Despereaux, Cúchulain
des p'tits trous, des p'tits trous, encore des p'tits trous
Les journées de combattant, au marché noir qui plus est, passées à donner et recevoir les coups et se rouler dans la boue et la poussière et le sang qui est à soi ou bien aux autres : c'est fatiguant. C'est fatiguant et c'est même peu dire : pour chaque jour qu'il y passait, Cúchulainn passait une nuit à dormir le plus profondément du monde.
Pourtant, il avait eu un entraînement : une épée voire une hache dans les mains depuis ses sept ans, et les mains abîmées de cogner les gens ou les pantins en bois pour s'entraîner, il serait difficile de dire sans avoir les genoux qui cognent que le loup était nouveau au combat. Il avait fait la guerre bon dieu, quand bien même il l'avait perdu, et avait planté ces dix dernières années ses crocs dans un nombre incalculable de jambes, torses, pattes, cous. Il y a deux semaines encore, il avait arraché la joue d'un adversaire – en loup comme en homme, un combattant ne s'arrêtait pas. La vie devenait un combat perpétuel, du jour où il prenait les armes à celui où il rendait son dernier souffle.
Pourtant, le voilà, le grand guerrier : le cul gracieusement posé sur le lit depuis deux jours. La même chemise dégueulasse qui empestait et lui collait littéralement à la peau, et les cheveux emmêlés autour de la poussière. Il avait des courbatures partout, pas tant d'avoir combattu que de n'avoir rien fait depuis. Le combat le fatiguait tout autant que le repos.
Une résolution prise à la va-vite le força à se lever en grinçant des dents, et se traîner jusqu'à la rivière. Il avait pour un moment, la semaine dernière, pensé à se laver plus souvent, mais une paresse infinie l'avait envahi au moment d'entrer dans l'eau. C'est bête, il était bien parti ce jour-là, presque déterminé à plonger le premier pied dans l'eau... mais non.
Triste histoire que la sienne. (soupir de l'auteur) Mieux parti, sans résolution quelconque qui le forçait à un rythme régulier de bains, Cúchulainn avait donc passé une heure et quelques, de l'eau jusqu'aux hanches, à attendre : que le temps passe, que la crasse s'en aille. Il avait frotté, sans trop de conviction, jusqu'à être propre comme un schilling neuf. Puis, comme il en avait l'habitude, Cúchulainn avait enfilé une chemise blanche et un pantalon usé, une paire de bottes recouvertes de terre sur la moitié basse et, seulement au cas où, sa hache accrochée à la ceinture. Comme si le temps allait l'attendre, il avait profité de l'ombre d'un arbre pour faire sécher ses cheveux et les tresser à nouveau, enfin prêt à partir. Plus long encore qu'une femme du beau monde; il a belle gueule le guerrier fier.
Sa course l'avait mené jusqu'à Fort Fort Lointain même, puis le long de Romeo Drive. Aujourd'hui, il n'avait pas le cœur à filer à la Griffe Marine, il n'avait pas le poing à aller frapper de vulgaires inconnus avec qui il aurait pu être ami un autre jour. Pire encore, l'homme-loup n'avait pas la tête à franchir la porte de la Pomme Empoisonnée, où il était presque sûr de retrouver Jack s'il attendait suffisamment longtemps. Pour une fois, peut-être la première depuis sa seconde vie humaine, Cúchulainn n'avait faim que de calme, de silence. Le marché noir n'était pas l'endroit rêvé pour ce genre d'envies soudaines, il en avait bien peur. Alors il foulait les pavés, la tête relevée à déchiffrer les pancartes de chaque boutique – il n'avait pas lu depuis longtemps et plus le temps passait, plus les mots devenaient abstraits. Il passait Starbucks sans trop de difficulté, mais jetait tout de même un œil à la vitrine d'Armany Armoury. Machinalement, comme un réflexe, il se laissa tenter par les parfums de Miel et Épices, avant que la raison ne le rattrape : il n'avait jamais eu beaucoup de schillings en sa possession, et il aurait donné sa main à couper que toute personne sensée 'aurait pas dépensé le peu qu'elle possédait en caramels mous et muffins à la confiture. Il aurait donc du avoir évité le pire, et pourtant : l'odeur de vin chaud du marché de noël l'attirait un peu plus chaque seconde. Il n'était qu'un homme – enfin, à un loup près – et résister... ah, par tous les Dieux, il avait résisté à trop de boutiques déjà, de friandises et d'armes flamboyantes pour résister à l'appel du vin chaud. C'était la première fois – dieux ! la première fois – depuis qu'il n'était plus un loup, depuis dix longues années qu'il plongeait ses lèvres dans du vin chaud. Une seule fois par an, et son année à lui avait duré dix ans... un verre pour chaque année semblait être un bon compromis.
Et puis, comme si le destin frappait d'un grand coup dans sa gueule – après avoir prit quelques coups dans le nez, donc, quelle épopée fantastique –, il s'était arrêté à la Louche Dorée. La première fois qu'il y était entré – il s'en souvenait encore –, c'était le peu de lettres encore lisibles qui l'avaient fait entrer. Qui n'entrerait pas chez « Dor », franchement ? C'était un nom qui sonnait fantastiquement bien, et il s'était attendu à trouver trésors et richesses, peu importe quoi mais...
Il ne s'était pour sûr pas attendu à de la soupe.
Non plus : à Despereaux. Une souris qui sert de la soupe, si on le lui avait dit...
Cette fois-ci, il entrait en sachant ce qu'il faisait. Une soupe aiderait probablement l'alcool à descendre. Il avait poussé la porte en hoquetant, avant d'essuyer la crasse de ses bottes sur le paillasson de l'entrée – et déjà, la souris se précipitait en sa direction.
Lainn ! Bonjour ! Tu prends quoi aujourd'hui ? Il avait vu son nez se retrousser légèrement, avant de lui-même se sentir, juste pour être sûr.
Oh non, tu t'es fait avoir par le vin chaud, c'est çà ? Cúchulainn ne pouvait y échapper : à peine lavé, il puait déjà. C'était pire qu'une malédiction, vraiment.
Jeeeee... Non, c'est totalement faux. Tout à fait faux. La tête lui tournait sans qu'il ai son mot à dire.
Il était tiède, d'abord, c'est pas pareil et je tiens à le dire, qu'on m'entende et qu'on m'entende bien, et... Les sourcils froncés, fixant Despereaux, il s'était arrêté net.
J'vais prendre une soupe aux champignons tiens. Ou au poisson. Ou aux deux, je sais pas, étonne-moi tu veux ? Quelques pas en avant, les bottes enfin propres (ou presque), et Cúchulainn tapotait familièrement les joues de la souris qu'il préférait.
Le gui c'est au-dessus de toi normalement tu sais, pas dans ta poche. À moins d'être contorsionniste. T'es contorsionniste ? Parce que sinon tu vas galérer mon gars.Franchement, heureusement que j'suis là. Accroche ton slibard, j'viens t'sauver le coup avec la p'tite !