La sensation du tissu sur sa peau le gênait. Vladislas, dans un ultime soupir, finit par enlever le drap qui le recouvrait, laissant le froid de la nuit venir mordre son corps de toute part. Il avait cette désagréable impression d'être emprisonné, retenu entre les vêtements, les draps, les murs étouffants des maisons. Maladroitement, il posa ses pieds inexpérimentés sur le sol froid de sa chambre, titubant jusqu'à la salle  d'eau tout en posant ses mains moites contre les murs pour rester en hauteur. Marcher parmi les hommes était une chose qu'il avait toujours désiré sans qu'il ne pensa jamais la douleur que cela pouvait lui procurer. Avec envie, il regarda le liquide couler dans le récipient de céramique, trempant avec un désir ardant ses doigts dans le fluide transparent qui sembla l'englober d'une chaleur rassurante d'un simple contact. Il se sentait à nouveau chez lui. Cette pensée lui arracha un sourire, mélancolique. Chez  lui. Il n'avait pas vingt ans lorsqu'il avait quitté les mers glacés de Yasen, las de n'être qu'un triton banal  parmi tant d'autres, moqué par ses sœurs et parentes, par les marins eux-mêmes qui le voyaient émerger les nuits de tempêtes, son buste imberbe bien moins attirant que les mamelons des terreurs des mers. Vladislas n'était pas fait pour rester ainsi brimé, et, sentait qu'il était attendu quelque part pour briller. Peut-être que, finalement, Yasen n'était pas chez lui. Il y était née, y avait grandi et laissé plusieurs écailles sans pour autant que personne ne le retienne lorsqu'il annonça son départ, devant une assemblée aussi froide que les courants dans laquelle elle était baignée. Il quittait les sirènes froides de Yasen sans aucun regret, ne laissant derrière lui qu'une vieille mère triste de perdre le meilleur faiseur de biscuits de salicorne.

Le monde aquatique restait un monde particulier, hostile. En surface, les marins abruptes le chassait pour ses écailles maudites, prêt à se jeter à l'eau pour lui tordre le coup, en profondeur, les léviathans et autres poissons immondes lui nageaient après, prêt à gratter ses écailles pour croquer dans sa chair tendre.  Il errait dans le grand bleu, où la lumière tournait en rond si bien que tout repère en était perdu. C'est là ou aimait vivre les sirènes, c'est là que Vladislas passait, infatigable vagabond, toujours en soif d'aventure  et de nouveaux horizons, vivant au jour le jour. Il ne se souvient plus vraiment comment le trafic de fleur de grin avait commencé, sûrement à cause des jeunes écailleux toujours demandeurs de nouvelles sensations.

Les mers de Fort Fort Lointain n'avait finalement rien de particulier. N'importe quel endroit au monde restait plus accueillant que Yasen, mais, les rivages féconds de Fort Fort Lointain restait le principal point de revente du triton, porté par les différents courants à un rythme assez régulier. Mais partout, le constat restait le même pour Vladislas, ce triton raté, rejeté des scènes de premier plan de toutes les histoires de sirènes. Ce fut l'annonce de la marraine la bonne fée qui changea tout. Enfin. L'espoir d'une meilleure vie, deux jambes à la place de ses écailles brillantes pour enfin passer au premier plan. Il aimait cette nouvelle vie, il en était même assez satisfait pour l'instant. Pourtant, encore, le tissu irritait sa peau et, en pleine nuit, il se levait pour plonger dans l'eau bouillante afin d'enfin réussir à s'endormir. L'océan, ancré profondément en lui, endroit où il ne pouvait vivre, lui manquait.