Mulan & Pierre

lumière d'espoir

Le monde est empreint de bonté, pourtant il ne peut réchapper à son état de nature, et à sa colère. Bouillonnante, inflammable, qui explose à la moindre égratignure, la moindre blessure. Justice, désirée et hurlée entre les remparts de la citadelle. Justice, pour ces pauvres âmes qui réclament leur liberté. Je n’avais jamais vu le royaume dans un tel état. Les rues chantent la révolution, et c’est une noble cause, mais qui peut malheureusement faire couler du sang inutilement. Bien des guerres pourraient être évitées, si l’on regardait un peu plus loin, bien plus loin que ce qui est à portée. Ce chaos ambiant déchaîne la population, et la Reine a bel et bien disparue. Le royaume retient son souffle, et tout ça ne présage rien de bon. Je n’ose pénétrer dans la capitale, par peur d’être entraîné dans un combat qui pourrait se résoudre sans la force. Mais je ne peux me résigner à chasser les bêtes, et je ne le ferais que si je n’avais d’autre choix, pour notre survie. En ce moment, j’ai surtout besoin de légèreté, et d’espoir.

Le loup n’a pas eu sa dose de viande depuis trop longtemps maintenant, et il est grand temps que j’agisse. Il a beau avoir la vie rallongée, il lui faut à manger. Nous battons la terre, côte à côte, nos pas rythmés dans un même temps. Sans difficultés nous traversons cette route bien déserte depuis des jours, et arrivons face à la ferme de Jack et Jill. De la fumée s’échappe en bourrasques de la cheminée, et le brouhaha des animaux ne fait qu’attiser la faim de Kirill. Je m’enfonce dans les champs de blés, écrasant quelques feuilles sous mes pieds, avant d’arriver près d’une étable. « Il y a quelqu’un ? » Pas de réponses, tandis que je fais le tour du propriétaire d’un oeil averti. Les fermiers qui possèdent cet endroit sont bien connus pour être grognons et malpolis, mais ça ne doit pas être toujours évident de se montrer aimable et bon si l’on est déjà mal jugé sans être reconnu pour ce que l’on est. Je m’apprête à frapper à la porte d’entrée, quand un bruit fracassant tambourine. « Va-t-en de là sale bête, ou je te brise la nuque ! » Je fais volte-face, apercevant Kirill tous crocs sortis devant l’énorme pacha qui se tient devant lui. Qui est réellement la bête, le loup ou l’homme ? Il tient dans ses mains une fourche et menace d’un regard de s’en servir contre Kirill, tandis que le loup enfonce ses griffes dans la terre et recourbe le museau en signe de provocation. Je vois rarement mon loup dans cet état, et je n’aime pas l’idée qu’il se sente en danger. Je cours dans leur direction, les bras levés en l’air, les yeux graves. « Hé ! Arrêtez ça je vous en prie, je venais juste chercher de la viande. Il n’a rien fait de mal. » Arrivant à sa hauteur je ralentis le pas avant de m’arrêter pour gratter ma barbe, quelque peu embarrassé face à la situation. Le tablier de Jack est maculé de sang et de boue, et son corps ne rentre même pas entièrement dans ses vêtements. « Rien fait de mal ? Cet animal est un monstre ! Je l’ai vu tourner autour de mes poules. Si vous êtes son maître vous méritez tous deux une bonne correction ! » Mes joues se gonflent nonchalamment et je sens la colère m’envahir. Mes poings se serrent, crispés, retenus. Mon coeur tambourine tandis que j’évite de justesse un coup de fourche, avant de l’attraper de mes mains pour le retenir. « Il n’y a nul besoin de se battre, je vous prie de me croire, il n’aurait jamais touché à une seule de vos poules. Baissez cette fourche Monsieur entendez raison. » Mon corps entier tremble et repousse la hargne de l’homme. Si je dois en venir aux poings, je le ferai, mais il ne touchera pas à un poil du loup.

Je ne reconnais plus Fort Fort Lointain depuis la nuit tragique des attentats. Je ne me reconnais plus. Je pensais avoir trouvé ma voie, m'être trouvé une quelconque utilité, combattre aux côtés des opprimés. Nous en avons crée une autre centaine. Le peuple n'ose plus sortir de chez lui par peur de se faire voler, agresser. Tout le monde connaît une personne présente le soir du bal, blessée ou traumatisée. Nous avons plongé la capitale dans une terreur sans nom et causé une anarchie hors de contrôle. Le fils de Marraine ne se préoccupe guère des affaires du Royaume, la garde royale est débordée et nous... Moi, je tente de vivre avec les regrets. Malgré tout, je n'arrive pas à m'en défaire, à me défaire de cette cause. Je ne peux en parler à personne et c'est ce qui me ronge. Je suis coupable.

J'écarte une branche de mon chemin, prend une grande inspiration et continue de marcher. Je dois chercher des oeufs à la ferme pour Gretel et il faut vraiment que j'arrête de divaguer ou je vais me perdre. Je secoue la tête histoire de chasser toutes mes pensées et profite simplement de cette ballade, du vent qui souffle doucement et du soleil qui caresse mon visage. En approchant de la ferme, j'entends soudain une voix forte s'élever. « Rien fait de mal ? Cet animal est un monstre ! Je l’ai vu tourner autour de mes poules. Si vous êtes son maître vous méritez tous deux une bonne correction ! » Je presse le pas et me met à courir lorsque je reconnais la voix qui lui répond. Pierre.

Kiril est à côté de Pierre, prêt à attaquer, tandis que l'homme tente de repousser les attaques du fermier en colère. Je pose mon panier et cours vers eux. « Arrêtez ! » J'accours près d'eux et, prenant exemple sur Pierre, je me place à côté de lui et repousse la fourche. Du coin de l'oeil, j'aperçois Kiril en position, les crocs sortis. « Calmez-vous ! » J'appuie une plus grande pression et l'homme finit par lâcher la fourche. Cependant, en manque d'arme mais non de courage, il lève la main, prêt à attaquer une nouvelle fois.
« Je vous préviens, Monsieur, que si vous touchez cet homme, dans la seconde qui suit ce loup sera sur vous. Avec mes encouragements. » Non, je n'ai aucune connaissance dans la situation et ne devrait pas prendre parti, mais le caractère du fermier n'est inconnu de personne. L'homme semble remarquer la hargne de l'animal et recule d'un pas.

Je m'assure d'un coup d'oeil qu'il n'a pas l'intention de recommencer ses menaces et me tourne vers Pierre. « Tout va bien ? Vous devriez vous occuper de Kiril, il a l'air bouleversé. » Je n'avais aucune connaissance en ce qui concernait les animaux, mais le lien qui les unissait était si fort que cela ne pouvait se rater. Chacun avait eu peur pour l'autre et il était temps qu'ils se réconfortent.

Je m'éloigne quelques secondes et récupère mon panier, toute envie perdue de gaspiller ne serait-ce qu'une seconde de plus avec cet homme. Je pourrais toujours passer au marché plus tard.

Mulan & Pierre

lumière d'espoir

La paix est une idée fragile, qui peut s’étreindre à la moindre éraflure, causer plus de dégâts sur son passage qu’elle n’en a l’intention. L’amalgame est sans cesse mis à rude épreuve et ce monde connait un temps qu’il n’oubliera jamais. La roue de la fortune continue sa course lente et effrénée, mais de ce mal sortira du bien, forcément. Certains se serrent les coudes entre les remparts de cette prison chaotique, certains tendent la main à leur prochain et l’union fait la force, dans une solidarité qui veille, faiblarde mais bien allumée. Pourtant, d’autres se laissent aller à des émotions qui les dépassent, frôlent la surface de la peau d’abord, avant d’éclater en morceaux de chair dévastateurs. Certains ferment les yeux, se recroquevillent dans la peur et dévorent tous ceux qui s’approchent. Mes doigts retiennent fermement la fourche qui menace de faire des dégâts trop gros pour ce qu’il en vaut. J’entends les grognements gras et féroces du loup tambouriner contre mes tympans, et ces notes me serrent le coeur, tandis que je tire mes traits en grimaçant. Le mal pourrait être évité, si ce bonhomme entendait raison. Malheureusement, je crains plus pour lui que pour moi. S’il me touche, tout se passera très vite et Kirill se servira de ses outils de mort avant d’être blessé lui-même.

C’est la fleur de cerisier qui me sort de ma torpeur, apparaissant telle une flèche qui fend l’air. Mulan. Elle est là, la lueur d’espoir, le grain de légèreté. Sa chevelure de jais se moue et se mêle au vent pour se prêter à la position de défense. « Arrêtez ! Calmez-vous ! » Sa voix s’empresse de prendre un ton à la fois apeuré et dangereux, tandis que je l’observe du coin de l’oeil prendre parti à cette lutte qui n’est pas la sienne, mais pour aider. Sous la pression exercée le fermier finit par faire quelques pas en arrière, essoufflé, lâchant sa fourche mais levant son poing. Mes pieds appuient un peu plus contre la terre tandis que mes paumes sont face à lui. « Je vous préviens, Monsieur, que si vous touchez cet homme, dans la seconde qui suit ce loup sera sur vous. Avec mes encouragements. » Mulan semble prendre la situation en main, d’une toute autre manière que la mienne mais qui fonctionne de façon bien plus efficace. Lui faire peur, plus que lui-même ne le fait. Ne dit-on pas qu’il faut répondre au feu par le feu, après tout. « Tout va bien ? Vous devriez vous occuper de Kirill, il a l’air bouleversé. » C’est en entendant prononcer le nom du loup que je secoue vivement ma tignasse et m’empresse de fouler la terre pour contenir Kirill dans mes bras. Je prends le temps de lui chuchoter quelques mots à l’oreille tout en enfermant son museau dans ma main, sentant qu’il se calme peu à peu, sans lâcher le fermier du regard néanmoins. Son souffle reste intact, rauque et fort, mais je sens que le rythme perd de sa vitesse. Je me redresse, la main toujours posée sur son pelage tout en lançant des coups d’oeil à la fois vers Jack et vers Mulan. « Pas de blessés, tout va bien. Merci Mulan, vous nous avez évité la catastrophe. » Le fermier semble plus intéressée par le fourreau qui renferme l’épée de Mulan que par nous désormais, les yeux en alertes. J’en profite pour aller me servir d’un morceau de viande fraiche sur une table à quelques pas de là, avant de jeter des pièces aux pieds de l’homme, puisqu’il semble trop inquiété pour lever la main désormais. « Vous feriez mieux de prendre garde à vos dires et gestes, vous n’êtes pas le seul à subir les émeutes du royaume, mais vous pourriez le devenir. » Mes pas prennent la suite de ceux de Mulan, quand je me racle la gorge et me retourne une dernière fois. « Merci, pour la viande. » La courtoisie toujours, malgré mon ton un peu sec pour paraitre sincère. D’un geste vif je lance la viande que le loup attrape derechef dans sa gueule. Il accélère le pas pour arriver à hauteur de Mulan qui continue sa marche et j’arrive à leur suite, quand nous poussons les blés pour traverser les champs. « J’imagine que ce n’est pas une coïncidence que l’on se croise ici, qu’est-ce que vous veniez chercher ? Je peux peut-être vous aider à en obtenir, après ce que vous avez fait pour moi. » Il semblerait que où que j’aille, je plonge Mulan dans l’embarras et surtout les emmerdes. Ce n’est pas seulement parce que je me sens redevable, mais aussi parce que je sens qu’un lien se tisse, doucement mais sûrement.

Je trouve cela réellement dommage d'assister à des scènes comme celles-ci lorsque le royaume est dans une anarchie politique. Ces temps-ci, nous devons apprendre à cohabiter et à s'entraider - je suis certaine que les temps futurs ne s'arrangeront pas. Cela me fait rire, tout de même : me voilà, une des Lames de Cendre, à pleurer sur le sort de Fort Fort Lointain alors que j'en suis la cause.
Mon panier dans les mains, j'entends Pierre me rassurer sur la situation de Kiril et lui. Avec beaucoup de diplomatie malgré l'incident, le jeune homme achète sa viande et l'offre à son loup immédiatement. Je commence à m'éloigner, très refroidie par les événements. J'aperçois Kiril trottiner à mes côtés et je lui souris, ayant une drôle d'affection pour la bête qui, fut un temps, m'avait grandement effrayé. Pierre nous rejoint rapidement et, comme un air de déjà vu, nous nous enfonçons dans les champs de Fort Fort Lointain

« J’imagine que ce n’est pas une coïncidence que l’on se croise ici, qu’est-ce que vous veniez chercher ? Je peux peut-être vous aider à en obtenir, après ce que vous avez fait pour moi. » Je souris, pensant que je n'ai rien fait pour lui si ce n'est lui rendre la vie compliquée depuis les événements du bal. « Je devais chercher des oeufs pour Gretel mais je suppose que je pourrais tout aussi bien en trouver au marché ! » Je continue à marcher dans le silence, contemplant mes prochaines paroles. « Comment cela se passe pour vous, depuis le soir du bal ? »

Cela ne fera qu'enfoncer le couteau dans la plaie, mais j'ai besoin de savoir que cela n'a pas eu d'impact pour tout le monde, ou le contraire. Je ne sais pas si j'ai envie d'oublier ou d'être jugée pour ce que j'ai fais. Même avec le recul, je pense que c'était la chose à faire - déclencher quelque chose, pour que Marraine quitte sa politique d'oppression. Seulement, la culpabilité me ronge chaque jour. Lorsque je pousse la porte de Miel & Epices, j'assiste au spectacle de Gretel qui tente de retrouver toute la vitalité de son bras ; lorsque je marche dans les rues, je vois le peuple qui se presse pour retrouver la sécurité de leurs maisons.

Et c'est moi qui ai fait cela. Bien sûr, je n'étais pas seule, mais j'étais là. Et j'étais d'accord, je le suis toujours... Je ne sais plus quoi penser. « Dites-moi... » Je ne sais pas vraiment si je peux me confier à Pierre ou non, mais il me semble être le choix le plus approprié.  « Pensez-vous que les rebelles n'auraient pas du agir contre Marraine ? Je suis consciente que beaucoup sont partisans, mais je n'arrive pas tellement à leur en vouloir. Oppresser une catégorie de personnes simplement parce qu'on ne veut pas admettre les différences... Cela me semble très injuste. »

Je n'ai pas envie de dire que je fais partie de ceux-là, des rebelles. Je tâte le terrain, mais je n'admettrais pas.

Culpabilité.