Agnès eut une enfance normale. Elle fut éduquée en tant que dame, bien élevée, afin de devenir une bonne épouse, qui se tenait bien en société. Il n'y a rien de bien notable dans son enfance. Elle était la plus jeune de la famille ; une sœur ainsi que deux frère plus vieux. Leur père est mort quand elle avait six ans. Elle se souvient à peine de lui. Dernière de la famille (si on ne compte la fausse-couche de maman deux ans après la naissance d'Agnès), elle a été gâtée par sa sœur et ses frères. Bon, ces derniers pouvaient se montrer un peu trop joueurs à son goût, mais c'était surtout Anne qui subissait la plupart de leurs frasques, cette dernière réagissant plus que le faisait sa petite sœur. Anne avait du répondant, se défendait, et Agnès, elle, restait là, à ne rien faire, à les regarder en se demandant pourquoi ils faisaient ça... quand elle ne se mettait pas à rire trouvant leurs agissements bien stupides. C'était assez insultant pour eux. Elle fut élevée, dans l'espoir d'épouser un homme de sa condition, et peut-être même plus haut. Comme toute adolescente se respectant, c'était de Charmant qu'elle rêvait — qui ne voudrait pas de lui ? — mais elle savait très bien que c'était impossible. N'empêche, lorsque Barbe Bleue s'intéressa à elle et à sa sœur, elle en fut la première surprise. Sa première réaction fut de dire que c'était Anne qui devait se marier, c'était elle la plus vieille. Mais elle ne voulait pas, attendant qu'un jeune homme se rende compte qu'elle était la femme de sa vie.

Elles se renvoyèrent Barbe Bleue l'une à l'autre sans le vouloir ; en parlant, jamais elles n'aurait voulu le toucher de cette manière. Pourtant, elles savaient très bien toutes les deux que devenir femme de cet homme voudrait dire avoir une assez bonne situation. Malgré ce qui était arrivé à ses anciennes femmes. Quoi ? C'était là tout le mystère. Il les invita finalement avec des amis, à l'une de ses maisons où ils ne firent que s'amuser. Où il ne comptait pas les dépenses. Ce qui le rendit de plus en plus intéressant aux yeux d'Agnès, lui donnant une barbe moins bleue et que même s'il était tout aussi impressionnant, elle le voyait d'un autre œil. Elle accepta de l'épouser. Elle vécut la préparation comme un rêve, Barbe Bleue continuant de pas regarder à la dépense. Elle eut un mariage de rêves... à part le mari qu'elle avait à peine approché durant leurs courtes fréquentations. Elle ne savait pas du tout comment elle allait faire le soir des noces. Ce fut assez court et il ne tarda pas à ronfler ensuite. Elle en fut soulagée et irritée. Ce ne serait pas la dernière fois. Durant un mois, ils apprirent à se connaître un peu, n'ayant pas grands points communs tous les deux et lui se contentant de la regarder la laissant rarement être habillée durant ce mois. Il dut partir, ayant besoin d'aller en province pour son travail. Six semaines. Il lui donna les clés des endroits où elle n'avait jamais été avant, lui montrant où il cachait ses richesses, sauf une pièce. Malheur, il n'aurait jamais dû le lui dire. Elle eut envie d'y aller tout de suite. Elle prit tout de même le temps de lui dire adieux en l'embrassant et, sa sœur, ses amies et ses voisines arrivèrent.

Elle ne resta pas longtemps avec elles. Il y avait cette pièce qu'elle devait voir... tout de suite. Ce qu'elle fit, se rompant presque le cou dans les escaliers en descendant tant elle était pressée. Devant la porte, elle hésita, mais pas très longtemps. Qu'est-ce que Barbe Bleue pourrait lui faire ? Lui crier après ? Elle ne l'espérait pas, elle détestait l'entendre crier, c'était arrivé quelques fois au cours du dernier mois et il avait bien vu qu'il l'impressionnait. En espérant qu'il n'en abuse pas. Elle souffla un coup, ouvrant ensuite la porte. Elle prit quelques secondes avant de comprendre ce qu'elle avait sous les yeux. Ses anciennes femmes. Mortes. Égorgées. Il y avait du sang partout. La clé lui tomba de la main, et elle ne parvint pas à crier, ayant oublié comment faire. Elle se baissa, cherchant la clé à tâtons, verrouillant la porte, montant à sa chambre. Bien qu'elle ne parvint pas à reprendre ses esprits, elle réussit à voir que la clé était tachée. Elle ne l'était pas avant. Elle se mit à frotter et à frotter, mais rien n'y faisait. Quand elle nettoyait d'un côté, le sang revenait de l'autre.

La tache ne voulait pas partir.

Elle expliqua la situation à sa sœur Anne, sans parler des femmes, jusque la tache ne voulait pas partir et que son mari serait très fâché. Si Agnès adorait la propreté, Anne en était maniaque. Si quelqu'un était capable de faire partir une tache, c'était bien elle. Elle en fut capable. Elle avait toujours sur elle un bout de tissu enchanté qu'une sorcière lui avait remis (Anne ayant le pouce vert, elle fournissait certaines sorcières). La clé fut comme neuve. Barbe Bleue, le soir même ; il avait reçu des lettres indiquant que tout était réglé ne se douta de rien (pour son plus grand malheur, sûrement). Agnès ne dit rien à personne à propos de ce qu'elle avait vu. Riche comme Barbe Bleue l'était, il pouvait très bien, même en attendant la peine de mort, s'arranger pour qu'elle souffre. Ce qu'elle veut éviter. Elle resta donc une épouse. Fin vachement moins violente que la fin du vrai conte non ? Pour l'instant. Car Agnès, en sachant ce qu'à fait Barbe Bleue à ses anciennes femmes est nerveuse. Très nerveuse. Après tout, il peut très bien décider de la tuer parce qu'elle a haussé un peu trop le ton. Il peut très bien avoir tué sa première femme pour ça. La deuxième a peut-être découvert la première, et cela a pu continué comme ça encore et encore, mais la première ? Elle n'en sait rien. C'est elle qui lui fait le plus peur. Pourquoi il l'avait tué ? Qu'est-ce qu'elle avait fait ? Est-ce qu'elle pouvait faire pareil et se retrouver morte ? Alors, elle faisait très attention, tout en essayant de ne pas trop changer son comportement envers son mari. S'il se douta de quelque chose, il ne lui dit jamais rien. Heureusement qu'il est souvent absent à cause de son travail. Il ne lui a jamais dit en quoi consistait ce dit travail, mais ce n'est pas quelque chose qu'elle trouve important. Moins elle en sait, mieux elle se porte. Sûrement parce qu'elle en sait déjà trop sur lui.

Ça fait à présent huit ans qu'elle est mariée à Barbe Bleue. Elle est toujours en vie. Le mariage bat des longueurs pour son mari. Elle, puisque c'est son premier, elle se trouve assez chanceuse de ne pas mourir. Peut-être parce qu'elle n'a pas été curieuse. Elle continue de faire attention. Ça ne peut pas lui faire de mal. Elle semble donc être une épouse dévouée lorsqu'il est là, s'intéressant au minimum à ce qu'il fait sans trop entrer dans les détails. Elle a déjà essayé, au cas où il aurait voulu d'une femme qui s'intéressait à tout. Il a été encore moins loquace que d'habitude. Elle n'a donc plus chercher à l'être, ça l'arrangeait. Tout comme quand il est là et qu'il s'enferme elle ne sait trop où. À part la nuit dans leur lit, il ne prend pas vraiment son rôle de mari très au sérieux ; et c'est toujours aussi court merci Merlin. Il regarde souvent la clé, qui continue de ne pas avoir de rouge dessus. Pourtant, il doit commencer à savoir qu'elle est curieuse et qu'elle aurait dû la tester depuis longtemps. Elle ne compte pas lui faire partager qu'elle sait ce que la clé ouvre. Son côté « essayer d'être la femme parfaite » c'est aussi pour éviter de le faire crier. Parce qu'il a de la voix. Elle a vraiment très peur (encore plus que d'habitude) lorsqu'il hausse le ton. Qu'il ne lui crie pas après lui va très bien.

''Huit ans et toujours pas de bébé.'' c'est ce que répète souvent sa mère. Encore une fois, c'est grâce à sa sœur. Cette dernière comprend très bien le fait qu'Agnès ne veuille pas enfanter de Barbe Bleue, tout comme elle sait très bien que sa jeune sœur n'a jamais été très portée sur les enfants de toute façon. Elle lui fournit donc un mélange de plantes à prendre comme du thé. La plus jeune ne sait pas ce qu'il y a dedans, mais ça fonctionne très bien. Avec l'arrivée du Charnel 5, elle était curieuse de voir si son mari allait changer ou non. Non. Toujours aussi bleue sa barbe (avec quelques fils gris à présent) il se ressemble toujours. Vraiment humain. À moins que ce soit une drôle de race qu'elle ne connaît pas.