Je me souviens surtout de ses yeux, à mère. Ils étaient aussi verts que ces longues plaines entourant notre domaine. Tout près de Nottingham, les terres y étaient fertiles et il faisait bon y vivre. Ma mère aimait ces lieux, elle y avait grandi et chérissait chaque recoin de cette région. Elle m’emmenait parfois me promener afin de me montrer là où elle jouait étant enfant. Certains arbres avaient des souvenirs gravés en mémoire d’une époque plus qu’heureuse, des initiales, quelques cœurs, des promesses d’amour tenues. La forêt avait été témoin de ces sentiments naissants entre mes parents. Et pourtant tout les avait opposés au moment de leur rencontre. Il n’est pas coutume pour un noble d’épouser la fille d’un simple marchant et pourtant il s’était longuement battu afin d’avoir l’autorisation de lui demander sa main. Ce qui avait convaincu mes grand parents, c’était le profit, non pas la dot de ma mère fut elle maigre mais le nombre de travailleurs qui s’étaient engagés à venir travailler dans le domaine si elle l’épousait. L’amour n’existait qu’entre mes parents, et ceux qui avaient dit oui par pure avarice furent emportés par la mort peu de temps après.

Père ne m’avait jamais réellement parlé d’eux, car c’était selon lui un très mauvais exemple à suivre. J’étais élevée sur des principes très contraires aux hiérarchies que nous imposaient la société ; des servantes jusqu’aux écuyers, tous étaient bien rémunérés et étaient heureux de vivre au domaine. Je descendais régulièrement avec Père, lorsqu’il allait à leur rencontre, pour les saluer ou bien les aider. Il était un travailleur acharné, qui n’hésitait pas à salir ses jolis vêtements pour faire en sorte que les affaires tournent bien et que cet endroit vive toujours. Ici, le soleil était toujours au beau fixe, j’avais l’impression qu’il n’existait que sur notre domaine car lorsque j’allais en ville avec mes parents, je remarquais que le ciel était automatiquement gris. La vie y était paisible, animé par un état d’esprit remarquable malgré que nous étions souvent montrés du doigt. Moi je ne comprenais pas, j’avais été élevée selon des principes justes qui prônaient la bienveillance et la générosité. La vie n’en était que plus agréable au sein de notre foyer, les sourires illuminaient toujours les visages des personnes qui croisaient mon chemin. A ce moment là, je ne me rendais pas compte à quel point ce bonheur était unique et précieux. Parce que j’ignorais comment c’était chez les autres, parce que je ne manquais de rien et qu’il était très naturel pour nous de vivre ainsi, en harmonie.

J’ignorais le sens des mots mensonges, cupidité, tromperie, fourberie et envie. Pour moi ils n’avaient pas de sens, et l’on peinait à me les expliquer durant mes leçons. J’étais fille unique, ma mère n’arrivait plus à avoir d’enfants. Ça la rendait triste mais lorsque je lui demandais pourquoi, elle se contentait de me dire qu’ils ne pourraient pas réussir à créer un enfant aussi merveilleux que je l’étais. J’avais cette capacité à m’adapter quelque soit la situation, j’étais aimable, serviable, volontaire. Mes nourrices se battaient pour savoir laquelle d’entre elle allait avoir le droit de me brosser les cheveux, et elles restaient même après leur service pour jouer avec moi à prendre le thé. « La petite princesse » ; « le petit rossignol » ; «Belle Mademoiselle » ; « Belle Marianne » ; c’était les petits noms qui m’étaient souvent attribués, auxquels je répondais d’une voix princière avec quelques courbettes dignes de la cour. On m’emmenait d’ailleurs souvent au château de Richard Cœur de Lion, mon père était un ami loyal au Prince jean et bien que ce dernier ne s’arrangeait pas en vieillissant mon père ne loupait jamais une occasion d’aller lui rendre visite. Je m’ennuyais souvent en allant là-bas, ma mère ne nous accompagnait pas à cause de son ascendance et moi je restais assise sur ces fauteuils démesurés, rembourrés. On me sermonnait quand je m’amusais à balancer mes pieds, car une Dame ne doit pas se tenir aussi avachie et que j’aurais un très mauvais port de tête si je restais trop longtemps dans cette position, hors la posture semblait indispensable pour être une Dame convoitée. Mais je n’avais pas envie d’être de ces Dames. Parce que les coutures de leurs robes étaient toujours sur le point d’exploser, elles avaient l’air en colère et ne sortaient jamais dehors. Plus longtemps je me tenais éloignée de ces lieux, mieux je m’en portais car je n’aimais pas rester à bouder dans mon coin et me faire disputer à cause de mes remarques ou de mon comportement.

Un jour, alors que l’on rentrait du château, un de nos cuisiner intercepta notre route, affolé. « Il brûle !! Il brûle !! » Disait il. Le regard paniqué de mon père à cet instant hantera à jamais ma mémoire, tout autant que l’air serein qu’il avait réussi à conserver alors que je lui demandais ce qu’il se passait. Il me fit promettre de ne pas descendre de la calèche, d’attendre jusqu’à ce qu’il vienne me chercher. Et lorsqu’il s’en alla à dos d’un cheval, je me précipitais hors de la calèche. Je ne sais toujours pas pourquoi, ce jour là j’avais décidé de ne pas lui obéir. J’avais le sentiment de faire une erreur en restant plutôt que de me mettre à courir jusqu’au domaine. L’odeur de brûlé infesta bien vite les alentours, la fumée s’épaississant me piquait les yeux. Et c’est là que je la vis. Notre maison, emportée dans une tornade de feu. Un immense brasier recouvrant là toute ma vie. Je cherchais mes parents à travers la fumée, toussant et pleurant alors que la fatalité me rattrapait. Un écuyer m’emporta loin, couvrant ma bouche d’un tissu humide afin d’éviter l’asphyxie et avec d’autres personnes, nous nous éloignâmes. J’avais longtemps réclamé mes parents, refusant l’éventualité qu’ils aient péri dans l’incendie. Des personnes aussi bonnes qu’eux ne pouvaient se faire emporter ainsi, sans compter que je me retrouvais seule.

Seule, enfin, pas tout à fait. Car quelques heures après, des cors ameutèrent les employés de mes parents qui avaient pris soin de moi jusqu’à ce qu’ils tentent de retrouver leurs corps. Le Prince Jean lui-même avait fait le déplacement afin de savoir ce qu’il s’était passé. Le feu s’était déclaré depuis le premier étage, les femmes de chambre et les nourrices avaient réussi à sortir  mais pas ma mère. Lorsque mon père était arrivé, il était rentré dans la maison afin de la sauver. Les flammes l’avaient alors  à son tour consumé puisqu’il n’en était pas ressorti.

Il avait alors été décidé que Jean m’emmène, en remerciement de tout ce que mon père avait fait pour lui par le passé, c’est sans la moindre hésitation qu’il me prenait sous son aile, faisant de moi sa pupille. Cette période fut très sombre pour moi, sur les jours qui suivirent on avait refait toute mon éducation, je ne pouvais plus jouer dehors et j’avais même été promise à un certain Guy en ayant à peine atteint l’âge de l’adolescence. La vie au château m’était devenue si désagréable que j’avais cessé de me nourrir. J’avais perdu toute ma joie de vivre, pour moi la seule solution était de me laisser mourir pour rejoindre mes parents. Mais voyant l’enfer que je vivais, le Prince Jean décida de quitter le château, une fois marié pour que l’on vive à l’extérieur et que je puisse avoir une seconde chance. Au nom de l’amitié qui le liait à mon père, même si j’étais une source de problème pour lui, il refusait de me laisser, tenant tant bien que mal ce rôle de père.

Je commençais à me reconstruire, profitant de cet isolement pour reprendre les activités que j’avais toujours eues. Je sortais, je rendais visite aux poules accompagnée de ces dames qui travaillent pour le Prince. Mes jolies robes étaient salies, je rentrais souvent les cheveux trempées et mes souliers recouverts de terre. Je grandissais, mes sourires revenaient alors que j’avais fini par me faire des amies ici. Christabel, surtout, elle était comme une soeur pour moi et me comprenait dans ma manière d’être. J’avais même fini par lui donner gout aux roulades dans l’herbe, fabriquer des couronnes de fleurs et tenter de deviner le nom des oiseaux en écoutant leurs chants. On se tressait les cheveux, l’une derrière l’autre, assises dans les prés par ces après midi de printemps. Ces instants paisible me ramenaient à ma vie d’antan, quand rien d’autre que nos sourires n’importaient. Je m’étais même assagie, mes crises de colères contre le prince avaient cessés et si j’étais une véritable folle dès que je sortais, une fois rentrée je tentais tant bien que mal de me comporter correctement. Je mettais en pratique mon port de tête, les bonnes manières, les coutumes et rituels ridicules pour toutes situations. Ca avait mis bien assez longtemps avant que je ne décide d’y mettre du mien, et un soir, Jean m’en fit la remarque. Il me félicita d’abord, comprenant que le changement avait dû être perturbant et que puisque j’étais devenue une Dame, il était à présent temps pour moi d’être présenté à mon futur époux.

L’idée d’épouser un homme que je ne connaissais pas en plus de ne pas l’aimer me déplaisait. On avait beau me dire que les choses étaient ainsi, je refusais une fois de plus de suivre leurs traditions. Mais j’avais au moins eu l’intelligence de négocier et de demander à ce que l’on me laisse le temps de l’aimer avant que l’on ne se marie histoire de gagner du temps. J’avais beau être sa promise, cela allait à l’encontre de ce que mes parents avaient souhaité pour moi. Ainsi je rencontrais Guy, dans toute sa splendeur. Athlétique, beau garçon mais avec ce regard glacial, hautain. Pour Christabel, il était probablement le prototype même du mari idéal au vu de sa position et de son physique, mais pour moi ce n’était rien de plus qu’un fanfaron parmi d’autres. Il me fit très mauvaise impression dès nos premières conversations, en me critiquant bien ouvertement et m’incitait à me nourrir davantage pour que je sois « plus fertile ». Des remarques que je n’avais guère appréciées, je l’avais d’ailleurs gratifié en le poussant dans la rivière. Quoi qu’il en soit, tout cela ne contribuait pas à ce que j’accepte de l’épouser. Même si manifestement je n’avais pas le choix, j’avais réussi à repousser la première date de nos fiançailles, prétextant à une fièvre si forte qui allait me faire mourir très vite. Nous avions monté un plan, avec les filles après avoir soudoyé le médecin afin qu’il m’aide à repousser l’échéance. Par chance Guy s’en allait peu de temps après pour aller se battre. Il m’écrivit de nombreuses lettres enflammées, noyées sous les sentiments qu’il éprouvait pour moi et qu’il n’avait visiblement pas eu le courage de me montrer. J’étais touchée, mais pas convaincue.

Les années passèrent, Guy était revenu et me faisait la cour à chacune de nos rencontres. Mais je ne ressentais pas ce que je devais. Ainsi ses avances étaient souvent tournées en jeu pour moi ; tantôt je le séduisais, tantôt j’esquivais ses lèvres. J’avais conscience que de m’amuser avec ses sentiments n’était pas la meilleure chose à faire mais cela me permettait de gagner du temps et de repousser le jour où nos fiançailles seraient annoncés pour de bon. Par amour pour moi, Guy acceptait à chaque fois de les repousser, il était persuadé que je finirais par l’aimer ou que je faisais ça juste pour lui faire tourner la tête. J’avais du mal à le cerner, car s’il savait tout de même se montrer aimant lorsque nous étions que tous les deux, je découvrais en réalité un homme vantard, avare, manipulateur, méchant, cruel et violent. Ces nuances là n’étaient pas pour me plaire, bien au contraire et rien qu’avec cela c’était clair pour moi ; jamais je ne pourrais envisager de l’aimer ou de l’épouser en étant heureuse.


U.C