« Allez Ali, raconte moi ! »

Pfff elle commence à mes les briser celle là... Pourquoi elle veut connaître ma vie ? C'est pas dans le contrat des coups d'un soir ça normalement ! Pis j'ai pas envie de lui faire un exposé en trois parties/deux sous parties de tous les moments que j'ai vécu depuis que j'suis né ! En mode « Il était une fois, une maman qui poussait très fort pour faire sortir le môme plus gros qu'une dinde de Saay qu'elle avait dans le vagin ! » Eurk. J'suis vraiment crade parfois.

« Aliiii tu m'écouuuuutes ? »

Ho mais ta gueule putain... Bon, faut que je lui fasse un réponse rapidos sinon je sens qu'elle va pas me lâcher avec ça et ça va me prendre la tête. En plus j'ai envie de pioncer.

« J'suis né à Afshin, mon père était marchand, je suis devenu marchand, je voyage beaucoup, je vends plein de trucs et des tapis, si tu veux y'en a en réduc' et voilà. Contente ?
- Pfff t'es pas drôle. »

Elle tire la gueule, se retourne dans le lit et souffle la bougie sur la table de chevet, nous plongeant dans le noir. Bon, au moins maintenant, elle la boucle. Je souris et passe mes bras derrière ma tête en repensant quand même à sa question : « Mais qui es-tu Aladin ? ». Pouaaaah. Dans le genre question con ! Mais je sais très bien qui je suis moi. Et ma vie est loin de se résumer en une petite phrase bidon. Très, très loin.  

Il fait chaud l'été à Afshin. Genre, très très chaud. Et quand on a chaud, on est tellement occupé à se dire qu'on est en train de cuir qu'on fait pas attention à autre chose quand on est dans la rue. Ça, je l'ai compris très vite et déjà tout gamin, mon passe temps préféré c'était de piquer des trucs aux passants pendant que mon père vendait ses marchandises pas très loin. Je me souviens, il disposait tout sur un vieux linge et tentait toujours de rameuter les personnes qui se baladaient dans le coin pour leur vendre une bricole ou deux. J'ai toujours adoré mon père, c'était vraiment quelqu'un de bien, il aurait tout sacrifié pour moi et je lui en serai jamais assez reconnaissant. Ma mère est morte peu de temps après ma naissance alors c'est lui qui m'a élevé tout seul. Il a toujours essayé d'avoir la vie la plus honnête possible mais parfois, l'appel du ventre -de MON ventre- était plus fort. Y'a pas à tortiller du cul, on était pauvres. Genre archi méga pauvres. Le genre de pauvre qui peut mendier dans la rue. Et les pauvres des fois, ils peuvent pas se payer à bouffer. C'est que dans ces cas là, où vraiment c'était plus possible de faire autrement parce que sinon j'allais littéralement crever la dalle que mon père consentait à piquer un truc (une pomme, un morceau de pain, n'importe quoi pour me remplir le ventre le temps qu'on ait les sous de s'acheter autre chose). Ouais c'était vraiment quelqu'un d'honnête mon père. Moi j'avoue que j'avais un peu moins de scrupule à vider les poches des des passants qui me semblaient assez riches pour pas avoir besoin d'une bourse pleine. Et aujourd'hui des scrupules, j'en ai plus du tout quand je vole. Ce côté clepto, mon père a vraiment essayé de me le retirer quand j'étais gamin, mais il aurait difficilement pu y faire quelque chose : la vie dans la rue et sur la route m'a forgé comme ça, je suis parti sur l'idée que quand on veut quelque chose et que ce quelque chose ne manquera probablement pas à son propriétaire d'origine, il y a pas de mal à le lui... emprunter. De façon perpétuelle. Et sans qu'il le sache.

Mon père aurait mérité une vie de prince, il aurait mérité de ne jamais manquer de rien. Et il n'a certainement pas mérité de mourir essoufflé, perdu au milieu de la foule qui n'en avait rien à cirer d'un vieux marchand mourant et d'un sale môme qui pleurait. Je me souviens pas pendant combien de temps je l'ai gardé serré contre moi après qu'il eut rendu son dernier souffle. Des heures ? Des jours ? J'ai l'impression aujourd'hui encore que c'était une éternité. Je ne voulais pas réaliser ce qu'il se passait, je ne le pouvais pas, c'était juste... inconcevable. J'avais vécu sans mère, j'allais devoir me faire à l'idée de poursuivre ma route sans mon père. Lorsque son corps est devenu complètement froid contre mon torse, que tous ses muscles se sont totalement rigidifiés, je l'ai déposé contre un mur et je suis tout de suite allé chercher quelqu'un pour offrir des funérailles descentes à celui qui m'avait toujours tout donné. J'avais 17 ans, j'étais un ado perdu, seul, sans repère. Alors j'ai fait ce qui me semblait être le mieux pour ma survie : je suis allé demander de l'aide.

Lorsque mon père et moi voyagions encore ensemble, nous avions l'habitude de passer voir l'un de ses amis, Qasim. C'était pas l'homme le plus chaleureux du monde, en plus il avait un sale furoncle juste au dessus de la paupière qui me faisait sérieusement flipper quand j'étais jeune (après j'ai juste trouvé ça vraiment crade) mais au moins, quand on y était, on savait qu'on aurait à bouffer et de quoi dormir. Quand je suis arrivé chez Qasim, j'étais plus déboussolé que jamais, orphelin et presque mort de faim. Mais il m'a accueilli et hébergé. Pendant 2 ans je suis resté chez lui, troquant momentanément ma vie d'éternel nomade à celui plus confortable de sédentaire.

Quand j'ai eu 19 ans, Qasim m'a offert le cadeau qui allait changer ma vie du tout au tout : un anneau. C'était pas le plus beaux des anneaux que j'ai vu de ma vie, mais pas le plus moche non plus donc j'étais content. Mais j'ai à peine eu le temps d'y jeter un œil que Qasim est parti dans une grande histoire de sorcier, de magie et de truc du genre. Sur le moment, je me suis sérieusement demandé si le vieux venait pas de se prendre un coup sur le citron ou si il avait pas un peu trop tapé dans le pinard mais comme il venait quand même de me faire un sacré cadeau, je l'ai écouté jusqu'à la fin sans trop me foutre de lui. En plus, Qasim était pas super super réceptif au sarcasme et à l'ironie donc bon (j'ai arrêté de compter le nombre de fois où il m'a foutu des coups de lampes sur le casque parce que j'étais pas assez respectueux selon lui. C'était pas méchant mais putain, ça défonce sévère les coups de lampes).

En tout quoi, beurré comme un P'tit Lu ou pas, il y croyait méchamment à son histoire et dès le lendemain, on partait en expédition pour aller chercher son héritage de sorcier. On a marché pendant des jours, des semaines, peut être même des mois à travers le désert, parcourant le pays jusqu'à arriver... Devant une grotte. Là j'avoue que j'étais quand même vachement déçu parce que bon, ok, la rando c'est sympa, mais moi quand il m'a parlé d'un héritage de sorcier, je sais pas, je penser à un truc plus... plus impressionnant quoi.

« C'est ça ton héritage ? j'ai demandé en voyant la grotte. Ça pète pas trois pattes à un canard ton truc... »

Il m'a foutu un coup derrière le crâne et m'a dit :

« Cesse de faire l'imbécile Aladin, l'héritage est à l'intérieur de la grotte !
- Ouais enfin j'sais pas, j'pensais qu'au moins l'emballage ressemblerait plus à une château avec des trucs magique genre des feux d'artifices et un gros panneau à l'entrée avec écrit « BIENVENUE DANS L'HERITAGE DE TONTON QASIM ! ». Et des danseuses aussi, c'est bien ça des danseuses en haie d'honneur et tout. Là j'ressens tu sais comme... une pointe de déception. »

Qasim a poussé un long soupire comme d'habitude puis m'a choppé par la nuque et placé mon visage juste devant son furoncle. Sympa la vue.

« C'est bon, tu as fini de dire des âneries ? Bon, maintenant je veux que tu m'écoutes très attentivement Aladin. Au fond de cette grotte tu devras chercher la lampe merveilleuse et me la ramener au plus vite. Ne traîne pas, compris ?
- Je dois entrer dans cette grotte pas accueillante et qui pue ? Pour chercher une lampe ? Mais t'en as des tonnes de lampes, tu sais même tellement plus quoi en faire que tu me tapes avec ! j'ai tenté de protester.
- Magique, Aladin, une lampe MAGIQUE. Je ne te frapperai pas avec une lampe magique, crois moi. En fait, si tu me la ramènes, je ne te frapperai plus du tout, même si ton sarcasme habituel me sort par les yeux... »

Honnêtement, je crois que c'est ce qui m'a le plus motivé à m'engouffrer dans la grotte. J'ai pris une grande inspiration polluée par le sable du désert, puis je me suis lancé à l'assaut de l'héritage du tonton Qasim. J'ai descendu un long chemin avant d'arriver devant une porte. Fermée. J'ai froncé les sourcils, me suis excité sur la poignet et essayé de la pousser de toutes mes forces mais elle n'a pas bougé d'un poil, même avec toute ma force de petit marchand maigrichon. Ça m'a franchement foutu les boules de me retrouver coincé aussi vite. J'étais frustré à un point inimaginable. Alors j'ai donné une coup de poing dans la porte. Je me suis défoncé les doigts sévère mais ça faisait du bien. Et là, il s'est passé un truc flippant. Pas normal. Magique. L'anneau que m'avait offert Qasim pour mon anniversaire et que j'avais enfilé à mon majeur droit avant de partir s'est mis à luire assez faiblement, mais suffisamment pour que ça m'interpelle. J'ai froncé les sourcils et l'ai retiré de mon doigt pour l'inspecter. Puis j'ai regardé de nouveau la porte et c'est là que je l'ai vu : une petite cavité, presque invisible mais suffisamment profonde pour accueillir... un anneau. J'ai pas hésité longtemps avant d'y enfoncer le mien et la porte a réagi à sa présence... en s'ouvrant. Alors là, inutile de dire que j'étais trop content. En plus, j'avais l'impression moi aussi d'être un super magicien alors je m'en suis donné à cœur joie. J'ai couru à travers les couloirs (et pas les petits couloirs hein, les super longs couloirs de 15km de long) attendant à chaque fois avec impatience de trouver une porte pour l'ouvrir avec mon anneau en gueulant des trucs comme « SOUMET TOI A LA PUISSANCE DE TON MAITRE, PORTE ! » ou « Maintenant que tu m'as passé la bague au doigt, t'as intérêt à me laisser voir monts et merveilles ! ». J'm'amusais bien quoi. Enfin au début. Parce qu'elle était grande cette grotte, mais genre grande comme ma... comme... comme ma lampe à moi quoi, celle dans mon panta... Bon elle était grande quoi.

Plus je m'enfonçais, plus j'étais fatigué et plus ça commençait à me soûler. En plus, j'avais la dalle et aucun moyen de connaître l'heure qu'il était. Mais bon, je me voyais mal faire demi-tour, d'autant plus que je sentais dans mes tripes que j'allais pas tarder à arriver à la fameuse lampe magique. Alors j'ai continué, même si à chaque pas que je faisais, j'avais l'impression de m'enfoncer un peu plus dans les tréfonds de la terre. Finalement, je suis arrivé devant une autre porte en bois, plus massive, plus impressionnante que les autres. J'ai posé mon anneau là où se trouvait habituellement la cavité qui l'accueillait en grognant :

« Magne toi de t'ouvrir putain de porte, j'ai faim et j'suis claqué... »

Et là... rien. Il s'est strictement rien passé. J'ai haussé les sourcils, surpris : est ce que les portes sont susceptibles ? Je me suis raclé la gorge et ai reposé ma bague contre le bois épais en reprenant :

« Heeuu... Je voulais pas t'insulter, madame la porte... Je suis... désolé ? »

Toujours rien. A cet instant, j'ai vraiment espéré de toutes mes forces que la porte soit pas en train de me faire la gueule parce que je me voyais mal me retaper tout le chemin bredouille et dire à Qasim qu'il aurait pas sa lampe magique parce que j'mettais tapé l'embrouille avec sa gardienne la porte et que maintenant elle me boudait. Puis j'ai remarqué un truc : y'avait pas de cavité pour ma bague. Je faisais que la coller contre le battant, rien de plus. Pas de magie. Putain. Je me suis assis devant l'amas de bois qui me bloquait le passage et j'ai commencé à réfléchir. Bon. Comment ils avaient fait les autres aventuriers devant des portes pas commodes ? Mon père aimait bien me raconter des histoires le soir et il y avait pas mal de formules qui revenaient assez fréquemment. Alors j'ai commencé à les balancer.

« Abracadabra ! »
« S'te plait la porte sois cool et l'aise moi entrer... »
« Sésame, ouvre toi ! »
« Va s'y, fais pas ta tepu ! »
« Boubidiba Bidibou ! »
« Si tu t'ouvres, je te file le numéro d'une autre porte super sexy, comme ça vous vous marierez, vous aurez des enfants portes -des portettes ?- et on sera tous contents ! »
« Si tu t'ouvres pas à trois, j'te défonce. 1... 2... 2,1... 2,2... »

Rien à faire, elle bougeait pas. J'en pouvais plus, je savais pas depuis combien de temps je poirotais ici mais assez longtemps pour que ma bouche soit sèche et mon ventre vide. En plus il faisait noir dans cette putain de grotte, j'voyais que dalle ! Au bout d'un moment, j'ai cru que l'obscurité allait me rendre cinglé, alors j'ai tâtonné un peu partout et ai fini par mettre la main sur des bouts de bois. Qasim m'avait appris à faire un feu avec les moyens du bord alors je me suis débrouillé comme un chef. La lueur vive des petites flammes m'a mis du paume au cœur et quand j'ai relevé la tête, j'ai vu que j'étais pas au bout de mes surprises.

Des fois, je me dis que j'suis vraiment con. Et en même temps, quand j'y repense, faut dire que les indications de Qasim m'avaient pas vraiment aidé. En relevant la tête pour regarder la porte, j'ai remarqué un truc de gravé dans un coin. Je me suis rapproché avec ma torche improvisée et là j'ai lu : « Lampe merveilleuse, frotter puis frapper trois coups ». Ah. Aaaaaah. Ah ouais. C'était ça, la lampe magique de Qasim ? C'était un peu... un peu... grand. Et surtout ça avait pas trop la gueule d'une lampe quoi ! C'était UNE PUTAIN DE PORTE ! Encore heureux que Qasim avait pas prévu de me taper avec ça, sinon j'étais pas sur de m'en sortir avec moins qu'une commotion cérébrale et encore seulement si j'étais couillu ! J'ai quand même eu un instant de réflexion. Il voulait quand même pas que je lui rapporte la porte nan ...? Sûrement ce qu'il y avait derrière... Bon. Je me suis donné un peu de courage en me tapotant la joue puis j'ai respecté les instructions données. En plus, y'aurait probablement un putain de buffet derrière avec une pancarte « FELICITATION TU ES DANS L'HERITAGE DE TONTON QASIM ! » et mes danseuses... J'ai frotté la porte, tapé tapé trois fois et là... Rien.

« C'est quoi encore c't'arna... »

J'ai pas eu le temps de finir de me plaindre que la porte s'ouvrait. Au début, j'ai rien vu parce que j'étais trop ébloui par l'éclairage, puis j'ai vu que y'avait pas de buffet. Pas de danseuses non plus. J'ai lâché un gémissement de frustration parce que là, sans dec, c'était franchement la loose. Et puis, j'ai croisé le regard d'un type enchaîné à l'autre extrémité de la pièce. Là, ça devenait franchement chelou. Qu'est ce qu'il foutait là lui ? Et... pourquoi il était enchaîné ? J'aime pas voir les gens enchaînés. J'ai toujours chéri la liberté, alors quand j'ai vu ça, j'ai pas réfléchi très longtemps avant d'agir. J'ai repéré un vieux sabre tout pourri à mes pieds, l'ai ramassé et me suis approché du type. Il avait pas l'air de péter la forme et je me suis demandé une seconde si en me voyant débouler comme ça, le sabre à la main il pensait que je venais pour le tuer. Si c'est ce qu'il imaginait, il a du être vachement surpris en me voyant briser ses chaînes. Je lui ai tendu la main pour l'aider à se relever et il l'a acceptée. Comme y'avait rien de plus à prendre ici ou à ramené, j'ai tourné les talons avec le mec et on a commencé le chemin inverse pour retourner dans le monde hors de la grotte. On a pas parlé pendant tout le trajet. D'habitude, j'suis le premier à l'ouvrir, même quand j'suis tout seul mais là... Je sais pas, le gars avait un truc en lui qui affolait un peu mon cerveau, ce qui l'a poussé à me dire clairement de fermer ma gueule. Forcément, le trajet a été assez chiant. Mais comme j'étais pas seul, j'ai eu l'impression qu'il était moins long. Finalement, on est arrivé pas loin de l'entrée et je m'apprêtais à courir jusqu'à l'air libre quand le type m'a choppé par le bras et m'a dit super sérieux :

« Aladin, l'homme qui t'a envoyé ici ne peut être un homme bon – pour la simple et bonne raison que très peu connaissent cet endroit, et trois jeunes hommes ont été envoyés ici avec l'anneau que tu portes dans les derniers mois, sans qu'aucun avant toi n'y survive. »

Ok, là ça devenait vachement flippant. Pas seulement le fait que le mec se mette à caqueter seulement à ce moment, mais aussi parce que je me rappelais avoir marcher sur un truc pendant ma traversée de la grotte. Un truc qui ressemblait et qui craquait vachement comme un os... J'ai décidé de croire ce que me disait le type, parce qu'au fond de moi je savais qu'il disait vrai, que je m'étais fait entuber comme un con. Et ça m'a franchement mis en colère d'avoir été utilisé comme ça. Très vénère, je suis remonté en disant au gars de m'attendre ici, pour pas que Qasim puisse le voir. Après tout, il avait envoyé 3 pauvres types au casse pipe, qu'est ce qui me disait que c'était pas lui qui avait enfermé l'autre dans la lampe/porte magique ? Qasim attendait à la sortie et dès qu'il m'a vu remonté, il s'est précipité vers moi et m'a demandé :

« Alors ? Tu l'as ?
- De quoi ? j'ai demandé pour le faire un peu chier.
- La lampe, idiot !
- Aaaah la lampe magique c'est vrai ! Euh nan, j'ai pas trouvé de lampe. Juste une méga porte pas commode qui a refusé de s'ouvrir. Du coup, j'suis rentré parce que j'avais faim. T'as pas un truc à grailler d'ailleurs ? »

Et là, Qasim s'est vénère de ouf. Tellement que cette fois c'est pas avec une lampe qu'il m'a frappé mais carrément avec une pierre. Et que j'suis tombé dans les vapes. Le désert est plein de créatures dangereuses et il fait pas bon y pioncer. Je serai sûrement dans le bide qu'un vautour ou d'un truc comme ça à l'heure actuelle si le mec de la grotte m'avait pas sauvé la vie. Tous les deux, on est retournés dans la ville la plus proche et une fois arrivés là-bas, on s'est séparés. Mais le gars m'a pas laissé partir les mains vides. Je m'apprêtais à reprendre la route, sans vraiment savoir ce que j'allais faire maintenant que j'étais SDF et sans un sous en poche quand le mec m'a retenu en me donnant une carte qui pourrait m'être utile si j'avais besoin d'aide et un bijou. Mais le genre de bijou qu'on voit même pas dans les bijouteries tellement il est énorme. Bouche bée, j'ai regardé les deux cadeaux et je l'ai remercié. J'aurai pu dire qu'on était quittes maintenant, que lui aussi m'avait sauvé la vie et qu'il était pas obligé de m'offrir tout ça, mais une partie de moi me disait que si j'acceptais pas ses présents maintenant, j'allais sûrement pas survivre très longtemps. On s'est séparés. Et j'ai su que c'était le moment de prendre ma revanche sur la vie.


Quelques mois plus tard, j'étais chez l'un des seigneurs les plus riches d'Afshin et je demandais la main de sa fille. Comment j'y suis arrivé ? Facile, je suis un pro. Et un très bon voleur. J'ai juste eu à récolter assez de sous pour me payer un super beau costume de prince (et sans me faire pincer) et l'affaire était faite : j'ai réussi à me faire inviter chez un seigneur plein d'oseille et avec une fille à marier et, grâce au bijou donné par mon pote de la grotte en poche, j'ai réussi à faire l'impensable : me marier moi, le petit merdeux de la rue, pauvre comme pas deux avec l'une des plus belles et riches filles du pays. Ah ça ! Elle était beaucoup de chose cette fille, mais si y'a bien un truc qu'elle était pas, c'était maline. Je sais même pas comment elle a fait pour se souvenir de son propre prénom -Badroulboudour franchement, si ça c'est pas de la torture, y'a vraiment des parents sadiques- vu que même moi j'y arrivais pas. Du coup je l'appelais Boubou et ça le faisait très bien. Mais j'étais pas marié avec elle pour... pour elle. Je l'étais pour son père. Je précise, je suis pas de ce bord là hein ! Mais son père, il avait du pouvoir, de la ressource. Et je savais qu'à force de patience, je pouvais le pousser à faire ce que je voulais. De la patience, j'en ai eu : pendant 2 ans je suis resté marié avec Boubou qui me casait les noix. Bon, elle était pas méchante mais elle avait eu un sacré coup de foudre pour moi (normal) et elle faisait tout et n'importe quoi pour attirer mon attention (surtout n'importe quoi), ce qui avait tendance à me faire péter les plombs (même si je prenais toujours sur moi).

Après 2 ans, j'ai su que le moment était venu de me servir de mon influence sur mon beau-père et mon épouse : en même pas dix minutes, j'ai réussi à les convaincre que Qasim était le pire des truands, un homme mauvais, un assassin. Aucun des deux n'a remis mes paroles en doute et le lendemain, Qasim était enfermé dans les prisons de Fort Fort Lointain. La vengeance est un plat qui se mange très froid chez moi. Une fois le jugement rendu et mon ancien tuteur derrière les barreaux, j'ai demandé le divorce en prétendant que j'étais de toute façon pas assez bien pour Boubou et tout le baratin. Cet épisode de ma vie était fini. Et puis je me suis rendu compte qu'à tout avoir sous la main, on ne désire plus rien. J'aime désirer parce qu'il n'y a pas de vole sans désire. Et j'aime voler. Ce petit divorce m'a quand même rendu riche de la moitié des possessions de ma belle famille et, comme un dragon, j'ai décidé de tout stocker. J'aime l'ironie sous toutes ses formes. Alors j'ai décidé que ma grotte serait l'ancienne maison de Qasim. Mais ce n'est pas que pour l'ironie de la situation que j'ai décidé de m'y établir. C'est aussi là que j'ai vécu les seuls moments où nous n'avions pas l'impression de mourir de faim avec mon père. Les moments où il paraissait le plus heureux. C'est son souvenir qui hante cette maison, pas celui de Qasim. Et aujourd'hui, je parcoure les routes d'Afshin et même de Fort Fort Lointain pour vendre mes produits tout comme il le faisait autrefois.

Ma vie a pris un tournant quand je me suis mis en quête de l'héritage de Qasim. Désormais c'est celui de mon père que je porte chaque jour sur mes épaules. Et je n'ai jamais été aussi bien qu'en ce moment.