Il était une fois, une prin... Hum. Il était une fois, une jeune fille de bonne famille dont tout le monde avait oublié le véritable nom et qu’on appelait Cendrillon. Douce, gentille, serviable et un peu niaise, elle était persuadée qu’avec de la gentillesse, on pouvait parvenir à tout. Ce qui l’avait conduite à servir de larbin à sa belle-mère et à ses belles-soeurs à la mort présumée de son (beau) père. Autrefois habituée aux belles toilettes, elle avait hérité d’une robe abominablement commune, sans fantaisie, de chaussures démoniaques appelées ballerines d’une couleur indéfinissable et d’un maquillage pour le moins original composé uniquement de cendres. Comment Cendrillon est-elle devenue l’héroïne d’un conte où elle termina heureuse pour toujours ? Vu son caractère doux et peu enclin à la rébellion, c’était plutôt mal parti. Non seulement elle ne se plaignait jamais, mais elle parvenait à trouver des excuses à sa belle-famille esclavagiste. Oui esclavagiste, vous pensiez qu’elle était payée pour se farcir tout le boulot, la cuisine, le ménage, le jardinage et compagnie ? Le « et ils vécurent heureux pour toujours » était bien loin et la pauvre Cendrillon commençait à virer légèrement timbrée en parlant aux souris qu’elle cachait dans ses cheveux et son corsage. De plus, non contente de faire la conversation aux rongeurs, la pauvre petite malgré ses bonnes manières manquait cruellement d’un sens du style.

Fort heureusement Cendrillon avait une chose bien utile. Une chose qu’on appelle une fée et en guise de marraine par-dessus le marché. La véritable héroïne de ce conte c’était bien elle d’ailleurs ! Mais commençons par le commencement. Il était une fois une fée. Fée-licie la fée bien nommée vivait dans une charmante bicoque à la campagne avec son père et sa mère. La petite créature virevoltante et voletante était un véritable rayon de soleil pour le couple, une vraie petite princesse adorable et adorée. Oh bien sûr si on faisait abstraction de son obsession un peu gênante. Fée-licie aimait que tout soit parfait et cela commençait par elle. Toujours tirée à quatre épingles, ne supportant pas de voir une tache sur sa robe, elle inquiétait sérieusement son père qui se demandait comment diable une petite fée pouvait bien survivre à la campagne « pleine de boue » comme elle disait, alors que sa mère en toute bonne fée qu’elle était, l’encourageait à ne viser que le beau, le sublime, le magnifique ! Ainsi grandit Fée-licie, poussant ce trait de caractère commun à celles de son espèce jusqu’à son paroxysme... sans pour autant vouloir éliminer toute la laideur sur terre. Ça c’est le boulot des méchants narcissique et comme elle le disait si bien « il faut bien de tout pour faire un monde et surtout pour m’admirer ».


L’enfant grandit et vola bientôt de ses propres ailes pour devenir une belle fée pleine d’ambition. Fée-licie laissa derrière elle ses parents qui avaient décidé de prendre leur retraite sur une île au soleil et partit pour la capitale. Éblouie par tant de faste et de classe, elle employa les premières années de sa vie de citadine à travailler d’arrache-pied pour faire sa place dans cette société élitiste. Engagée chez Leroyal comme simple secrétaire, elle grimpa rapidement les échelons pour arriver dans la branche qu’elle convoitait depuis le début : la recherche et le développement de nouveaux cosmétiques. Ce fut là qu’elle rencontra celui qui fut son premier amour... et était aussi obsédé qu’elle par la beauté. A croire qu’il avait des gènes de fée dans son arbre généalogique le bougre ! Cian Auxcheveuxdor était, comme son nom ne l’indiquait pas, brun depuis une teinture qui avait mal tourné (mais apparemment sa chère mère était d’une blondeur légendaire, on la surnommait Boucle d’Or paraît-il). Et il faisait battre la chamade au petit coeur de la jeune fée qu’elle était. Tous deux sympathisèrent rapidement et laissèrent leur génie créatif s’exprimer de concert au nom de la beauté. De leur collaboration publique naquirent de beaux enf... cosmétiques qui ravirent les clients de Leroyal. De leur collaboration privée naquit... rien du tout et fort heureusement pour la fée qui trouvait les bébés « incroyablement laids à un point que ç’en est indécent ». La discorde naquit bientôt dans le couple pourtant si harmonieux et si bien assortit. Cian désirait des enfants et Félicie jurait ses grands dieux que jamais elle ne supporterait d’avoir le teint verdâtre d’une gueule de bois pendant neuf mois et plus encore que jamais elle ne supporterait d’avoir à s’occuper d’un chiard baveux pendant que Môssieur irait batifoler avec les secrétaires !


Cette dispute récurrente sonna le glas de leur relation personnelle tout comme professionnelle car Félicie claqua la porte de Leroyal pour monter sa propre affaire. Avoir son ex comme patron ? Certainement pas ! Devoir entendre des bruits de couloir sans arrêt près de l’âtre pendant la pause thé ? Merci bien, mais non ! La fée en avait les ailes qui frétillaient de dédain. Bien décidée à faire ses preuves à nouveau, Fée-licie fonda Les Féeries d’Avalon, un salon d’esthétique où elle saurait faire preuve de son talent et de son savoir-faire pour satisfaire son obsession : rendre les gens beaux. Si le salon eu du mal à démarrer au début, elle parvint cependant à se faire une petite clientèle fidèle, parfaite pour vivre convenablement, mais pas non plus comme une princesse. Si elle parvint à s’en contenter, ce fut sûrement grâce à Cian, du moins en partie. Séparés, ils s’étaient certes évités pendant un certain temps, mais cet amour de la beauté qui les unissait était plus fort que tout. S’il était hors de question pour la fée de se remettre en couple avec lui, elle resta en bons termes avec son ancien amant, retrouvant l’amitié des premiers temps... ce qui ne l’empêcha pas de faire la grimace quand il épousa une veuve richement dotée et récupéra par la même occasion sa fille. Bon gré, mal gré, Félicie accepta l’union de son ami avec une autre et fit preuve d’une bonne volonté qui lui aurait valu la canonisation à tous les coups : elle accepta même de devenir la marraine de sa foutue gamine, tant qu’on ne lui demandait pas de jouer la baby-sitter.

Voir son meilleur ami si heureux en ménage avait poussé la fée à voler de ses propres ailes et à s’éloigner de lui. Complètement gaga de sa femme et de sa fille, les clamant comme les plus belles au monde, il agaçait parfois la fée qui mourrait d’envie de lui coller une paire de baffes pour lui remettre les idées en place. Non seulement sa fifille chérie avait la goutte au nez mais en plus elle avait les yeux humides comme un chiot qui venait de faire une grosse bêtise. C’était peut être attendrissant pour la plupart des gens mais pas pour elle. Malgré tout, la courageuse, merveilleuse et épatante fée gardait ses profondes et philosophiques réflexions pour elle, se contentant de faire ses recherches cosmétiques pour son salon, voyageant de contrée en contrée pour y trouver de nouveaux ingrédients parfois pendant de longues semaines. Et puis un jour la femme de Cian mourut. Veuf et avec une fille qu’il éleva courageusement, il aurait pu compter sur Félicie si elle n’avait pas pris l’habitude de parcourir le monde à la recherche de l’ingrédient secret qui saurait donner un teint plus lumineux qu’un diamant finement taillé à sa clientèle de plus en plus exigeante. Il éleva la petite comme la sienne et finit par se remarier afin d’offrir à son petit trésor une présence féminine et maternelle. Félicie désapprouva avec véhémence. Elle n’aimait vraiment pas cette femme hautaine et qui ne savait pas s’habiller, ni ses filles d’ailleurs. Et elle ne put s’empêcher cette fois de faire partager son avis à son ami qui s’emporta. Elle n’aimait aucune femme qui lui tournait autour ! Elle était égoïste, superficielle et insupportable ! Mortifiée, la fée décida de couper les ponts avec son ami et de ne plus jamais lui adresser la parole. Ce qu’elle fit, après tout les fées sont connues pour être d’odieuses pestes têtues comme des mules mais très jolies.


Les années passèrent et si Cian se rendit compte que sa nouvelle femme était une harpie, il n’en fit pas pour autant ses excuses à son ancienne amie. Non il se contenta de fermer les yeux sur le problème et multiplia les voyages d’affaire pour Leroyal afin de l’éviter. Ce fut au cours d’un de ses voyages que son bateau sombra et qu’il fut déclaré mort. Fée-licie, dévastée par cette nouvelle, s’offrit un nouveau divan et des litres de crème glacée pour pleurer dignement son premier amour disparu. Afin de panser son coeur meurtri et brisé, elle travailla plus encore et multiplia les explorations loin, bien loin de la capitale. Les années passèrent ainsi et Cendrillon devint une belle jeune fille réduite en esclavage par sa belle-mère et ses belles-soeurs ; Félicie revint au bercail après un passage à Afshin d’où elle avait ramené un tas de flacons au contenu mystérieux et une curieuse boite matelassée de Saay. Le destin faisant bien les choses, elle revint la veille du bal donné par le duc Auxjolispieds, un parti très envié à la capitale. Après avoir rangé ses affaires et avoir dormi une douzaine d’heures, l’envie lui prit d’aller voir l’ancienne maison de Cian et voir comment avait tourné sa filleule. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant la belle-famille partir en carrosse de location, laissant la pauvre Cendrillon sur le carreau, sa robe d’un rose douteux déchirée et la pauvre enfant en larmes qui lui rougissaient les yeux ! Outrée, furieuse et laissant échapper un chapelet de jurons long comme le bras, la fée attrapa la jeune fille par le bras et la traîna jusque chez elle pour faire ce qu’elle savait faire de mieux : la rendre belle.


Pas qu’elle était laide non. Juste que son style était tellement mièvre qu’il lui collait des hauts-le-coeur, que ses yeux étaient rouges, ses cheveux décoiffés et ses chaussures PAR MERLIN, MORGANE ET VIVIANNE SES CHAUSSURES ETAIENT ATROCES ! Après deux bonnes heures de préparation -et uniquement parce que Cendrillon ne devait pas louper le bal sinon sa marraine aurait certainement pris beaucoup plus de temps- la bonne fée avait fini son oeuvre et était plutôt fière d’elle. Rien à voir avec l’apparence de gueuse d’il y avait quelques minutes, sa filleule ressemblait maintenant à  une véritable princesse. « Tou es magnifaïque ma chériiiiiie ! Tou es soubliiiime ! » Invoquer sainte Cristina avait été plus que nécessaire pour transformer la jeune fille et lui apprendre à se mettre en valeur en si peu de temps. Lui expliquer patiemment que même si le rose était la couleur préférée de sa mère le bleu lui allait mieux au teint et faisait ressortir ses yeux, qu’elle devait marquer sa taille, qu’il lui fallait un décolleté bateau pour mettre en valeur son port de tête de danseuse, que pour son teint de pêche il lui fallait un fard à joue corail ma chérie et non pas rose, que less is more, que non le smocky eyes ne va pas à tout le monde et qu’elle devait faire dans la simplicité et la sophistication, et que définitivement elle devait balancer ces atroces ballerines. Félicie était catégorique, exigeante et un peu trop exaltée mais elle avait du goût. Et elle ajouta la touche finale à son oeuvre en prêtant la paire d’escarpins ornés de cristaux qu’elle avait ramenés de Saay à sa protégée. Oui ils étaient trop petits pour elle mais elle ne pouvait décemment pas laisser passer une telle merveille ! Et comme ils seyaient parfaitement le mignon petit pied de sa filleule, elle ajouta que comme le duc était légèrement obsédé par les petons et les chaussures, ça lui ferait une chance de plus de le séduire, ce fétichiste des pieds et des talons.

La suite vous la connaissez, Cendrillon fut conduite en carrosse de location au bal après la recommandation de sa marraine de revenir avant minuit parce que « ma chérie il faut se faire désirer et entretenir le mystère et puis t’es marrante mais je ne suis pas crésus, c’est moi qui paie le carrosse », abandonna un escarpin sur les escaliers après avoir dansé et badiné avec le duc et rentra bien vite chez sa marraine pour lui rendre ses affaires, se faire enguirlander parce qu’elle avait paumé un escarpin qui coûtait une fortune et finalement se faire offrir le second puisque de toutes façons « qu’est ce que je ferais d’un seul escarpin posé sur une étagère ? ». Le duc, rendu fou amoureux par cette belle inconnue, fit essayer l’escarpin à toutes les jeunes filles de la ville, retrouva sa belle et ils finirent heureux pour toujours. Et Félicie dans tout ça ? Cendrillon ne l’oublia pas et lors d’une interview qui interrogeait la toute jeune duchesse sur son look pointu et ses secrets de beauté, elle révéla que sa marraine chérie était à l’origine de son relooking et de sa mine radieuse. Si Félicie comptait déjà une clientèle fidèle mais plutôt restreinte, son salon connu ainsi un succès fulgurant et des membres de la haute société vinrent demander ses conseils et bénéficier de son talent.


Ravie, la bonne fée est désormais une figure incontournable de la beauté à Fort Fort Lointain. Connue aussi bien pour son génie de la cosmétique et de l’esthétique que son caractère pour le moins original (et parfois franchement inquiétant quand elle s’approche de vous avec une paire de ciseaux), la fée a su tirer parti de cette situation et s’enrichir grâce à sa filleule si populaire. Si aujourd’hui elle fait payer ses conseils à prix d’or aux plus fortunés, il n’en reste pas moins qu’à chaque apparition publique de Cendrillon, Félicie veille sur sa protégée et reste à ses côtés pour veiller à ce qu’elle soit parfaite. C’est qu’il ne faudrait pas qu’elle se remette à porter du rose !