Sous l’océan
Vivre sous l'océan. Certains s'imaginent sûrement que c'est extraordinaire, que les baleines ont des conversations très intéressantes, que les algues c'est bon pour la santé et qu'avoir une queue de poisson évite les épilations douloureuses... Ce n'est pas tout à fait faux en soit mais, être la fille du roi des mers est nettement moins palpitant.
En tant qu'héritière du trône, ma vie n'était faite que de restrictions. Impossible d'aller nager dans les profondeurs avec les autres sirènes car c'était trop dangereux, impossible de remonter à la surface avant d'avoir dix-huit ans car c'était trop dangereux... Voilà sûrement ce qu'on oublie de vous dire quand on vous parle des sirènes : c'est dangereux !
Car, selon mon père et ma grand mère (et tous les adultes de mon entourage), nous sommes en bas de la chaîne alimentaire et nos capacité de communiquer avec les requins ne les nourrit pas... Alors pas de folies, il faut rester sagement dans le grand palais de papa avec des sœurs qui passent leur vie à parler du prince charmant. Et nous n'avons d'ailleurs pas vraiment notre mot à dire la non plus !
Princesse des océans, voilà bien un titre qui vend du rêve mais si vous saviez ! Avoir pour meilleur ami un petit poulpe et passer sa vie à compter les poissons qui passent devant votre fenêtre n'est pas enviable, c'est même atrocement barbant ! Heureusement pour moi, le vieux monsieur qui s'occupait de la grande bibliothèque (bon, rien à voir avec vos livres hein, nous ce sont des algues et de l'ancre de sèche avec des signes étranges) était passionnant.
Il avait longuement étudié les hommes dans sa jeunesse, récupérant des objets, visitant des épaves et analysant des cadavres. Sympa n'est-ce pas ? Quoi qu'il en soit c'est de très loin ce qu'il y avait de plus intéressant autour de moi et j'ai passé une grande partie de mon enfance auprès de lui. Une chance qu'il soit aussi notre professeur, celui chargé de faire de nous des princesses cultivées et intelligentes.
Mon père n'aimait pas me voir traîner trop longtemps autour de cet individu car il avait une peur bleue des hommes, craignant qu'ils ne finissent par nous détruire... Comment ? Je ne sais toujours pas mais mieux vaut éviter d'essayer de comprendre mon père, je ne suis pas sûre qu'il y arrive lui-même ! J'ignore d'ailleurs si ma mère le comprenait... Elle est morte quand je n'étais qu'un bébé. Peut-être aimait-elle les humains ? Peut-être était-elle curieuse elle aussi ?
Mes cinq sœurs n'étaient pas curieuses pour une pièce d'or. Elles passaient plus de temps à écouter les derniers ragots qu'autre chose. Pas moi. Dès que j'ai eu quinze ans et un peu plus de liberté, j'ai commencé à explorer les environs de notre cité. Quoi que je puisse penser de la condition de sirène, je ne peux pas nier que c'était magnifique. Ce bleu à perte de vue, tous ces petits êtres si différents, si uniques.
Mais le plus beau restait ces épaves, seuls résidus de la présence humaine sur notre territoire. De grand édifices de bois, des objets d'ores et finement travaillés, des liquides d'un rouge extraordinaire et des étoffes aussi douce qu'un dauphin. Je comprenais peu des choses que je découvrais lors de mes brèves sorties. Ils sont si différents de nous, leurs outils sont si bizarres !
Près du palais, je m'étais construit une cachette. Dans une grotte, loin sous la surface, j'avais créé mon antre. Les murs étaient couverts de draperies, des coffres débordaient d'objets divers. Il y avait des petites choses, brillantes ou non, puis des plus grosses. Il m'était impossible de nommer la moitié de ses objets et ce malgré l'aide de mon vieil ami et des quelques animaux qui traînaient près de la surface... Alors je les avais nommé moi-même et leur avait trouvé une fonction bien spécifique à chacun.
Rapidement, je passais plus de temps dans ma caverne qu'au palais et mon père n'aimait pas ça. Il tenta de me punir, il bloqua l'accès mais j'étais maligne et j'avais déjà prévu cette optique. Je pu ainsi continuer ma collection dans le plus grand secret, avec plus de prudence. Mes connaissances se faisaient plus précises alors que ma curiosité grandissait un peu plus chaque jour. Il fallait que j'en vois de mes propres yeux et, bientôt, ce serait possible.
Un jour mon prince viendra…
Jusqu’à nos dix-huit ans, l’océan est réduit. Nous pouvons nager aussi profond qu’il nous l’est possible (soit jusqu’au fond du fond) mais il nous est interdit de gagner la surface. Ainsi, jusqu’à cet âge précis, nous n’avons jamais vu autre chose que les poissons et autres créatures aquatiques qui rodent autour de nous. Ce n’était pas tout à fait mon cas en vu de ma collection et de ma grande curiosité pour la terre ferme ais je n’avais jamais vu ces choses hors de l’eau et aucun homme vivant.
A l’heure pile de mon anniversaire, sans demander la moindre permission, je me suis élancée vers la surface. Inutile de chercher le lieu idéal, inutile de réfléchir : je suis montée tout droit en sortant du palais, tout droit vers la grande boule lumineuse qu’ils appellent soleil. Mes yeux brulaient à mesure que j’arrivais en haut mais plus rien n’avait d’importance. Je nageais de toutes mes forces comme si ma vie en dépendait. Ce jour est gravé dans ma mémoire comme s’il s’était produit hier, tout est incrusté en moi. Le plus beau jour de ma vie même s’il m’est parfois arrivé de penser que c’était aussi le pire…
Quand le vent a frôlé mon visage pour la première fois, j’ai senti comme des millions de petites piques. C’était froid et fort, tellement différent du courant ! Mais j’étais tellement heureuse, ce sentiment de liberté était extraordinaire et je pense n’avoir jamais rien connu de pareil depuis. Après le vent, je me souviens des odeurs. L’eau avait une odeur différente dehors, une odeur salée (même si j’ignorais ce mot jadis). Puis il y avait l’odeur de la rive un peu plus loin, toutes ces choses si différentes de notre monde… Je ne savais pas où regarder, quoi sentir, ma tête tournait.
Je me suis donc installée sur un rocher pour reprendre mes esprits. De là, je pouvais aussi observer les alentours sans être bousculée par les vagues, plus calmement. Et pourtant le temps était loin d’être calme malgré les puissants rayons de soleil qui perçaient le ciel. Il y avait beaucoup de vent, l’eau était agitée et d’épais nuages noirs menaçaient… Et pourtant une douce musique s’élevée à l’horizon. Il m’était impossible de le voir ou d’en reconnaître les instruments mais c’était humain, j’en étais certaine.
D’un bond, je regagnais l’eau pour chercher la source de cette douce mélodie qui s’avéra venir d’un grand bateau. Il était en tout point similaire à ceux que j’avais vu sous l’eau, il était juste plus… Plus neuf, des voiles entières, le bois bien entretenu. Magnifique et tellement grand ! Il m’était impossible de voir d’où venait la musique mais je voyais quelques têtes s’agiter sur le pont. Des éclats de voix et de rire. Ils avaient la même voix que nous mais beaucoup de mots étranges. C’était tellement fantastique que j’étais hypnotisée, les suivant sans faire attention au reste.
Je nageais près du grand bâtiment quand la tempête finit par frapper, me faisant regagner un nouveau perchoir non loin, plus gros et surtout plus haut. La pluie frappait mon visage et c’était étrange. Un nouveau contact avec l’eau, fort, différent. Et le vent si violent ! Comment pouvait-il être aussi fort que le plus fort des courants ? A ce moment là, j’ignorais qu’il pouvait être néfaste, que cette tempête pouvait être mortelle pour qui que ce soit. J’étais fascinée, une fois de plus. C’était magique, j’étais accrochée à mon rocher, battue par les éléments mais libre, tellement libre…
Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin et celle de mon premier jour de liberté fut aussi magnifique que terrible.
Soudainement, une grande lumière argentée traversa le ciel. J’eu l’impression qu’elle coupait l’horizon en deux mais la trace disparut en un rien de temps… Le bruit ne tarda pas à suivre, un énorme BOUM effrayant qui manqua de me faire tomber. Ce nouveau spectacle était tout aussi magnifique mais la peur était mon sentiment dominant. Suffisamment pour me paralyser sur place, une sensation qui s’amplifia quand d’immenses flammes s’élevèrent du bateau qui était encore à quelques mètres de moi.
Je ne savais pas quoi faire, la lumière tombait encore autour de moi, toujours suivie par ce bruit terrible… Les vagues étaient plus hautes, l’eau plus chaude, la pluie plus piquante. Que devais-je faire ? Etais-je vraiment en danger ? Avais-je peur ou simplement très envie de voir ce spectacle jusqu’à son dernier acte ? Il m’est impossible de m’en souvenir vraiment, tout ce que je sais c’est que je suis restée là, immobile à regarder le bois prendre feu, à voir les flammes léchées par les vagues. Et les hommes criaient, passaient par dessus bord…
C’est là que je le vis pour la première fois. Il était grand, fort… Il m’était impossible de le voir en détail au milieu de la tempête mais je savais qu’il était spécial. Mon cœur se mit à battre à toute allure, presque comme s’il s’était arrêté de le faire pendant un moment. Ma gorge s’était serrée et j’avais une impression étrange. Sans réfléchir, je m’élançais de nouveau, bien décidée à le sauver…
Pourquoi ? Je l’ignore encore, mon cœur a pensé pour moi.
Quand je suis arrivée à son niveau, il était déjà inconscient, aussi beau que je l’avais deviné dans la distance… Mon corps entier frissonna quand mes mains se posèrent sur lui et il me fut difficile de me concentrer sur le trajet jusqu’à la rive. Cet inconnu, cet homme avait un effet sur moi, c’était encore plus étrange que tout le reste de ma journée… Une fois sur le sable collant, je m’assurais qu’il respire encore. J’avais lu ça dans un livre, il respire eux aussi et leur cœur bat. Tout semblait normal, il était juste sonné.
Au moment où il reprit connaissance, dans un geste de panique, je disparus sous les vagues. Heureusement pour moi, quand il tenta de se relever pour me voir partir, le malaise reprit et il retomba dans les vapes. Je surveillais de loin son retour à la conscience. Assez longtemps pour voir une jeune femme se précipiter à sa rescousse. Mon cœur se brisa pour la première fois ce jour là. Il avait une femme près de lui, une épouse peut-être… J’étais partie trop tôt pour le savoir. Pourquoi m’avait-il fait cet effet là ? Pourquoi tant de tristesse ?
Cette dernière image a longtemps ruiné mon souvenir de la journée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Humaine ou Sirène, j’ai fait mon choix.
La jeune femme me hantait, je l'imaginais dans les bras du beau marin, heureux et amoureux, ensemble... Jamais je n'avais ressenti autant de haine envers quelqu'un, à moins ce que le vrai problème ne vienne de l'amour que je ressentais pour ce parfait étranger ? Mon cœur était brisé, mon esprit ne savait plus quoi penser et moi je me laissais porter par le courant. La tempête faisait toujours rage au dessus de ma tête mais je n'en avais plus rien a faire. Plus jamais je ne remonterai à la surface, plus jamais je ne m'intéresserai à ces humains, ou peut être pas.
Dans mon errance, je tombais nez à nez avec une statue magnifique. J'ignorais le nom de ce qui la composait mais j'aurais pu reconnaître le visage entre mille : son visage. L'inconnu était représenté debout, les point sur la taille et le torse légèrement bondé. Une étrange allure qui ne lui allait pas vraiment. Ou du moins qui n'allait pas avec la vision que j'avais de lui. Je l'imaginais plus humble, plus doux que cette statut austère... Mais même la, il était magnifique et son visage hypnotisait. Il fallait que je le revois, que je trouve un moyen de lui parler, de tout savoir sur lui. Pourquoi ? Seul mon cœur le savait et il garde encore aujourd'hui ce secret.
Au pied de l'effigie était inscrit : Prince Éric Sablechaud. Il était donc prince... Allait-il hériter de toute la terre comme j'allais hériter des océans ? Éric était un drôle de prénom mais les humains étaient un peu étranges alors ce n'était pas vraiment surprenant. Et puis les couples ne s'appellent pas par leur prénom n'est-ce pas ? J'eu envie de me taper la tête contre la statut tant je me trouvais idiote de penser a des choses pareilles. J'étais une sirène, mon destin était de régner sur les eaux et lui était humains. Un monde nous séparait et nous avions d'importantes responsabilités qu'une amourette ne devait pas déranger.
Il fallait que je l'oublie et pourtant j'en étais incapable. Les jours suivant, je rodais autour de sa statut, ou du rivage où je l’avais déposé, cherchant une solution à se problème insoluble. Inconsciente que le destin avait déjà tout planifié pour moi depuis longtemps. Ma grand-mère tenta de me convaincre d’oublier tout ça, de me remonter le moral. Je ne pouvais rien lui cacher, il lui suffisait de m’entendre pour comprendre. Elle m’expliqua que les humains n’étaient pas immortels, que même si je parvenais à vivre sur terre il finirait par mourir en me laissant seule et triste. Qu’ils n’étaient pas comme nous, que leur vie n’était pas aussi heureuse que la notre.
Mais je ne pouvais pas y croire, je ne voulais pas y croire. Un soir, un bal fut organisé dans le grand palais près de la plage, son palais. J’observais la scène de loin, le cœur toujours plus brisé même si la mystérieuse jeune femme n’était pas là. J’entendais son rire, sa voix douce… Les gens ne tarissaient pas d’éloges à son sujet, ils aimaient lui parler, être près de lui. Il me semblait de plus en plus beau et j’étais de plus en plus triste. Une peine si puissante qu’elle ne put pas passer inaperçue dans les profondeurs et qu’une personne fort peu fréquentable s’en frottait déjà les mains.
Malgré les conseils de ma grand-mère, malgré les grandes fêtes du château, je ne pouvais oublier le prince et je décidais donc de me rendre chez la sorcière… Cette femme était connue de tous, cruelle pour certains mais salvatrice pour d’autres. Elle connaissait toutes les magies, les poisons, les potions, les sortilèges et les ensorcellements. J’avais peur, je n’étais pas sûre de mon choix mais je ne pouvais plus supporter d’être dans cet état et je comptais au moins sur ses conseils. Peut-être pouvait-elle me transformer pour quelques jours ? Voir ce que le prince pense de moi ? Ou peut-être connaît-elle un moyen de me faire oublier ? De remonter le temps avant l’accident ? Je devais en avoir la certitude, les choses devaient changer.
La maison de la sorcière était construite en os de naufragés et en morceau dépaves, au cœur d’une tempête marine. Dans une zone déserte où il n’y avait pas âme qui vive. Le courant était fort et les algues environnantes étaient comme des mains gluantes tentant de vous attraper sur le passage. Les bras repliés sur ma poitrine pour leur offrir le moins de prise possible, je fonçais à toute allure, à contre courant. Le trajet me sembla interminable et insupportable et je n’étais pas au bout de mes surprises…
Une fois dans sa grande demeure, il ne me fallut pas beaucoup de temps pour la trouver : l’odeur était pestilentielle hormis un fin filet de parfum doux-amer. Je le suivais, tremblante, jusqu’au cœur de la bâtisse où trônait une vieille sirène entrain de donner à manger à un crapaud. Le lieu était lugubre et l’eau désagréablement chaude. Il m’était difficile de la regarder dans les yeux, j’avais l’impression qu’elle lisait en moi, qu’elle me transperçait du regard et c’était atroce, presque plus que tout ce qui m’attendait par la suite.
« Allons mes petits poulets, apportez donc un siège à la princesse ! Vous ne comptez quand même pas la laisser comme ça ! »
Et sur ce, deux serpents de mer avancèrent un grand fauteuil vers moi. Pour ne pas sembler impolie, je m’installais, le cœur serré. Que devais-je dire, par où commencer ? Il m’était impossible de parler, j’étais totalement pétrifiée et la sorcière se mit alors à rire de façon machiavélique. Machiavélique et moqueuse à la fois. Une personne effrayante, une ambiance étouffante, c’était atroce mais il m’était impossible de faire demi-tour maintenant, elle savait déjà tout. Mon destin était scellé et le sien aussi d’ailleurs, bien plus que nous ne pouvions l’imaginer.
« Je sais ce que tu veux. Tes désirs sont stupides mais néanmoins je m’y prêterai, car je sais qu’ils te porteront malheur. Tu veux te débarrasser de ta queue de poisson, et la remplacer par deux de ces pièces avec lesquelles marchent les hommes, afin que le prince s’amourache de toi, t’épouse et te donne une âme immortelle. » Elle rit de nouveau de façon terrible, faisant tomber le crapaud et fuir les serpents. « Enfin, tu as bien fait de venir ! Demain, au lever du soleil, c’eût été trop tard et il t’aurait fallu attendre encore une année. Je vais te préparer un élixir que tu emporteras à terre avant le point du jour. Assieds-toi sur la côte, et bois-le. Aussitôt ta queue se rétrécira et se partagera en ce que les hommes appellent deux belles jambes. Mais je te préviens que cela te fera souffrir comme si l’on te coupait avec une épée tranchante. Tout le monde admirera ta beauté, tu conserveras ta marche légère et gracieuse, mais chacun de tes pas te causera autant de douleur que si tu marchais sur des pointes d’épingle, et fera couler ton sang. Si tu veux endurer toutes ces souffrances, je consens à t’aider. »
Imaginer de telles horreurs n’était pas facile mais je me sentis soudain pousser des ailes. L’idée de devenir humaine, de pouvoir revoir le prince, de pouvoir lui parler ! Imaginer même pouvoir le séduire et faire de lui mon époux ! Je n’avais jamais vraiment envisagé le ‘ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants’ mais j’avais envie de l’envisager avec lui, sur terre, être heureuse à jamais… Mon cœur s’emballa et je lui criais presque que j’étais prête à supporter cela, que j’étais prête à tout pour le prince, pour une chance d’être avec lui. Et pourtant je sentais qu’il y avait un autre piège, que les choses pouvaient être pires...Mais pourquoi m’inquiéter s’il était à mes côtés ?
« Mais souviens-toi qu’une fois changée en être humain, jamais tu ne pourras redevenir sirène ! Jamais tu ne reverras le château de ton père ; et si le prince, oubliant son père et sa mère, ne s’attache pas à toi de tout son cœur et de toute son âme, tu mourras. Le jour où il épousera une autre femme, ton cœur se brisera, et tu ne seras plus qu’un peu d’écume sur la cime des vagues. »
Contrainte, je me contentais de lancer un oui de la tête, mon visage pâle comme la mort.
« En ce cas, il faut aussi que tu me payes et je ne demande pas peu de chose. Ta voix est la plus belle parmi celles du fond de la mer, tu penses avec elle enchanter le prince, mais c’est précisément ta voix que j’exige en payement. Je veux ce que tu as de plus beau en échange de mon précieux élixir ; car, pour le rendre bien efficace, je dois y verser mon propre sang. »
« Mais si tu prends ma voix, que me restera-t-il ? »
« Ta charmante figure, ta marche légère et gracieuse et tes yeux expressifs : cela suffit pour entortiller le cœur d’un homme. Allons ! Du courage ! Tire ta langue, que je la coupe, puis je te donnerai l’élixir. »
J’ignore si j’obéis de mon plein grès ou si elle m’avait jeté un sort mais je me retrouvais sans ma langue, assise au bord de la plage, prête à boire cet élixir qui allait me faire souffrir le martyr. Comment séduire le prince sans ma jolie voix ? Comment tout lui expliquer ? Je n’avais pas beaucoup de temps pour lui faire ressentir un amour sincère à mon égard, je devais le séduire avant qu’une autre le fasse et en espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard. Je devais essayer, je devais tout faire pour cet homme, je le sentais tout au fond de moi, au plus profond de mon âme. Je me sentais idiote de ressentir quelque chose d’aussi fort pour un étranger, je n’ai aucun regret aujourd’hui.
Soit ma voie
Quand je fus à l’endroit et à l’heure exigés par la sorcière, j’hésitais un moment. Une fois l’élixir avalé, je ne reverrai plus jamais ma famille, je souffrirai à chacun de mes pas sans pouvoir expliquer quoi que ce soit au prince ou à n’importe qui d’autre. J’allai être seule, dans une peine constante et tout ça pour quoi ? Pour un inconnu ? Pour un monde que je ne connaissais que par des livres et des images ? C’était de la folie et pourtant mon cœur me disait que c’était la seule chose à faire, qu’il ne pourrait plus battre si je ne tentais pas ma chance… Qu’avais-je à perdre de toute façon ? Le trône revenait à ma sœur aînée, personne ne m’aimait réellement sous l’océan et je ne me sentais pas chez moi dans ce monde… C’était une nouvelle vie qui m’attendait, une nouvelle opportunité !
Je pris l’élixir d’une traite et il ne tarda pas à faire effet… La douleur que m’avait promis la sorcière n’était rien comparé à ce que je ressenti à ce moment là. C’était violent et atrocement lent… D’abord au bout de ma queue puis de plus en plus haut, comme si quelqu’un la déchirait doucement avec des milliers de petits coups de couteau. Il n’y avait pas de sang, mon corps de changeait simplement progressivement, par magie. La douleur devint rapidement trop intense pour moi, assez pour que je tombe dans les vapes. J’ignore combien de temps la transformation dura mais j’étais nue sur le sable quand je repris conscience. Je me sentais mal, le cœur au bord des lèvres, sentant à peine les vagues caresser mes jambes. Car oui, des jambes avaient prit la place de ma queue, de belles jambes que je ne pouvais pas voir pour le moment. En effet, l’épuisement causé par la douleur me fit plonger de nouveau dans l’inconscience.
Dans mon étrange rêve, je sentais quelque chose de chaud autour de moi, sans doute ce que les humains appellent un vêtement. Puis des bras m’enlacèrent et je fus soulevée du sol. Il y avait aussi une voix, un homme. Quelque chose d’étrangement familier et terriblement rassurant. Je sentais mon corps vibrer, j’avais l’impression de voler puis je fus enveloppée dans quelque chose de doux et moelleux. L’odeur était agréable, comme… Quelque chose de chaud, quelque chose qui pourrait se manger. Mon estomac se noua et je pense que c’est ça qui me sortit de mon sommeil. La douleur n’était plus là, ou du moins, plus pour le moment, plus de la même façon. Mes yeux piquaient un peu à cause de la lumière du soleil et je sentais un petit battement dans mon crâne.
D’après la dame qui entra alors dans la chambre, j’avais été inconsciente pendant presque deux jours et le prince était venu à mon chevet plusieurs fois, inquiet de mon état. Visiblement ils pensaient que j’avais survécu à un naufrage… La domestique tenta de me faire parler mais il m’était impossible de le faire alors que ma langue semblait de retour dans ma bouche. Elle tenta de me parler dans une autre langue, sans plus de succès, puis quitta la pièce avec grand soupir. Elle semblait si vieille ! Presque comme ma grand-mère qui avait presque 250 ans… C’était sûrement ça être mortel. Mais les humains ont une âme immortelle alors que notre âme ne l’est pas; avec la mort tout est fini. Nous sommes comme les roseaux verts : une fois coupés, ils ne verdissent plus jamais ! Les hommes, au contraire, possèdent une âme qui vit après que leur corps s’est changé en poussière ; cette âme monte à travers la subtilité de l’air jusqu’aux étoiles qui brillent et, de même que nous nous élevons du fond des eaux pour voir le pays des hommes, ainsi eux s’élèvent à de délicieux endroits, immenses, inaccessibles aux peuples de la mer.
Quoi qu’il en soit, j’aurai largement le temps de me poser cette question plus tard, il fallait que je teste mes nouvelles jambes et que je me mette en quête du prince. Avec une élégance que je ne me connaissais pas, je retirais les couvertures qui me recouvraient pour enfin apercevoir ce pour quoi j’avais tant souffert : deux jambes fines et musclées, claire et imberbes. Je remuais mes doigts de pieds en souriant comme une enfant face au plus beau cadeau qu’on ne lui ait jamais fait. Pour le moment, je ne ressentais rien à part le plaisir de pouvoir bouger différemment qu’avec ma grande queue de poisson, le bonheur de sentir un tas d’odeurs différentes. Puis vint le moment de me lever et ma joie déchanta très rapidement… Dès que mon poids (qui n’était pourtant pas excessif) fut entièrement appuyé sur mes pieds, j’eu l’impression de marcher sur des milliers d’épines. Par réflexe, j’avançais d’un pas, espérant que ce fût l’endroit le problème mais il n’en était rien… Où que je pose mes pieds, la douleur était intense, si bien que je finis par chuter.
Par chance pour moi, pendant que je piétinais nerveusement le sol, le prince était entré dans la pièce et il me rattrapa de justesse. Mon cœur cessa de battre quand mes yeux se posèrent sur lui et la douleur sembla disparaître comme par magie. Ses bras m’enlaçaient de nouveau, me faisant réaliser que c’était lui qui m’avait sauvé sur la plage et que c’est lui qui m’avait emmené jusqu’ici. Nous restâmes un moment dans cette position un peu idiote, comme si nous nous étions reconnu. Car je voyais dans son regard ce petit air… Il semblait chercher d’où il me connaissait et je mourais d’envie de lui dire que nous étions quitte aujourd’hui : qu’il m’avait sauvé comme je l’avais sauvé quelques jours plus tôt. Mais il m’était impossible de parler, chose qu’il savait déjà. Ce qui explique sûrement pourquoi il finit par briser le silence en me reposant doucement par terre. La douleur revint mais mon cœur avait prit le dessus sur tout le reste et je parvins à faire abstraction.
« Pardonnez-moi de ne pas avoir été là à votre réveil, je sais à quel point ça a doit être étrange pour vous. » Dit-il en s’inclinant poliment. « Je m’appelle James Sablechaud et vous êtes ici dans le palais de mes parents. Je vous ai trouvé sur la plage il y a quelques jours maintenant. » Un nouveau silence s’installa mais il était plus triste. Le prince semblait gêné et vraiment désolée. Je posais instinctivement une main sur son bras, comme pour lui dire qu’il ne devait pas s’en vouloir… Même si j’ignorais ce qu’il se reprochait. « Mes hommes et moi avons cherché partout mais… Je crains que vous ne soyez la seule survivante. »
Malgré moi, je prix un air perplexe. La seule survivante ? De quoi parlait-il ? Puis soudain, je réalisais mon erreur : il avait cherché les survivants de mon supposé naufrage et était désolé car il n’y en avait pas… Le pauvre ! Il était tellement gentil, tellement attentionné ! Il avait vu mon visage se déformer et le sien sembla encore plus triste… Je m’en voulais de ne pas avoir fait le lien plus tôt. Si seulement je pouvais tout lui expliquer ! Ma main se serra un peu plus sur son bras et je lui lançais un sourire rassurant.
« Vous ne devez pas vous en vouloir… » pensais-je, espérant qu’il comprenne mon regard. Ce qu’il sembla faire puisqu’il se détendit un peu et qu’un sourire reconnaissant finit par s’afficher sur ses lèvres. Il était beau, encore plus que dans mon souvenir… Grand et fort, des yeux qui vous transperce et un sourire à faire fondre n’importe quel cœur de glace.
« Vous devez mourir de faim ! Venez, je vais vous faire préparer le meilleur repas que vous n’ayez jamais mangé ! »
Il prit ma main et m’entraina dans le dédale de couloirs du palais. Je souffrais à chacun de mes pas mais mon cœur me donnait l’impression de voler. Les jours suivants, je vivais dans un rêve : le prince passait beaucoup de temps avec moi, m’apprenant des tas de choses sur les humains. Bien sûr, cet apprentissage se faisait malgré lui, mais nous étions tellement heureux. J’appris par exemple qu’une fourchette n’était pas faite pour se coiffer mais pour manger, qu’une serviette ne se mettait pas sur la tête mais sur les jambes pour protéger les vêtements. Oh ! Et le prince m’avait d’ailleurs fait faire une garde robe merveilleuse ! Des robes aux couleurs vives, des rubans pour attacher mes longs cheveux roux… Il était adorable et je faisais tout pour lui rendre la pareille. Rapidement, nous étions inséparables et mon mutisme ne fût jamais un obstacle. Nous avions créé notre propre moyen de communiquer avec des gestes et des regards. Il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert et il ne me cachait rien. Il avait même appris mon prénom dès le premier jour en récitant l’alphabet à plusieurs reprises pendant le repas ! J’étais heureuse malgré qu’aucun geste ne laissa entendre qu’il souhaitait plus que cette amitié intense…
Nous avions eu maintes occasions de nous embrasser : lors de bals organisés au château et où j’étais toujours sa cavalière, lors de nos moments seuls sur la plage… Seulement j’ignorais les méthodes des humains en amour et je ne voulais pas risquer de le perdre. Alors je me penchais vers lui, je posais ma tête sur son épaule, je le serrais dans mes bras… Et il répondait à tous mes gestes, il plongeait son regard dans le mien… Plus le temps passait plus quelques silences gênants s’installaient entre nous. Des moments d’observations où il manquait clairement quelque chose, où une question terrible nous rongeait sans que nous puissions rien y faire… Il aurait suffit d’un geste, de rompre le petit écart entre nos lèvres… J’imagine qu’aucun de nous ne pensait cela possible : tout était tellement trop beau, trop parfait ! Nous étions si bêtes…
« Ondine, puis-je te parler un instant ? »
Demanda-t-il après que je lui ai ouvert la porte de ma chambre. J’étais là depuis plus d’un mois maintenant et jamais il n’avait eu ce ton avec moi. Son regard semblait si triste que mon cœur se brisa d’avance. D’un geste de la main, je l’invitais à entrer et nous nous installâmes sur le lit. J’avais peur qu’il me renvoi, qu’il me dise que je ne pouvais plus rester ici. Malheureusement je ne pouvais rien faire de plus qu’attendre en silence qu’il se décide à me dire ce qui se passait. Cherchant son regard, j’espérais que ce ne soit rien de grave mais, au fond, je savais que ça n’était pas le cas, je le connaissais trop bien.
« Ondine… Tu as meilleur cœur que toutes les autres femmes que je connais ; tu m’es plus dévouée, et tu ressembles à une jeune fille que j’ai vue un jour mais que sans doute je ne reverrai jamais. Me trouvant sur un navire, qui fit naufrage, je fus poussé à terre par les vagues, près d’un couvent habité par plusieurs jeunes filles. La plus jeune d’entre elles me trouva sur la côte et me sauva la vie, mais je ne la vis que deux fois. Jamais, dans le monde, je ne pourrai aimer une autre qu’elle… Tu lui ressembles, quelquefois même tu remplaces son image dans mon âme. »
Comment était-ce possible ? Il se souvenait de moi mais avait fait un amalgame avec l’autre jeune fille ? Alors comme ça elle l’avait laissé au bord de la plage ? Il ne la connaissait pas déjà ? Mon esprit ne savait pas quoi penser et mon cœur finit par se briser pour de bon. Il aimait deux femmes qu’il prenait pour une seule… Deux femmes qui était en fait moi et une autre. Sans que je puisse la contrôler, une larme coula sur ma joue. La sorcière avait été claire : il devait m’aimer de toute son âme, pas comme ça, pas à moitié, pas sans réellement le savoir… Mon destin était scellé, j’allais mourir et devenir écume… Je me pinçais les lèvres alors qu’il posait sa main douce sur ma joue. Son pouce effaça délicatement la larme mais le mal était fait, il ne pouvait plus rien y changer. Si seulement il savait qui j’étais vraiment, s’il savait tout ce que j’avais sacrifié pour lui ! Je tentais de lui dire dans mon regard, en vain.
« Quoi qu’il en soit, mon cœur n’a pas son mot à dire. Je suis un prince et je dois épouser une princesse. Mes parents ont conclut un accord avec le roi voisin et ils m’ont promis à sa fille. Nous devons nous rendre dans son royaume après demain et j’aimerai vraiment que tu sois là. Je sais que c’est égoïste mais je ne peux pas accepter de te perdre. Je t’en prie, reste à mes côtés. »
Quel autre choix avais-je ? Je n’étais pas chez moi ici et je n’avais nulle part où aller… De toute façon, une fois qu’il serait marié, plus rien n’aura d’importance puisque je ne serai plus. Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Il ne m’avait jamais vraiment aimé, il pensait simplement que j’étais une autre… Et moi qui ai littéralement donné ma vie pour lui ! A contrecœur, je lui lançais un oui de la tête avec un sourire peu convainquant. Il me serra dans ses bras en guise de remerciement puis se leva pour quitter la chambre. Une fois devant la porte, il marqua une pause et ajouta :
« Tu sais, jamais ils ne me forceront à la ramener pour en faire ma femme. Je ne puis l’aimer ; elle ne ressemble pas, comme toi, à la jeune fille du couvent, et je préférerais t’épouser toi. ». Sur ce, il quitta la pièce, me laissant perdue et désemparée. J’avais sacrifié ma vie pour lui et je sentais au fond de moi qu’il y avait encore une infime chance pour qu’il réalise qui j’étais vraiment, pour qu’il m’aime de tout son cœur. Je devais me battre encore, lui prouver mon amour…
Si quelqu’un doit mourir, que ce soit moi
Nous ne nous revîmes pas vraiment avant le départ. James avait beaucoup de chose à préparer et notre conversation avait clairement jeté un froid sur notre relation. Il avait des sentiments pour moi, ce mariage lui avait fait réaliser à quel point mais sa sauveuse le hantait encore et il ne savait plus quoi penser. Je lui restais dévouée, l’aidant comme je le pouvais tout en restant discrète pour ne pas ajouter au malaise. Je me sentais impuissante, je pleurais beaucoup et la douleur dans mes pieds semblait avoir redoublé de force… Il ne me restait plus rien dans ce monde, plus rien à part une toute petite touche d’espoir.
Un immense bateau fut préparé pour notre voyage. Il était richement décoré et chargé de bien des trésors pour impressionner le roi de l’autre rivage. James m’offrit une robe somptueuse pour notre arrivée et une toute aussi belle mais plus confortable pour le trajet. Nous allions passer deux jours et une nuit en mer, ce qui semblait inquiéter le jeune homme, toujours persuadé que j’avais déjà survécu à un naufrage. Il fit tout pour me rassurer, m’expliquant que la mer n’était pas toujours mauvaise envers les hommes, il me parla même des sirènes que certains pêcheurs disent avoir vu. Toutes ses attentions me dirent sourire et ces moments passer ensemble semblèrent le rassurer. Doucement, la gêne disparut et nous redevinrent inséparables…
Une grande fête eu lieu sur le navire et, une fois tout le monde couché, je m’assis sur le pont, les pieds dans le vide, pour regarder l’eau claire. J’eu l’impression de voir le château de mon père et mon esprit me fit revoir ma pauvre grand-mère et mes sœurs, toutes désespérées par ma disparition. La veille sirène avait raison, une âme immortelle ne vaut sûrement pas trois cent ans de vie… Pourquoi avais-je eu l’audace de croire le contraire ? J’étais soudain tellement malheureuse que je me mit à pleurer et mes larmes tombèrent dans la mer. Un message qui ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd mais je n’en étais pas encore consciente. Au fond, j’avais perdu très gros, ma famille était en or, dommage que je n’ai jamais pu m’en rendre compte avant…
Le lendemain au soir, nous arrivâmes au palais de la promise de James. Un lieu tout aussi magnifique que chez lui, gigantesque et superbement décoré. Et quelle ne fut pas ma tristesse en voyant la jeune princesse ! Non seulement elle était très belle mais il s’agissait en réalité de la jeune fille du couvent, celle qui avait sauvé James juste après que je l’ai déposé sur la plage… Le regard du prince s’illumina d’une lueur nouvelle et le peu qui restait de mon cœur se désagrégea. Les jours qui suivirent, je ne vis presque pas James qui passa son temps avec la belle princesse et leur famille à parler du mariage… Malgré tout, il ne m’oublia pas et il me fit quelques visites pour me faire part de l’évolution des choses. Chaque phrase me tuait un peu plus mais je gardais le sourire, je restais le soutien dont il avait besoin, le calme qui lui manquait. Réalisait-il ma douleur ?
Le mariage fut finalement décidé pour la fin de la semaine, nous étions restés trois jours au domaine de la princesse et devions maintenant reprendre notre navire pour préparer le palais. La fête allait être grandiose, le prince semblait heureux, comme tout le reste de cette désormais grande famille. La veille du mariage, j’avais dormi sur le bateau où la fête finale devait avoir lieu. Je ne supportais pas d’être trop proche de tout ça... Je souffrais et je préférais le faire en silence, loin des oreilles indiscrètes. La veille du départ, alors que la lune était au plus haut, j’entendis des bruits étranges, comme si on jetait des projectiles sur le hublot. Je me levais, les sens aux aguets puis je me dirigeais vers le pont. La douleur dans mes pieds n’avait pas disparut mais j’arrivais quand même à marcher sans avoir l’air d’être mal et je m’étais même nettement améliorée depuis mon arrivée.
Une fois dehors, j’écoutais attentivement. Quelqu’un lançait des cailloux un peu partout : sur le pont, sur les hublots, sur la coque. Il n’y avait que moi à bord et ça ne pouvait pas mieux tomber car, en me penchant vers la mer, j’aperçue mes cinq sœurs. Elles étaient pâles et semblaient désespérées. Et pourtant un sourire naquit sur leurs lèvres quand elles réalisèrent que j’étais là, bel et bien en vie. J’ôtais ma belle robe et me jetais à l’eau avec elle. Malgré ma nouvelle nature, j’étais toujours à mon aise dans l’eau et je savais parfaitement nager. Après une effusion d’embrassades et de paroles réconfortantes, l’aînée reprit la parole d’un air grave. Elles n’étaient pas censé savoir ce que j’avais fait… Pas plus qu’elles n’étaient censées avoir les cheveux aussi courts et fades ! Je fronçais les sourcils, inquiète, mais n’osais dire mot.
« Nous n’arrivions pas à te retrouver alors nous sommes allées voir la sorcière… Elle nous a tout expliqué Ondine, tout dans les détails et c’est de la folie ! Quand nous avons su pour le mariage du prince, nous sommes venues vérifier et… Tu ne peux pas mourir comme ça ! Nous sommes donc retournées voir la sorcière et, en échange de nos chevelures, elle nous a donné ceci. » Sur ce, elle sortit un couteau magnifique. La lame était brillante et la poignée finement sculptée. « Avant le lever du soleil, il faut que tu l’enfonces dans le cœur du prince, et, lorsque son sang encore chaud tombera sur tes pieds, ils se joindront et se changeront en une queue de poisson. Tu redeviendras sirène ; tu pourras redescendre dans l’eau près de nous, et ce n’est qu’à l’âge de trois cents ans que tu disparaîtras en écume. Mais dépêche-toi car avant le lever du soleil, il faut que l’un de vous deux meure. Tue-le, et reviens ! »
Mon cœur se serra quand elle déposa l’arme au creux de ma main. J’avais une chance, une ultime chance de ne pas mourir demain matin quand ils se diraient oui… Mais ma survie allait détruire deux vies dont celle de l’homme pour lequel j’étais prête à me sacrifier. Retrouver toute ma famille, ma vie d’avant, c’était le rêve ! James allait disparaître de mon existence quoi qu’il en soit alors pourquoi ne pas saisir cette opportunité ? Il suffisait de le tuer, un tout petit geste pour tout reprendre comme avant… Seulement il était ma vie, je ne pouvais plus continuer sans lui, sirène ou non ! Il était sûrement préférable que je meure, c’était mieux ça qu’une vie à être malheureuse et à regretter. Je ne dis rien à mes sœurs, me contentant de les remercier et de leur dire que je devais y réfléchir. L’une d’elle se fâcha de mon hésitation et disparut dans les vagues.
J’étais tellement désolée de leur sacrifice, tellement désolée de ne pas pouvoir obéir à la volonté de la sorcière… Je me décidais donc à leur raconter ma version, toute l’histoire dans les moindres détails. Mon aînée était choquée, elle ne comprenait pas le prince, tous les signes contradictoires qu’il m’avait envoyé depuis notre rencontre… Elle comprenait ma décision, les autres aussi et elles se mirent à pleurer en me serrant de nouveau dans leur bras. Après toutes ces émotions, je remontais dans ma cabine et me séchais. Il me restait encore quelques heures pour prendre ma décision, quelques heures avant que la mort ne frappe quelqu’un. Pendant ce temps, je pleurais beaucoup, pesant le pour et le contre en long en large et en travers. Le sommeil refusa de me gagner et la lune me fixait au travers de mon hublot.
Je ne voulais pas laisser la sorcière me gagner mais je ne voulais pas tuer le prince. Alors il me restait une option, une seule et unique… Je laissais la lame balayer mes poignets et sombrais dans le coma alors que le sang s’en échapper rapidement. Tout ce que je sais c’est que je me suis réveillée plus tard, dans une autre cabine, plus petite. J’étais sur un bateau, bercée par les vagues. J’entendais le bruit de la mer, je sentais l’odeur du sel… Mes poignets étaient recouverts de bandages, il n’y avait plus de sang, j’étais juste faible, très faible. Que c’était-il passé ? J’eus la réponse rapidement car le prince entra, pâle comme un linge et les yeux rouges. Il pensait que j’étais morte, qu’il était arrivé trop tard. Ce n’était pas le cas et il se précipita à mon chevet pour me serrer dans ses bras.
« Tu es vivante ! J’ai eu tellement peur de te perdre, j’ai été tellement stupide ! Ta sœur m’a tout raconté je… Je me baladais sur la plage tôt ce matin, j’avais… Je n’étais pas sûr de mes sentiments pour la princesse et… Et soudain tout est devenu clair ! Comment ais-je pu ne pas te reconnaître ? Comment ais-je pu penser une seule seconde que cette princesse était la femme de ma vie ? Elle était dotée de parole mais nous n’avions rien à nous dire alors qu’avec toi… Avec toi tout est fabuleux sans même avoir à parler ! Je t’aime Ondine, je t’aime de tout mon cœur ! » Il marqua une pause, soudain un peu gêné. « Ta sœur m’a dit que je devais t’embrasser pour rompre le charme alors… Une fois que j’ai soigné ta blessure, je t’ai embrassé. Visiblement je devais le faire avant l’heure du mariage alors… Tu étais inconsciente, j’en suis désolé. »
Le sort était rompu, j’étais humaine pour toujours mais ma voix semblait toujours absente. De toute façon je n’avais pas l’intention de parler, pas maintenant. Avec un sourire, je m’emparer délicatement de ses joues et l’embrasser tendrement. Il avait quitté sa famille, son mariage sans rien dire à personne. Il m’avait transporté sur un bateau et nous nous dirigions vers un royaume voisin où nous pourrions bâtir une toute nouvelle vie. Comment ? Il avait prit un peu d’argent avec lui, assez pour nous lancer puis il allait trouver un travail, nous allions trouver un travail et vivre normalement, incognito. Mes pieds ne me faisaient plus mal, je ne risquais plus rien mais je ne pouvais toujours pas parler… Ce n’était qu’un détail, un tout petit détail qui ne nous empêcha pas de vivre extrêmement heureux dans notre nouvelle vie.
Et ils vécurent heureux ?
Au début, ce n’était tout de même pas facile. Nous ne voulions pas utiliser tout son argent alors nous avons décidés de devenir marchands en utilisant son bateau. Mon mutisme ne m’aidait pas à m’intégrer et nous avions décidé de ne pas nous marier tant que le problème n’était pas résolu. Je tenais à dire oui pour de bon, je ne voulais pas mimer ça, je voulais être pleinement moi ce jour là. James était d’accord et nous profitions de notre travail pour chercher une solution. J’eus droit à un régime particulier, des potions et des tas d’autres choses, le tout en vain. Jusqu’au jour où nous entendîmes parler de marraine la fée… J’ai travaillé des années pour pouvoir me payer cette potion car je ne voulais pas qu’il débourse un centime pour ça. C’était une façon pour moi d’exorciser mes vieux démons je crois… James était d’une patience d’ange et ce temps nous permis aussi de trouver le lieu idéal où nous installer.
Grâce à Marraine et à une belle somme d’argent, je pus enfin récupérer ma voix et nous nous installèrent dans la banlieue de Fort Fort Lointain, dans une jolie petite ferme. James resta marchand mais il troqua son bateau pour une charrette. Quand à moi, j’ouvris un petit magasin de breloques sur Roméo Drive. J’étais maintenant incollable en objets humains et James en ramenait de tout le royaume. Maintenant, nous devions de nouveau gagner de l’argent pour nous marier en bonne et due forme… Heureusement, nous n’étions pas à quelques années près et notre commerce était fleurissant. Où du moins jusqu’à la disparition de Shrek et Fiona et tout ce charivari…
Aujourd’hui à for for lointain.
En vue de ce que je devais à marraine la fée, j’étais d’abord heureuse de la voir au pouvoir. C’était un peu égoïste mais nous vivions dans notre bulle. Puis les choses ont dégénérées et l’arrivée du Charnel a changé mon avis de façon radicale… James était déjà plus remonté que moi mais tout cela l’a poussé à entrer dans les larmes de cendres de façon plus qu’officielle. J’aurai voulu en faire autant mais je n’étais pas très habile et je ne voulais pas risquer de les mettre en danger… Il sait se battre, il est intelligent et courageux. Alors je les aide à distance, je les cache, je leur donne des vivres et quelques informations.
Mes sœurs sont revenues à la surface aujourd’hui. Elles habitent avec nous dans la ferme. J’ignore ce qu’elles vont devenir mais je fais de mon mieux pour les aider aussi. D’ailleurs elles sont sûrement la raison pour laquelle je ne suis pas officiellement avec les Larmes de Cendres, je ne veux pas les mettre en danger et je ne peux surtout pas me permettre de mourir, elles ont besoin de moi. Ma grand mère n’est plus malheureusement et mon père… Mon père semble résister à Marraine mais pour combien de temps ?