Dans les grandes mirettes au jade diaphane, miroitaient les flammes de l'âtre allumé. Les pans d'obsidienne de sa robe en étaient si proches qu'à tout instant, l'on aurait juré que le textile pourrait s'embraser, mais la chaleur qui s'échappait en effluves immatérielles du foyer était à l'instar d'une source de jouvence pour la créature fardée d'un joli minois. C'était à l'orée du sacro-saint feu, qu'elle se sentait confortable, comme dans la coquille de l'oeuf dont elle était jadis sortie. Les traits placides mais la moue concentrée, la donzelle au teint d'albâtre tenait en ses délicates paumes un monceau de vêtements qu'il lui fallait ravauder en certains endroits. Précautionneusement, elle suturait le tissu, accoutumée à cet exercice depuis qu'ils étaient contraints de porter habits et atours pour ne point heurter les moeurs humaines, car sa cohorte de diablotins n'avaient jamais de cesse de pousser, de choir, de batailler, de se mouvoir dans tous les sens pour ne plus laisser que vestiges dans leur sillon. En y songeant, le regard maternel s'arracha à son occupation pour se porter à quelques coudées de là, en direction de l'immense couche de laquelle une kyrielle de petites caboches dépassait. Etonnamment mutiques, curieusement calmes, les démons que l'on ne cessait ordinairement d'entendre. Et pour cause, en levant son séant de la chaise, la belle put apercevoir six visages assoupis, encore illuminés par les aventures de Flic-Story diffusées sur le miroir face à eux. Sur ses lippes d'incarnat, se traça une risette attendrie, elle s'assit à leurs abords et caressa le crin de Parfait tout en réajustant la couverture sur Cacahuète. L'atmosphère pourtant sereine la prit en étau dans une absence rétrospective, elle ne put s'empêcher de songer à ce qu'avait été sa vie, sur la façon par laquelle elle était arrivée ici.    

A chaque fois que ses paupières se fermaient, il lui semblait humer l'odeur du soufre, la fragrance qui résumait peut-être son existence d'antan et qui parfois, chargeait son haleine d'amertume. Quelque part, elle regrettait ses ailes, la lave qui tout comme l'ichor coulait dans ses veines, sa taille titanesque, tout qui avait un jour pu en faire un dragon, ces créatures mythiques que l'on admire et redoute tant. Pour ne surtout pas forfaire à l'honneur de ses parents ou à celui de sa race, elle s'était entraînée sans relâche, jusqu'à être digne de pouvoir se faire confier la surveillance d'une forteresse, dans laquelle avait été placée une haute personnalité. Fiona. Elle l'avait observée, et au fond, avait peut-être été la première à la connaître, sans que l'intéressée ne s'en rende compte. Combien de sigisbées avait-elle mis en déroute, d'un coup de griffes, d'un coup de crocs ? Combien avait péri sous son souffle calcinant ? Elle avait arrêté de les dénombrer, jusqu'au jour où le plus Brave des Braves s'en vint sauver la princesse. Bien au-delà de l'échec de sa mission, elle l'avait rencontré. Lui.

Son menton s'éleva et elle mira vers l'huis désespérément clos. Ce n'était malheureusement pas ce soir que L'Âne viendrait border leurs enfants, certainement retenu à ses fourneaux même à une heure aussi tardive. C'était parce qu'au revers de sa badinerie constante, il était un travailleur acharné, l'animal que d'aucuns taxaient de demeuré, qu'ils vivaient aujourd'hui plus que convenablement. A la sueur de son front, il avait offert une vie meilleure à sa famille, lui aussi était brave, peut-être... plus que Shrek ne le serait jamais.

Elle entendit le couinement de Crêpe Suzette qui frappa involontairement Noix de Coco – tous deux, elle avait d'ailleurs pris l'habitude de réduire leurs dénominatifs à Suzette et Coco – sans que celui-ci ne s'éveiller forcément. Face à cette scène, elle sourit derechef, ils étaient les parfaits amalgames de leurs géniteurs, ce qui eut été d'autant plus criard du temps où ils étaient mi-ânes et mi-dragons. Mais ils n'avaient rien perdu de leurs caractères tous différents, et c'était tout ce qui importait. L'amour de leurs parents avait paru si truculent, et pourtant, elle se souvenait sans peine ne pas avoir douté une seule seconde lorsqu'il s'était mis à la flatter, alors même qu'elle avait été sur le point de le dévorer. C'était pour lui qu'elle avait brisé ses chaînes, à la fois impatiente et anxieuse de le retrouver, par peur qu'il ne la rejette. Ils se sont unis – ô dieu, ils se sont aimés, avec tant de passion que leur descendance fut vite en route. A bien y réfléchir, même si sa condition gravide lui avait fait garder le lit, elle aurait dû être là lors des dissonances avec Marraine la Bonne Fée. Sa présence aurait hypothétiquement changé les choses, même si elle n'en avait jamais rien dit à son bon époux, elle se tenait elle-même rancoeur de cette fichue catalepsie qui l'avait fait intervenir trop tard. Cela faisait-il d'elle une coupable, bien malgré elle ? Elle l'ignorait, il était plus sage que certains interrogations se meurent sans réponse. Tout avait été si prompt qu'elle avait à peine eu le temps de comprendre, perdus, sonnés qu'ils furent par la disparition de leurs chers amis les ogres, et lorsqu'ils s'étaient réveillés, ce fut humains qu'ils se découvrirent. Difficile de déterminer le pire et le meilleur aspect dans cette situation, surtout que tôt ou tard, les hostilités rejailliraient des tisons des précédentes, elle le savait.

Elle vit Banane étreindre Eclair, qui lui-même se cambra presque au point d'en culbuter de sa place. Elle le rattrapa rapidement et le replaça, puis se rendit auprès du miroir magique pour l'éteindre. A cet instant, son reflet lui apparut, et à travers la carne rose et la cascade anthracite bien peignée, elle chercha à distinguer une écaille, même la plus petite qui soit. Mais elle ne vit que la nitescence de la fiole qui ballait à son cou, et qu'elle effleura de la pulpe de son index. Un soupir, résigné, et elle se dirigea enfin vers la porte qu'elle ouvrit délicatement. Avant de disparaître, elle contempla une fois encore la marmaille épuisée, et sa phonation cristalline d'entonner. « Bonne nuit mes trésors... »