L’ivresse du soir, la peur du noir. Un échantillon de ces âmes apeurées te ravit. Ces cris sont de douces comptines à tes oreilles. Le macabre te plaît. Cette détresse est tel le sifflement d’un violon d’Ingres. Tu te fais une joie d’en dévorer chaque vibration dans l’air. Crescendo dans les aigus. Mesure de la fréquence mystique. La salive au bord des lèvres. Savoureuse expérience. Tu renfermes l’angoisse en bouteille. Tu collectes les phobies. Tu te nourris des cauchemars de l’enfance. Tu engloutis ces petits êtres fragiles à l’inconscient dégoulinant.

La peur est mon métier. Ce fut une période féconde, quand tous les gosses craignaient encore la Bête sous leur lit. Sorcellerie et tour de passe-passe, ils ne savaient pas que ma magie opérait. Mon instinct savait ce qui les effrayait. C’était mon gagne-pain à l’époque, quand les ténèbres marquaient les esprits. Hélas, cette époque est révolue. Qui parle du Croque-Mitaine à présent ? Qui frissonne à la mention de ce nom tristement célèbre ? Personne. Je suis tombé dans l’oubli. La peur du noir est une légende urbaine. La peur est banale. La lumière luit dans un coin de la chambre. Espoir vacillant mais tenace. Ils s’y accrochaient. Autrefois, la foi en ma vénérable personne rassasiait ma toute puissance et qu’importait la lumière, je fonçais et terrassais les obstacles blancs pour m’emparer de vos précieux rêves, les tournant en cauchemars méphitiques. Je me parais de vos diaboliques tourments sans le moindre scrupule.

Je connus l’apogée puis le déclin. L’aube et le crépuscule de ma vie.

Aucun rayon de lune, je me faufile sous le lit de la gamine en douce. Tapage nocturne. Je sais comment m'y prendre, c'est presque trop facile. Grognements, grattements, rugissement phénoménal. La voilà qui se réveille brusquement. Je la tiens, elle est mienne. Il suffit qu'elle plonge la tête là-dessous, qu'elle s'enfonce dans mes pupilles rougies par la faim de son innocence. Rien ne se passe comme prévu cependant. Elle se rendort sans mal. Je sens ma magie s'éteindre. Je ne suis plus que des cendres au fond de l'âtre. Je disparais. Une fumée qui s'échappe. Adieu noirceur. Adieu vice. Elle me tue par son indifférence. Je meurs dans le silence.

Je me contentai, quelques semaines après ma démission et retraite forcées, de vendre des lits et des draps, commerce peu rentable et d’un ennui abyssal. Que voulez-vous, le désespoir me rongeait l’os, je n’avais pas d’autre choix que de quitter ma cape sombre et mes pattes velues pour prendre les traits d’un type normal, quoique excentrique. Des années sous le règne des ogres. La fin de l’âge d’or pour moi, relégué au rang de simple marchand, sans honneur ni gloire. Redorer mon blason, c’est tout ce qui m’importait. Ma dignité en dépendait – pour ce qu’il en restait. Je croisais des enfants dans les rues paisibles, aucun ne frémissait, aucun ne me regardait, une lueur ne serait-ce qu’inquiète dans les yeux. Le néant. Et moi, j'avais presque peur d'eux. Je devins un résidu de la société, m'exilant dans les ombres du royaume, aux confins des frontières. Me préservant en attendant mon heure, l'heure du grand retour. Le come-back d'un Mister Monstre en péril, en voie de disparition. Adoptez-moi. Tuez un gosse et sauvez un Croque-Mitaine !

Cependant, la roue de fortune tourna, fort heureusement pour moi qui me voyais déjà me balancer au bout d'une corde. (Moi, suicidaire ? Ne cauchemardez pas.) La marraine prit le pouvoir, un nouveau règne, de l'ordre et de la terreur, de quoi me remettre sur les rails du succès. Je dus m'adapter et changer légèrement de registre. La peur, ça ne paye pas. En revanche, l'arnaque et l'assurance vie, nettement plus.

Un accident magique ? Une catastrophe surnaturelle ?
Une licorne bourrée qui fonce dans votre domicile ?
Un nain tapageur ? Un meeting de nymphes nudistes ?
Des elfes voyeurs ? Un couple de fées exhibitionnistes ?
Des pirates qui prennent votre château en otage avant d'y mettre le feu ?
Des vampires qui abusent de vos artères ?
J'assure vos arrières et tous vos désagréments.
Venez chez "Mange-qui-peut", l'agence tous risques compris.
Vous verrez que la vie est un long fleuve tranquille.