Cette histoire, enfants et moins jeunes, va vous paraître un mensonge, et pourtant elle est vraie; car mon grand-père, de qui je la tiens, ne manquait jamais, quand il me la racontait, d’ajouter : « Il faut pourtant qu’elle soit vraie; sans cela je ne la raconterais pas. »
Voici l’histoire, telle qu’elle s’est passée…

Il y a de cela fort longtemps, au moins soixante ans, vivaient deux gigantesques dragons écailleux et cracheurs de flammes qui habitaient les ruines d’un vieux château abandonné. Cette solitude était entourée d’importantes crevasses et de marais de laves qu’aucun preux chevalier et son noble destrier n’avaient osés franchir. Réputés meilleurs gardiens de tour à princesse, les deux majestueux dragons terrorisaient tout le royaume de Fort Fort Lointain de leurs rugissements et souffle brûlant. Mais, en dépit de leur effrayante allure, les deux énormes bêtes s’aimaient tous les deux d’un grand amour. Un jour naquit, d’un unique œuf, une toute petite dragonne aux allures filiformes et aux écailles roses comme le sang. Entourée de l’amour et de la bienveillance de ses énormes parents, la petite dragonne grandit, si bien, qu’à l’âge de dix ans, elle mesurait déjà cent pieds de long et mangeait plus de trois chevreaux rôtis par jour. La petit dragonne faisait la fierté de ses parents cracheurs de feu et terrorisait bergers et fermiers dans les prés d’un seul battement d’ailes. Lorsqu’elle eut atteint l’âge de seize ans, que ses ailes étaient parfaitement formées, son jet de flammes aussi coloré que celui de ses parents et, que du museau au bout de la queue, elle eut atteint les deux-cent cinquante pieds de long, elle fut prête pour sa toute première princesse.

Une matinée d’été, pendant le temps de la moisson, précisément quand le sarrasin est en fleur, Dragonne, puisque tel était son nom, survolait plaines et vallée. Le soleil brillait dans le ciel, le vent du matin soufflait sur les blés; on entendait les alouettes chanter dans l’air et les abeilles bourdonnées dans le sarrasin. Au bout d’un moment, l’énorme dragonne alla se poser sur le sommet d’un rocher. Bien perchée, elle y gratta ses longues griffes acérées pour les aiguiser tout en y admirant le royaume de ses parents. Qu’est-ce qu’elle rêvait d’avoir son propre château à elle pour le garder. Qu’est-ce qu’elle souhaitait trouver une princesse à surveiller. Un jour qu’elle rêvassait encore, son père lui annonça :
— Puisque tu ne cesses de grossir et que tes flammes sont aussi colorées que les miennes, tu es prête pour ta première princesse.

C’est ainsi que l’on lui confia la jeune et très belle princesse Fiona qui, la nuit arrivée, se changeait en une ogresse aussi laide que repoussante. Légendaire, cependant, son histoire attira plusieurs chevaliers d’autres royaumes voisins qui, dans le but de délivrer leur princesse, n’avaient que pour but d’occire Dragonne. Bête tenace, énorme et écailleuse, plusieurs faillirent à la tâche, tous rôtis dans leurs armures, jusqu’au jour où un ogre et son âne, fidèle destrier, ne tentèrent leur chance. Dragonne les prit en chasse, crachant flammes et hurlant à en faire trembler tout le château. L’ogre lui échappa, jeté au sommet de la plus Haute Tour, cependant, d’une seule bouchée, elle tenta de dévorer l’âne. Quinze fois plus petit qu’elle, Dragonne s’en serait vite débarrasser, mais voilà que l’âne lui causait.
— Qu’est-ce que tu as de grandes dents! Et Blanche […] keuf keuf… je suis uc.
Stupéfaite, la bête l’écouta, vertigineuse; mais qu’est-ce qu’il causait cet Âne! Soudainement séduite, la solitude de son château ne lui semblait plus un problème et, doucement, le prit entre ses dents pour l’amener auprès de son trésor. Enroulé, coincé, entre l’étau de fer de sa queue, Dragonne tout en se laissant charmer par cette petite bête parlant, percuta le stratagème et tenta, de nouveau, d’arrêter l’ogre et l’âne. Une chaîne autour de son cou, enroulée à maintes reprises autour des tours de pierre, la dragonne se trouva prisonnière et enfermée dans son propre château de pierre.

Au bout de plusieurs jours, les chaînes cédèrent et Dragonne s’envola, quittant son château. Son échec de n’avoir su protéger sa princesse n’avait d’égal la douleur d’avoir perdu son Âne. Elle survola forêt et vallée à leur recherche, mais en vain. Triste, la dragonne se laissa choir au bord d’une rivière où elle y retrouva l’Âne et son incessant baragouinage. Au bout de quelques heures, elle se laissa convaincre par L’Âne de venir en aide à Shrek et les conduisit à l’Église où lord Farquaad et la princesse Fiona devaient se marier. Tandis que Dragonne et L’Âne s’occupaient des gardes à l’extérieur, Shrek y pénétra. Ce n’est qu’avec l’intervention de Dragonne et de L’Âne, alors que les gardes du lord avaient pour ordres d’occire l’ogre et l’ogresse, que l’Histoire s’acheva. D’un coup de mâchoire, Dragonne goba le petit lord. C’était la fin de leur première aventure, mais très certainement, le début d’un amour on ne peut plus mythique qui, somme toute, lui plaisait.

L’année suivante, L’Âne et Dragonne étaient mariés. Toutes les créatures de la forêt avaient été invitées; Shrek et Fiona, Tibiscuit, Pinocchio, les Trois Petits Cochons, le Grand-Méchant-Loup, Papa Ours et Bébé Ours, les Trois Souris Aveugles, farfadets, nains et fées. Même les parents de Dragonne avaient fait honneur de leur présence. La cérémonie se releva être des plus mémorables, et une panoplie de confiseries, gâteaux et clafoutis y avaient été servi. Ils emménagèrent, ensuite, dans un antique château abandonné, suffisamment grand pour ne pas que Dragonne puisse être gênée par ses quatre cent pieds de long. Son amour pour L’Âne ne cessait de croître, leur vie n’étant pas compliquée et sans histoire. Ils se complétaient parfaitement bien l’un et l’autre. Sauf qu’au bout d’un temps, l’humeur de Dragonne changea en dépit des efforts de L’Âne pour la réconforter; féroce et agressive, elle refusait de quitter le nid sous peine d’enflammer qui que ce soit. Tapis dans leur nid, Dragonne en vint même à repousser L’Âne, avec véhémence, si bien que s’en fut à ne rien comprendre. L’Âne la délaissa, momentanément, tandis qu’elle ne cessait de plaindre et de râler. Alors qu’il rejoignait Shrek pour s’engager dans une énième aventure à ses côtés, Dragonne demeura dans sa forteresse, hirsute et crachant flammes. Elle sombra dans une torpeur qui dura plusieurs semaines, au cours desquels elle ne conserva aucun souvenir. À son réveil, cependant, six petites boules de poiles étranges se blottissaient contre son énorme ventre chaud… C’était donc ça. L’Âne et elle avaient conçu des créatures hors du commun, mi-ânes et mi-dragons. De petits drânons. Elle dût attendre quelques jours, toutefois, pour que les ailes de ses six petits ne s’endurcissent, avant de pouvoir partir à la recherche de L’Âne.

C’est à Fort fort lointain qu’elle le retrouva, dans une cours délaissée et visiblement témoin d’un important tournant. Avant même qu’elle ne put comprendre à quel malheur ils étaient tous condamnés, la nouvelle régente du Royaume, Marraine la Bonne Fée, soumis toutes les créatures magiques au Charnel n°5. La chose ne fut pas une mince affaire, puisque cette obligation de devenir humaine poussa Dragonne à des changements drastiques. Aurevoir son gigantisme, ses ailes magnifiques et son épais manteau d’écailles; sous l’enchantement, Dragonne se changea en une petite jeune femme aux allures frêles et fragiles. Apprendre à parler fut un important obstacle que, sans l’aide de L’Âne, Dragonne n’aurait su surmonter. C'est ainsi qu'aux côtés de L'Âne, Dragonne put s'épanouir et goûter aux plaisir de la vie humaine. Bien que les trucs de dragon lui manquent à l'occasion, Dragonne s'est parfaitement – ou presque – adaptée à cette nouvelle vie. Devenue femme au foyer, elle tente tant bien que mal d'éduquer et d'élever leurs six enfants, eux-mêmes soumis au charme du Charnel n°5. Et, lorsqu'une âme charitable – ou tout simplement inconsciente – lui offre de s'occuper des sextuplés, Dragonne vient en aide à L'Âne à La rose bleu épines rouges en tant que serveuse.
On pourrait presque croire que les choses vont pour le mieux entre Dragonne et L'Âne. Malheureusement, les événements récents et la scène anarchique de Noël, le couple est sujet à de plus en plus de disputes. Si L'Âne s'amuse dans tout ce foutoir Dragonne, quant à elle, ne s'est jamais sentie aussi inconfortable; en dépit de toute sa vigilance, elle craint que l'un de ses enfants ne s’emmêlent sabots, ailes et pieds dans cette histoire. Beaucoup plus agressive et animale qu'à l’accoutumer, elle espère secrètement que la Reine ne revienne pour rétablir l'ordre...