs qui peuvent habiter les âmes, il avance. Mais il reste malgré tout un homme, il a beau être fort, il n’est pas invincible. Il lui arrive de crouler sous le poids de son existence, de trébucher et de s’effondrer. Mais pas aujourd’hui. Le fermier sait qu’il est un pilier de sa communauté, qu’il est de ceux qui tirent les autres avec l’acharnement d’une bête de somme. Si les êtres comme lui ne tiennent plus debout, plus personne ne le pourra. Il faut tenir bon. C’est la seule certitude que Jack puisse se vanter de connaître.

Ici, à la Griffe Marine, les affaires vont bon train. Si l’endroit peut se révéler dangereux, l’homme apprécie pourtant son atmosphère. Trouver Iseut ici, comme il l’avait escompté, le rend joyeux. Il en faut peu pour le fermier, il est vrai. Beaucoup seraient d’accord de le qualifier de simple mais ils auraient tort de ne pas s’en méfier. Néanmoins la demoiselle qu’il est venu accoster n’a rien à craindre. C’est par le biais des Lames de Cendres qu’ils se sont rencontrés et Plantegraine considère la femme comme une alliée précieuse, une sœur d’arme pour qui il risquerait son existence – pour qui il l’a sans doute déjà fait. La retrouver ici, maintenant, écartés de leurs soucis respectifs, est agréable. Le ton est léger entre eux alors qu’ils déambulent tous deux devant les échoppes du marché. L’étonnement de la blonde est tout à fait légitime. Sa silhouette figée par la surprise arrache un sourire à Jack. Il a su piquer sa curiosité. L’homme écoute attentivement la réponse de sa compagne, prenant son rôle d’investigateur très au sérieux. S’il n’est pas un homme de lettres, les énigmes lui ont toujours plu. Une bergère de porcelaine. Plantegraine ignore si cela pourrait convenir à la description que le vieillard lui avait donné. Ce dernier était resté assez évasif, comme s’il voulait éviter de trop en dire.

« - Mais je n'en ai jamais fait mon métier. Guarin me suffit amplement. Pourquoi ? Tu cherches à étendre les activités de ta ferme ?
- Oh en voilà une idée qu’elle est bonne, je devrais y penser. » Commence-t-il, l’air réellement enjoué par cette idée. « Mais non c’est pas ça. C’t’un de mes clients qui cherche une bergère. Comme ça fait un bail que je suis ici, les gens me demande, tu vois. » Dix années à traîner dans le coin, forcément, ça vous créé quelques contacts. « Boh, bah du coup, il devait pas parler de toi. » L’air un peu déçu, Jack soupire en haussant les épaules. Cependant, ses traits se plissent soudainement sous l’effet d’une intense réflexion. Ce n’est pas possible qu’il ne connaisse pas de bergère. Peut-être qu’Iseut pourrait l’aider. « Mais des bergères, t’en connais pas du coup ? Ca m’embête, t’sais. » Les nuits de Jack n’ont beau ne pas être en péril à cause de cette affaire, il n’en reste pas moins que le fermier prend cette dernière très à cœur. « C’est un bon client qui m’a demandé ça, alors bon, j’aimerais bien l’aider. » Explique-t-il. « P’tête que tu le connais en fait ? C’t’un vieux, un cul-de-jatte. » Pour les mots doux et le politiquement correct, il faudra repasser, ce n’est guère dans les habitudes de notre Jack. « Bah merde alors, je retombe plus sur son nom. » L’homme se tape le front du bout du poing, comme si ce geste allait l’aider à retrouver le patronyme de son précieux client. Apparemment la manœuvre a opéré comme désiré car Jack s’exclame soudain « Saay ! Le vieux Saay. Il a quand même pas un nom très courant, c’est plutôt pas banal. »

   

Jack & Iseut

Ghost to a ghost

S'il était des personnes qu'Iseut abhorraient par-dessus tout ou, dans une moindre mesure, lui inspiraient des sentiments peu amènes, il en était d'autres qu'elle était toujours ravie de voir la rejoindre. Jack Plantegraine en faisait partie. Pour une raison obscure, elle appréciait déambuler avec lui ou reconnaître sa silhouette lors des réunions rebelles. Il n'était pourtant pas le plus démonstratif ni le plus aimable des êtres peuplant cette Terre. Son charme n'expliquaient pas non plus cette sensation, étant donné qu'elle ne le considérait pas du tout sous cet aspect-là. Peut-être s'agissait-il de sa simplicité ? Il avait de l'humour, s'exprimait sans détours et surtout ... La bergère savait qu'elle pouvait compter sur lui en toutes circonstances. Les temps avaient été si durs depuis quelques semaines que des alliés de cette trempe était plus que les bienvenus. Il fallait savoir les apprécier, oublier ce que l'on avait perdu pour se concentrer sur ce qu'il nous restait. Ainsi la jeune femme avait-elle fini par voir les choses et son coeur réchauffée par la présence de son compagnon lui soufflait qu'elle avait pris la bonne voie.

Cependant, alors qu'il lui répondait, elle sentit une pointe de méfiance tenter de geler la flamme qui l'animait. Bien des choses lui avaient été enseigné lorsqu'elle était devenue humaine : savoir écouter son instinct lorsqu'il résonnait d'un avertissement avait été l'une des premières compétences qu'elle avait apprise. Un client qui cherchait une bergère ? Ce n'était pas commun. Ou plutôt, disons qu'il existait suffisamment de gardiens de moutons dans ces contrées sans qu'elle ait pu s'imaginer que quelqu'un puisse en chercher un en particulier. Sa mine perplexe s'accentua tandis qu'elle jetait un nouveau regard interrogateur à Jack. " Je ne vois pas vraiment, non. " répliqua-t-elle, se demandant de plus en plus où était censée mener cette conversation. " Enfin, je veux dire, si, bien sûr, c'est normal que l'on te questionne mais j'avoue que c'est ... Particulier, comme demande. " Elle repoussa une mèche blonde qui lui obstruait la vue d'un coup de main machinal. " Je dois peut-être en avoir parmi mes propres clients. Je peux me renseigner, si tu veux. " proposa-t-elle d'une voix lointaine tandis qu'il lui faisait part de son souci de venir en aide à son requêteur, les yeux maintenant rivés sur l'étale d'un marchant d'épices d'Afshin. Il lui faudrait passer chez le boucher avant de rentrer et peut-être que ce délicieux curcuma bien odorant se marierait avec le morceau de beau qu'elle avait en tête ...  « P’tête que tu le connais en fait ? C’t’un vieux, un cul-de-jatte. » L'alarme retentit un peu plus fort. Comme elle se penchait afin de humer les effluves orientales, elle se figea soudain, tous les membres raidis par cette nouvelle information. Son comparse ne parut pas remarquer son trouble, aux prises avec le sien. Il cherchait un nom. Et Iseut le voulait autant que lui. Le coeur de la bergère rata un battement, peut-être deux ou trois étant donné les circonstances. Une tempête s'anima dans ses entrailles, une crainte sans nom commençant à affluer aux bords de ses lèvres closes. Grande Mère, faites que ce ne soit qu'une coïncidence ... supplia-t-elle l'entité. Laquelle s'avéra sourde à ses appels. « Saay ! Le vieux Saay. Il a quand même pas un nom très courant, c’est plutôt pas banal. » Elle se redressa brusquement et d'un geste assorti, rabattit sa capuche sur sa tête. Maigre défense en comparaison du raz-de-marée qui l'assaillait et surtout, des conséquences que cette nouvelle supposaient. Elle heurta un regard hanté et des traits aussi pâles que la mort au faciès de son interlocuteur. " Que t'a-t-il dit exactement ? Qu'est-ce qu'il voulait ? " Son ton était rude, pressant, presque agressif. Jack l'avait déjà vu en colère ou s'entraîner dans un ballet de rixes avec certains membres des Lames, ce n'était pas une première. Néanmoins, cette fois-ci, son attitude ne relevait pas d'un quelconque agacement. Inutile d'être mage en psychologie pour comprendre que la rebelle avait ... Peur. Sentiment qui, lui, en revanche, était des plus inhabituels pour ceux qui la connaissaient. " C'est important, Jack. Je dois savoir pourquoi il t'a demandé ça. "

Ses lippes pincées s'accordaient parfaitement aux tremblements qui agitaient tout à coup ses genoux et qu'il lui fut impossible de réprimer. Saay, bien sûr que c'était lui. Evidemment. Elle chercha une poutre, un mur ou n'importe quoi auquel elle pourrait se rattraper, l'envie de sortir de cette foule trop dense se faisant de plus en plus prégnante, tel que le trahissaient ses prunelles volant en tout sens. Sa respiration se hachait. Et pour cause, sans le vouloir, le pauvre fermier venait de la confronter à la perspective de son pire cauchemar.