Il était tard, il devait sûrement faire très sombre dehors. D’après le récit de ta mère la nuit était l’une des plus horribles qu’elle n’ait vécut. Le ciel n’avait plus rien de rassurant, les nuages couvraient toutes les âmes et se délectaient de la lumière des étoiles. Le noir total. Même la lune ne pouvait combattre cette armée de brume. Il faisait froid, beaucoup de sans abris avaient prit comme refuge les maisons des personnes aimables. Pour les plus malchanceux la mort était venue les récupérer. Le ciel semblait pleurer, des perles blanches tombaient à flot recouvrant ainsi le sol d’une épaisse couche de neige. Voilà le village de Froidval endormi sous son épaisse cape blanche. Tout semblait mort, toute lumière éteinte, tout son sourd. Excepté un. Unique et solitaire. Il venait trancher le silence mortuaire de la nuit, encore et encore. Un cri, était-il de douleur ou d’horreur ? Tu étais encore trop jeune pour parvenir à le deviner. C’était une femme et plus le temps passait plus sa voix se faisait faible et tremblante. Tu commenças alors à t’inquiéter pour elle. Puis tu discernas d’autres voix aux alentours. Elles étaient paniquées et à bout de souffle. « Gardez courage Miranda. Continuez ainsi, tenez bon. On va y arriver. » Ils se répétaient ces mêmes phrases en boucle sans jamais s’en lasser. Tu te demandas alors qui était cette Miranda et qui étaient ces gens. Tu aurais voulus ouvrir les yeux et observer ces inconnus t’entourant. Mais tu n’en trouvas pas la force, tu ne voyais que le noir le plus obscure. Puis un contact. Il était froid. Une de ces étranges personnes t’attrapa la tête entre deux immenses mains glacées. Lentement on t’extirpa de ton petit cocon tout chaud. Une fois arrachée à ton chez toi, tu sentis ton corps entier se geler. Tout était devenu différent. Et un autre cri se fit entendre, un bébé. Te voilà née. De nouveau une voix s’éleva à côté de toi. « C’est une fille Miranda, encore. » L’homme semblait déçu, tu ne compris pas pourquoi tout cela t’étais encore étranger. « Nous sommes maudits, nous n’aurons jamais de garçon. Celle-ci ira à l’atelier avec ses sœurs, je ne veux pas la voir. Victor je te la confie, tu es mon frère et je sais que tu en feras une bonne fille. Ramènes-la moi à ses huit ans pour qu’elle puisse se mettre au travail. » A la suite de ces paroles tes cris se firent plus fort encore et ce fut le début de ta vie.




Un village coincé entre le Désert Floconblanc et la Forêt Sucrée. Quelques terres où se nourrissaient le bétail et où cultivaient quelques paysans. Une petite maison faite à partir de bois et de brins de paille. Une minuscule cour où trottinaient toutes sortes de volatiles. Et une enfant leur courant après. Un sourire aux lèvres indécrochable, les joues rougies par l’effort, le front couvert de sueur malgré le temps frais. Elle semblait heureuse dans sa robe de toile déchirée, ses pieds nus avaient virés au bleu à cause de la fine couche de neige mais elle ne s’en souciait pas, elle avait déjà bien trop à faire avec ces oiseaux courant dans tous les sens. Un peu plus loin un homme d’une trentaine d’année se tenait debout à l’entrée d’une maisonnette dont la cheminée fumait. Il la regardait avec, lui aussi, un sourire aux lèvres. Ils n’étaient certes pas très riches mais ils étaient heureux et se sentaient biens. Ils se satisfaisaient des petites choses de la vie et tout allait pour le mieux. Puis l’homme entrouvrit les lèvres avant de se décider à rappeler la fillette à l’intérieure. « Ermeline ! Rentrons, il est l’heure de déjeuner. Aller dépêches-toi, j’ai trouvé quelques baies dehors. » Alors tu t’arrêtas, laissant enfin les volatiles en paix. Tu balanças ta crinière brune dans ton dos et te mis de nouveau à courir mais cette fois vers la porte en bois de ton lieu de vie. Tu nageais en plein bonheur et pour rien au monde tu n’aurais voulus que cela change.
Mais comme tout le monde tu grandis. Tu enchainais les hivers avec toujours la même joie de vivre et le même sourire faisant de l’ombre au soleil. Tu commenças à côtoyer les salles de classe de ton village, tu étais douée dans beaucoup de matière mais ta favorite restait l’étude des plantes. Après tout tu avais ça dans le sang. Tu passais tes journées de printemps à discuter avec les oiseaux, celle d’été à consoler les sangliers et celles d’automne à taquiner les daims. Tu étais populaire auprès de tes amis pour tes ‘tours de magie’ mais tout cela ne fut qu’éphémère. A la veille de ton huitième anniversaire ton oncle Victor te promit une surprise. Il avait ce sourire légèrement triste tandis que tes yeux pétillaient d’impatience. L’air était lourd dans la calèche mais tu ne te doutais de rien. Tu n’avais pas idée du sombre destin qui t’attendait de pied ferme.
Suite à une longue nuit de voyage, votre calèche de fortune finit par s’arrêter dans un village que tu ne connaissais point mais qui te paraissait pourtant familier. Tu t’empressas de te saisir de la main de ton oncle face à cette foule turbulente de gens. Puis, ensemble, vous vous aventurâtes au milieu de ces personnes criant à tout bout de chant. L’une voulait du poisson et l’autre des tissus. L’un voulait vendre ses épices et l’autre son bois. La tête te tourna et ton esprit commença à te jouer des tours. Pendant un instant tu crus voir un papillon posé sur le bout de ton nez, tu crias sous la surprise puis te mis à loucher. Un court instant seulement, le temps qu’une voix familière t’interrompt dans ta rêverie. « Et bien mon cher Victor. Tu n’as tout de même pas rendue ma fille folle j’espère ? » Ton oncle eut un rire gêné, tu aurais pus pensé qu’ils plaisantaient simplement ensemble si sa main n’avait pas fait pression sur la tienne. Tu levas alors des yeux inquiets vers celui-ci, te demandant qui était cette dame vêtue de blanc. Pourquoi avait-elle dit que tu étais sa fille ? Tu ne comprenais rien et on ne te laissa pas le temps de comprendre non plus. « Merci mon frère, tu peux retourner dans tes champs tranquille désormais. » La femme d’une beauté indescriptible posa alors une main fine sur ton épaule et te ramena près d’elle. Sans dire mot tu observas ton oncle se faire chasser. Quand un homme le poussa violemment vers votre calèche en bois tu ne pus retenir un cri. Tu commenças alors à te débattre, tu tentas de t’échapper des mains de cette femme et tu en vins à la mordre. Elle te gifla. Tu t’étalas sur les dalles couvertes de givre. Les yeux inondés de larmes tu la foudroyas du regard. Pour la première fois tu détestas quelqu’un et cette inconnue qui se disait ta mère n’annonçait rien de bon dans tes futurs jours à vivre.




La pièce était mal éclairée, tes yeux te faisaient souffrir et tes paupières te semblaient peser une tonne. Quelques rayons de soleil parvenaient à pénétrer dans la salle à travers les rideaux que vous aviez vous-même tissé toi et tes sœurs. Tu observais les grains de poussières dansant dans les faisceaux lumineux, tu te mis alors à les envier. Combien de temps cela faisait-il que tu n’avais pas bougé de ce tabouret, que tu n’avais pas respiré l’air froid de l’extérieur. Tu tournas légèrement ton visage vers la droite, tes deux grandes sœurs semblaient figées dans le temps. Le regard vide, aucun de leur cil ne cilla. Seules leurs mains paraissaient encore en vie. Elles étaient totalement synchrones et répétaient les mêmes gestes sans jamais faillir. Entre leurs mains habiles une pelote de laine se transformait en multiples bouts de fils plus fins les uns que les autres. Sous la faible lumière on aurait dit des fils d’or mais tout cela ne devait être que ton imagination enfantine. Alors tu continuas de les regarder avec admiration, elles étaient rapides et précises. Faisant, ensemble, tourner le rouet, mouillant le fil puis le tordant jusqu’à obtenir la ficelle parfaite. Elles avaient dut faire ça depuis très longtemps pour en avoir une telle expérience et c’est à ce moment que tu ressentis de la pitié pour ces filles forcées à travailler dans l’ombre. Leurs mains étaient devenues difformes à cause du dur travail, leur pied avait lui aussi gonflé et s’était couvert de tâches bleuâtres. Tu baissas alors la tête avec tes minuscules mains encore toute rose. Tu ne voulais pas que cela t’arrive, tu avais peur du rouet et du fuseau pointé sur toi. Tu ne voulais jamais y toucher. Alors tu bondis de ton tabouret et t’avanças à tâtons vers tes sœurs. Tes mains se posèrent sur la cuisse de l’aînée, elle ne réagit pas. « Mes sœurs, arrêtons un instant. Cela fait trop longtemps que nous sommes ici, allons jouer dehors. » Tu avais dis ces mots d’une voix presque inaudible mais à peine quelques secondes furent passées que les deux adolescentes s’arrêtèrent de faire tourner le rouet. Elles plongèrent leur regard noisette dans le tien et tu reculas de quelques pas. Elles semblaient soudainement effrayées mais par quoi ? Une porte grinça derrière toi, tu te tournas vers celle-ci et une femme vêtue de blanc fit son entrée. Elle était toujours aussi belle et majestueuse mais elle restait le même monstre à tes yeux. « Que faîtes-vous ? Pourquoi vos rouets ne tournent-ils pas ? Mes filles remettez-vous au travail, le fil ne va pas se faire sans vos mains agiles. Et toi, pourquoi n’es-tu pas assise sur ton tabouret ? » La femme te souleva du sol et te posa sur ton siège. Tu grognas et tentas de t’enfuir mais elle était bien plus forte. Elle força ton pied à faire tourner le rouet, une de tes mèches brunes vint s’enrouler dans la roue et tu poussas un cri sous la douleur. Cette femme n’en avait que faire, elle sortit une paire de ciseaux d’une de ses poches et sans hésitation la coupa. « Travailles un peu paresseuse ! Nous devons satisfaire les besoins des gens le plus rapidement possible. Si ce n’est pas nous, qui fera tous ces beaux tissus ? » Sans réfléchir tu levas le menton avant de monter la voix. « Vous êtes laide ! » La femme parut consternée et te gifla une nouvelle fois. Tu la haïssais, c’est à cet instant précis, au moment où sa main se posa sur ta joue que tu te promis de la rendre folle et de ruiner sa vie.
Les années passèrent et cette même scène se répéta sans cesse. Tu prenais plaisir à ne rien faire, à observer le visage crispé de Miranda se décomposer face à ta soi-disant paresse. Elle te ruait certes de coups jusqu’à t’en faire saigner mais tu t’en fichais tant qu’elle perdait la raison pour toi tu étais la gagnante. Tu tentais d’inciter tes sœurs à se rebeller elles aussi mais tu ne parvenais jamais à les convaincre, elles avaient trop peur de leur mère. Alors, à tes dix-sept ans, tu en eus assez de voir ces femmes gâchant leur vie pour quelques bouts de tissus. Pendant leur sommeil tu détruis tous les rouets à coup de hache et tu t’échappas de la maison pour aller jeter toutes les réserves de coton et de lin dans le puits. A son réveil Miranda hurla de colère attirant tous les voisins à vos fenêtres. Tu la regardais avec un sourire victorieux accroché aux lèvres, bientôt tout changerait tu le sentais. C’est alors que l’on entendit au-dehors des acclamations puis quelqu’un vint frapper à votre porte. Une de tes sœurs partit ouvrir. Vêtue d’une longue robe noire incrustée de diamant elle fit passer un regard circulaire sur votre petite famille. Sa couronne de glace indiquait déjà que cette sublime femme venait d’une famille royale. Par chance ton cher oncle t’avait appris les bonnes manières alors sans plus attendre tu t’inclinas face à elle. « Relevez-vous mes enfants. » Sa voix était douce et aurait put calmer n’importe quel animal enragé, même Miranda. « Je me baladais dans le village quand j’ai entendu un cri, vous est-il arrivé malheur ? » Tous vos regards se tournèrent vers Miranda. Sa lèvre inférieure tremblotait, elle cherchait visiblement ses mots afin de ne pas paraître pour un monstre face à la majestueuse invitée. En voyant cette scène tu te retins de rire tout en te demandant quel mensonge elle allait bien pouvoir inventer. « Ma fille Ermeline aime tisser, elle en est folle. Je ne parviens jamais à la détacher de son fuseau et dans ma pauvreté je ne peux lui offrir assez de lin ou de coton. J’ai donc été obligée ce matin de briser tous les rouets et fuseaux de la maison. » Un sourire bienveillant s’afficha alors sur les traits de la femme et soudainement elle tendit une main gantée vers toi. « J’adore le bruit du rouet et je trouve moi aussi qu’il n’y a rien de mieux que le fuseau. Viens avec moi dans mon château. Là-bas, il y a tout le fil dont tu désires, tu pourras filer jour et nuit si le cœur t’en dit. » A peine avait-elle finit sa phrase que Miranda te poussa discrètement vers elle. Tu n’avais pas besoin de son accord pour une offre pareille, on ne te le demanda pas deux fois, aussitôt tu te saisis de cette main accueillante et tu montas dans sa somptueuse calèche. Une nouvelle vie s’offrait à toi.



Vous aviez voyagé des jours entiers, traversé des contrées inconnues et affronté les tempêtes de neige du Désert Floconblanc. Puis le paysage glacé de Yasen se métamorphosa en quelque chose d’autre. Un endroit que tu n’avais jamais vu. Une ville remplie de vie. Elle semblait bourdonner comme un essaim d’abeilles. Fort Fort Lointain disaient-ils. Arrivée au palais, la femme te fit visiter sa demeure. Tout était grand et somptueux. Il n’y avait aucunes traces de poussière et chaque meuble brillait de milles feux. De multiples domestiques vinrent s’affairer autour de toi, te lavant, te parfumant et brossant tes longs cheveux. On te rendit plus belle que tu ne l’avais jamais été. On t’habilla d’une longue robe couleur du soleil et tu retournas auprès de ta sauveuse, le sourire aux lèvres. Elle t’escorta jusqu’à s’arrêter devant trois gigantesques portes finement sculptées. « Que se cache derrière ses portes ? » demandas-tu gaiement. Des gardes ouvrirent simultanément ces fameuses portes et désormais trois chambres s’offrirent à ta vue. Elles toutes étaient emplies jusqu’au plafond du plus fin et du plus brillant lin que tu n’ais jamais vu. Au milieu de chaque pièce se dressait un rouet près d’un fuseau étincelant. A cette vue tu eus un mouvement de recul, étais-tu donc condamnée à tisser toute ta vie ? « Ne t’en fais pas mon enfant, ton travail ne restera pas impayé. File-moi tout ce lin et je te donnerai mon fils aîné en mariage. Tu deviendras riche et ta vie sera agréable. Considère ce travail comme une dot. » Tu hochas difficilement la tête, filer cette quantité de lin te prendrait un millénaire mais tu ne pouvais refuser la bonté de cette femme t’ayant déjà offert la possibilité d’une meilleure vie. Alors tu pénétras dans l’une de ses chambres et t’enfermas jusqu’à la fin de ta mission.
Une semaine fut passée sans que tu ne touches le moindre fil. Tu n’avais pas envie de filer, pas envie de travailler, pas envie de te fatiguer ou de te blesser. Pendant sept jours tu fis les cents pas dans la pièce à la recherche d’une solution. Puis la femme vint te rendre visite, elle fut bien évidemment étonnée de voir que tu n’avais toujours rien fait. Tu lui dis que le chagrin que tu avais d’avoir quitté ta famille t’empêchait de travailler. Elle crut à ton mensonge et tenta de te consoler. Deux jours plus tard elle revint te voir avec un diadème entre les mains, elle te l’offrit tout en t’encourageant à te mettre à la tâche. Sept jours de plus furent écoulés. Tu commençais à perdre espoir, tu te demandais alors s’il fallait vraiment que tu travailles. Mais tu avais horreur de ces objets, rien qu’à leur contact un frisson d’effroi te parcourait. C’est un jour où tu te trouvas totalement désespérée que tu partis t’accouder à ta fenêtre. Tu observais un nid d’oiseau en construction quand des rires attirèrent ton attention. Trois femmes marchaient ensemble vers ta fenêtre. L’une d’elle avait un gigantesque pied plat, l’autre avait une lèvre inférieure boursoufflée et tellement pendante que celle-ci recouvrait son menton et la dernière avait un pouce large complètement difforme. Tu ne connaissais que trop bien ces déformations là, ces femmes te rappelèrent alors tes sœurs encore enfermées dans la cave pour filer. Puis les femmes s’arrêtèrent sous ta fenêtre et levèrent la tête vers toi. Tu avais sûrement dut les intriguer à les fixer ainsi. « Pourquoi ton regard se fait-il si triste jeune fille ? » Pendant un instant tu te demandas s’il était juste de leur raconter tes malheurs mais puisque tu n’avais rien à y perdre tu laissas ta langue conter ta propre histoire. A la fin de ton récit les trois femmes parurent émues et elles te proposèrent ainsi leur aide mais il y avait tout de même quelques conditions. « Nous te filerons tout ce lin si le jour de ton mariage tu nous présentes, sans avoir honte, comme étant tes cousines et que tu nous fais asseoir à ta table. » Tu acceptas sans hésitation. Le lendemain les trois fileuses se retrouvaient dans ta chambre et la quantité de lin diminuait à une vitesse folle. Dès que ta tutrice pénétrait dans la pièce tu t’empressais de cacher tes amies sous ton lit. La femme n’en revenait pas et ne cessait de te noyer dans ses compliments. Il ne leur suffit que de deux semaines pour filer les trois chambres entières. « N’oublies pas ta promesse ma sœur. » dirent-elle le jour de leur départ.
Ton mariage eut lieu quelques jours plus tard. Tu n’aimais pas ton seigneur mais à ses côtés tu aurais une vie meilleure. Comme prévu les trois fileuses étaient présentes à votre table et tu les désignas comme des cousines. A leur vue ton fiancé te demanda pourquoi elles étaient si laides. « C’est à cause de mouiller, taper et faire tourner le rouet, mon Seigneur. » Il parut horrifié et t’interdit aussitôt de t’approcher d’un quelconque rouet ou brin de lin.
Une fois de plus tu remportas la victoire sans avoir lever le moindre petit doigt.