D'aussi loin qu'elle pouvait se souvenir, Clochette avait toujours vécu avec ses parents dans un jardin humain. Son père avait récupéré un trou d'écureuil fort charmant après moult négociations avec le dit animal, mais leur trou était confortable, plutôt spacieux et, surtout, la maison humaine était inoccupée depuis bien longtemps. Enfin, inoccupée... jusqu'à ce que Clochette fête son huitième anniversaire. « NON MAIS CA VA PAS ? » La toute petite fée prit une taille humaine juste à temps pour que le gamin humain se jette en arrière et tombe sur les fesses. « On t'a jamais appris à regarder où tu vas ? T'as failli m'écraser ! Aucun respect pour les fées qui vivent dans les jardins ! » Clochette était tellement énervée, et surtout effrayée, que son visage rond avait viré au rouge vif et qu'elle ne prêtait même plus attention à l'humain. Ce dernier s'était d'ailleurs relevé... et tripotait maintenant ses ailes transparentes. « Mais qu'est-ce que tu fabriques ! On touche pas les ailes d'une fée comme ça ! » Le gamin se contenta d'un grand sourire trop brillant et d'un gloussement. « J'avais jamais vu de fée avant ! T'es jolie ! Tu vis dans le jardin, c'est vrai ? Tes ailes elles sont belles ! » Clochette s'en retrouva toute gênée. Sur le coup, elle reprit sa taille de fée et s'envola aussi sec vers son arbre. « Bah... Au fait ! Moi c'est Peter ! J'espère qu'on se reparlera, hein ! » Elle ne répondit pas et fila chez elles, une moue aux lèvres et les joues rouges, mais elle n'était plus si certaine d'être rouge de colère. Quand elle jeta un coup d'oeil par la fenêtre, elle aperçut Peter, toujours dans le jardin, à sourire bêtement en fixant le chêne. Imbécile d'humain.

« Ah, Peter ! » Grand sourire aux lèvres, Clochette lui fonça quasiment dedans dans son impatience. Après cette mésaventure où il avait manqué de la réduire en purée, Peter avait réussi l'exploit d'apprivoiser la fée méfiante qu'elle était et ils étaient rapidement devenus les meilleurs amis du monde. Le sourire charmeur de l'humain y était sûrement pour beaucoup. Peut-être qu'elle était amoureuse. Non, elle était vraiment très amoureuse. « Tu m'as fait attendre, tu sais ? » Clochette se contenta de lui tirer la langue, faussement vexée, mais Peter rigolait déjà et passait un bras autour de ses épaules. « T'inquiète, je t'en veux pas. J'en ai profité pour courtiser la p'tite serveuse de la taverne, là, son corset fait sacrément remonter ses seins. » Ah. Pour le coup, Clochette avala difficilement sa salive et se mordilla l'intérieur de la joue. Elle avait beau être amoureuse de Peter et ce depuis quelques années déjà, Peter avait vingt ans, une belle gueule, une tendance à sauter sur tout ce qui portait un jupon et surtout, il était complètement aveugle. Tout ce qui comptait pour lui, c'était la bière, sa bande de copains tous plus immatures les uns que les autres, tringler une demoiselle et faire des conneries. Et qui devait réparer les pots cassés et le sortir de la bouse de dragon dans laquelle il se fourrait régulièrement ? Clochette. Evidemment. Mais elle n'arrivait pas à lui dire non. Faiiible. Toute à ses pensées, elle ne s'était même pas rendue compte que Peter lui avait posé une question. « Euh, quoi ? Je réfléchissais, désolée. » Il lui renvoya un grand sourire. « Je demandais si tu voulais manger à Burger Prince avant d'aller au concert, duh. Ou bien on mangera après ? C'est comme tu veux. » Hum. Peut-être qu'elle devait juste profiter de la soirée avec son meilleur ami au lieu de ressasser des idées noires.

Depuis que Clochette avait commencé à travailler à la Table Ronde, deux ans auparavant, la taverne était un peu devenue le repaire de Peter et de sa bande de copains. Il n'était pas rare de les voir débarquer en milieu de soirée. Surtout quand la fée était de service, d'ailleurs. « Ah, j'suis énervé ! » Clochette leva les yeux au ciel alors qu'elle déposait les pintes de bière sur la table. « Et pourquoi donc, cette fois ? » Peter fit une moue absolument adorable (non, Clo, ce n'est pas le moment de penser à ça) et croisa les bras sur sa poitrine. « Wendy a encore refusé de sortir avec moi. T'y crois à ça ? Je comprends pas pourquoi ! » Ah, Wendy Darling. Clochette la connaissait bien, tout simplement parce qu'elle vivait avec Peter, et l'homme ne pouvait tout simplement pas la fermer dès qu'il s'agissait d'elle. Elle était bien la seule demoiselle qui refusait les avances de Peter depuis... ouh, au moins trois ans. Ou quatre. « Moi, ce que je comprends pas, c'est pourquoi tu t'obstines... Elle veut pas de toi, abandonne. Tu devrais plutôt penser à rembourser Crochet, ça fait six mois que tu lui dois plus de six cents schillings ! » « Maiiiiis ! » C'était ça, sa vie, maintenant. Il était loin, le trou d'écureuil dans un chêne. Elle vivait à la ville maintenant, avec un imbécile d'humain trop immature qui courait les filles et avait un pirate avare aux fesses, dont elle était amoureuse en plus de ça. Mais elle n'aurait changé ça pour rien au monde.