Le temps était au mauvais depuis le début de la journée, et quand l'on savait que la journée tirait sur sa fin, ça voulait dire quelque chose. Normalement, à cette heure-ci, la luminosité était meilleure, mais les gros nuages noirs qui avaient passé la journée à déverser de la pluie sur la ville obscurcissaient le ciel.
Et Aubin peut vous garantir que cette histoire de carottes qui donnent une bonne vision, c'est un ramassis de conneries, parce que lui il en bouffe à la pelle des carottes, et il galérait quand même sacrément à bien voir la silhouette qu'il était en train de poursuivre.
Le soldat Fendlafoule avait une fois de plus évité d'être collé à la surveillance du palais, donc : planté en terre tel un radis pendant un paquet d'heures. Ce qui s'accordait très mal avec sa nature « plutôt active » comme on le disait quand on était poli, voire « foutu hyperactif » quand on voulait décrire au mieux la réalité. Evidemment, lors de ses rondes, il s'était retrouvé apparié avec le plus grand tire-au-cul de toute la garnison – ce qui ne veut pas dire qu'il préférait la gente masculine à la féminine, c'était juste un gros fainéant.

Alors qu'Aubin observait un silence poli hormis pour donner des indications genre « non après cette rue-là, on tourne à gauche, pas à droite. Je sais que tu voulais prendre un raccourci mais c'est pas le but de notre mission tu sais », ils s'étaient retrouvés à traverser le marché. Quand soudain, quasiment sous les vibrisses du lièvre, un vil manant maigrichon aux genoux cagneux s'était emparé avec ses petits doigts crochus de la bourse d'une rondelette et bourgeoise mégère.
La femme s'était répandue en cris ressemblant furieusement aux hurlements d'agonie d'un petit goret, et Aubin, autant dans l'optique de rendre la justice que d'échapper à cette torture auditive, était parti en courant derrière le maigrichon aux genoux cagneux.

Et nom des dieux, qu'est-ce qu'il regrettait de ne plus avoir une forme de lièvre dans ces cas-là. Peut-être bien que comme le disait Marraine, les humanoïdes étaient plus agréables à l'oeil – et que c'est pénible de se voir répondre par un corbeau dans une forêt perdue alors qu'on veut tranquillement se parler à soi-même –, mais on devait bien dire ce qui était : l'enveloppe humaine était remarquablement bonne à rien.
Oh on pouvait un peu tout faire avec, Aubin devait l'admettre, et franchement le pouce en opposition était vraiment une idée de génie.
Mais on faisait un peu tout mal, et Aubin regrettait ses pointes de vitesse alors qu'il cavalait derrière le manant maigrichon aux genoux cagneux après l'avoir averti d'un « hé, toi, arrête-toi là ».
Aubin étant le garde le plus entêté de toute sa compagnie, il courut après le petit homme à travers toute la ville, et ils se retrouvèrent bientôt à se poursuivre en rase campagne, et Aubin pestouillant contre les propriétés imaginaires des carottes.

Arriva donc forcément ce qui était censé arriver ; le lièvre, troublé par l'obscurité ambiante et plus occupé à regarder où diable allait son maigrichon voleur, ne regarda pas où il foutait les pieds, et une ronce enchantée et paresseuse lui fit un croche-patte de toute beauté.
Le garde royal perdit l'équilibre – et un peu de dignité au passage – quand il s'étala au sol dans un hurlement. Sa mâchoire claqua et il se mordit en prime la langue, ce qui amène à la moralité suivante : quand vous tombez, fermez la bouche, on ne sait jamais.

Quant au maigrichon cagneux, il se retourna pour regarder par-dessus son épaule ce qui était à l'origine d'un tel cri, et éclata de rire en voyant le lièvre étalé au sol, ses atours guerriers pleins de boue.
Il riait toujours quand il tomba également, à cause cette fois d'une racine noueuse d'un chêne vénérable. Aubin, un rien assommé – il avait la cervelle légère, c'était écrit dans la fable, et par conséquent le plus léger choc suffisait à troubler sa conscience – tenta de se redresser en dérapant dans la boue :

« Attends un peu que … j'arrive, toi ! »

Autant le dire tout de suite, depuis que j’ai pris la suite de Gretel à la boutique, mes jours de temps libre étaient bien moindre. Honnêtement, je n’avais jamais réalisé à quel point le travail qu’elle faisait était titanesque. Je concevais plus que bien qu’elle ne pouvait pas assurer tout toute seule, d’où l’embauche de Mulan et moi-même, cependant, ce que je voyais n’était que le haut de l’iceberg ! Mulan était d’une aide plus que précieuse et honnêtement, je n’avais pas très envie d’envisager embaucher une personne ne plus mais…je pense qu’il faudra bien à un moment. J’en parlerais à Gretel…La prochaine fois que je la verrais. Quand est-ce que ça sera, je n’en n’ai aucune idée. Ce n’est pas comme si on pouvait vraiment prévoir quand elle repasserait par la boutique, ceci dépendant majoritairement des actions des rebelles…Pendant un temps, j’ai voulu me tenir au courant, parce que, même si je n’approuvais pas certains de leurs agissements, il est clair que je les soutiens, au moins par la pensée. Mais avec le travail de titan que j’ai maintenant (et je ne m’en plains pas, je constate), je n’ai pas pu. Donc je ne sais absolument rien, ce qui n’est, au final, pas plus mal.

Mais revenons à nos moutons. Je parlais de mon temps libre. Je n’en n’ai effectivement pas beaucoup, mais aujourd’hui, j’ai demandé à Mulan si elle pouvait fermer la boutique seule et quand elle a acceptée, j’ai pris la poudre d’escampette, m’accordant quelques heures de tranquillité. Pour les dépenser, la forêt me semblait la meilleur option. C’est donc gaiement et avec une simple sacoche avec un peu de pain et de l’eau que je partis pour la forêt entourant Fort Fort Lointain. Pendant un moment je me suis contenté de me balader, ramassant parfois quelques petites choses qui pourraient s’avérer utiles, quelques champignons, quelques herbes…Bref, mon petit marché gratuit. Ce que je ne devrais pas vraiment faire, mais ils ne vont pas me faire croire qu’ils vérifient tous les jours le nombre de champignons dans cette forêt. Puis j’ai été pris de nostalgie et j’ai usé des branches et des arbres avoisinant pour me divertir un peu, faire des acrobaties comme j’en faisais au cirque. Ce qu’il pouvait me manquer ce cirque…Mais ma vie ici était bonne. J’avais un travail, un chez-moi…Oui, la vie était bonne. Finalement, je me suis posé sur une branche basse mais large, afin de me reposer tranquillement.

Sauf que la vie a d’autres plans pour moi ; en effet j’entends vite des bruits de pas à quelques mètres de ma position et j’ouvre les yeux, tournant la tête en direction du bruit pour voir ce qu’il se passe. A première vue, un type qui court pour échapper à un autre….en armure ? Ohoh, ça sentait la course-poursuite de voleur. Je l’observe un instant puis, voyant le type en armure manger la poussière, je ris aussi, mais bon, pas longtemps parce qu’il faut quand même voir pourquoi l’autre type voulait s’échapper. Alors le voyant arriver vers mon arbre, je descends et rabat une branche vers moi, faisant en sorte de bien resté caché, avant de la relâcher quand l’autre arrive à mon niveau. J’affiche une grimace de douleur en entend l’impact. Ca n’a pas été tendre, mais alors pas du tout. Je sors de derrière l’arbre et ramasse la petite bourse que l’assommé (ah oui là il est assommé, il n’y a pas photo…) a dans la main et le reste se recoupe dans mon cerveau…haussant les épaules, je vais vers le type tombé tout à l’heure.

"Hey, ça va ? Besoin d’aide ?"