⊱ Une Famille de Fée Formidable ⊰

Mesdames, Messieurs, bêtes et autres… trucs : Bienvenue au Palais des Jours du Royaume de Fachionvique ! (oui Fachionvique, monsieur. Pas Fashion Week… Même si on aurait préférés, m’voyez…)

Regardez donc ce tableau de la célèbre Eugénie Labrosse (Quoi ? Comment ça vous ne connaissez pas la fée Labrosse ? Sombre inculte !)… Cette œuvre n’est-elle pas magnifique ? Cette lumière et ces couleurs… Aaaah un délice pour l’œil ! Votre regard frétille d’autant plus de plaisir lorsque vous voyez toutes ces femmes regroupées dans un joli salon, dans des tenues soulignant de fines silhouettes. Superbes, n’est-ce pas ? Vous en oublieriez vos fiancé(e)s et vos maitresses, hein ? Ces visages de poupées posés sur des corps généreux et roses. Oh ! Mais oui regardez dans leurs dos : ce sont des ailes ! Et là vous vous dites : Quelle chance pour l’artiste d’avoir pu immortaliser de si exotiques créatures, elles sont divines ! Oui, chez les Lafay, on est belles de mère en fille… Ou de fille en mère, c’est difficile à dire pour des fées…

Et bien mes amis, permettez-moi de vous dire que vous êtes de fieffés crétins qui ne prêtent attention à rien… Oui parfaitement : A RIEN ! Plus de deux jolies miches sur un tableau et vous voilà en arrêt cardiaque ! Faut vous reprendre, buvez un verre d’eau et soufflez un bon coup. Ca va mieux ? Regardez maintenant, là sur la droite. Oui ! C’est moi, votre humble serviteur : Théodose Lafay ! Ne suis-je pas tout à fait fringuant ? Séduisant ? Et cette carrure... Allons bon ne me regardez donc pas avec ces yeux là… OUI JE SUIS UNE FEE ! Avec les ailes, la baguette magique et les paillettes en option tout ça, tout ça… Vous dites ? « Quelle chance d’être avec toutes ces femmes ? » Ce sont ma mère et mes sœurs, espèce de pervers ! Vous êtes dans une noble entreprise familiale : veuillez sortir je vous prie !

Bon, reprenons… Comme vous pouvez le voir, ma très chère maman, Abondance Lafay, et mes sœurs ne passent pas vraiment inaperçues avec leurs boucles roses… Je ne m’amuserai pas à toutes les différencier car cela serai parfaitement inintéressant et surtout interminable pour vous. Pourquoi se ressemblent-elles toutes ? C’est une très bonne question, madame. Ma mère est depuis plusieurs millénaires réputée pour ses dons d’aide à la conception des enfants. Elle est capable de choisir le sexe et l’apparence physique de l’enfant à naître. Autant vous dire que les royautés de tous bords ont demandées ses services et elle n’a pas hésitée à faire payer au prix fort, si vous voyez ce que je veux dire… Hum, Hum. Alors forcément elle ne s’est point retenue le moins du monde d’user de ses dons sur ses propres enfants. Narcissique, vous dites ? Disons plutôt qu’elle a le sens des affaires : quoi de mieux qu’une fée qui lui ressemble traits pour traits afin d’aller à la rencontre des clients ?... Même si je dois bien admettre que se contempler dans le miroir est une occupation à laquelle elle s’adonne volontiers… Hum, Hum. Pourquoi suis-je différent ? C’est une question que l’on me pose souvent. Il semblerait que je sois le résultat d’une surconsommation de poudre de fée… Oui je sais, c’est moche. Personne n’est à l’abri d’un accident !... Comment je vis cela ? Et bien…

-Théo’ ! Cesse de bavasser avec les étrangers et va plutôt me faire un lait fraise ! s’écria au loin sa mère, enrubannée dans une large robe rose à paillettes et ses cheveux coiffés à la manière d’une barbe à papa.

Le groupe de touristes s’exclama de surprises et d’admiration à la vue de la célèbre fée Abondance. Celle-ci changea aussitôt d’attitude en affichant un sourire radieux en les saluant gracieusement de la main.

-Oui, c’est bien moi, dit-elle avec une fausse modestie non feinte. Si vous souhaitez passer commande, n’hésitez pas à vous arrêter au guichet prévu à cet effet à la sortie, indiqua la fée en désignant l’autre bout du couloir avec ses jolies doigts manucurés. Je me ferai un plaisir de faire de vos enfants des êtres extraordinaires (offre soumise à conditions, aucun enfant n’est échangeable et les commandes passées le soir et les weekends vous serons facturées le double). Nous vous remercions pour l’intérêt que vous portez à notre modeste commerce, fit Abondance, souriant de toutes ses dents. Si vous souhaitez un autographe ou d’un échantillon de vœux gratuit : c’est le moment ou jamais, mes sucres d’orge !

Sans attendre, le groupe se précipita vers la fée laissant Théodose seul avec l’immense tableau de famille. La vie du jeune homme pouvait se résumer à ça : une éternelle place de second plan. Être née garçon au sein d’une immense famille de fée faisait tache. Avec une mère aussi narcissique, n’ayant enfantée qu’une longue succession de simili-Abondance, être un fils n’était pas la place la plus enviable… Dernier né de la famille, mère Abondance et la plupart de ses sœurs le considérèrent rapidement comme n’étant pas légitimement une fée. Et elles ne se privaient jamais de le lui rappeler ! Nulle vœux à exaucer ou princesses à protéger pour le mâle fée : il était reléguer aux tâches ingrates de l’entreprise familiale. Comptabilité, gestion des dossiers et du petit personnel, accueil des visiteurs, secrétariat,… Ce n’était clairement pas la vie de fée rêvée pour Théodose, voyant jour après jour ses sœurs s’envoler au secours des têtes couronnées. Combien de fois avait-il réclamé un prince ou une princesse à protéger ? Il ne s’en souvenait pas. A vrai dire, il était bien difficile de trouver du crédit aux yeux d’Abondance après le désastre que Théodose causa la seule et unique fois où il fût chargé d’une mission…

Heureusement dans la vie de Théodose tout n’était pas triste à pleurer. En effet, dans l’immense fratrie de la famille Lafay, le jeune homme pouvait compter sur le soutien de sa sœur Prudence. Physiquement identique à leur mère et leurs sœurs, elle était la dernière née l’ayant précédée. La fée s’était instinctivement présentée comme sa protectrice contre les brimades et les moqueries de la famille. Lorsqu’elle était à ses côtés, son aide était précieuse ! C’est d’ailleurs Prudence qui contribua à lui inculquer le savoir de la famille, lui donnant des cours particuliers dans le plus grand secret. Lorsqu’elle considéra son petit frère comme étant prêt à faire ses preuves, elle demanda audience auprès de leur mère, lui fit part des nombreux talents de Théodose et insista sur le fait qu’il était bien une fée comme les autres. Abondance fût surprise, presque vexée, par ce retournement de situation. Se dandinant sur son trône de rubis, elle sembla tout de même réfléchir à la proposition de sa fille, fixant intensément Théodose de ses yeux bleus perçants. Elle pinça les lèvres, dubitative et finit par accepter le marché.

« Très bien, Théo, fit Abondance en fronçant le nez. Puisque tu insistes tant, voilà une mission des plus faciles : tu te chargeras de rendre visite au souverain Midas de la principauté de Lingodor. Ce prince est d’une générosité sans pareil et il mérite aujourd’hui une récompense à la hauteur de ce qu’il a donné de bon cœur. C’est une offre promotionnelle de la maison Lafay ! Il faut que le vœu exaucé soit entendu par delà les royaumes : tu as bien compris ? Vas maintenant ! Et ne reviens pas avant d’avoir accompli ta mission », ajoute-t-elle d’un ton dur en pointant un doigt menaçant dans sa direction.

Inutile de vous dire que la mission fût un désastre… Midas ayant fait le vœu (particulièrement stupide, n’est ce pas ?) d’avoir le pouvoir de tout transformer en or, le prince fût très rapidement dans l’incapacité de manger et boire (crétin !)… Abondance était furieuse. On ne pouvait pas faire pire publicité pour Lafay & Cie ! Théodose retrouva sa place de petit col blanc et poursuivit sa tâche à tamponner les dossiers d’un grand et écarlate « Et Ils vécurent heureux » avant de les archiver les uns après les autres… Il se pensait condamné à cette vie monotone. C’est alors qu’un jour, farfouillant tant bien que mal dans la paperasse qu’il avait à faire chaque jour, une carte de visite s’échappa d’un courrier pour tomber aux pieds du mâle fée. « Le bonheur, c’est simple comme une larme », pouvait-on lire sur le petit rectangle cartonné. Intrigué, Théodose s’en saisit et l’examina davantage. C’était la carte de visite de Marraine la Bonne Fée ! Il s’empressa d’aller recueillir une larme de bébé conservé dans le laboratoire de sa mère et la versa sur la carte (oui, parce que pleurer ça fait gonfler les yeux alors bon…). Une petite bulle rose s’en échappa et le visage attendrissant de la célèbre fée apparut :

« Quoi ? C’est à moi ?... Hum hum ! Je suis Marraine la Bonne Fée. Je suis absente du bureau ou avec un client mais si vous voulez passer à nos magasins : nous serons ravi de vous donner un entretien particulier. Soyez heureux pour toujours ! »

Lorsque la bulle de savon éclata, Théodose se dit qu’il était temps de changer les choses…


⊱ I Don’t Care ! ⊰

Comme souvent au Palais des Jours, chaque semaine, toute la famille Lafay se réunissait pour le dîner dans la grande salle à manger et sa longue table capable d’accueillir la longue lignée d’Abondance qui trônait en majesté au bout de table. Théodose, quant à lui, était relégué du côté opposé bien évidemment, loin des yeux de Madame Lafay. Tout le monde mangeait tranquillement en bavassant sur les derniers potins féeriques quand le seul garçon de la famille se racla bruyamment la gorge en se levant de son siège. Le silence retomba dans la grande salle et les regards de toutes ses sœurs se posèrent sur lui, inquisiteurs.

« Théo, soupira de lassitude la mère fée après une gorgée de lait fraise. Aurais-tu un commentaire à faire partager ? J’ose espérer que tu ne vas pas aller encore réclamer…

-Ne vous faites point de soucis mère, le coupa Théodose avec un sourire hypocrite. J’ai une toute autre nouvelle à vous annoncer.

-Tu t’es acheté « La Magie pour les Nuls » ? gloussa sa sœur Opulence.

-Ou tu as peut être appris à faire apparaitre un lapin dans un chapeau, renchérit Décadence avec un sourire mauvais.

-La ferme ! s’exclama sèchement Prudence à l’attention de ses sœurs hilares.
 
Abondance ne rigolait absolument pas, fusillant son freluquet de fils du regard.

-Alors ? demanda leur mère avec impatience. Tu as perdu ta langue ?

-Nullement mère, répliqua-t-il en levant fièrement le menton. Je souhaitais simplement vous donner ma démission.

-PARDON ? S’exclamèrent en chœur Abondance et ses doubles.

-Tout à fait, acquiesça le mâle fée. Vous ne vous attendiez tout de même pas à ce que je me résigne face à la condition nullement féerique à laquelle vous m’avez soumis Mère…

-Sale petite…

-Raclure ! Oui vous êtes une raclure mère, enchaina son fils devant ses sœurs médusées. J’ai essayé toute ma vie de satisfaire le moindre de vos caprices, de répondre à toutes vos exigences… Mais je réalise enfin que tout cela est parfaitement vain !

-Arrête donc de dire des inepties pareilles, fit Abondance en serrant les dents de rage. Asseye toi !

Son fils lui jeta un sourire éloquent, plus ravi que jamais.

-Certainement pas mère : je pars voler en solo désormais, précise-t-il en dégainant sa baguette magique.

Sa baguette était d’un bois sombre, toute tordue et semblable à une vulgaire branche. Très différente des baguettes scintillantes et colorées de ses sœurs. Le regard de la mère fée fit des allers-retours successifs entre la baguette et le sourire espiègle de son fils jusqu’à ce qu’elle lui jette un regard horrifiée, comprenant tout.

-SUCRE BLEU !!! jura-t-elle. JE TE DÉFENDS DE FAIRE CELA !!! hurla-t-elle en se levant furibonde de son siège.

CRACK !

Venant de fendre en deux sa baguette, Théodose jeta mollement les tristes morceaux sur la table au milieu des plats et des assiettes en or.

-Je n’ai plus aucun compte à vous rendre, Mère, dit-il, l’air grave. Je suis une fée indépendante désormais.

Alors qu’il disait ces quelques mots d’une voix nouvelle, sa silhouette s’allongea tout à coup. Ses épaules s’élargirent, ses muscles, ses ailes grandirent doucement et son visage s’émacia. Son regard était plus étincelant que jamais. Il sentait qu’une magie nouvelle passait à travers ses veines. Il observa sa main gauche alors qu’une arabesque d’étoiles l’entourait avant de faire apparaitre une nouvelle baguette. Elle était d’un bleu pétillant, orné d’un diamant à sa pointe. C’était parfait ! Relevant les yeux vers Abondance, la mine réjouit, le mâle fée put voire à l’autre bout de la table qu’elle n’était pas loin de la crise de nerfs, rouge et tremblante de rage. Sans plus attendre, il quitta la table en changeant ses vêtements en un enchantement pour un costume splendide et scintillant avant de se tourner de nouveau vers sa famille qui commençait à faire monter des voix de protestation.

« Avant de partir, je voulais aussi vous dire : vous pourrez me trouvez à Fort Fort Lointain, les filles. Ils ont une Reine Fée, vous saviez ? dit-il l’air de rien. Elle est si généreuse qu’elle m’a offert le poste de gérant de la boutique Versachery. Vous le croyez ça ? dit-il enthousiaste en lançant un clin d’œil à sa mère.

-Par Clochette ! Il va chez la concurrence ! s’exclama horrifiée sa sœur Romance.

-Ainsi va la vie, répliqua Théodose en haussant les épaules. J’inaugure la boutique dans quelques semaines…

-Raaah ! Épargne-nous ta publicité ! Gémit Abondance en frappant du poing sur la table en renversant son lait fraise.

-Ne râlez pas, Mère ! Aucune de mes robes ne sera à votre taille de toute façon…

La fée, le regard fou, tremblait tellement et de plus en plus qu’elle finit par s’écrouler dans son trône, inconsciente.

-IL A TUÉ MAMAN ! s’écria en pleurant Condoléance, suivie rapidement par les autres.

Prudence quitta la table pour rejoindre son frère qui était hilare devant le spectacle de sa famille.

-Théo… Tu en as suffisamment fait pour ce soir, tu ne crois pas ? Vas-t-en maintenant..., lui dit-elle avec son sourire tendre.

Le frère et la sœur s’enlacèrent quelques instants puis Théodose fila bien vite vers la sortie du Palais des Jours. Une nouvelle vie allait enfin commencer pour lui, loin du royaume maternel de Fachionvique !    


⊱ Bienvenue chez Versachery ⊰

De long mois passèrent à Fort Fort Lointain et Théodose pouvait voir à quel point la décision qu’il avait prise envers sa famille était la bonne. Ayant prit les rênes de la boutique très huppée de Versachéry, il pût laisser libre cours à sa créativité, entouré par de talentueuses couturières. Sa réputation à Fort Fort Lointain n’avait fait que décupler au fil du temps, tant et si bien qu’on le surnommait généralement Monsieur la Fée. Théodose, superficiel qu’il était, y voyait là le signe d’un anoblissement. Pas une boutonnière, pas un seul modèle en boutique ne passait sans son accord. Pouvoir enfin dicter sa loi, loin de sa mère Abondance, était un plaisir sans pareil pour l’homme fée qui exigeait la perfection de la part de ses employés. Il en allait de même avec ses clients d’ailleurs…

Par un bon matin, une princesse venue de très loin fit une entrée en fanfare dans la boutique. Elle exigea le magasin pour elle seule et ne voulut absolument pas être conseillée par les vendeurs (trop communs à son goût apparemment). C’est donc Théodose qui s’en occupa… Froissé par un tel comportement, il n’avait pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds par une petite pimbêche de campagne (quand bien même est-elle couronnée).  

-Que puis-je vous proposer ? S’étonna Théodose en haussant un sourcil avec un air de défi. Je vous préviens : la liste est longue…

-Et bien, que sais-je ? fit la provinciale avec dédain. C’est votre travail après tout…

Détestable à souhait, pensa le styliste fée. Affichant son plus beau sourire, il se délectait d’avance de la manière qu’il allait pouvoir l’embobiner. L’homme fée était particulièrement doué à ce jeu-là. Il se mit alors à fredonner :

-Alors nous avons des robes en tissus Acca, Agnellat, Aïda, Aléoutienne, Alépine, Amazone, Ancélia, Andrinople, Anglaise, Angora, Angoratine, Armoisin, Astrakan, Aubusson, Bachette, Bagdad, Barège, Batik, Batiste, Bengaline, Bogolan, Bure, Caban, Cachemire, Cadès, Cadis, Calicot, Calle, Caméléon, Camelot, Chevron, Chintz, Cloqué, Cordelat, Cordura, Côtelé, Coton, Coutil, Crêpe, Cretonne, Crin, Croisé, Chanvre, Cuir, Damas, Denim, Dentelle, Diamantine, Drap…

Il s’arrêta quelques instants en regardant de nouveau sa cliente avec un air satisfait.

-Dois-je continuer ?

-C’est-à-dire que…

-Bon très bien ! Se réjouit le mâle fée avant de continuer à chantonner à travers ses rayonnages de vêtements. Écossais, Éolienne, Eponge, Étamine, Faille, Ferrandine, Feutre, Fil à fil, Flanelle, Gabardine, Gaze, Granité, Impériale, Imprimé, Indienne, Jacquard, Japon, Jouy, Jute, Lagos, Laine, Lamé, Liberty, Lin, Linon, Longotte, Lustrine, Madras, Marceline, Métis, à Mignonnette, Minky, Mohair, Moire, Moiré, Moleskine, Molleton, Mousseline, Nanzouk, Natte, Nid d'abeilles, Ninon, Nappage, Organdi, Ottoman, Organza…

-Arrêtez ! Cela suffit ! S’égosilla la peste.

-Vraiment ? fit Théodose d’un air faussement surpris. Vous ne voulez pas aller jusqu’à la lettre Z ?

-NON ! fit la jeune femme catégorique. Cette robe en soie sera très bien, dit-elle en désignant une robe de couleur émeraude.

Monsieur la Fée lui jeta un regard perplexe, la bouche déformée par un léger rictus :

-Ma chère, je crains qu’il nécessite une motte de beurre et un chausse-pied pour vous faire rentrer là-dedans…

-Je vous demande pardon, fit l’exigeante, outrée.

-Mais cet hiver je vous recommande fortement des tenues en velours, princesse, continua Théodose pas perturbé le moins du monde par la situation, tout sourire. Nous en avons de toutes sortes ! Velours à bouquets, à ferronneries, à la reine, à moustaches, à parterre, à ramages, antique, au sabre, bosselé, bouclé, broderie, chiffon, chiné, ciselé, cordelet, corduroy, cordé, côtelé,…

-Comment osez-vous me parler de la sorte ? fit la cliente qui n’était pas loin de ne plus en être une avec des yeux exorbités.

La fée lui fit un sourire charmant et compatissant tandis que la suite princière restait muette devant la joute orale.

-Princesse, mon devoir en ce lieu est de guider chacun de mes protégés…

-Et alors ?!

-Et bien vu mon expérience à Fort Fort Lointain : je sais au premier coup d’œil qui est taillé pour vivre en ce royaume. Et de ce que j’ai pu voir : vous n’êtes pas faites pour Fort Fort Lointain… ni pour du Versachéry d’ailleurs …

La princesse était ébahie du toupet dont faisait preuve Lafay. Sa bouche était grande ouverte comme celle d’un poisson mais aucun son n’en sortait.

-Essayez donc quelque chose de plus commun, Trésor. Cela vous ira plus au teint…, conseilla-t-il d’un ton charmeur, en faisait frétiller ses ailes argentées.

Rouge écrevisse, la princesse le fusilla du regard avant de tourner les talons avec toute sa suite et de claquer la porte.

-Bon débarras !!! S’exclama Monsieur la Fée en échangeant un regard entendu avec son chat Choupette qui l'observait sur son petit coussin de velours.

Versachéry ne se pliait pas à ses clients : c’était à eux de s’adapter ! Non mais ! Et Théodose de faisait aucune exception à la règle. Marque prestigieuse et luxueuse, il espérait que bientôt la reine fée et sa cour demanderaient à voir plus en détail ses collections. « Modeste commerçant » comme il se désignait parfois, il ne manquait pas moins d’ambition et de rêve !


⊱ Parrain La Bonne Fée ⊰

Mon cher Théo’, mon cher frère,

Voilà longtemps que tu es parti du Palais des Jours pour Fort Fort Lointain. Nous entendons parler du fruit de ton travail jusqu’ici ! Tu dois être heureux comme un charme !

Ici, le travail n’a jamais été aussi intensif. Mère redouble de folies et d’exigences… Obsolescence et Condoléance ont prit rapidement congé en raison de la surcharge de travail, tu imagines ? Leur taux de poudre féerique était en chute libre. C’est ce que le médecin nous a rapporté… Mère n’y a pas été plus sensible que cela : les filles étaient à peine partie qu’elle avait déjà trouvée des remplaçantes ! Lafay & Cie est loin de battre de l’aile, mais ses employés si ! Et malheureusement je n’ai pas échappée à cette règle… Cela fait des semaines que je n’ai plus envie de chanter et d’enchanter quoique ce soit… Mais ne t’inquiètes pas, je prends à mon tour congé pour reprendre des forces ! Je vais faire un séjour aux Bains-à-Masses : il parait que cette station thermale est très réputée.

En parlant d’absence, ma lettre n’est pas complètement anodine. Vois-tu j’étais en charge depuis plusieurs années maintenant de la princesse Pauline Dâne, te souviens-tu ? Cette pauvre enfant s’est vue malmener par son père pour contracter un mariage incestueux… Quelle horreur ! J’ai fais tout mon possible pour la protéger et elle vit désormais cacher loin du joug paternel. Seulement, vu que je serai maintenant absente pour un moment : peux-tu t’occuper d’elle ? C’est une jeune femme charmante et je suis persuadée que tu feras un excellent travail avec elle. Pauline vit à Fort Fort Lointain depuis quelques mois déjà. Tu vas surement la croiser sous peu… Je lui ai donné ton adresse.



Lorsque Théodose releva les yeux de la lettre de sa sœur il se demanda si ce n’était pas une blague. Prudence se souvenait-elle du sort jeté au roi Midas ? Au pire, il pourra toujours lui offrir des robes… Voilà donc un nouveau défi qui se présentait pour lui : Théodose Lafay allait enfin devoir être une bonne fée !