Dans un petit village non loin d'ici vivait un couple d'un certain âge. Tous deux étaient d'honnêtes éleveurs de poules d'eau et habitaient une maisonnette toute de briques et de bois faite. Alors que les poules piaillaient sur les berges du ruisseau, roucoulant de la belle vie qu'elles menaient grâce à leurs maîtres d'une grande bonté, les fleurs et autres arbustes s'épanouissaient autour du cottage.

Tout ceux qui avaient eu le plaisir de pouvoir passer la porte de la demeure vantaient l'ambiance apaisante et douce qui y régnait, les sourires prodigués par le couple jamais avare de politesses de compliments ... Néanmoins, ils ignoraient que derrière les jolis rideaux de dentelle et les portes des placards se cachaient de lourds secrets. En effet, malgré leurs efforts, ils étaient incapables d'avoir un enfant. Après plus d'une décennie de tentative, la femme avait commencé à sombrer dans une sorte de déprime, la poussant à des troubles obsessionnels. D'abord, ce furent des dizaines de poupées de porcelaine qui s'entassèrent dans un grand coffre à jouet, puis des sachets de lavande de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, des théières à bec et ... Tant d'autres choses dont le mari se débarrassait dans le plus grand secret, n'osant confronter sa douce épouse en proie au plus grand des malheurs. Il ignorait que son inaction conduirait à leur pire perte.

Un jour, alors qu'elle regardait par la fenêtre d'un air lointain, le regard de la femme se posa sur un jardin de l'autre côté du leur. Personne n'y mettait les pieds et pour cause : il se disait que celui-ci appartenait à une sorcière de bien mauvais acabit et qu'une intrusion sur ses terres pouvait vous coûter très cher. Sauf que les raiponces dont le jardin était envahi apparurent si appétissantes aux yeux de l'épouse qu'elle en développa une de ses fameuses obsessions. Chaque jour, elle ne cessait de les fixer sous le regard anxieux de son mari et chaque jour, elle dépérissait davantage, ne dormant ni ne mangeant plus. Ne sachant comment la raisonner, l'homme décida de prendre son courage à ses risques et périls et s'introduisit dans le jardin de la sorcière pour y cueillir quelques raiponces, espérant ainsi satisfaire sa femme. Ce fut le cas. Pour quelques jours. Puis, il dut recommencer. Plusieurs fois, Il s'y rendait la nuit, tout encapé, sachant l'amour de sa vie l'attendant dans la cuisine où le bol était déjà prêt à accueillir la salade qu'elle y ferait.

Sauf qu'un jour, elle attendit en vain. L'homme rentra, bouleversé et lui expliqua que la sorcière existait bel et bien et qu'elle l'avait surpris en plein larcin. Elle n'avait accepté de lui laisser la vie sauve qu'en échange de leur enfant premier-né. Un accord de dupes qu'il avait aussitôt accepté, depuis longtemps résigné quant au fait qu'ils pourraient un jour devenir parents.

Fut-ce la fortune qui se joua deux, leur offrant peu de temps plus tard le plus beau des dons mais aussi l'aveu de leur malédiction ? Le couple se le demanda alors qu'ils apprirent qu'enfin, la femme était enceinte. Ils fuirent aussitôt le village et partirent sur les routes dans l'espoir d'échapper à la promesse faite à la sorcière. En vain. Elle les retrouva quelques jours à peine après l'accouchement et menaça de les tuer tous trois, bâton de ronces pointé vers eux, s'ils se parjuraient. N'ayant d'autre choix, pour la survie de leur enfant, ils leur confièrent celles qu'ils avaient nommé Raiponce en l'honneur de la fleur qu'ils pensaient avoir permis le miracle de sa conception.

Le sorcière se nommait en réalité Hildegarde Delaronce et loin d'être une vieille femme racornie et sans âme, elle ramena le magnifique bébé blond dans ses contrées d'origine. De là, elle la conduisit dans une tour haute de plusieurs mètres sans porte ni escaliers. Le seul moyen d'entrer était une minuscule fenêtre en son sommet. Elle l'éleva comme sa propre enfant, lui prodiguant la même affection et les mêmes soins que sa mère l'aurait fait. Elle lui fournit tout ce dont elle avait besoin, bien que le confort ne s'étendit que relativement. Il n'était pas question de lui fournir trop d'informations sur le monde extérieur et éluda les questions que Raiponce commença très tôt à lui poser par des histoires d'horribles monstres qu'elle rencontrerait si elle se risquait à s'échapper. Loin de se douter que l'enfant horrifiée laisserait bientôt la place à une jeune fille trop retorse pour continuer à croire à ses fables.

Il fallait dire que lui laisser se servir d'exemplaires du FFL Times comme de supports lorsque Raiponce épluchait les légumes pour la soupe du soir, n'était pas le moyen le plus intelligent d'entretenir le mythe ...

Hildegarde avait une passion prononcée pour les cheveux de sa fille. Sa longue et épaisse chevelure blonde était l'objet d'une grande attention et elle ne cessait de la brosser en chantonnant, parfois des incantations, afin de les faire pousser toujours davantage. Si bien qu'un jour, elle n'eut plus besoin de s'user les bras sur la longue corde pour remonter dans la tour mais demanda à Raiponce de lui lancer ses immenses mèches. Ainsi put-elle aller et venir à sa guise, sans efforts.

Elle ne s'imaginait pas que sa fainéantise lui porterait un jour préjudice. Raiponce, faute d'autre interlocuteur que sa mère, aimait en son absence s'entraîner à discourir devant l'unique miroir de la tour. Elle pouvait se prêter à cet exercice des heures durant et parfois même, dans un élan se confiance, arpentait les dalles jusqu'à la fenêtre en chantant - horriblement faux. Un chant qui parut pourtant d'une douceur sans nom à un jeune homme. Le pauvre s'était perdu dans la forêt environnante et avait atterri au pied de la tour en se grattant la tête d'un air perdu, jusqu'à ce que la voix lui parvienne loin au-dessus de sa tête. Fils de Duc, premier héritier de sa fratrie, il n'avait visiblement pas l'oreille musicale ni inventé l'eau chaude, ce qui expliqua qu'il tomba immédiatement amoureux de l'inconnu braillante.

Il se cacha dans un fourré et le soir même, vit la sorcière revenir de ses courses quotidiennes et lancer le mot de passe "Raiponce, ma douce et chère enfant, lance-moi tes longs cheveux !" avant que lesdits cheveux ne glissent jusqu'à elle. Le lendemain, alors qu'il savait la femme loin, il cria les mêmes mots au pied de la tour et alors que la chevelure apparaissait, il s'empressa de la saisir. D'autres que Raiponce, une effarouchée, n'aurait certainement pas répondu à son appel. C'était même sûr. Néanmoins, cela faisait déjà un moment que la jeune fille souhaitait partir de cet endroit qu'elle considérait de plus en plus comme une prison, aussi saisit-elle cette occasion inespérée.

Autant dire que Joach ne lui fit pas autant d'effet qu'elle l'avait un moment espéré - ou qu'elle lui en fit. Aussi beau qu'il fut, il s'avéra rapidement être plus sot qu'un âne. Mais puisqu'il était sa seule chance, elle prit sur elle et découvrit que berner autrui était une sorte de don qu'elle se devait d'exploiter si elle voulait arriver à ses fins. Afin de ne pas éveiller les soupçons d'Hildegarde, elle demanda à son amant de lui ramener chaque jour un fil de soie. Avec ces derniers, elle tisserait une corde et bientôt, très bientôt, ils pourraient s'échapper de cette tour maudite ensemble. Elle promit même de l'épouser s'il l'aidait.

Malheureusement le "très bientôt" se transforma en mois, puis en années. Il lui fallut deux ans et beaucoup de patience pour parvenir à confectionner son salut, supportant l'air béat de Joach toute la sainte journée et sa conversation digne d'un perroquet - il répétait tout ce qu'il disait et n'avait pas la moindre culture autre que sa passion pour la classe. Et pour elle. Le jour enfin venu, ils s'apprêtaient à partir pour le périple de leur vie et Raiponce avait même lancé la corde par-dessus la fenêtre lorsque la sorcière fit irruption dans la tour. Il y avait bien une porte, finalement, dissimulée par un sort. Aussitôt, Joach se cacha derrière le miroir et observa les deux femmes s'affronter. L'incompréhension d'Hildegarde laissa place à sa nature mauvaise qu'elle avait toujours dissimulé à sa fille. Elle l'insulta vertement et, ainsi qu'elle l'avait fait pour ses parents vingt ans plus tôt, menaça de les assassiner tous deux en punition de cette traîtrise. Elle leva son bâton de ronces, prête à s'exécuter.

Blessée jusqu'aux tréfonds de son âme, révoltée comme jamais elle n'aurait pu penser l'être, Raiponce n'hésita pas : avant que la sorcière n'ait pu prononcer son enchantement, la chevelure blonde se referma autour du cou de sa mère. Elle serra. Encore et encore. Jusqu'à ce que sa mère rende son dernier soupir, elle la regarda rougir, bleuir et s'affaisser entre ses mèches d'un oeil froid mais brûlant de colère. Elle qui s'était toujours montré d'un caractère égal et d'une grande bonté mêlée à une douceur que d'autres lui aurait envié, se découvrit capable du pire. Prête à tout pour sa survie et son bonheur. Son acte la changerait irrémédiablement.

Le fils de Duc et elle purent donc fuir. Il la ramena sur les terres de ses parents, lesquels l'accueillirent avec bien des égards malgré sa basse naissance. Avouons que Raiponce avait répété son texte bien des fois dans sa tête et que la mine à la fois terrifiée et soulagée qu'elle leur présenta en aurait fait fondre plus d'un. Pour quelqu'un qui avait côtoyé si peu de ses pairs, elle s'en sortait terriblement bien. Il lui fallut cependant du temps pour s'acclimater aux bruits, aux odeurs et tout ce qui remuait ses sens si peu stimulés ces vingt dernières années. Au début, prétextant son terrible traumatisme, elle resta cloitrée dans ses appartements. Puis, réalisant qu'elle échangeait une prison contre une autre, elle finit par s'aventurer parmi les vivants. Avide des découvertes dont Hildegarde l'avait spoliée, elle parcourut le château, demanda à ce qu'on la conduise d'abord au bal, puis en ville ... Et six mois plus tard, ainsi qu'elle le lui avait promis, épousa Joach.

Leur union dura deux années. Deux années durant lesquelles elle fit preuve d'une réelle force d'adaptation et noua de nombreux contacts. Bonne dame de société en apparence, elle avait souvent le bon mot, le trait d'esprit ou l'attitude qui éveillait l'intérêt de son interlocuteur. Si seulement ils avaient su ce qu'elle rapportait sur eux à son cher miroir, la mâchoire leur en serait tombée ! Joach était celui qui prenait sans doute le plus. Si bien que lorsqu'il fut victime d'un mortel accident de chasse, elle en fut quelque peu attristée mais loin de la dévastation qu'elle aurait dû ressentir. Un sot et un pleutre méritait une mort aussi ridicule et vaine que lui, pensa-t-elle tandis qu'elle jouait les veuves éplorées.

Elle n'eut pas beaucoup à jouer afin de convaincre ses beaux-parents de l'introduire à la cour de Fort Fort Lointain. Leur demeure lui rappelait tandis Joach, minaudait-elle et puis, après ce drame, n'était-il pas temps qu'elle redécouvre un peu de joie ? Peu de temps plus tard, elle fut présentée au Roi Harold et noua une amitié avec la Princesse Fiona. Sans la détester, elle ne l'appréciait pas particulièrement non plus - elles n'avaient pas grand-chose en commun, croyait-elle. Ses ambitions à "devenir quelqu'un" de plus en plus prégnantes étaient ailleurs, ainsi que le montra son retournement de cape lorsque Marraine prit le pouvoir.

En parallèle de son activité chez Royal Entertainment en tant que conseillère en image et en communication, elle appliqua les enseignements que lui prodiguaient ce travail à la cour. Si, durant les premières années, on la remarqua à peine, telle une petite souris creusant tranquillement son trou, elle fut de plus en plus présente. Surtout lorsque la Fée disparut et que Charmant fut propulsé sur le trône. Ainsi qu'elle l'avait fait avec Fiona, elle était parvenue à se faire une place auprès de lui - qui lui rappelait étrangement Joach, la déférence et la bêtise en moins, le côté drama-queen en plus. Elle apparut de plus en plus à ses côtés, souvent à sa droite. Un symbole indéniable. Même quand Tracassin le destitua, elle resta dans l'ombre du nouveau régent, à nouveau effacée mais prête à intervenir dès que la providence lui en donnerait l'occasion.

Heureusement, contrairement à ce qu'il lui avait fallu de nerfs et de patience pour échapper à sa tour, elle n'eut pas longtemps à attendre. Elle fut l'une des premières à accueillir le retour de Marraine, bras ouverts et sourire plaqué aux lèvres. A coups de bons mots et d'une sagesse feinte, usant de ses talents de persuasion, elle souffla même à la Reine le discours qui émut les foules.

Le premier grand pas vers, elle y compte bien, une grandiose ascension.