Taran & Alexei

And what was the point of all this?

Ce n’était pas dans mes habitudes de prendre un taxi-calèche. Ça coûtait des sous, il fallait prendre en compte le trafic qui rendait parfois les trajets plus longs que prévus et puis il fallait tomber sur un bon conducteur et un qui ne soit pas trop curieux, ou qui ne vous soule pas avec ses enfants ou sa vie pourrie ou non…Enfin bref, habituellement, je préférais marcher. Sauf que pour le coup, je ramenais des paquets assez lourds, de commandes qu’avait passée Vassilissa, à la fois pour elle et…pour moi je devais bien l’avouer. Je lui avais demandé si elle pouvait me faire quelques chemises, les miennes commençaient sérieusement à faire la gueule… Moyennant rémunération bien évidemment. Maintenant que j’avais un travail, je pouvais lui payer un bout du loyer, aider pour les courses etc…La vie était plus simple. Pas parfaite, loin de là, mais une vie qui nous convenait. J’aurais pu déménager aussi, mais je ne l’ai pas fait. Je ne sais pas trop pourquoi…Et elle ne m’a pas encore jeté dehors alors hein…Mais revenons à nos paquets.

Il fallait toujours que je prenne ce fichu taxi-calèche pour aller à une des boutiques sur la liste et ensuite revenir sur la capitale. Supeeeer. J’adore. Enfin, je lui devais bien ça, vu comment je l’ai laissée en plan au bal pour aller m’occuper de Gretel. Je finis par trouver un taxi-calèche de libre, conduit par un jeune homme blond et lui donna l’adresse où je me rendais. Pendant une partie du chemin, je me tus, observant l’extérieur défiler. Puis on passa en vue du château maintenant partiellement détruit dans l’explosion durant le bal. Cela fit monter une poussée de colère en moi. Je n’aimais pas Marraine, c’était un fait, personne n’avait le droit d’obliger quelqu’un à être ce qu’il n’était pas, mais de là à faire…Ca. Ca semblait un peu extrême, non ? N’y avait-il pas d’autres moyens que la violence pour mettre en défaut la Régente ? Enfin, je pouvais parler, je n’avais même pas répondu à l’appel aux rebelles. Ca ne m’empêchait pas de penser qu’il y avait d’autres moyens moins destructeurs. Mais qu’est-ce que j’en savais. Je ne pus, cependant, retenir la phrase qui m’échappa.

"Quel gâchis…"

On pourrait penser que je faisais référence à la perte du patrimoine architectural que représentait le château de Marraine, mais non. Moi je faisais référence aux nombres de blessés que cette attaque avait provoqués. Plusieurs d’entre eux étaient des gens à qui je tenais plus ou moins. Je m’étais moi-même retrouvé au milieu du problème. Je m’en suis sorti presque indemne, mais presque. Plus encore, ils avaient mis en danger Vassilissa et s’il lui était arrivé quoi que ce soit, je ne me le serais pardonner. Maintenant, j'e’ était à un point où j’hésitais à ne plus suivre les rebelles. Je sais au fond de moi que je ne pourrais pas complètement tourner le dos à ceux qui partagent mes idéaux, même si nous étions différents dans les méthodes. Je sais que s’ils auraient besoin d’aide et que ce soit dans mes moyens, je le ferais, simplement parce que je ne suis pas un menteur et que je tiens à mes idéaux…Mais je ne peux pas participer en bonne conscience à des projets aussi destructeurs et dangereux que celui du bal. Pas en pouvant continuer à me regarder dans la glace par la suite…

Taran & Alexei

Easy now, I'm not the enemy

Aujourd'hui est une journée comme les autres. Je me lève, comme d'habitude, et entame ma journée de travail d'assez bonne humeur. J'ai le sentiment que ça va être une excellente journée. Dans les rues, peu de monde vaquent à leurs occupations habituelles, malgré l'heure plutôt avancée. En général, il n'y a jamais trop d'agitation en matinée, surtout à Ragtown, où les commerçants s'occupent généralement de mettre leur magasin en ordre avant l'arrivée de la foule en début d'après-midi. Cependant, aux alentours de 11h, les badauds commencent à sortir et je commence à avoir mes premiers clients.

Mais il est actuellement 11h30, et je n'ai toujours eu personne. Les rues sont relativement vides, et ce n'est pas un pur hasard : il n'y a que quelques jours seulement que les événements du bal de Noël ont eu lieu, et les gens ne sont toujours pas rassurés. Bon, en même temps, c'est relativement compréhensible, même moi qui ai participé à l'action des rebelles, je ne suis pas franchement content de ce qui s'est passé. C'était pas fait exprès, d'ailleurs, c'est pour ça que ça s'est très mal passé ! C'est Moustaches Rousses – j'ai encore oublié son nom – qui a mal géré son explosion, et on s'est tous retrouvés dans la panade... Pour rien en plus ! Marraine a disparu, Charmant n'a rien, et nous par contre on a une mauvaise réputation, maintenant ! Et j'ai pu taper sur aucun garde. Rah, ça m'énerve, tiens !

Je suis occupé à ruminer dans mon coin lorsqu'un jeune homme chargé de paquets s'approche pour louer mes services. Je ne le connais pas, même si sa tête me dit vaguement quelque chose... Peut-être l'ai-je déjà croisé en ville... Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas un de mes clients, parce que je me souviens toujours de ceux que je transporte. Et lui, je pense que je ne vais pas l'oublier de sitôt. Non seulement je suis énervé, mais en plus je dois me trimbaler un client qui tire une tête de six pieds de long... Bon, c'est pas grave, au moins j'ai une occupation !

Nous nous mettons donc en route vers la destination qu'il m'a indiqué. Il ne dit rien, et c'est tant mieux, parce que vu sa tête, je n'ai pas non plus envie de commencer une conversation. Le trajet que j'emprunte est d'habitude plutôt fréquenté, mais j'ai décidé de profiter de l'absence de circulation de ces derniers jours pour aller jeter un coup d’œil ni vu ni connu au château. De là où nous sommes, les dégâts n'ont pas l'air aussi important que ce que j'ai pu voir le soir de l'attaque. Peut-être que ce n'était pas si grave après tout ? Et puis je ne vais pas pleurer la perte d'un ou deux cailloux. On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, alors la révolution, c'est pareil, faut casser des œufs ! Enfin, des cailloux quoi ! Bon, c'est juste pas l'idéal qu'il y ait eu des victimes parmi les cailloux, mais ce qui est fait est fait, comme on dit !

La calèche bouge, légèrement, signe que mon client remue à l'arrière, et je profite de l'arrêt momentané de mon véhicule pour reporter mon attention sur ce dernier. Il a l'air assez énervé, et fixe le château avec une lueur mauvaise. Je me demande bien ce que c'est son problème, à celui là... Il est énervé en permanence, ou c'est juste un mauvais jour. Enfin, je m'apprête à relancer mon cheval lorsque j'entends distinctement un « Mais quel gâchis » venant de l'habitacle. Je me retourne de nouveau sur mon siège pour constater que le regard de mon client est toujours fixé sur le château.

Je ne sais pas pourquoi, mas elle ne me plaît pas trop, sa remarque. Ni son attitude, en fait. C'est pas franchement professionnel, mais je décide de prendre la mouche et de faire moi aussi une ou deux remarques, sans trop abusé :

« C'est le château qui vous plaît pas ? C'est vrai qu'il est pas très beau... C'est pas plus mal que les rebelles aient fait péter tout ça. Si on oublie les innocents blessés, bien sûr. »

Si ce monsieur est du côté de la royauté, ça va bien le froisser. Mais je ne prends pas trop de risques inconscients en critiquant directement la souveraine, on ne sait jamais ce qui pourrait me retomber dessus, après.

Taran & Alexei

and what was the point of all this?

Je me rends compte que je viens de parler tout haut quand le cocher se tourne vers moi pour me parler. Répondre à ma remarque qui n’attendait pas de réponse soit dit en passant. M’enfin, il me répondait, avec une désinvolture quant aux évènements passés qui m’énerva doucement. Comme si ce château n’était qu’un tas de pierre en ruine, moche et inutile. Ce n’était pas totalement faux à l’heure actuelle mais je ne pouvais pas me dire que ce n’était qu’un château en ruine. En plus sa remarque du « si on oublie les innocents blessés » me mettait hors de moi. Et puis c’était quoi son problème à lui ? Il fallait qu’il s’incruste dans des réflexions solitaires ? J’admets que faire des réflexions solitaires dans un endroit avec d’autres personnes (même s’il n’y en a qu’une, ça reste d’autres gens) était un poil stupide si on ne voulait pas de réponse. Maintenant, il n’y était pour rien, non plus, si j’étais affecté par le château ou ce qu’il en restait.

C’est bien parce que je me dis ceci que je pris quelques secondes pour me calmer les nerfs, faire en sorte de ne pas paraître aussi agressif que j’aurais pu l’être autrement. Ce n’était pas le moment d’entrer en conflit avec la moitié de la ville, à commencer par un pauvre cocher qui faisait son travail.

"Je m’en fiche de cette bâtisse. Des châteaux qui mériteraient de tomber en ruines tellement ils sont moches, il y en a des dizaines dans tout le pays. Je peux en parler, j’ai suffisamment voyagé pour pouvoir le dire. Nan, ce qui me chagrine le plus ce sont toutes les vies chamboulées à cause de ce qu’il s’est passé…"

Je repense à Gretel, qui a été blessée, qui a eu peur pour sa vie même. Et moi aussi. Au final, je pense que c’est surtout pour ce que j’ai vécu que je n’aime pas passé devant le château. C’est une pensée extrêmement égoïste, purement égoïste même, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je n’arrête pas de repenser à cette terreur qui m’a pris quand l’explosion a eu lieu, combien j’étais déboussolé par la suite, incapable de penser clairement et puis, l’inquiétude qui a suivie. Je ne savais pas si Vassilissa était arrivée à la maison sans encombre et comment Gretel allait s’en sortir (avant que je ne reprenne mes esprits)…Cette soirée a été purement et simplement traumatisante aussi bien que chaotique.

"Heureusement, il n’y a pas eu de morts, mais tout de même. Qu’on veuille dire au revoir à Marraine est une chose, mais on fait en sorte d’éviter les innocents."

Bon, c’est vrai que pour le coup, je priais que ce type ne soit pas un fervent défenseur de Marraine, sinon j’étais mal barré. Bah, une galère de plus ou de moins, c’était quoi au final ? Au pire je ferais comme toujours ; je fuirais. C’est lâche, mais quand on sait qu’on n’a pas les moyens de surmonter quelque chose, c’est la seule solution. Malheureusement. Parfois, je me dis qu’être un peu plus courageux serait un plus…Mais ah ! il faut de tout pour faire un monde…

Taran & Alexei

Easy now, I'm not the enemy

Et bien au moins c'est très clair : voilà un client avec lequel je ne veux en aucun cas garder contact. Non seulement il tire la gueule depuis qu'il est monté dans ma calèche, mais en plus de ça, il trouve le moyen de se renfrogner encore plus lorsque je me permets de faire quelques réflexions. Je peux presque l'entendre m'insulter mentalement rien qu'en regardant sa tête. Et bien si tu veux qu'on se tape dessus, mon gars, tu vas être servi.

Je peux déjà dire que la belle journée que j'avais pré sentie n'est plus qu'un lointain souvenir. Je n'ai jamais été très patient et – non, en fait, je ne suis pas patient du tout, alors autant dire qu'il n'en faut pas beaucoup pour que je parte en vrille. Certains diraient que dans un métier comme le mien, où la relation avec la clientèle est primordiale, c'est un énorme désavantage. Et bien ceux là n'ont vraiment pas conscience de ce qui se dit lorsque l'on pense que personne ne peut entendre : le plus souvent, les riches de ce monde sont obnubilés par des problèmes qui n'en sont pas vraiment, comme par exemple l'absence dans leur garde-robe du nouveau sac à la main tendance. Ceux là n'ont pas d'impact sur moi, en fait c'est plutôt drôle à écouter. Et le reste du temps, je ne reçois aucun client désagréable, pour ne pas dire que j'ai en permanence des personnes très sympathiques dans ma calèche. C'est ce qui fait la merveille de ce métier ! Ça, et les voyages à travers le royaume, bien sûr.

Mais malgré le fait que ce type ne soit pas des hautes sphères, comme le montre son attitude générale, il a le don de me taper sur le système. Je ne me suis jamais emporté comme ça... Peut-être bien que c'est parce qu'il s'en prend indirectement aux rebelles. D'accord, on a pas vraiment assuré la dernière fois, mais bon sang ! Les gens se plaignent de leur situation à longueur de journée, et quand quelqu'un se décide finalement à faire quelque chose, ils trouvent à redirent... J'imagine qu'on ne peut pas satisfaire tout le monde, mais les réflexions de mon passager ont fait mouche, aussi je décide de continuer sur ma lancée, quitte à l'énerver encore plus. Ca veut dire quoi, d'ailleurs, ces réflexions ? Les gens ont leur vie chamboulée ? Ca va, ils sont pas en sucre, non plus. C'est jamais sympa d'avoir des blessures, mais ça se soigne, hein. J'ai passé une bonne partie de ma vie avec des plaies plus ou moins importantes, et je suis toujours là. Encore un rigolo qui ne sait pas du tout de quoi il parle. Je suis sûr qu'il était au bal et qu'un gravier l'a éraflé. Pauvre petit. Bien évidemment, je ne vais pas lui jeter ce genre d'argument à la figure, j'ai le sang chaud, mais je sais me contrôler un minimum, quand même ! En revanche, je ne vais pas me gêner pour remuer le couteau dans la plaie. Avec modération, mais tout de même ! Et puis, il faut bien que je m'occupe jusqu'à ce qu'on atteigne notre destination...

« Bah, je suis plutôt content de ce qui ce passe, en fait. Ils vont guérir, les gens. Et au moins maintenant, Marraine est je ne sais où, probablement loin d'ici, et elle nous fiche la paix. N'allez pas croire que je suis cruel et antipathique, surtout ! J'aurais préféré que les rebelles fassent leur petit coup d'état de manière à ne blesser personne, mais ce qui est fait est fait. Et puis qui nous dit que c'était ce qu'ils avaient prévu hein ? Peut-être que ça ne devait pas du tout se passer comme ça. Quoi qu'il en soit, ils ont au moins le mérite de faire bouger les choses ! Faut arrêter de se plaindre que tout va mal et de continuer à être mécontent quand quelqu'un décide de faire quelque chose ! Enfin, pour ce que j'en dis, de toute façon... »

Voilà. Maintenant, t'as une raison de râler.

Taran & Alexei

Easy now, I'm not the enemy

Promis, j'ai fait en sorte de ne pas m'emporter sur ce chauffeur de calèche, parce que fondamentalement, il ne m'avait rien fait. Je ne le connaissais même pas, par la blonditude de Charmant! J'admettais très volontier que j'étais un sale gosse insolent, un emmerdeur de première et un adrénaline junkie. Cependant je me m'attaquais pas au premier venu simplement parce que j'étais de mauvaise humeur. Alors oui, je vous jure monsieur le juge, j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour ne pas déverser mon amertume (pas trop en tout cas) et ma colère sur ce type. Mais par merlin et le sacrosaint costume rayé d'Hibernius, ce type le cherchait, ce n'était pas possible autrement. En plus il avait un sacré culot. "Ils vont guérir", ouais d'accord, sur le plan physique, mais paye-toi ton traumatisme après ça. Apres il me disais qu'il n'était pas cruel ou anthipathique. Bah pour le dernier, en ce qui me concernait, c'était raté mon gars. Et genre bien bien raté. Genre j'ai-fait-cramer-la-maison-en-voulant-allumer-la-bougie-d'anniversaire-raté...Non je n'exagérais pas!...Bon si peut-être un petit peu. Mais là n'est pas le problème. Là où je veux en venir est que j'ai atteint ma limite: j'allais lui exploser à la tronche il allait pas être déçu du voyage (pour un chaffeur de calèche c'était marrant, non?).

"Alors mec, je ne sais pas si c'était une blague ou pas, mais ton coup du je ne suis ni cruel ni anthipatique, ça sonne comme une grosse blague. Je dis ça, je dis rien." Je sentais que je risquais de me prendre un (ou plutôt des, soyons honnête) coup, mais ça ne me refroidit pas pour autant. Je continuais sur ma lancée "Ensuite, ouais, ils vont guérir ces gens, mais les traumatismes laissés par les événements de la soirée, ça, mec, ça va rester longtemps. Enfin, on t'excuse de ne pas y avoir pensé à ça, ta blonditude doit jouer un peu dans l'histoire..." oui, c'était bas, moche, vile, feule et perfide mais je m'en fichais bien à ce moment-là "En même ceux qui on subit des blessures, certains ont perdu l'usage d'un membre, voir plus, ils font quoi eux? Ils espèrent être moitié lézard et faire repousser le bras ou la jambe qu'ils ont perdus? Parce que la magie c'est bien gentil mais ça règle pas tout!"

Il avait fini par parler du fait que ce n'était peut-être pas prévu ainsi cette intervention. Cela fit tiquer quelque chose dans mon esprit, aux abords de ma mémoire. Je me souvenais de quelqu'un d'autre qui m'avait dit quelque chose de similaire. Impossible de me souvenir qui cependant. Enfin, dans le cas présent ce n'était pas bien grave; ce type m'énervait au plus haut point. Je lui aurais bien dit qu'il y avait d'autres moyens pour commencer à renverser une monarchie tyrannique que les bombes en plein milieu d'un bal! Seulement je n'avais pas de légitimité pour dire commenr ils auraient pu faire donc je me tus...sur ce point-là. Je n'allais cependant pas le laisser gagner aussi vite.

"Ah peut-être, m'enfin si tu prévois de faire exploser une bombe au nom de la libération du peuple, tu le fais pas dans un endroit où le putain de peuple que tu veux libérer est réuni en grande partie!" C'était pourtant simple comme concept, non? "Et si tu me sors une 'ouais mais la bombe était peut-être pas prévu', de un je te fais manger le tissu que j'ai là, de deux je dirais que le leader s'est fait enpapaouter sévère et sans vaseline et que j'ai presque de la peine pour lui mais que ça ne change pas ma première pensée: tu prévois pas un coup d'état là où il y a un max des gens que tu veux libérer! Sans compter de faire changer les choses?" J'applaudis, de manière moqueuse "Bravoooo, c'est réussi, maintenant on est encore plus fliquer, c'est la panique dans la moitié de la ville et Ô joie, Ô béatitude, on peut se faire aggresser à tous les coins de rues. MERCI."

Okay, j'étais probablement de mauvaise foi, crassement même, mais là l'autre avait juste touché au bouton qu'il ne fallait pas. Moi je m'en etais bien sorti, quelques coupures, rien de bien grave, mais je me souviens encore l'état dans lequel Gretel s'était retrouvé, combien elle a eu mal et combien cet événement a peser sur son moral les jours suivants. S'il y a bien une chose que je ne pardonne pas, c'est que l'on fasse du mal à ma famille. Même de coeur. Surtout de coeur.

Taran & Alexei

Easy now, I'm not the enemy

Cette fois, c'est décidé, je lui rentre dedans, et pas qu'à moitié. J'écoute cet espèce d'abruti parler en même temps que j'arrête la calèche là où elle ne dérange personne. Plusieurs fois, je roule les yeux en entendant les propos que l'autre déblatère à la pelle. Ma "blonditude" ? Non mais sérieusement, c'est quoi, cette répartie ?

Si ma petite pique plus tôt n'avait pas d'autre but que de tester mon passager énervé, il est évident qu'elle a engendré bien plus que ça. Dans un autre cas de figure, on aurait pu dire que j'ai bien cherché la colère du jeune homme, mais en entendant ses propos, j'en conclus que c'est beaucoup plus complexe que ça. Le type doit en avoir gros sur le coeur depuis les événements du bal, et je suppose que je suis le défouloir qu'il cherchait depuis un moment. Si j'avais été mature, je l'aurais laissé faire son petit manège sans un mot, pour qu'il déverse une colère enfermée ressassée depuis un bon bout de temps. Seulement voilà, s'il y a bien une chose que je ne suis pas, c'est mature. Eilonwy dit souvent que j'ai le sang chaud, et que je m'emporte trop vite sur les sujets qui me tiennent à coeur. Mais Eilonwy n'est pas là pour m'empêcher de faire ce que je m'apprête à faire, au grand malheur de mon client. Ou du mien, selon comment tourne la situation.

Une fois la calèche arrêtée, je saute de mon siège, et ouvre la portière la plus proche du passager et lâche un "Tu descends." avant de l'empoigner par le col pour le forcer à s'exécuter. Il manque de s'aplatir sur le sol tant la descente est agitée, mais ma prise est assurée, et comme il ne pèse pas lourd, le faire sortir est aussi facile que de porter une poupée de chiffon. Par contre, s'il croit qu'il va s'en aller une fois dehors, c'est loupé. Je le plaque contre la calèche, et rapproche mon visage aussi près que possible, une veine pulsant sur mon front sous l'effet de la colère.

"Ecoute moi bien, le gueux. Depuis ce putain de bal, on entend plein de petits geignards comme toi, qui sont choqués parce qu'il y a eu une explosion et des blessés. Et tu veux savoir le plus drôle ? Les petits geignards, c'est les mêmes qui disaient qu'il fallait que les choses changent, que Marraine devait tomber. Et moi, des petits geignards, j'en ai ma claque. Alors oui, c'est triste, bouhou des gens ont été blessés, bouhou y'a les chochottes qui sont traumatisés parce que ça a pété. Mais je regrette pas du tout ce qui s'est passé au bal. Et quitte à le refaire, en sachant que ça blesserait des gens, je le referais si c'est le seul moyen de faire bouger les choses. Parce que ce que les petits geignards dans ton genre ignorent royalement dans toute cette histoire, c'est les atrocités que Marraine commet depuis bien longtemps, sans que personne ne dise rien. Tu veux aller expliquer à une famille de Bêtes Parlantes que leur père ne reviendra pas, parce qu'on pourrait blesser des gens dans la révolution, et qu'il avait qu'à pas se faire prendre ? Tu veux envoyer une lettre à tous ceux qui croupissent sur l'Île de Graaoul qu'ils vont y rester encore longtemps parce qu'on a peur des bombes à Fort Fort Loitain ? Tu veux aller dire à mon meilleur ami qu'il va finir sa vie torturé dans la Tour d'Argent parce que tu as peur de te casser un ongle ? Eh bien pas moi ! T'as beau dire qu'on est plus fliqués que jamais, mais en attendant le marché noir est en plein essor, les rebelles se rassemblent et Marraine a foutu le camp. Alors continue de te morfondre dans ton coin, blâme les rebelles pour toutes les calamités du Royaume, mais en attendant, ma blonditude et moi, à la prochaine bonne, on espère que t'y passera, parce que les chouineurs comme toi, ils parlent beaucoup, mais ils font rien pour aider ceux qui en ont besoin."

C'était long, j'ai failli perdre mon souffle, mais la colère mêlée à l'adrénaline ont lutté pour moi. Dans une dernière bouffée, je tire le type d'une main et le repousse si sec de l'autre, pour le déséquilibré. Je reste là, figé, mon regard ne le quitte plus, et s'il pouvait tuer, l'autre serait raide mort sur le pavé.

Taran & Alexei

Easy now, I'm not the enemy

La calèche s'arrêta et mon conducteur (sérieux, quand est-ce qu'il a pensé que travailler pour du public était sa voie?!) m'ouvrit bien gentiment la porte, me sommant de descendre. Ah mais avec plaisir mon bon monsieur, vous dont la compagnie était si agréable! Sentez l'ironie dans ma voix. Il était prévu, du moins dans mon propre cerveau, que je descende (bien que déjà la descente faillit me faire embrasser le sol et je ne devais le salut de ma dignité qu'aux réflexes acquis au cirque), règle la course (je veux bien être un connard mais tout travail mérite salaire, aussi mal fait celui-ci soit fait) et en retourner à mon petit bout de chemin. Je pourrais toujours aller déposer mes paquets à la maison avant de repartir à poed là où ce type devait m'amener...sauf que je n'avais pas prévu que le type en question me plaque contre la calèche, bien caché des passants (ce qui n'était pas plus mal).

Plusieurs m'horripilais dans ce qui se passa ensuite; d'abord, le type était beaucoup trop près, je n'etais pas spécialement contre le rapprochement physique, que cela soit dit, mais là y avait violation de l'espace vital les gars! Encore y aurait-il violation de l'espace vital parce qu'on mettait de bons gros marrons dans la face, passait encore, mais là...nan. Simplement non...Deuxièmement, sa tirade. Aaaah oui, c'est une façon de voir les choses et si je n'avais pas été sur les lieux, si je n'avais pas vécu l'autre revers de la médaille, je pense que je me serais rendu compte de ma bêtise chronique et me serais excusé. Non, sérieusement. Mais là, je ne pouvais pas l'accepter. Je refusais de me faire traiter de geignard et de branleur alors que ce n'était pas le cas. Pendant des semaines on a attendu de pouvoir avoir des informations, des débuts de plans, voir des réunions top secrètes, et un beau jour Môsieur Potté nous envoie un message codé avec une rendez-vous et aucune information. Alors évidemment que l'adrénaline junkie que j'étais avait voulu y aller, seulement c'est le côté lovesick puppy pour Vassi qui a gagné et ce n'est pas plus mal. Alors non, je n'allais pas me laisser insulter pour rien. Je le repoussai des deux mains et, sincèrement, je supposais que c'était la surprise qui le fit reculer plus que ma force brute. Je n'étais pas en manque de muscle fondamentalement, mais vu que le type faisait bien deux têtes de plus que moi et aussi large qu'une armoire normande, à mon avis on devait pas le faire bouger aussi facilement. Mais passons.

"Tu crois quoi? Que je suis un de ces privilégiés qui vivent à Rollywood? Bah raté mon grand! Ouais je me plains, comme beaucoup, parce que de toute façon, on est jamais content de sa propre vie. Mais moi aussi j'ai des amis qui souffrent du règne de Marraine! Je viens du cirque, j'ai connu et connais encore un sacré nombre de bêtes parlantes. Alors oui, je veux que ça change, et oui je voudrais bien y faire quelque chose. Mais si changer quelque chose veut dire poser des bombes sans réfléchir, ou suivre bêtement un type sans savoir rien de son plan, alors je dis non. Sinon suivre bêtement un type qui dit être révolutionnaire ou suivre bêtement les lois de Marraine, il n'y a aucune différence, AUCUNE. Et si au lieu de penser avec la force brute et de faire des dégâts bêtement, pourquoi ne pas vous attaquer de manière stratégique à des points névralgiques? Mais je pense que t'ai envie que je te parles de stratégie, vu que t'as l'air d'être plus muscles que cerveau! Parce que, ouais, Marraine a disparue, mais qui dit qu'elle n'est pas partie chercher des troupes fées? Hm? Alors ouais, les rebelles, j'ai testé, mais moi, monter un plan sans qu'on me demande une seule fois mon avis ou des idées, j'appelle pas ça une révolution diplomatique, j'appelle ça le dictat du type au complexe du héros. Et tu veux savoir autre chose? Je suis bien content de ne pas avoir pu aider les rebelles ce soir-là; parce que sinon j'aurais honte de moi. Honte de ma stupidité pour avoir suivit les yeux fermé un mec pareil. J'aurais jamais pu me relever d'avoir blessé et presque tué la seule personne dans cette ville qui m'a donné une chance et une famille. Si toi tu n'as personne à perdre dans ce combat, tant mieux, tu peux devenir le complet psychopathe que tu as déjà commencé à devenir, mais moi il y a des gens autour de moi qui font que je ne peux pas aller et faire des blessés à la pelle en m'en foutant comme de l'an 40. Alors maintenant bonne journée, et tiens pour la course, parce que je suis peut-être un chieur et un type que t'aimes pas, mais je suis pas un salaud."

Je déposai quelques shillings sur le siège de la calèche et fit dos au blond en prenant mes sacs avec moi, bien décidé à dégager d'ici avant que mon tempérament ait le meilleur de moi et que je finisse en chaire à saucisse sous les poings et pieds de l'autre type...

[quote="Alexei Trainesavate"]

Taran & Alexei

Easy now, I'm not the enemy

Je regarde le type s'éloigner. Sa tirade, loin de m'avoir scotché sur place, me fait l'effet d'une bombe. Oh non, il me vient pas de provoquer chez moi une illumination qui va me faire changer totalement d'opinion sur la question des rebelles, ou toute autre imbécillité de ce genre, absolument pas. En revanche, il a réussi à faire doubler mon niveau de colère, et ça c'est formidable ! Non vraiment, jamais je n'aurais pensé me faire mettre hors de moi par un type que je connais à peine, mais c'est désormais chose faite. Je me sens comme un nid de frôlons dans lequel il viendrait de frapper de toutes ses forces.

Je fixe son dos encore quelques secondes, et laisse mes instincts de guerrier – ou de fou furieux, comme on veut - prendre le dessus, et fonce sur lui en lâchant un cri guttural. Il n'a pas le temps de se retourner que je le plaque littéralement contre le sol sous le regard confus et inquiet des passants. Il faut dire, on a pas vraiment l'habitude de voir se battre un cocher et ses clients si violemment, surtout ici, à proximité du château. Ce genre de comportement a généralement lieu à Ragtown, et plutôt tard la nuit et non en plein jour. Eh bien, profitez-en, c'est l'heure du spectacle, voilà une bonne dose de la force brute de Yasen. Puisque la rébellion est si désastreuse d'après lui, autant faire en sorte qu'il goûte de très près à l'anarchie qui en découle. Je pense avec la force brute, moi ? Je fais des dégâts bêtement ? Très bien ! Parfait ! En voilà des dégâts bêtes et méchants !

Je retourne le type, qui avait jusque là la tête écrasé sur le pavé, et lui donne bien le temps de comprendre que je suis son agresseur. C'est ça, mon gars, regarde bien ce dont ces débiles de rebelles sont capables. Ou plutôt, ressens ce dont on est capable ! Je lui décolle un crochet tellement fort que même mon poing me fait mal. Son visage vient d'encaisser toute ma force, et pourtant, je ne me sens absolument pas calmer... Généralement, dans ce genre de situation, un bon coup de poing en plein dans la face de mon adversaire suffit à me passer les nerfs, mais on dirait bien que dans son cas, ça ne fait qu'empirer. Je laisse donc libre cours à la violence et à la colère que je m'efforçais de contenir depuis le début de notre confrontation. Un coup, puis un autre, et encore un, sans pouvoir m'arrêter.

J'accompagne chacun de mes coups par une insulte ou un reproche quelconque, reprenant le plus souvent ses propres paroles, comme mon apparente stupidité, ou la bêtise de l'attentat du bal, criant plusieurs fois le nom de Gurgi, toujours enfermé dans la Tour d'Argent, jusqu'à ne même plus comprendre ce que je dis.

Un groupe de passant affolé s'est formé autour de nous, certains me criant de m'arrêter, d'autre tentant carrément de me séparer du corps évanouit de l'autre, dont la mâchoire vient de se briser dans un horrible craquement d'os. Rien ni personne ne semble apte à m'arrêter, jusqu'à ce qu'un chevalier-flic qui traînait par là me force à me relever avant de me flanquer un coup de matraque à travers la figure.

Ce n'est que lorsque le coup atteint mon visage que je sors de ma rêverie. Je cligne plusieurs fois des yeux et regarde le jeune homme qui est désormais très loin. Je secoue la tête en me réprimandant. Je ne sais strictement pas pourquoi je me suis laissé imaginer ça... Je sais que je ne suis pas toujours très patient et que j'ai le sang chaud, mais fracasser quelqu'un avec qui j'ai un différent dans un lieu public. Ou dans tout autre lieu, d'ailleurs... Je soupire et jette un regard au chevalier-flic qui se trouve assez loin d'ici. Je me rappelle qu'on l'a dépassé tout à l'heure, d'où sa présence dans mon imaginaire. Je frissonne, me stressant tout seul, et vais pour refermer la porte de la calèche. Je me rends alors compte que l'autre abruti m'a laissé de la monnaie pour la course mais même si c'est idiot, je ne veux pas de son argent. Je repère sans trop chercher un mendiant assis à un croisement, et abandonne ma calèche garée sur le côté le temps de quelques minutes, essayant d'oublier cette histoire et d'enfin passer une bonne journée...